« La décennie des centenaires fournit l’occasion de relire l’histoire afin d’apprécier ce que l’Irlande a fait de cette souveraineté et de voir dans quelle mesure ont été tenues les promesses de la Proclamation de la République de 1916 et du Programme démocratique de 1919. » (p.10)
« Pourquoi ouvrir cette histoire en 1912 ? C’est l’année de tous les espoirs : le troisième projet de loi proposant de redonner à l’Irlande un parlement à compétence locale au sein du Royaume-Uni (Home Rule) est déposé au Parlement de Westminster au moment où le vote des députés irlandais pèse lourd dans la balance parlementaire britannique. Et cette fois-ci, ceux-ci ont la certitude qu’il ne sera pas bloqué par les Lords. L’Irlande obtiendra un certain degré d’indépendance au sein de l’Empire britannique en conformité avec l’aspiration de l’écrasante majorité de la population ; ce n’est plus qu’une question de temps. Mais la réaction hostile de l’Ulster (Ulster Volunteer Force) et l’entrée dans la Première Guerre mondiale vont en décider autrement. Des milliers de volontaires partent rejoindre l’armée britannique au front tandis qu’au pays, des Volontaires (Irish Volunteer Force) se mobilisent, exaspérés par la suspension du Home Rule et la perspective de la conscription obligatoire. De ce partage des eaux des loyautés irlandaises découle tout le cours tourmenté de l’histoire de l’Irlande au XXe siècle. Une histoire qui a dressé les uns contre les autres les sensibilités, les egos, les partis et les familles -les républicains contre les partisans d’une forme de dévolution maintenant le lien avec la Couronne, le Fianna Fail contre le Fine Gael, l’historiographie nationaliste contre la révisionniste… » (p.10-11)
« Échec d’une expérience que les nationalistes […] le Parlement de Grattan (1783-1801), auquel l’Acte d’Union mit un terme. » (p.15)
« Au début des années 1870, Henry Grattan, un des chefs de file du mouvement des Patriotes, avait fait campagne pour l’indépendance législative de l’Irlande et l’émancipation des élites irlandaises, protestantes comme catholiques. Sans pour autant démenteler le système colonial, il s’agissait de recouvrer des droits perdus en matière de liberté de négoce en particulier. C’est ce pour quoi se battent les Volontaires, des commerçants et artisans catholiques et protestants. Les Patriotes portent leurs revendications au parlement de Westminster qui renonce le 22 janvier 1783 à sa souveraineté législative sur l’Irlande et est même contraint de ratifier une déclaration d’Indépendance.
L’exécutif (un vice-roi, un secrétaire en chef et un sous-secrétaire en chef) est toujours nommé par la Couronne, et Westminster conserve un droit de veto qui n’est cependent utilisé qu’une seule fois. » (p.15-16)
« Le radicalisme protestant et l’esprit révolutionnaire français se trouvent réunis chez Wolfe Tone, avocat diplomé de Trinity College Dublin, orateur brillant et même drôle. Qu’il considère que le catholicisme est une « superstition agonisant » ne l’empêche pas de faire campagne brillamment pour l’émancipation des catholiques. Considéré comme le père du nationalisme irlandais, il croit possible de subordonner les allégeances religieuses au ralliement à une citoyenneté républicaine commune autour des valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité. Pour cela, il faut briser les liens avec l’Angleterre, conquérir l’indépendance de la patrie et oublier les différends du passé. Wolfe Tone participe ainsi à la fondation de la Société des Irlandais unis de Belfast en 1791 dans l’esprit révolutionnaire français. Mais les Irlandais Unis sont dissous par la loi en 1794, à la suite de quoi le mouvement se transforme en société secrète militaire vouée à la cause de la République.
Wolfe Tone s’exile en France et obtient en 1796 du Directoire français, fortement intéressé par l’idée d’envahir les îles Britanniques, l’envoi par le général Hoche d’une force d’invasion de 14 450 hommes répartis sur 43 vaisseaux dans la baie de Bantry, à la pointe sud-ouest du comté de Cork. Rencontrant une des pires tempêtes du siècle, la flotte se disperse ; elle a perdu ses commandants lorsqu’elle arrive au large des côtes irlandaises, et c’est sans avoir touché la terre irlandaise qu’elle rentre à Brest au bout d’une semaine. Douze navires font naufrage et des milliers d’hommes périssent noyés. Nouvelle tentative en août 1798. Cette fois, les troupes françaises, sous le commandement du général Humbert, débarquent dans le comté de Mayo et aident des rebelles irlandais à créer une éphémère République du Connaught qui vit pendant deux semaines. Les troupes françaises sont rapatriées et les rebelles irlandais massacrés. De nouveau, en octobre 1798, une force française, accompagnée cette fois-ci de Wolfe Tone, tente de débarquer dans le Donegal, mais se bat contre une flotte anglaise et se rend sans toucher terre. Dans la mémoire collective irlandaise, 1798 restera « l’année des Français ». » (pp.17-18)
« L’Acte d’Union entra en vigueur le 1er janvier [1801] […] Même si ce régime fut corrompu et ne remplit pas ses promesses vis-à-vis de la population, c’est un symbole d’identité nationale qui est détruit. Il survivra néanmoins en tant que source d’inspiration pour les générations de nationalistes irlandais à venir. » (p.19)
« Le nouveau régime de l’Union abolit le Parlement de l’Irlande ; les députés irlandais, dont le nombre est plafonné à 100 (sur 658), siègent au parlement de Westminster. L’exécutif, formé du vice-roi et du secrétaire en chef pour l’Irlande, continue de siéger au château de Dublin. Une zone de libre-échange se met en place entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. Si elle favorise les échanges commerciaux, elle porte un coup aux industries irlandaises naissantes, qui ne peuvent faire face à la concurrence britannique. » (p.19)
« « Le Libérateur », Daniel O’Connell, ancien étudiant du collège irlandais de Saint-Omer, avocat au barreau d’Irlande, brillant orateur lui aussi. Il crée l’Association catholique en 1823. […] L’Église, qui se tenait à l’écart de la politique, se joint à ce mouvement de réforme. […]
A peine élu député, O’Connell parvient à faire voter la loi d’Émancipation des catholiques en 1829 qui s’applique aux catholiques d’Irlande et de Grande-Bretagne : les catholiques peuvent désormais siéger au Parlement, la mention offensante à l’égard de la transsubstantiation est supprimée du serment d’allégeance, et toutes les professions leur sont ouvertes. En contrepartie, l’Association catholique est dissoute et le seuil du suffrage censitaire est élevé, minant la base électorale catholique. O’Connell fait campagne également pour l’abrogation (Repeal) qui demande, avec des moyens pacifiques, la création d’un royaume d’Irlande indépendant qui garderait néanmoins le monarque britannique à sa tête. Le Premier ministre conservateur Sir Robert Peel entame à partir de 1841 des négociations secrètes avec le Saint-Siège pour mater cette campagne et ramener le calme en Irlande. Le pape adresse alors au primat de l’Église catholique d’Irlande un rescrit invitant le clergé et les prélats à se tenir à l’écart de l’agitation publique. En contrepartie, Peel fait voter un nouveau subside pour le séminaire catholique de Maynooth.
Une alliance conservatrice et antirévolutionnaire se noue alors entre l’Etat britannique et l’Église catholique sur le terrain de l’éducation et du contrôle social en Irlande. » (p.20-21)
« Entre 1850 et 1900, le nombre de National Schools a doublé (malgré la forte diminution de la population, passant de 6.5 millions à 4.4 millions entre 1851 et 1901), et entre 1850 et 1911, le taux d’illetrisme a chuté, passant de 47% à 12%. Même succès dans le domaine de la santé, grâce au travail pionnier des Sœurs irlandaises de la charité et de la miséricorde qui construisent des hôpitaux à partir des années 1830. » (p.21)
« Mouvement plus radical, la Jeune Irlande. Ce mouvement naît de la plume de journalistes qui lancent en 1842 The Nation, organe d’éducation populaire qui rencontre un succès immédiat. A la tête de ce mouvement, le jeune avocat protestant Thomas Davis, membre de la Royal Irish Academy et poète, qui prêche que l’Irlande deviendra « A nation once again » -donnant son titre à la ballade irlandaise la plus célèbre, et aux nationalistes irlandais leur hymne officieux. L’Irlande redeviendra une nation, dit-il, par la réconciliation des populations et des religions autour d’une vision inclusive de l’identité irlandaise qui rappelle celle de Wolfe Tone. A la différence de Daniel O’Connell qui recommandait l’usage de l’anglais sur toute la planète pour favoriser les échanges commerciaux, ces journalistes et intellectuels sont attachés en premier lieu à la promotion de la culture gaélique. Pour Thomas Davis, « un peuple sans sa langue n’est que la moitié d’une nation » [« Our National Language », The Nation, 1er avril 1843]. Comme Daniel O’Connell, Thomas Davis condamne l’agitation et prône le respect de la loi, mais en 1845, à l’âge de 30 ans, il est emporté par le choléra. Le Zeitgeist change : l’utilitarisme et la poursuite antiromantique du progrès font place à la réappripriation du passé et à l’exaltation des particularismes culturels. » (p.22)
