http://docnum.univ-lorraine.fr/public/DDOC_T_2014_0327_SAINTE_MARIE.pdf
"Quel est l’enjeu de la morale ? Le bonheur humain. La réponse pourrait paraître banale tant le mot nous semble avoir perdu de son intensité, mais au-delà de l'apparente vacuité du terme se cache un débat qui, s'il aboutit mal, peut conduire aux drames les plus affreux. La simplicité de la réponse que nous donnons ouvre à une difficulté immédiate. Il n’existe pas de pensée éthique qui ne parle du bonheur, toute la nuance provenant en définitive de la manière dont on le promet ou on le garant." (p.8 )
"L’agir de l’être humain ne le rend pas totalement étranger au reste du cosmos même si une part en lui échappe au déterminisme." (p.11)
"Parler du bien d’une manière téléologique implique de le présenter comme terme d’appétit. Mais cette présentation suppose une structuration des catégories du discours moral au même titre que les autres savoirs systématiques. C’est pour cela que nous estimons devoir nous fonder sur la tradition aristotélicienne du fait que ce penseur de la Grèce antique a su comprendre les pièges d’une théorisation trop étroite." (p.12)
"Politique et morale ne sont jamais complètement séparées, même si elles restent distinctes." (p.16)
"En quelques lignes [du Gorgias], Platon met en présence toutes les catégories que l'on retrouve à longueur de lecture des textes de philosophie morale. On peut citer pêle-mêle l’utilité, le désir, la distinction entre bien et plaisir, la réalité d’une fin antécédente à l’agir, la rétribution et la peine pour l’agir bon et mauvais, la possibilité de la conceptualisation du bien moral et donc l'existence d’une science morale, quelles qu’en soient l'origine et la spécificité par ailleurs." (p.21)
"Seulement, ce raisonnement de Platon est insuffisant à répondre aux objections crânes et outrancières de Calliclès. Certes, on comprend la logique d’une pensée qui cherche à intégrer la considération des plaisirs personnels dans celle, plus large, de la relation aux autres hommes et aux êtres supérieurs, par la justice et la piété, mais le dialogue pour convaincre Calliclès en reste au niveau de la justice post-mortem qui sépare les âmes bonnes des âmes mauvaises, sans donner la raison qui permet de comprendre ce qui fonde dans l’action humaine prise dans sa radicale immanence, la distinction entre bons et mauvais plaisirs. L’invocation des normes faites par Platon, qui implique l'acte dans une harmonie générale et lui donne une lisibilité, devient nécessaire à ce moment de la réflexion, mais elle ne permet pas de répondre au niveau où Calliclès place le débat. Sans nier la valeur de ce raisonnement, il faut avouer que réduire à néant l’argumentation de Calliclès de cette façon, c’est tout simplement ignorer le problème qu’elle nous pose." (p.24)
"C’est bien parce que l’action est mauvaise qu’elle nous conduit à la condamnation dans l’autre monde, et non parce que l’action est condamnable a posteriori qu’elle est mauvaise. Sans doute le recours aux idées peut-il sauver une telle conception du bien et c’est là justement l’un des axes de la discussion que nous entamons. La critique principal que nous adressons à cette vision des choses, c’est qu'elle ne montre pas la relation entre l'harmonie rationnelle et le bonheur. Seul le recours à un ordre divin, plus idéal que cosmique d'ailleurs, permet à Platon de sortir la tête haute de ce combat, mais c’est en ayant abandonné le terrain du monde des hommes aux appétits des Calliclès de toute espèce. Cette vision du monde moral espère une justice de rétribution comme Kant en espérera une à son tour. Ce dernier ayant banni la quête du bonheur individuel du champ immédiat des maximes morales, espère qu'un Dieu –postulé par une raison morale incertaine spéculativement de l’existence de ce suprême juge– sera au ciel pour apporter la récompense des actes vertueux..." (p.25)
"Nous affirmons dès maintenant une certaine prédilection pour la réflexion aristotélicienne. En effet, la téléologie que ce philosophe met en œuvre nous paraît fondée conceptuellement sur un meilleur équilibre que les philosophies idéalistes, d’inspiration platonicienne ou kantienne ; l’indice que nous donnons de cet équilibre c’est précisément l'exigence théorique combinée à la prise en considération de la réalité de notre quotidien. Tous les courants contemporains d’éthique qui affirment la nécessité d’une théorie rejoignent peu ou prou les grands penseurs de l'hyperthéorisation, quand ils ne subissent pas leur influence. Platon et Kant parlent de finalité, mais le point essentiel où leurs théories diffèrent de celle d'Aristote est l’articulation entre bien et bonheur. La science éthique d'Aristote