« Création à New York [en 1848] de la Fenian Brotherhood, structure militaire vouée à la création d’une république irlandaise par la révolution. […] En 1850, un quart des New Yorkais sont irlandais ; en 1855, cette proportion passe à un tiers. En 1890, près de la moitié des catholiques américains sont irlandais ou de parents irlandais ; en 1960 encore, deux cinquièmes des catholiques américains sont d’origine irlandaise. Vingt-deux présidents des Etats-Unis -catholiques mais le plus souvent presbytériens- affirment fièrement être originaires de l’île d’Émeraude. […] Création en 1858 d’une branche dublinoise de l’association américaine : l’Irish Revolutionary (puis Republican) Brotherhood (IRB), société secrète dont les membres prêtent serment de renoncer à toute allégeance au souverain anglais et de se battre par les armes pour faire de l’Irlande une république démocratique indépendante. L’IRB est démentelée en Irlande en 1865 et poursuit son existence clandestine aux Etats-Unis à travers le Clan na Gael fondé en 1867. » (p.23)
« Lorsque le phytophthora infestans (le mildiou) s’abat sur les récoltes de pommes de terre à travers l’Europe du Nord […] un million d’Irlandais meurent entre 1846 et 1851 [un autre million s’exile avec la Grande Famine]. » (p.24)
« Entre 1850 et 1870, le nombre de prêtres augmente de 20% et celui des religieuses de 50%. Mieux : le nombre de religieuses est multiplié par quatre entre 1841 et 1901, en dépit d’une baisse de près de 50% de la population. Au début du XIXe siècle, il y avait 11 couvents en Irlande ; en 1900, on en compte 368. […] La hiérarchie catholique irlandaise reste unanimement opposée à l’activité révolutionnaire ; elle condamne les Fenians de l’IRB (à qui Mgr Cullen interdit l’administration des sacrements), tout comme elle excommuniera au début du XXe siècle les républicains les plus violents. » (p.26)
« Pour le XIXe siècle, Pierre Joannon recence au total 187 lois qui sont adoptées à l’encontre des libertés des Irlandais. » (p.26)
« Aux élections de 1874, plus de la moitié des députés irlandais sont des Home Rulers. En 1867, Gladstone avait consenti à étendre le droit de vote aux catégories les plus aisées des classes populaires, et les effets s’en font sentir à partir des années 1870. Aux élections de 1885, le Parti parlementaire irlandais gagne 25 sièges. Les partis politiques britanniques devront compter avec les suffrages de ces nouveaux électeurs pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir. Le parti de Gladstone dépendant du parti de Parnell pour rester au pouvoir, c’est Gladstone qui porte le Home Rule Bill (projet de loi) au Parlement pour la première fois en 1886. Rejeté aux Communes à une faible majorité, ce projet de loi prévoit que le parlement de Westminster garde le contrôle sur les relations extérieures, l’armée, le commerce, la sécurité et l’essentiel des impôts. Le gouvernement britannique conserverait un droit de veto sur toutes les lois votées par le parlement irlandais. La grande majorité des Irlandais l’auraient accepté. Le projet de loi est reçu avec horreur, notamment par le leader conservateur Randolph Churchill, qui joue la carte orangiste contre Gladstone et les Libéraux et prononce la formule dont se souviendront longtemps les protestants d’Ulster : « Ulster will fight and Ulster will be right » (« L’Ulster se battra et l’Ulster aura raison »). » (p.28)
« Le deuxième Home Rule Bill déposé par Gladstone fût rejeté en 1893, cette fois-ci par les Lords. » (p.29)
« Le XIXe siècle se clôt néanmoins dans l’espoir et dans le calme. La reine Victoria se rend en Irlande en 1900 pour encourager les Irlandais à rejoindre les troupes anglaises parties se battre à la guerre des Boers. Dans l’ensemble, la population et les nationalistes souhaitent simplement obtenir le Home Rule tout en restant dans l’Union. […] Alors que 3% des agriculteurs étaient propriétaires de leur terrain en 1870, ils sont 29.2% en 1906 et seront 63.9% en 1916. » (p.30-31)
« En 1899 à Dublin, la mortalité était de 33.6% contre 19.7% à Londres. En 1901, 36% des familles vivent dans des logements d’une pièce. Des récessions entre 1900 et 1904 grossissent les rangs des chômeurs. En conséquence, en 1911, 66% de la population ouvrière vit dans des conditions insalubres et 118 000 pauvres logent dans 5000 taudis urbains. » (p.33)
« Le mouvement de « renaissance culturelle » de l’Irlande est lancé en 1892 par une conférence intitulée La Nécessité de désangliciser l’Irlande, prononcée par Douglas Hyde, protestant, professeur à Trinity College Dublin, spécialiste d’études celtiques et de folklore, qui sera élu bien des années plus tard premier président de la république d’Irlande. » (p.35)
« Les auteurs de la renaissance celtique ne réclamaient pas l’indépendance politique ; mais leurs œuvres ont inspiré, donné son énergie à une génération arrivant à l’âge adulte en 1914, une génération exaltée, avide de poésie, prête à faire le sacrifice de sa vie pour l’Irlande. » (p.39)
« La génération qui s’exprime par tous ces mouvements est celle née en 1880 qui a grandi dans des conditions plus confortables que ses parents, et dans une confiance et un optimisme plus grands. […] Si cette génération soutient pour l’essentiel le Parti parlementaire irlandais et aspire à une vie confortable dans l’Empire, elle produit aussi une effervescence idéaliste, exaltée, ivre de mythologie et de poésie, visionnaire. […] Michael Laffan, l’historien du Sinn Féin, y voit la manifestation irlandaise d’un phénomène européen : la « génération de 1914 », des jeunes hommes insatisfaits vis-à-vis d’un monde qu’ils voient comme ennuyeux et décadents, enthousiasmés par le militarisme et la perspective d’un conflit héroïque. » (p.39-40)
« Dans son livre La Résurrection de la Hongrie paru en 1904, [Arthur Griffith] présente les avantages qu’aurait pour l’Irlande le modèle d’une double monarchie où un même monarque régnerait sur deux assemblées locales -en somme, un retour au régime du Parlement de Grattan. L’année suivante, ce parti devient le Sinn Féin (« Nous seuls »), du nom d’un journal créé en 1903. Ce nouveau parti prône un parlement national et une politique d’autodétermination nationale. Son électorat est éclectique : certains veulent une séparation complète d’avec la Grande-Bretagne, d’autres se contenteraient du Home Rule comme étape préliminaire à une indépendance complète. Arthur Griffith est monarchiste et les femmes le suivent car c’est le seul parti à leur promettre le droit de vote… Ce qui unit les membres de ce mouvement et les distingue néanmoins des autres mouvements nationalistes est leur refus d’occuper leur siège au parlement de Westminster et le fait qu’ils ne croient pas en la négociation avec les unionistes.
Le Sinn Féin met l’accent sur l’économie : il faut restructurer l’économie irlandaise afin qu’elle ne soit plus dépendre de l’économie anglaise. Arthur Griffith propose alors l’industrialisation progressive de l’Irlande « afin de lui assurer une polyvalence économique, condition sine qua non de l’indépendance politique ». Pour favoriser ce rééquilibrage, un rempart protectionniste est nécessaire. Avant 1916, le Sinn Féin n’est pas un parti révolutionnaire : il recommande simplement le boycott des institutions britanniques. Ce n’est pas un parti républicain non plus : Arthur Griffith est prêt à revenir au Parlement de Grattan. Qui plus est, c’est un mouvement pacifiste. » (p.43)
[Chapitre 1 : La Révolution irlandaise (1912-1928)]
« Winston Churchill (alors Premier Lord de l’Amirauté dans le gouvernement libéral d’Asquith) […] en février 1912 […] se rend à Belfast pour défendre le Home Rule aux côtés des deux leaders nationalistes, John Redmond et Joe Devlin. » (p.47)
« Au tournant du XXe siècle, Belfast est une ville prospère, qui est passée de 87 062 habitants en 1851 à près de 350 000 en 1901. Hébergeant le plus grand chantier de construction navale du monde (Harland & Wolff) et les plus grandes usines de cordage, de tabac et de textile, c’est la capital économique et industrielle de l’Irlande. […] Dublin reste la capitale de l’Irlande rurale, gaélique et catholique, et l’Ulster, protestant et industrialisé, ne peut accepter de lui être soumis. » (p.48)
« En 1914, 25% des Dublinois vivent à plus de quatre dans des logements d’une seule pièce. Dans les conditions sanitaires causées par cette promiscuité, il n’est pas étonnant que Dublin détienne, avec 27.6%, le taux européen de mortalité le plus élevé, et décroche la cinquième place de ce palmarès dans le monde. […] Pour la municipalité de Dublin, de plus en plus nationaliste, ces conditions sont le produit de la domination britannique. […] Renverser cette dernière est la condition préalable à la résolution des problèmes sociaux. » (p.49)
« La fusion entre lutte politique et lutte sociale s’incarne en la personne de James Connolly, que Pierre Joannon appelle l’homme de deux livres : Le Capital de Karl Marx et le Jail Journal de John Mitchel, un des leaders de la Jeune Irlande au XIXe siècle. Né en Écosse d’émigrés irlandais, il s’installe en Irlande en mai 1896. Appelant toutes les forces vives de la nation (ouvrières comme agraires) à constituer un gouvernement révolutionnaire nationaliste présidant à un Etat indépendant, condition nécessaire pour faire advenir le progrès économique et social, il est le premier à tenter de réconcilier nationalisme, catholicisme et socialisme -mais l’Irish Republican Socialist Party qu’il fonde en 1896, premier parti socialiste irlandais, se scinde en 1906. Les moqueurs diront qu’il comptait plus de syllabes que de membres…
Les espoirs que Connolly place dans le mouvement syndical sont portés ensuite par l’autre James -James « Jim » Larkin, fils de parents irlandais installés, eux, à Liverpool. Il débarque à Belfast en janvier 1907 pour organiser un mouvement de grève parmi les dockers qui rassemble ouvriers protestants et catholiques. A la différence de Connolly, il est socialiste avant d’être nationaliste. Il quitte Belfast, s’installe à Dublin et crée le 4 janvier 1909 ce qui devient le plus grand syndicat irlandais, l’Irish Transport and General Workers’ Union (ITGWU). C’est le premier à représenter les intérêts des ouvriers non qualifiés, les plus vulnérables. Connolly rejoint l’ITGWU en 1910 et tous deux fondent le parti travailliste irlandais en 1912. […]
Connolly et Larkin commencent à mobiliser les dockers de Dublin en 1911 ; s’ensuivent grèves et lockouts. Mais les tensions du patronat au sujet du droit à se syndiquer en Irlande éclatent au moment du Dublin Lockout, conflit social majeur et le plus sévère de l’histoire de l’Irlande, qui voit s’affronter 20 000 ouvriers et 300 patrons à Dublin du 26 août 1913 au 18 janvier 1914. […] Malgré le soutien apporté aux ouvriers et à Jim Larkin par W. B. Yeats, George W. Russell, George B. Shaw et de la comtesse Markievicz, la répression est brutale et a raison du mouvement. Le patronat a gain de cause et les ouvriers, au bord de la famine, signent le document et reprennent le travail en janvier 1914. Larkin part pour les Etats-Unis et Connolly est exécuté en 1916. » (p.49-51)
« En janvier 1913, l’Ulster Unionist Council décide de former une armée de cent mille hommes rassemblant les nombreux petits commandos qui s’entraînent isolément. Cette armée, qui se nommera bientôt l’Ulster Volunteer Force (UVF), a pour but de résister à l’imposition du Home Rule. En septembre 1913, un projet de gouvernement provisoire est formé. Le gouvernement britannique laisse faire, voire cautionne. En mars 1914, au camp de Curragh dans le comté de Kildare, la plus grande base militaire britannique en Irlande, un groupe d’officiers refuse de poursuivre les agitateurs anti-Home Rule d’Ulster. Cette mutinerie n’est sanctionnée par aucune traduction en cours martiale. Un mois plus tard, le 24 avril 1914, les unionistes d’Ulster parviennent à débarquer à Larne, dans le comté d’Antrim, 25 000 fusils et 3 millions de cartouches en provenance d’Allemagne. » (p.53)
« « The North began », « Le Nord a commencé », dit Eoin MacNeill, vice-président de la Ligue gaélique et professeur d’histoire médiévale à University College Dublin, qui intitule ainsi un article publié le 1er novembre 1913 dans le journal de la Ligue gaélique. Dans cet article, il appelle à imiter l’Ulster et à créer un corps de Volontaires dans le Sud. Une réunion s’ensuit, qui attire sept mille personnes, et l’Irish Volunteer Force (IVF) voit le jour le 25 novembre 1913. Elle se choisit MacNeill pour président. Cette nouvelle force compte bientôt deux cent mille hommes, deux fois plus que l’UVF. Son but est de défendre les droits et libertés de tous les Irlandais, sans distinction de croyance, de classe ou de parti. Tous les nationalistes y sont rassemblés. […] Les Volontaires sont infiltrés dès le départ par l’IRB, derrière laquelle opère le Clan na Gael américain qui envoie de l’argent pour aider à financer une insurrection. Pour les armer, en juillet 1914, Michael Joseph O’Rahilly et Bulmer Hobson, membres fondateurs de l’IVF, ainsi que sir Roger Casement, ancien consul de Grande-Bretagne, organisent le Howth gun running, une livraison d’armes clandestine dans le port de Howth au nord de Dublin. Cet événement, dont le centenaire fut célébré en juillet 2014, occupe une place importante dans la mémoire irlandaise. A bord de son yacht, l’Asgard, l’écrivain Erskine Childers débarque dans le port de Howth 1500 fusils et 45 000 cartouches en provenance d’Allemagne. Revanche prise sur le Larne gun running et moment de triomphe sur les forces anglaises : les Volontaires n’ont aucun mal à déjouer la police qui tente de leur barrer la route. Ils se dispersent dans la campagne avec les armes et les cachent dans les maisons de sympathisants. Toutefois, à la différence de l’épisode en Ulster où l’importation illégale d’armes en nombre bien plus grand n’a pas été sanctionnée, le soir même à Dublin, les troupes anglaises tirent sur la foule et tuent trois personnes. Mais dès lors, l’importation d’armes et la violence sont légitimées aux yeux de l’opinion publique qui y était auparavant hostile, et fournissent l’occasion à un petit groupe d’organiser une rébellion et de radicaliser ce qui était jusqu’à présent un courant nationaliste modéré. » (p.55)
« Parmi les Volontaires se trouve Éamon de Valera, « austère, glacial aux yeux de certains, grand et sec -bien la tête du professeur de mathématiques qu’il était d’ailleurs » […] Il continue d’enseigner autour de Dublin [avant 1912]. Selon son fils Terry, Einstein aurait dit que de Valera était une des neuf personnes au monde à avoir réellement compris sa théorie de la relativité ». » (p.55-56)
« L’amendement sur l’exclusion de l’Ulster reste en suspens. La loi est alors soumise à l’assentiment royal qu’elle reçoit ; elle est promulguée (Governement of Ireland Acte 1914) le 18 septembre 1914. Entre-temps, la guerre éclate, et son entrée en vigueur est suspendue jusqu’à la fin des hostilités.
Bientôt jetée aux oubliettes de la mémoire nationaliste irlandaise, la Grande Guerre est pourtant une période charnière et polarisante de l’histoire de l’Irlande au XXe siècle. A la Chambre des communes, John Redmond exprime à la Grande-Bretagne la loyauté totale de l’Irlande. […] Le mouvement se scinde alors : ceux qui se rallient à John Redmond (150 000, à savoir 95% du mouvement) s’appellent désormais les National Volunteers ; ceux qui restent autour des fondateurs du mouvement gardent le nom d’Irish Volunteers (8000). Dirigés par Eoin MacNeill, les Volontaires Irlandais sont dès l’origine infiltrés par l’IRB qui en reprend secrètement le contrôle pour commencer à organiser, dans le même secret, un soulèvement militaire. » (pp.57-58)
« S’il est impossible de connaître le nombre exact des volontaires irlandais qui ont servi l’Empire britannique pendant la Première Guerre mondiale, un consensus semble émerger autour de 210 000. » (p.58)
« D’autres ont entendu l’appel de Carson : la loyauté à l’Empire est un facteur déterminant qui explique la prédominance des unionistes de l’Ulster industriel parmi les volontaires. Mais souvent, les volontaires irlandais s’engagent moins pour défendre « le bien, la liberté et la religion » que pour la garantie d’un emploi, la pension, et pour les « allocations de séparation » dont bénéficient leurs familles. » (p.59)
« Si le War Office britannique permet aux protestants unionistes de rester entre eux, il fait tout pour disperser ou contrôler les catholiques nationalistes. » (p.59)
« Et ce sera une patrouille des 4th Royal Irish Dragoons qui tirera les premiers coups de feu britanniques contre les Allemands, au matin du 22 août 1914 à 25 kilomètres de Mons. » (p.60)
« C’est l’année de la bataille de la Somme qui reste dans les mémoires par les pertes spectaculairement lourdes et violentes : en une seule journée, l’armée britannique perd 19 240 hommes et compte 41 455 blessés. » (p.62)
« L’année 1916 est aussi celle où le Parlement britannique vote la conscription qui s’applique à l’Angleterre, à l’Écosse et au Pays de Galles, mais non encore à l’Irlande. » (p.63)
« Perse est de plus en plus convaincu que seule la force physique pourra libérer l’Irlande. […] Il s’élève dans la hiérarchie de l’IRB et est nommé au Conseil suprême en 1915. James Connolly se rapproche de lui, après avoir dans un premier temps rejeté sa rhétorique et ses idées comme des idioties ou du romantisme creux, sans contenu social, et ajoute une coloration nettement révolutionnaire à la génèse de l’insurrection. » (p.63)
« Les préparatifs de l’insurrection démarrent concrètement en avril 115 lorsqu’un des membres de l’IRB, Joseph Plunkett, se rend en Allemagne auprès de Roger Casement qui entreprend de servir d’intermédiaire entre le Clan na Gael américain et les services diplomatiques allemands pour faire envoyer une cargaison d’armes et de munitions en Irlande. » (p.64)
« C’est le lendemain seulement, le vendredi saint 21 avril [1916], que Roger Casement arrive à bord du sous-marin. John Devoy l’avait fortement dissuadé de retourner en Irlande. Il décide de s’y rendre néanmoins, non pour prêter main-forte aux Volontaires mais pour tenter d’empêcher l’insurrection qu’il pense vouée à l’échec sans renfort de troupes venant d’Allemagne. Mais il est vite capturé et sera exécuté plus tard pour trahison [à la tour de Londres, 3 août 1916]. […]
Le samedi saint 22 avril, un bateau anglais intercepte l’Aud et l’escorte jusqu’au port de Cork. Le capitaine allemand, plutôt que de livrer les armes à l’ennemi, préfère saborder son navire. Les armes qui devaient servir à l’insurrection sont perdues. » (p.65)
« Ce sont environ cinquante personnes qui se dirigent de Lower Abbey Street vers Sackille Street (aujourd’hui O’Connell Street). Les passants et la police ne s’en émeuvent pas particulièrement, habitués qu’ils sont à de tels défilés depuis deux ans. Même lorsque le cortège arrive sur le site de la grand Poste […] le plus grand bâtiment de Dublin situé sur la plus grande artère de la ville-, on ne prend pas encore la situation au sérieux.
On hisse les drapeaux. L’un d’eux est le drapeau tricolore vert, blanc et orange conçu d’après celui que des Françaises avaient confectionné pour l’Irlande en 1848. » (p.67)
« Patrick Pearse lit « la Proclamation du Gouvernement provisoire de la République irlandaise au peuple d’Irlande ». » (p.68)
« Pearse devient Président du Gouvernement provisoire et commandant en chef de l’armée de la République.