tourne aussi autour de ces deux grands axes mais les articule et les fonde dans leur milieu d’existence concrète qui est une cité politique. Et c’est ainsi qu’elle évite l’écueil condamné par l'antithéorisme contemporain: l’acosmisme, l’apparent extrincésisme de la théorie morale par rapport à la vie quotidienne. Prétendre qu’Aristote identifie théoriquement bien et bonheur constitue une interprétation erronée de la pensée du philosophe macédonien. Il y a sans doute une certaine proximité entre les deux réalités, le bonheur étant le bien parfait, mais dans l'élaboration conceptuelle il faut clairement distinguer les deux. Car des choses bonnes pourront dans leur immédiat usage ne pas être plaisantes et donc s’éloigner de la compréhension que chacun se fait en général du bonheur. Parler immédiatement de la question du bonheur sans ouvrir une réflexion préalable sur le bien constitue une erreur méthodologique, comme il apparaît dans la pensée utilitariste par exemple et selon la réflexion de Bernard Williams à son propos, la définition du bonheur est elle-même sujette à réflexion. Le bonheur demande donc à être évalué plutôt que de constituer la norme évaluatrice suprême. Poser le bonheur à la base de la réflexion théorique oblige en fait à produire une considération sur la motivation de nos actes qui est insoluble par la seule affirmation que l'homme tend instinctivement au bonheur. Si effectivement la théorie morale doit traiter du bonheur, de la dynamique des actes en vue de celui-ci, la question du bien, quoique reliée à la réflexion sur le bonheur, est une question distincte et antécédente qui, négligée, mène à des impasses. C’est elle en effet qui illumine la justification de la recherche d'un bonheur selon certaines modalités de l'action et non selon d'autres. Par là on entrevoit déjà une précision importante sur la téléologie telle qu’elle peut être comprise dans la proximité de l'optique aristotélicienne, l’affirmation qu’il existe différent types de biens dont les uns sont ordonnés aux autres: un bien vers un bien donc, du moins parfait au plus parfait, comme le moyen vers la fin. Dans le discours moral la distinction entre réalité et conception doit être clairement affirmée car l’ignorance de celle-ci est l’une des sources possibles du refus de la théorisation morale. Si en effet on prétendait réduire l’action bonne à une conformité à une norme idéale, on tomberait dans la vacuité, le risque de conformisme ou la systématisation kantienne qui met la question du bonheur hors du champ de la morale. Cette distinction entre le bien réel et l'idée qu’on s’en fait ne doit pas nous amener à opposer l’un à l’autre ; on ne peut pas non plus les considérer comme étrangers. Il convient d’expliquer maintenant comment cela est possible." (p.33-34)
"La réflexion théorique sur le bien doit commencer par une réflexion sur le mode de science qu’une telle conceptualisation doit avoir. Cette simple question ne manquera pas d’étonner, l’habitude intellectuelle n’étant pas de penser une théorie autrement qu’en mode de nécessité absolue. Or l'un des points essentiels de notre réflexion se situe dans l’affirmation de la nature analogique de la prédication du bien. Il y a bien et bien. Cette façon de voir repose sur une certaine compréhension métaphysique du bien qui est condition de notre discours moral. Ensuite nous aborderons la compréhension du bien comme terme d’un mouvement. Avant d’aborder les notions de plaisir et de peine, de devoir et d’interdit, il faut préciser la question du dynamisme impliquée par la notion de bien. C’est à ce moment que nous pensons esquisser l’un des aspects principaux de la téléologie. Le bien qui meut l’individu humain est celui qui existe en dehors de lui. La quête de ce bien par l'homme unifie le dynamisme général de l’âme humaine. Dans un dernier temps on s’attachera à approfondir la compréhension de la spécificité du bien moral parmi les biens. Le bien étant une notion impliquant une certaine forme de dynamisme nous montrerons que la spécificité du bien humain amène à considérer le plaisir et la joie. Il s’agit de montrer que la notion de bien moral l’implique nécessairement, que l'action humaine est aussi mue par cet aspect du bien. Une réflexion approfondie entre liberté et obligation trouvera naturellement sa place au sein des considérations que nous ferons sur ce particularisme du bien humain."(p.34-35)
"La volonté étant ontologiquement déterminée à rechercher les biens parfaits." (p.144)
"Le mal n'est jamais défini que par rapport au bien dont il est la privation." (p.207)
-Renaud de Sainte Marie. Élaboration d’une éthique téléologique. Philosophie. Université de Lorraine,2014. Français. NNT: 2014LORR0327. tel-01751952