A 13 heures, les premiers coups de feu de l’insurrection sont tirés dans la stupéfaction générale. […] Assaut des édifices publics de Dublin qu’ils essaient de tenir. […]
La police observe les manœuvres, mais ne signale rien à l’armée. Le vice-roi est isolé dans sa résidence à Phoenix Park […] avant de décréter la loi martiale sur Dublin le lendemain, le mardi 25 avril. Le général Maxwell, gouverneur militaire de l’Irlande, reçoit les pleins pouvoirs pour réprimer la rébellion. Il n’a aucune expérience politique ni de connaissance de l’Irlande. » (p.69)
« Quelque mille six cents insurgés républicains, armés de fusils, de revolvers et de grenades artisanales tentent de tenir leurs positions. Les forces britanniques mobilisent dans l’immédiat six mille officiers et soldats […] le 3rd Royal Irish Regiment, les 10th Royal Dublin Fusiliers et les 3rd Royal Irish Rifles. Le mercredi 26 avril, des renforts arrivent de Belfast et d’Angleterre. Ils détruiront Liberty Hall et bombardement la GPO. […]
Le samedi 29 avril, afin de ne pas faire couler davantage le sang des civils innocents, Pearse décide qu’il est temps de déposer. » (pp.70-71)
« A la fin de la semaine de Pâques, l’insurrection a fait plus de 500 morts (dont 300 civils) et 2500 blessés (dont 2000 civils). » (p.72)
« Maxwell fait […] arrêter 3430 hommes et 79 femmes du Sinn Féin [qui n’a joué aucun rôle dans l’insurrection]. » (p.73)
« Patrick Pearse, Thomas McDonagh et Tom Clarke sont abattus dans la cour de Kilmainham Gaol à l’aube du 3 mai. Willie Pearse, Edward « Ned » Daly, Joseph Plunkett et Michael O’Hanrahan sont executes le 4 mai. […]
Asquith […] demande néanmoins qu’aucune femme ne soit condamnée à mort sans l’avis du commandant en chef et de lui-même. La comtesse Markievicz échappera donc à la peine capitale. » (p.73)
« Les dénonciations pleuvent à la Chambre des communes. Le 11 mai, John Dillon, vice-président du Parti parlementaire irlandais, dit que les rebelles se sont laissés emporter par leur enthousiasme, mais qu’ils ont livré une bataille noble et superbe. […] 1836 hommes et 5 femmes sont placés en détention sans procès. Mi-mai, 1600 prisonniers sont embarqués dans un bateau à bestiaux en partance pour l’Angleterre. » (p.74)
« Michael Collins, le plus dangereux des insurgés, échappe cependant à l’exécution. Il est envoyé dans un camp où il peut, avec ses codétenus, créer un réseau de sympathisants et reconstruire l’IRB. » (p.75)
« Dans cette même prison [de Brixton], Sean T. O’Kelly (futur président de la république d’Irlande) monte une chorale. » (p.77)
« Quelques mois après les exécutions, des objets dérivés apparaissent en hommage aux insurgés : fac-similés de photos et de lettres des rebelles exécutés, rubans noirs et verts à porter en signe de dueil, badges du Sinn Féin. Dans un cinéma de Mullingar, le 17 juillet, des images de l’insurrection sont montrées ; une partie du public hue alors la police et applaudit les rebelles, ces poètes, professeurs, avocats et ouvriers qui étaient des honnêtes gens, et de bons catholiques aussi. Tom Clarke était anticlérical et Thomas MacDonagh agnostique, mais à part Roger Casement qui se convertit au catholicisme juste avant son exécution, aucun des leaders n’était protestant. Dénoncés d’abord comme fous et criminels, les rebelles de la samaine de Pâques se transforment insensiblement en héros et en martyrs, si bien que Charles Townshend peut parler de « sanctification populaire » des rebelles. » (p.78-79)
« Dans le panégyrique qu’il [Patrick Pearse] compose en 1915 pour l’enterrement d’un des pilliers de l’IRB, Jeremiah O’Donovan Rossa, il écrit que « la vie jaillit de la mort, et des tombes des hommes et des femmes qui sont morts pour leur patrie surgissent des nations vivantes ». » (p.79)
« Les derniers prisonniers de l’insurrection de Pâques sont libérés le 15 juin 1917. Parmi eux se trouve Éamon de Valera. […] A leur arrivée à Dublin, un accueil triomphal leur est réservé. Les huées des separation women ont laissé place à la Soldiers’ Song, « La Chanson du soldat », qui deviendra l’hymne national. » (p.84)
« A son congrès annuel (Ard Fheis) du 25 octobre [1917] […] le poste de président du Sinn Féin [est cédé] à Éamon de Valera […] leader que tous, même Collins, sont prêts à suivre, et le parti affiche une unité nouvelle qui est conservée jusqu’en 1921.
Au même moment, l’IRB organise une convention dans le but de doter le mouvement des Volontaires d’un exécutif. De Valera est élu pour présider cet exécutif également, tandis que Michael Collins est élu directeur de l’organisation et Cathal Brugha chef d’état-major. Cette branche armée du Sinn Féin, composée des Volontaires les plus militants, sera connue sous le nom d’Irish Republican Army (IRA). » (p.85)
« Lloyd George met fin aux délibérations de la Convention irlandaise en imposant la conscription à l’Irlande le 16 avril 1918 et, pour la faire accepter, l’assortit d’une application immédiate du Home Rule. Les députés irlandais se retirent de Westminster en signe de protestation contre le Military Service Act ; ils n’y retourneront jamais. » (p.85)
« Le gouvernement britannique décide également en mai 1918 de reporter l’application de la conscription en Irlande et de procéder plutôt à l’arrestation le 17 mai, sans procès, de soixante-treize leaders du Sinn Féin sous le Defence of the Realm Act (DORA), utilisant la menace d’un « complot allemand ». […] Parmi les prisonniers -dont aucun n’a de lien avéré avec l’Allemagne- se trouvent Valera et Griffith, immédiatement déportés en Angleterre. Conséquence de cette arrestation, le Sinn Féin passe entre les mains de Michael Collins, Harry Boland et Cathal Brugha -les partisans de la manière forte. » (p.87)
« L’accueil réservé aux soldats irlandais rentrés au pays est un premier témoignage de la difficulté pour la mémoire collective irlandaise de faire une place à la Grande Guerre. Au-delà d’efforts individuels et locaux, une « amnésie nationale » suit immédiatement sa conclusion, en faveur de l’insurrection de Pâques 1916. » (p.88)
« A Dublin en revanche, il faut attendre 1994 pour que la mémoire des Irlandais qui ont perdus leur vie pendant la Grande Guerre soit honorée officiellement. » (p.90)
« Victoire spectaculaire du Sinn Féin aux élections législatives de décembre 1918. Celui-ci remporte 73 siéges sur 105, contre 26 pour les unionistes et 6 pour le Parti parlementaire. » (p.91)
[Chapitre 2 : De la guerre d’Indépendance à la guerre civile (1919-1923)]
« Le 21 janvier 1919, les vingt-sept candidats Sinn Féin élus qui ne sont pas en prison se réunissent à la Mansion House de Dublin pour former le parlement indépendant de l’Irlande, appélé Dail Éireann (« Assemblée d’Irlande »). Ils renoncent à leur siège et à leurs émoluments à Westminster ; le Dail est à leurs yeux le nouvel Etat irlandais, la république non officielle. Le « premier Dail » commence alors par voter une constitution provisoire créant un cabinet dirigé par un Premier ministre (Priomh Aire) appelé aussi « Président de Dail Éireann ». Ce poste est occupé en premier par Cathal Brugha. […]
Le Dail somme les troupes anglaises d’évacuer le pays.
[…]
Le Dail lance aussi un Appel aux nations libres du monde, demandant qu’elles appuient ses droits à l’ « indépendance absolue sous la forme républicaine » et annonçant l’intention du Sinn Féin de représenter l’Irlande à la Conférence de paix. » (p.95)
« Le jour même où le Dail tient sa première séance, deux policiers de la Royal Irish Constabulary (RIC) sont tués dans une embuscade à Soloheadbeg, Co. Tippeary, par des membres de l’IRA. Cet événement marque le début d’une campagne militaire engagée par l’IRA contre la RIC et l’armée britannique. Rétrospectivement, c’est là qu’on situe le débat de la guerre d’Indépendance, ou guerre anglo-irlandaise, même s’il n’y eut jamais de déclaration de guerre officielle. » (p.96)
« Son séjour à Lincoln lui permet [à Éamon de Valera] aussi de lire Machiavel. Au-delà de la justification des moyens par la fin, l’auteur du Prince impressionne de Valera par son éloge de la république comme régime politique idéal pourvu qu’elle soit dirigée par un homme d’Etat fort. » (p.97)
« A la séance parlementaire suivante, en avril 1919, de Valera [qui s’est évadé], qui était président du Sinn Féin victorieux, reprend la place qui lui revient de Premier ministre du Dail. Il forme son cabinet : Michael Collins aux Finances, Arthur Griffith à l’Intérieur, Cathal Brugha à la Défense, William T. Cosgrave au gouvernement local, Eoin MacNeill à l’Industrie, Robert Barton à l’agriculture et Constance Markievicz au Travail. » (p.98)
« En 1930, les Etats-Unis dénombrent près d’un million de personnes nées en Irlande, ce qui correspond au tiers de la population de l’Irlande qui compte en 1911 3.14 millions d’habitants. […] Sur le plan de la levée de fonds en revanche, cette campagne est un franc succès : [de Valera] lève 6 millions de dollars entre janvier 1920 et octobre 1921. » (p.98-99)
« En l’absence de de Valera, c’est Griffith qui reprit la présidence du Sinn Féin qui est interdit par le gouvernement britannique en août 1919. Griffith est aussi président du Dail qui est dissous le 10 septembre 1919. Le Dail ne contrôle plus l’IRA dont les unités agissent indépendamment, même si elle est placée sous le commandement effectif de Michael Collins pendant que de Valera est à l’étranger. Pendant l’année 1919, l’IRA se livre à une guérilla, à des raids, des incendies, des intimidations. Comme en 1916, un petit nombre d’hommes attaquent la police et l’armée. […]
En juin 1920, on compte 55 policiers et 5 soldats britanniques tués. Pendant toute la durée de la guerre d’indépendance (janvier 1919 – juillet 1921), ce sont 405 policiers qui sont tués et 150 soldats. Cependant, en représailles, les forces britanniques s’en prennent non seulement aux agresseurs, mais à la population de villes entières. Ainsi, comme en 1916, la population qui ne soutenait pas nécessairement l’IRA au départ finit par se ranger derrière elle et se radicaliser contre la présence britannique. » (p.101)
« En juillet 1919, [Michael Collins] forme une équipe de douze hommes ; appelés The Squad (« la Bridage ») ou plus familièrement les Douze Apôtres, c’est un groupe d’assassins qui opèrent sous ses ordres. » (p.102)
« En mars 1920, le Cabinet Britannique donne alors au général Nevil Macready, commandant en chef des forces en Irlande, carte blanche pour réprimer la guérilla par tous les moyens. » (p.102)
« Le Premier ministre Lloyd George, libéral mais prisonnier d’une coalition à dominante conservatrice, couvre et justifie les incendies de fermes, les représailles et le contre-terrorisme qui sévit en Irlande en 1920. […] L’envoi d’une seconde force auxilliaire, les Auxiliary Cadets (Auxies), formée en juillet et opérationnelle en Irlande en août 1920, marque le début de la « Terreur Irlandaise » qui dure un an. Au nombre de 1000 en juillet 1920, ces officiers, présentés comme les meilleurs combattants de la Grande-Bretagne, seront 1900 fin 1921. […] Quand des attaques sont livrées contre la police, c’est le village entier qui en subit les représailles. Ils font sortir tous les habitants, les questionnent, les fouillent. Lorsqu’ils en gardent certains en détention, ils les brutalisent et les humilient. Ils tirent en rafale sur les fenêtres des maisons quand ils n’y mettent pas le feu. Ils pillent les fermes, détruisent le matériel, tuent les animaux et envoient ceux qu’ils ne mangent pas à leurs familles en Angleterre. […] Le maire Sinn Féin de Cork Tomas Mac Curtain est assassinné par des membres de la RIC. » (p.103)
-Alexandra Slaby, Histoire de l’Irlande. De 1912 à nos jours, Paris, Éditions Tallandier, 2016, 461 pages.
Membre du Groupe de recherches en études irlandaises à Caen.
Carte p.13
« Pourquoi ouvrir cette histoire en 1912 ? C’est l’année de tous les espoirs : le troisième projet de loi proposant de redonner à l’Irlande un parlement à compétence locale au sein du Royaume-Uni (Home Rule) est déposé au Parlement de Westminster au moment où le vote des députés irlandais pèse lourd dans la balance parlementaire britannique. Et cette fois-ci, ceux-ci ont la certitude qu’il ne sera pas bloqué par les Lords. L’Irlande obtiendra un certain degré d’indépendance au sein de l’Empire britannique en conformité avec l’aspiration de l’écrasante majorité de la population ; ce n’est plus qu’une question de temps. Mais la réaction hostile de l’Ulster (Ulster Volunteer Force) et l’entrée dans la Première Guerre mondiale vont en décider autrement. Des milliers de volontaires partent rejoindre l’armée britannique au front tandis qu’au pays, des Volontaires (Irish Volunteer Force) se mobilisent, exaspérés par la suspension du Home Rule et la perspective de la conscription obligatoire. De ce partage des eaux des loyautés irlandaises découle tout le cours tourmenté de l’histoire de l’Irlande au XXe siècle. Une histoire qui a dressé les uns contre les autres les sensibilités, les egos, les partis et les familles -les républicains contre les partisans d’une forme de dévolution maintenant le lien avec la Couronne, le Fianna Fail contre le Fine Gael, l’historiographie nationaliste contre la révisionniste… » (p.10-11)
« Échec d’une expérience que les nationalistes […] le Parlement de Grattan (1783-1801), auquel l’Acte d’Union mit un terme. » (p.15)
« Au début des années 1870, Henry Grattan, un des chefs de file du mouvement des Patriotes, avait fait campagne pour l’indépendance législative de l’Irlande et l’émancipation des élites irlandaises, protestantes comme catholiques. Sans pour autant démenteler le système colonial, il s’agissait de recouvrer des droits perdus en matière de liberté de négoce en particulier. C’est ce pour quoi se battent les Volontaires, des commerçants et artisans catholiques et protestants. Les Patriotes portent leurs revendications au parlement de Westminster qui renonce le 22 janvier 1783 à sa souveraineté législative sur l’Irlande et est même contraint de ratifier une déclaration d’Indépendance.
L’exécutif (un vice-roi, un secrétaire en chef et un sous-secrétaire en chef) est toujours nommé par la Couronne, et Westminster conserve un droit de veto qui n’est cependent utilisé qu’une seule fois. » (p.15-16)
« Le radicalisme protestant et l’esprit révolutionnaire français se trouvent réunis chez Wolfe Tone, avocat diplomé de Trinity College Dublin, orateur brillant et même drôle. Qu’il considère que le catholicisme est une « superstition agonisant » ne l’empêche pas de faire campagne brillamment pour l’émancipation des catholiques. Considéré comme le père du nationalisme irlandais, il croit possible de subordonner les allégeances religieuses au ralliement à une citoyenneté républicaine commune autour des valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité. Pour cela, il faut briser les liens avec l’Angleterre, conquérir l’indépendance de la patrie et oublier les différends du passé. Wolfe Tone participe ainsi à la fondation de la Société des Irlandais unis de Belfast en 1791 dans l’esprit révolutionnaire français. Mais les Irlandais Unis sont dissous par la loi en 1794, à la suite de quoi le mouvement se transforme en société secrète militaire vouée à la cause de la République.
Wolfe Tone s’exile en France et obtient en 1796 du Directoire français, fortement intéressé par l’idée d’envahir les îles Britanniques, l’envoi par le général Hoche d’une force d’invasion de 14 450 hommes répartis sur 43 vaisseaux dans la baie de Bantry, à la pointe sud-ouest du comté de Cork. Rencontrant une des pires tempêtes du siècle, la flotte se disperse ; elle a perdu ses commandants lorsqu’elle arrive au large des côtes irlandaises, et c’est sans avoir touché la terre irlandaise qu’elle rentre à Brest au bout d’une semaine. Douze navires font naufrage et des milliers d’hommes périssent noyés. Nouvelle tentative en août 1798. Cette fois, les troupes françaises, sous le commandement du général Humbert, débarquent dans le comté de Mayo et aident des rebelles irlandais à créer une éphémère République du Connaught qui vit pendant deux semaines. Les troupes françaises sont rapatriées et les rebelles irlandais massacrés. De nouveau, en octobre 1798, une force française, accompagnée cette fois-ci de Wolfe Tone, tente de débarquer dans le Donegal, mais se bat contre une flotte anglaise et se rend sans toucher terre. Dans la mémoire collective irlandaise, 1798 restera « l’année des Français ». » (pp.17-18)
« L’Acte d’Union entra en vigueur le 1er janvier [1801] […] Même si ce régime fut corrompu et ne remplit pas ses promesses vis-à-vis de la population, c’est un symbole d’identité nationale qui est détruit. Il survivra néanmoins en tant que source d’inspiration pour les générations de nationalistes irlandais à venir. » (p.19)
« Le nouveau régime de l’Union abolit le Parlement de l’Irlande ; les députés irlandais, dont le nombre est plafonné à 100 (sur 658), siègent au parlement de Westminster. L’exécutif, formé du vice-roi et du secrétaire en chef pour l’Irlande, continue de siéger au château de Dublin. Une zone de libre-échange se met en place entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. Si elle favorise les échanges commerciaux, elle porte un coup aux industries irlandaises naissantes, qui ne peuvent faire face à la concurrence britannique. » (p.19)
« « Le Libérateur », Daniel O’Connell, ancien étudiant du collège irlandais de Saint-Omer, avocat au barreau d’Irlande, brillant orateur lui aussi. Il crée l’Association catholique en 1823. […] L’Église, qui se tenait à l’écart de la politique, se joint à ce mouvement de réforme. […]
A peine élu député, O’Connell parvient à faire voter la loi d’Émancipation des catholiques en 1829 qui s’applique aux catholiques d’Irlande et de Grande-Bretagne : les catholiques peuvent désormais siéger au Parlement, la mention offensante à l’égard de la transsubstantiation est supprimée du serment d’allégeance, et toutes les professions leur sont ouvertes. En contrepartie, l’Association catholique est dissoute et le seuil du suffrage censitaire est élevé, minant la base électorale catholique. O’Connell fait campagne également pour l’abrogation (Repeal) qui demande, avec des moyens pacifiques, la création d’un royaume d’Irlande indépendant qui garderait néanmoins le monarque britannique à sa tête. Le Premier ministre conservateur Sir Robert Peel entame à partir de 1841 des négociations secrètes avec le Saint-Siège pour mater cette campagne et ramener le calme en Irlande. Le pape adresse alors au primat de l’Église catholique d’Irlande un rescrit invitant le clergé et les prélats à se tenir à l’écart de l’agitation publique. En contrepartie, Peel fait voter un nouveau subside pour le séminaire catholique de Maynooth.