"Quel est l’enjeu de la morale ? Le bonheur humain. La réponse pourrait paraître banale tant le mot nous semble avoir perdu de son intensité, mais au-delà de l'apparente vacuité du terme se cache un débat qui, s'il aboutit mal, peut conduire aux drames les plus affreux. La simplicité de la réponse que nous donnons ouvre à une difficulté immédiate. Il n’existe pas de pensée éthique qui ne parle du bonheur, toute la nuance provenant en définitive de la manière dont on le promet ou on le garant." (p.8 )
"L’agir de l’être humain ne le rend pas totalement étranger au reste du cosmos même si une part en lui échappe au déterminisme." (p.11)
"Parler du bien d’une manière téléologique implique de le présenter comme terme d’appétit. Mais cette présentation suppose une structuration des catégories du discours moral au même titre que les autres savoirs systématiques. C’est pour cela que nous estimons devoir nous fonder sur la tradition aristotélicienne du fait que ce penseur de la Grèce antique a su comprendre les pièges d’une théorisation trop étroite." (p.12)
"Politique et morale ne sont jamais complètement séparées, même si elles restent distinctes." (p.16)
"En quelques lignes [du Gorgias], Platon met en présence toutes les catégories que l'on retrouve à longueur de lecture des textes de philosophie morale. On peut citer pêle-mêle l’utilité, le désir, la distinction entre bien et plaisir, la réalité d’une fin antécédente à l’agir, la rétribution et la peine pour l’agir bon et mauvais, la possibilité de la conceptualisation du bien moral et donc l'existence d’une science morale, quelles qu’en soient l'origine et la spécificité par ailleurs." (p.21)
"Seulement, ce raisonnement de Platon est insuffisant à répondre aux objections crânes et outrancières de Calliclès. Certes, on comprend la logique d’une pensée qui cherche à intégrer la considération des plaisirs personnels dans celle, plus large, de la relation aux autres hommes et aux êtres supérieurs, par la justice et la piété, mais le dialogue pour convaincre Calliclès en reste au niveau de la justice post-mortem qui sépare les âmes bonnes des âmes mauvaises, sans donner la raison qui permet de comprendre ce qui fonde dans l’action humaine prise dans sa radicale immanence, la distinction entre bons et mauvais plaisirs. L’invocation des normes faites par Platon, qui implique l'acte dans une harmonie générale et lui donne une lisibilité, devient nécessaire à ce moment de la réflexion, mais elle ne permet pas de répondre au niveau où Calliclès place le débat. Sans nier la valeur de ce raisonnement, il faut avouer que réduire à néant l’argumentation de Calliclès de cette façon, c’est tout simplement ignorer le problème qu’elle nous pose." (p.24)
"C’est bien parce que l’action est mauvaise qu’elle nous conduit à la condamnation dans l’autre monde, et non parce que l’action est condamnable a posteriori qu’elle est mauvaise. Sans doute le recours aux idées peut-il sauver une telle conception du bien et c’est là justement l’un des axes de la discussion que nous entamons. La critique principal que nous adressons à cette vision des choses, c’est qu'elle ne montre pas la relation entre l'harmonie rationnelle et le bonheur. Seul le recours à un ordre divin, plus idéal que cosmique d'ailleurs, permet à Platon de sortir la tête haute de ce combat, mais c’est en ayant abandonné le terrain du monde des hommes aux appétits des Calliclès de toute espèce. Cette vision du monde moral espère une justice de rétribution comme Kant en espérera une à son tour. Ce dernier ayant banni la quête du bonheur individuel du champ immédiat des maximes morales, espère qu'un Dieu –postulé par une raison morale incertaine spéculativement de l’existence de ce suprême juge– sera au ciel pour apporter la récompense des actes vertueux..." (p.25)
"Nous affirmons dès maintenant une certaine prédilection pour la réflexion aristotélicienne. En effet, la téléologie que ce philosophe met en œuvre nous paraît fondée conceptuellement sur un meilleur équilibre que les philosophies idéalistes, d’inspiration platonicienne ou kantienne ; l’indice que nous donnons de cet équilibre c’est précisément l'exigence théorique combinée à la prise en considération de la réalité de notre quotidien. Tous les courants contemporains d’éthique qui affirment la nécessité d’une théorie rejoignent peu ou prou les grands penseurs de l'hyperthéorisation, quand ils ne subissent pas leur influence. Platon et Kant parlent de finalité, mais le point essentiel où leurs théories diffèrent de celle d'Aristote est l’articulation entre bien et bonheur. La science éthique d'Aristote tourne aussi autour de ces deux