Une alliance conservatrice et antirévolutionnaire se noue alors entre l’Etat britannique et l’Église catholique sur le terrain de l’éducation et du contrôle social en Irlande. » (p.20-21)
« Entre 1850 et 1900, le nombre de National Schools a doublé (malgré la forte diminution de la population, passant de 6.5 millions à 4.4 millions entre 1851 et 1901), et entre 1850 et 1911, le taux d’illetrisme a chuté, passant de 47% à 12%. Même succès dans le domaine de la santé, grâce au travail pionnier des Sœurs irlandaises de la charité et de la miséricorde qui construisent des hôpitaux à partir des années 1830. » (p.21)
« Mouvement plus radical, la Jeune Irlande. Ce mouvement naît de la plume de journalistes qui lancent en 1842 The Nation, organe d’éducation populaire qui rencontre un succès immédiat. A la tête de ce mouvement, le jeune avocat protestant Thomas Davis, membre de la Royal Irish Academy et poète, qui prêche que l’Irlande deviendra « A nation once again » -donnant son titre à la ballade irlandaise la plus célèbre, et aux nationalistes irlandais leur hymne officieux. L’Irlande redeviendra une nation, dit-il, par la réconciliation des populations et des religions autour d’une vision inclusive de l’identité irlandaise qui rappelle celle de Wolfe Tone. A la différence de Daniel O’Connell qui recommandait l’usage de l’anglais sur toute la planète pour favoriser les échanges commerciaux, ces journalistes et intellectuels sont attachés en premier lieu à la promotion de la culture gaélique. Pour Thomas Davis, « un peuple sans sa langue n’est que la moitié d’une nation » [« Our National Language », The Nation, 1er avril 1843]. Comme Daniel O’Connell, Thomas Davis condamne l’agitation et prône le respect de la loi, mais en 1845, à l’âge de 30 ans, il est emporté par le choléra. Le Zeitgeist change : l’utilitarisme et la poursuite antiromantique du progrès font place à la réappripriation du passé et à l’exaltation des particularismes culturels. » (p.22)
« Création à New York [en 1848] de la Fenian Brotherhood, structure militaire vouée à la création d’une république irlandaise par la révolution. […] En 1850, un quart des New Yorkais sont irlandais ; en 1855, cette proportion passe à un tiers. En 1890, près de la moitié des catholiques américains sont irlandais ou de parents irlandais ; en 1960 encore, deux cinquièmes des catholiques américains sont d’origine irlandaise. Vingt-deux présidents des Etats-Unis -catholiques mais le plus souvent presbytériens- affirment fièrement être originaires de l’île d’Émeraude. […] Création en 1858 d’une branche dublinoise de l’association américaine : l’Irish Revolutionary (puis Republican) Brotherhood (IRB), société secrète dont les membres prêtent serment de renoncer à toute allégeance au souverain anglais et de se battre par les armes pour faire de l’Irlande une république démocratique indépendante. L’IRB est démentelée en Irlande en 1865 et poursuit son existence clandestine aux Etats-Unis à travers le Clan na Gael fondé en 1867. » (p.23)
« Lorsque le phytophthora infestans (le mildiou) s’abat sur les récoltes de pommes de terre à travers l’Europe du Nord […] un million d’Irlandais meurent entre 1846 et 1851 [un autre million s’exile avec la Grande Famine]. » (p.24)
« Entre 1850 et 1870, le nombre de prêtres augmente de 20% et celui des religieuses de 50%. Mieux : le nombre de religieuses est multiplié par quatre entre 1841 et 1901, en dépit d’une baisse de près de 50% de la population. Au début du XIXe siècle, il y avait 11 couvents en Irlande ; en 1900, on en compte 368. […] La hiérarchie catholique irlandaise reste unanimement opposée à l’activité révolutionnaire ; elle condamne les Fenians de l’IRB (à qui Mgr Cullen interdit l’administration des sacrements), tout comme elle excommuniera au début du XXe siècle les républicains les plus violents. » (p.26)
« Pour le XIXe siècle, Pierre Joannon recence au total 187 lois qui sont adoptées à l’encontre des libertés des Irlandais. » (p.26)
« Aux élections de 1874, plus de la moitié des députés irlandais sont des Home Rulers. En 1867, Gladstone avait consenti à étendre le droit de vote aux catégories les plus aisées des classes populaires, et les effets s’en font sentir à partir des années 1870. Aux élections de 1885, le Parti parlementaire irlandais gagne 25 sièges. Les partis politiques britanniques devront compter avec les suffrages de ces nouveaux électeurs pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir. Le parti de Gladstone dépendant du parti de Parnell pour rester au pouvoir, c’est Gladstone qui porte le Home Rule Bill (projet de loi) au Parlement pour la première fois en 1886. Rejeté aux Communes à une faible majorité, ce projet de loi prévoit que le parlement de Westminster garde le contrôle sur les relations extérieures, l’armée, le commerce, la sécurité et l’essentiel des impôts. Le gouvernement britannique conserverait un droit de veto sur toutes les lois votées par le parlement irlandais. La grande majorité des Irlandais l’auraient accepté. Le projet de loi est reçu avec horreur, notamment par le leader conservateur Randolph Churchill, qui joue la carte orangiste contre Gladstone et les Libéraux et prononce la formule dont se souviendront longtemps les protestants d’Ulster : « Ulster will fight and Ulster will be right » (« L’Ulster se battra et l’Ulster aura raison »). » (p.28)
« Le deuxième Home Rule Bill déposé par Gladstone fût rejeté en 1893, cette fois-ci par les Lords. » (p.29)
« Le XIXe siècle se clôt néanmoins dans l’espoir et dans le calme. La reine Victoria se rend en Irlande en 1900 pour encourager les Irlandais à rejoindre les troupes anglaises parties se battre à la guerre des Boers. Dans l’ensemble, la population et les nationalistes souhaitent simplement obtenir le Home Rule tout en restant dans l’Union. […] Alors que 3% des agriculteurs étaient propriétaires de leur terrain en 1870, ils sont 29.2% en 1906 et seront 63.9% en 1916. » (p.30-31)
« En 1899 à Dublin, la mortalité était de 33.6% contre 19.7% à Londres. En 1901, 36% des familles vivent dans des logements d’une pièce. Des récessions entre 1900 et 1904 grossissent les rangs des chômeurs. En conséquence, en 1911, 66% de la population ouvrière vit dans des conditions insalubres et 118 000 pauvres logent dans 5000 taudis urbains. » (p.33)
« Le mouvement de « renaissance culturelle » de l’Irlande est lancé en 1892 par une conférence intitulée La Nécessité de désangliciser l’Irlande, prononcée par Douglas Hyde, protestant, professeur à Trinity College Dublin, spécialiste d’études celtiques et de folklore, qui sera élu bien des années plus tard premier président de la république d’Irlande. » (p.35)
« Les auteurs de la renaissance celtique ne réclamaient pas l’indépendance politique ; mais leurs œuvres ont inspiré, donné son énergie à une génération arrivant à l’âge adulte en 1914, une génération exaltée, avide de poésie, prête à faire le sacrifice de sa vie pour l’Irlande. » (p.39)
« La génération qui s’exprime par tous ces mouvements est celle née en 1880 qui a grandi dans des conditions plus confortables que ses parents, et dans une confiance et un optimisme plus grands. […] Si cette génération soutient pour l’essentiel le Parti parlementaire irlandais et aspire à une vie confortable dans l’Empire, elle produit aussi une effervescence idéaliste, exaltée, ivre de mythologie et de poésie, visionnaire. […] Michael Laffan, l’historien du Sinn Féin, y voit la manifestation irlandaise d’un phénomène européen : la « génération de 1914 », des jeunes hommes insatisfaits vis-à-vis d’un monde qu’ils voient comme ennuyeux et décadents, enthousiasmés par le militarisme et la perspective d’un conflit héroïque. » (p.39-40)
« Dans son livre La Résurrection de la Hongrie paru en 1904, [Arthur Griffith] présente les avantages qu’aurait pour l’Irlande le modèle d’une double monarchie où un même monarque régnerait sur deux assemblées locales -en somme, un retour au régime du Parlement de Grattan. L’année suivante, ce parti devient le Sinn Féin (« Nous seuls »), du nom d’un journal créé en 1903. Ce nouveau parti prône un parlement national et une politique d’autodétermination nationale. Son électorat est éclectique : certains veulent une séparation complète d’avec la Grande-Bretagne, d’autres se contenteraient du Home Rule comme étape préliminaire à une indépendance complète. Arthur Griffith est monarchiste et les femmes le suivent car c’est le seul parti à leur promettre le droit de vote… Ce qui unit les membres de ce mouvement et les distingue néanmoins des autres mouvements nationalistes est leur refus d’occuper leur siège au parlement de Westminster et le fait qu’ils ne croient pas en la négociation avec les unionistes.
Le Sinn Féin met l’accent sur l’économie : il faut restructurer l’économie irlandaise afin qu’elle ne soit plus dépendre de l’économie anglaise. Arthur Griffith propose alors l’industrialisation progressive de l’Irlande « afin de lui assurer une polyvalence économique, condition sine qua non de l’indépendance politique ». Pour favoriser ce rééquilibrage, un rempart protectionniste est nécessaire. Avant 1916, le Sinn Féin n’est pas un parti révolutionnaire : il recommande simplement le boycott des institutions britanniques. Ce n’est pas un parti républicain non plus : Arthur Griffith est prêt à revenir au Parlement de Grattan. Qui plus est, c’est un mouvement pacifiste. » (p.43)
[Chapitre 1 : La Révolution irlandaise (1912-1928)]
« Winston Churchill (alors Premier Lord de l’Amirauté dans le gouvernement libéral d’Asquith) […] en février 1912 […] se rend à Belfast pour défendre le Home Rule aux côtés des deux leaders nationalistes, John Redmond et Joe Devlin. » (p.47)
« Au tournant du XXe siècle, Belfast est une ville prospère, qui est passée de 87 062 habitants en 1851 à près de 350 000 en 1901. Hébergeant le plus grand chantier de construction navale du monde (Harland & Wolff) et les plus grandes usines de cordage, de tabac et de textile, c’est la capital économique et industrielle de l’Irlande. […] Dublin reste la capitale de l’Irlande rurale, gaélique et catholique, et l’Ulster, protestant et industrialisé, ne peut accepter de lui être soumis. » (p.48)
« En 1914, 25% des Dublinois vivent à plus de quatre dans des logements d’une seule pièce. Dans les conditions sanitaires causées par cette promiscuité, il n’est pas étonnant que Dublin détienne, avec 27.6%, le taux européen de mortalité le plus élevé, et décroche la cinquième place de ce palmarès dans le monde. […] Pour la municipalité de Dublin, de plus en plus nationaliste, ces conditions sont le produit de la domination britannique. […] Renverser cette dernière est la condition préalable à la résolution des problèmes sociaux. » (p.49)