grands axes mais les articule et les fonde dans leur milieu d’existence concrète qui est une cité politique. Et c’est ainsi qu’elle évite l’écueil condamné par l'antithéorisme contemporain: l’acosmisme, l’apparent extrincésisme de la théorie morale par rapport à la vie quotidienne. Prétendre qu’Aristote identifie théoriquement bien et bonheur constitue une interprétation erronée de la pensée du philosophe macédonien. Il y a sans doute une certaine proximité entre les deux réalités, le bonheur étant le bien parfait, mais dans l'élaboration conceptuelle il faut clairement distinguer les deux. Car des choses bonnes pourront dans leur immédiat usage ne pas être plaisantes et donc s’éloigner de la compréhension que chacun se fait en général du bonheur. Parler immédiatement de la question du bonheur sans ouvrir une réflexion préalable sur le bien constitue une erreur méthodologique, comme il apparaît dans la pensée utilitariste par exemple et selon la réflexion de Bernard Williams à son propos, la définition du bonheur est elle-même sujette à réflexion. Le bonheur demande donc à être évalué plutôt que de constituer la norme évaluatrice suprême. Poser le bonheur à la base de la réflexion théorique oblige en fait à produire une considération sur la motivation de nos actes qui est insoluble par la seule affirmation que l'homme tend instinctivement au bonheur. Si effectivement la théorie morale doit traiter du bonheur, de la dynamique des actes en vue de celui-ci, la question du bien, quoique reliée à la réflexion sur le bonheur, est une question distincte et antécédente qui, négligée, mène à des impasses. C’est elle en effet qui illumine la justification de la recherche d'un bonheur selon certaines modalités de l'action et non selon d'autres. Par là on entrevoit déjà une précision importante sur la téléologie telle qu’elle peut être comprise dans la proximité de l'optique aristotélicienne, l’affirmation qu’il existe différent types de biens dont les uns sont ordonnés aux autres: un bien vers un bien donc, du moins parfait au plus parfait, comme le moyen vers la fin. Dans le discours moral la distinction entre réalité et conception doit être clairement affirmée car l’ignorance de celle-ci est l’une des sources possibles du refus de la théorisation morale. Si en effet on prétendait réduire l’action bonne à une conformité à une norme idéale, on tomberait dans la vacuité, le risque de conformisme ou la systématisation kantienne qui met la question du bonheur hors du champ de la morale. Cette distinction entre le bien réel et l'idée qu’on s’en fait ne doit pas nous amener à opposer l’un à l’autre ; on ne peut pas non plus les considérer comme étrangers. Il convient d’expliquer maintenant comment cela est possible." (p.33-34)
"La réflexion théorique sur le bien doit commencer par une réflexion sur le mode de science qu’une telle conceptualisation doit avoir. Cette simple question ne manquera pas d’étonner, l’habitude intellectuelle n’étant pas de penser une théorie autrement qu’en mode de nécessité absolue. Or l'un des points essentiels de notre réflexion se situe dans l’affirmation de la nature analogique de la prédication du bien. Il y a bien et bien. Cette façon de voir repose sur une certaine compréhension métaphysique du bien qui est condition de notre discours moral. Ensuite nous aborderons la compréhension du bien comme terme d’un mouvement. Avant d’aborder les notions de plaisir et de peine, de devoir et d’interdit, il faut préciser la question du dynamisme impliquée par la notion de bien. C’est à ce moment que nous pensons esquisser l’un des aspects principaux de la téléologie. Le bien qui meut l’individu humain est celui qui existe en dehors de lui. La quête de ce bien par l'homme unifie le dynamisme général de l’âme humaine. Dans un dernier temps on s’attachera à approfondir la compréhension de la spécificité du bien moral parmi les biens. Le bien étant une notion impliquant une certaine forme de dynamisme nous montrerons que la spécificité du bien humain amène à considérer le plaisir et la joie. Il s’agit de montrer que la notion de bien moral l’implique nécessairement, que l'action humaine est aussi mue par cet aspect du bien. Une réflexion approfondie entre liberté et obligation trouvera naturellement sa place au sein des considérations que nous ferons sur ce particularisme du bien humain."(p.34-35)
"La volonté étant ontologiquement déterminée à rechercher les biens parfaits." (p.144)
"Le mal n'est jamais défini que par rapport au bien dont il est la privation." (p.207)
-Renaud de Sainte Marie. Élaboration d’une éthique téléologique. Philosophie. Université de Lorraine,2014. Français. NNT: 2014LORR0327. tel-01751952