« La fusion entre lutte politique et lutte sociale s’incarne en la personne de James Connolly, que Pierre Joannon appelle l’homme de deux livres : Le Capital de Karl Marx et le Jail Journal de John Mitchel, un des leaders de la Jeune Irlande au XIXe siècle. Né en Écosse d’émigrés irlandais, il s’installe en Irlande en mai 1896. Appelant toutes les forces vives de la nation (ouvrières comme agraires) à constituer un gouvernement révolutionnaire nationaliste présidant à un Etat indépendant, condition nécessaire pour faire advenir le progrès économique et social, il est le premier à tenter de réconcilier nationalisme, catholicisme et socialisme -mais l’Irish Republican Socialist Party qu’il fonde en 1896, premier parti socialiste irlandais, se scinde en 1906. Les moqueurs diront qu’il comptait plus de syllabes que de membres…
Les espoirs que Connolly place dans le mouvement syndical sont portés ensuite par l’autre James -James « Jim » Larkin, fils de parents irlandais installés, eux, à Liverpool. Il débarque à Belfast en janvier 1907 pour organiser un mouvement de grève parmi les dockers qui rassemble ouvriers protestants et catholiques. A la différence de Connolly, il est socialiste avant d’être nationaliste. Il quitte Belfast, s’installe à Dublin et crée le 4 janvier 1909 ce qui devient le plus grand syndicat irlandais, l’Irish Transport and General Workers’ Union (ITGWU). C’est le premier à représenter les intérêts des ouvriers non qualifiés, les plus vulnérables. Connolly rejoint l’ITGWU en 1910 et tous deux fondent le parti travailliste irlandais en 1912. […]
Connolly et Larkin commencent à mobiliser les dockers de Dublin en 1911 ; s’ensuivent grèves et lockouts. Mais les tensions du patronat au sujet du droit à se syndiquer en Irlande éclatent au moment du Dublin Lockout, conflit social majeur et le plus sévère de l’histoire de l’Irlande, qui voit s’affronter 20 000 ouvriers et 300 patrons à Dublin du 26 août 1913 au 18 janvier 1914. […] Malgré le soutien apporté aux ouvriers et à Jim Larkin par W. B. Yeats, George W. Russell, George B. Shaw et de la comtesse Markievicz, la répression est brutale et a raison du mouvement. Le patronat a gain de cause et les ouvriers, au bord de la famine, signent le document et reprennent le travail en janvier 1914. Larkin part pour les Etats-Unis et Connolly est exécuté en 1916. » (p.49-51)
« En janvier 1913, l’Ulster Unionist Council décide de former une armée de cent mille hommes rassemblant les nombreux petits commandos qui s’entraînent isolément. Cette armée, qui se nommera bientôt l’Ulster Volunteer Force (UVF), a pour but de résister à l’imposition du Home Rule. En septembre 1913, un projet de gouvernement provisoire est formé. Le gouvernement britannique laisse faire, voire cautionne. En mars 1914, au camp de Curragh dans le comté de Kildare, la plus grande base militaire britannique en Irlande, un groupe d’officiers refuse de poursuivre les agitateurs anti-Home Rule d’Ulster. Cette mutinerie n’est sanctionnée par aucune traduction en cours martiale. Un mois plus tard, le 24 avril 1914, les unionistes d’Ulster parviennent à débarquer à Larne, dans le comté d’Antrim, 25 000 fusils et 3 millions de cartouches en provenance d’Allemagne. » (p.53)
« « The North began », « Le Nord a commencé », dit Eoin MacNeill, vice-président de la Ligue gaélique et professeur d’histoire médiévale à University College Dublin, qui intitule ainsi un article publié le 1er novembre 1913 dans le journal de la Ligue gaélique. Dans cet article, il appelle à imiter l’Ulster et à créer un corps de Volontaires dans le Sud. Une réunion s’ensuit, qui attire sept mille personnes, et l’Irish Volunteer Force (IVF) voit le jour le 25 novembre 1913. Elle se choisit MacNeill pour président. Cette nouvelle force compte bientôt deux cent mille hommes, deux fois plus que l’UVF. Son but est de défendre les droits et libertés de tous les Irlandais, sans distinction de croyance, de classe ou de parti. Tous les nationalistes y sont rassemblés. […] Les Volontaires sont infiltrés dès le départ par l’IRB, derrière laquelle opère le Clan na Gael américain qui envoie de l’argent pour aider à financer une insurrection. Pour les armer, en juillet 1914, Michael Joseph O’Rahilly et Bulmer Hobson, membres fondateurs de l’IVF, ainsi que sir Roger Casement, ancien consul de Grande-Bretagne, organisent le Howth gun running, une livraison d’armes clandestine dans le port de Howth au nord de Dublin. Cet événement, dont le centenaire fut célébré en juillet 2014, occupe une place importante dans la mémoire irlandaise. A bord de son yacht, l’Asgard, l’écrivain Erskine Childers débarque dans le port de Howth 1500 fusils et 45 000 cartouches en provenance d’Allemagne. Revanche prise sur le Larne gun running et moment de triomphe sur les forces anglaises : les Volontaires n’ont aucun mal à déjouer la police qui tente de leur barrer la route. Ils se dispersent dans la campagne avec les armes et les cachent dans les maisons de sympathisants. Toutefois, à la différence de l’épisode en Ulster où l’importation illégale d’armes en nombre bien plus grand n’a pas été sanctionnée, le soir même à Dublin, les troupes anglaises tirent sur la foule et tuent trois personnes. Mais dès lors, l’importation d’armes et la violence sont légitimées aux yeux de l’opinion publique qui y était auparavant hostile, et fournissent l’occasion à un petit groupe d’organiser une rébellion et de radicaliser ce qui était jusqu’à présent un courant nationaliste modéré. » (p.55)
« Parmi les Volontaires se trouve Éamon de Valera, « austère, glacial aux yeux de certains, grand et sec -bien la tête du professeur de mathématiques qu’il était d’ailleurs » […] Il continue d’enseigner autour de Dublin [avant 1912]. Selon son fils Terry, Einstein aurait dit que de Valera était une des neuf personnes au monde à avoir réellement compris sa théorie de la relativité ». » (p.55-56)
« L’amendement sur l’exclusion de l’Ulster reste en suspens. La loi est alors soumise à l’assentiment royal qu’elle reçoit ; elle est promulguée (Governement of Ireland Acte 1914) le 18 septembre 1914. Entre-temps, la guerre éclate, et son entrée en vigueur est suspendue jusqu’à la fin des hostilités.
Bientôt jetée aux oubliettes de la mémoire nationaliste irlandaise, la Grande Guerre est pourtant une période charnière et polarisante de l’histoire de l’Irlande au XXe siècle. A la Chambre des communes, John Redmond exprime à la Grande-Bretagne la loyauté totale de l’Irlande. […] Le mouvement se scinde alors : ceux qui se rallient à John Redmond (150 000, à savoir 95% du mouvement) s’appellent désormais les National Volunteers ; ceux qui restent autour des fondateurs du mouvement gardent le nom d’Irish Volunteers (8000). Dirigés par Eoin MacNeill, les Volontaires Irlandais sont dès l’origine infiltrés par l’IRB qui en reprend secrètement le contrôle pour commencer à organiser, dans le même secret, un soulèvement militaire. » (pp.57-58)
« S’il est impossible de connaître le nombre exact des volontaires irlandais qui ont servi l’Empire britannique pendant la Première Guerre mondiale, un consensus semble émerger autour de 210 000. » (p.58)
« D’autres ont entendu l’appel de Carson : la loyauté à l’Empire est un facteur déterminant qui explique la prédominance des unionistes de l’Ulster industriel parmi les volontaires. Mais souvent, les volontaires irlandais s’engagent moins pour défendre « le bien, la liberté et la religion » que pour la garantie d’un emploi, la pension, et pour les « allocations de séparation » dont bénéficient leurs familles. » (p.59)
« Si le War Office britannique permet aux protestants unionistes de rester entre eux, il fait tout pour disperser ou contrôler les catholiques nationalistes. » (p.59)
« Et ce sera une patrouille des 4th Royal Irish Dragoons qui tirera les premiers coups de feu britanniques contre les Allemands, au matin du 22 août 1914 à 25 kilomètres de Mons. » (p.60)
« C’est l’année de la bataille de la Somme qui reste dans les mémoires par les pertes spectaculairement lourdes et violentes : en une seule journée, l’armée britannique perd 19 240 hommes et compte 41 455 blessés. » (p.62)
« L’année 1916 est aussi celle où le Parlement britannique vote la conscription qui s’applique à l’Angleterre, à l’Écosse et au Pays de Galles, mais non encore à l’Irlande. » (p.63)
« Perse est de plus en plus convaincu que seule la force physique pourra libérer l’Irlande. […] Il s’élève dans la hiérarchie de l’IRB et est nommé au Conseil suprême en 1915. James Connolly se rapproche de lui, après avoir dans un premier temps rejeté sa rhétorique et ses idées comme des idioties ou du romantisme creux, sans contenu social, et ajoute une coloration nettement révolutionnaire à la génèse de l’insurrection. » (p.63)
« Les préparatifs de l’insurrection démarrent concrètement en avril 115 lorsqu’un des membres de l’IRB, Joseph Plunkett, se rend en Allemagne auprès de Roger Casement qui entreprend de servir d’intermédiaire entre le Clan na Gael américain et les services diplomatiques allemands pour faire envoyer une cargaison d’armes et de munitions en Irlande. » (p.64)
« C’est le lendemain seulement, le vendredi saint 21 avril [1916], que Roger Casement arrive à bord du sous-marin. John Devoy l’avait fortement dissuadé de retourner en Irlande. Il décide de s’y rendre néanmoins, non pour prêter main-forte aux Volontaires mais pour tenter d’empêcher l’insurrection qu’il pense vouée à l’échec sans renfort de troupes venant d’Allemagne. Mais il est vite capturé et sera exécuté plus tard pour trahison [à la tour de Londres, 3 août 1916]. […]
Le samedi saint 22 avril, un bateau anglais intercepte l’Aud et l’escorte jusqu’au port de Cork. Le capitaine allemand, plutôt que de livrer les armes à l’ennemi, préfère saborder son navire. Les armes qui devaient servir à l’insurrection sont perdues. » (p.65)
« Ce sont environ cinquante personnes qui se dirigent de Lower Abbey Street vers Sackille Street (aujourd’hui O’Connell Street). Les passants et la police ne s’en émeuvent pas particulièrement, habitués qu’ils sont à de tels défilés depuis deux ans. Même lorsque le cortège arrive sur le site de la grand Poste […] le plus grand bâtiment de Dublin situé sur la plus grande artère de la ville-, on ne prend pas encore la situation au sérieux.
On hisse les drapeaux. L’un d’eux est le drapeau tricolore vert, blanc et orange conçu d’après celui que des Françaises avaient confectionné pour l’Irlande en 1848. » (p.67)
« Patrick Pearse lit « la Proclamation du Gouvernement provisoire de la République irlandaise au peuple d’Irlande ». » (p.68)
« Pearse devient Président du Gouvernement provisoire et commandant en chef de l’armée de la République.
A 13 heures, les premiers coups de feu de l’insurrection sont tirés dans la stupéfaction générale. […] Assaut des édifices publics de Dublin qu’ils essaient de tenir. […]
La police observe les manœuvres, mais ne signale rien à l’armée. Le vice-roi est isolé dans sa résidence à Phoenix Park […] avant de décréter la loi martiale sur Dublin le lendemain, le mardi 25 avril. Le général Maxwell, gouverneur militaire de l’Irlande, reçoit les pleins pouvoirs pour réprimer la rébellion. Il n’a aucune expérience politique ni de connaissance de l’Irlande. » (p.69)
« Quelque mille six cents insurgés républicains, armés de fusils, de revolvers et de grenades artisanales tentent de tenir leurs positions. Les forces britanniques mobilisent dans l’immédiat six mille officiers et soldats […] le 3rd Royal Irish Regiment, les 10th Royal Dublin Fusiliers et les 3rd Royal Irish Rifles. Le mercredi 26 avril, des renforts arrivent de Belfast et d’Angleterre. Ils détruiront Liberty Hall et bombardement la GPO. […]
Le samedi 29 avril, afin de ne pas faire couler davantage le sang des civils innocents, Pearse décide qu’il est temps de déposer. » (pp.70-71)
« A la fin de la semaine de Pâques, l’insurrection a fait plus de 500 morts (dont 300 civils) et 2500 blessés (dont 2000 civils). » (p.72)
« Maxwell fait […] arrêter 3430 hommes et 79 femmes du Sinn Féin [qui n’a joué aucun rôle dans l’insurrection]. » (p.73)
« Patrick Pearse, Thomas McDonagh et Tom Clarke sont abattus dans la cour de Kilmainham Gaol à l’aube du 3 mai. Willie Pearse, Edward « Ned » Daly, Joseph Plunkett et Michael O’Hanrahan sont executes le 4 mai. […]
Asquith […] demande néanmoins qu’aucune femme ne soit condamnée à mort sans l’avis du commandant en chef et de lui-même. La comtesse Markievicz échappera donc à la peine capitale. » (p.73)
« Les dénonciations pleuvent à la Chambre des communes. Le 11 mai, John Dillon, vice-président du Parti parlementaire irlandais, dit que les rebelles se sont laissés emporter par leur enthousiasme, mais qu’ils ont livré une bataille noble et superbe. […] 1836 hommes et 5 femmes sont placés en détention sans procès. Mi-mai, 1600 prisonniers sont embarqués dans un bateau à bestiaux en partance pour l’Angleterre. » (p.74)
« Michael Collins, le plus dangereux des insurgés, échappe cependant à l’exécution. Il est envoyé dans un camp où il peut, avec ses codétenus, créer un réseau de sympathisants et reconstruire l’IRB. » (p.75)
« Dans cette même prison [de Brixton], Sean T. O’Kelly (futur président de la république d’Irlande) monte une chorale. » (p.77)
« Quelques mois après les exécutions, des objets dérivés apparaissent en hommage aux insurgés : fac-similés de photos et de lettres des rebelles exécutés, rubans noirs et verts à porter en signe de dueil, badges du Sinn Féin. Dans un cinéma de Mullingar, le 17 juillet, des images de l’insurrection sont montrées ; une partie du public hue alors la police et applaudit les rebelles, ces poètes, professeurs, avocats et ouvriers qui étaient des honnêtes gens, et de bons catholiques aussi. Tom Clarke était anticlérical et Thomas MacDonagh agnostique, mais à part Roger Casement qui se convertit au catholicisme juste avant son exécution, aucun des leaders n’était protestant. Dénoncés d’abord comme fous et criminels, les rebelles de la samaine de Pâques se transforment insensiblement en héros et en martyrs, si bien que Charles Townshend peut parler de « sanctification populaire » des rebelles. » (p.78-79)
« Dans le panégyrique qu’il [Patrick Pearse] compose en 1915 pour l’enterrement d’un des pilliers de l’IRB, Jeremiah O’Donovan Rossa, il écrit que « la vie jaillit de la mort, et des tombes des hommes et des femmes qui sont morts pour leur patrie surgissent des nations vivantes ». » (p.79)
« Les derniers prisonniers de l’insurrection de Pâques sont libérés le 15 juin 1917. Parmi eux se trouve Éamon de Valera. […] A leur arrivée à Dublin, un accueil triomphal leur est réservé. Les huées des separation women ont laissé place à la Soldiers’ Song, « La Chanson du soldat », qui deviendra l’hymne national. » (p.84)
« A son congrès annuel (Ard Fheis) du 25 octobre [1917] […] le poste de président du Sinn Féin [est cédé] à Éamon de Valera […] leader que tous, même Collins, sont prêts à suivre, et le parti affiche une unité nouvelle qui est conservée jusqu’en 1921.
Au même moment, l’IRB organise une convention dans le but de doter le mouvement des Volontaires d’un exécutif. De Valera est élu pour présider cet exécutif également, tandis que Michael Collins est élu directeur de l’organisation et Cathal Brugha chef d’état-major. Cette branche armée du Sinn Féin, composée des Volontaires les plus militants, sera connue sous le nom d’Irish Republican Army (IRA). » (p.85)
« Lloyd George met fin aux délibérations de la Convention irlandaise en imposant la conscription à l’Irlande le 16 avril 1918 et, pour la faire accepter, l’assortit d’une application immédiate du Home Rule. Les députés irlandais se retirent de Westminster en signe de protestation contre le Military Service Act ; ils n’y retourneront jamais. » (p.85)
« Le gouvernement britannique décide également en mai 1918 de reporter l’application de la conscription en Irlande et de procéder plutôt à l’arrestation le 17 mai, sans procès, de soixante-treize leaders du Sinn Féin sous le Defence of the Realm Act (DORA), utilisant la menace d’un « complot allemand ». […] Parmi les prisonniers -dont aucun n’a de lien avéré avec l’Allemagne- se trouvent Valera et Griffith, immédiatement déportés en Angleterre. Conséquence de cette arrestation, le Sinn Féin passe entre les mains de Michael Collins, Harry Boland et Cathal Brugha -les partisans de la manière forte. » (p.87)
« L’accueil réservé aux soldats irlandais rentrés au pays est un premier témoignage de la difficulté pour la mémoire collective irlandaise de faire une place à la Grande Guerre. Au-delà d’efforts individuels et locaux, une « amnésie nationale » suit immédiatement sa conclusion, en faveur de l’insurrection de Pâques 1916. » (p.88)
« A Dublin en revanche, il faut attendre 1994 pour que la mémoire des Irlandais qui ont perdus leur vie pendant la Grande Guerre soit honorée officiellement. » (p.90)
« Victoire spectaculaire du Sinn Féin aux élections législatives de décembre 1918. Celui-ci remporte 73 siéges sur 105, contre 26 pour les unionistes et 6 pour le Parti parlementaire. » (p.91)
[Chapitre 2 : De la guerre d’Indépendance à la guerre civile (1919-1923)]
« Le 21 janvier 1919, les vingt-sept candidats Sinn Féin élus qui ne sont pas en prison se réunissent à la Mansion House de Dublin pour former le parlement indépendant de l’Irlande, appélé Dail Éireann (« Assemblée d’Irlande »). Ils renoncent à leur siège et à leurs émoluments à Westminster ; le Dail est à leurs yeux le nouvel Etat irlandais, la république non officielle. Le « premier Dail » commence alors par voter une constitution provisoire créant un cabinet dirigé par un Premier ministre (Priomh Aire) appelé aussi « Président de Dail Éireann ». Ce poste est occupé en premier par Cathal Brugha. […]
Le Dail somme les troupes anglaises d’évacuer le pays.
[…]
Le Dail lance aussi un Appel aux nations libres du monde, demandant qu’elles appuient ses droits à l’ « indépendance absolue sous la forme républicaine » et annonçant l’intention du Sinn Féin de représenter l’Irlande à la Conférence de paix. » (p.95)
« Le jour même où le Dail tient sa première séance, deux policiers de la Royal Irish Constabulary (RIC) sont tués dans une embuscade à Soloheadbeg, Co. Tippeary, par des membres de l’IRA. Cet événement marque le début d’une campagne militaire engagée par l’IRA contre la RIC et l’armée britannique. Rétrospectivement, c’est là qu’on situe le débat de la guerre d’Indépendance, ou guerre anglo-irlandaise, même s’il n’y eut jamais de déclaration de guerre officielle. » (p.96)
« Son séjour à Lincoln lui permet [à Éamon de Valera] aussi de lire Machiavel. Au-delà de la justification des moyens par la fin, l’auteur du Prince impressionne de Valera par son éloge de la république comme régime politique idéal pourvu qu’elle soit dirigée par un homme d’Etat fort. » (p.97)
« A la séance parlementaire suivante, en avril 1919, de Valera [qui s’est évadé], qui était président du Sinn Féin victorieux, reprend la place qui lui revient de Premier ministre du Dail. Il forme son cabinet : Michael Collins aux Finances, Arthur Griffith à l’Intérieur, Cathal Brugha à la Défense, William T. Cosgrave au gouvernement local, Eoin MacNeill à l’Industrie, Robert Barton à l’agriculture et Constance Markievicz au Travail. » (p.98)
« En 1930, les Etats-Unis dénombrent près d’un million de personnes nées en Irlande, ce qui correspond au tiers de la population de l’Irlande qui compte en 1911 3.14 millions d’habitants. […] Sur le plan de la levée de fonds en revanche, cette campagne est un franc succès : [de Valera] lève 6 millions de dollars entre janvier 1920 et octobre 1921. » (p.98-99)
« En l’absence de de Valera, c’est Griffith qui reprit la présidence du Sinn Féin qui est interdit par le gouvernement britannique en août 1919. Griffith est aussi président du Dail qui est dissous le 10 septembre 1919. Le Dail ne contrôle plus l’IRA dont les unités agissent indépendamment, même si elle est placée sous le commandement effectif de Michael Collins pendant que de Valera est à l’étranger. Pendant l’année 1919, l’IRA se livre à une guérilla, à des raids, des incendies, des intimidations. Comme en 1916, un petit nombre d’hommes attaquent la police et l’armée. […]
En juin 1920, on compte 55 policiers et 5 soldats britanniques tués. Pendant toute la durée de la guerre d’indépendance (janvier 1919 – juillet 1921), ce sont 405 policiers qui sont tués et 150 soldats. Cependant, en représailles, les forces britanniques s’en prennent non seulement aux agresseurs, mais à la population de villes entières. Ainsi, comme en 1916, la population qui ne soutenait pas nécessairement l’IRA au départ finit par se ranger derrière elle et se radicaliser contre la présence britannique. » (p.101)
« En juillet 1919, [Michael Collins] forme une équipe de douze hommes ; appelés The Squad (« la Bridage ») ou plus familièrement les Douze Apôtres, c’est un groupe d’assassins qui opèrent sous ses ordres. » (p.102)
« En mars 1920, le Cabinet Britannique donne alors au général Nevil Macready, commandant en chef des forces en Irlande, carte blanche pour réprimer la guérilla par tous les moyens. » (p.102)
« Le Premier ministre Lloyd George, libéral mais prisonnier d’une coalition à dominante conservatrice, couvre et justifie les incendies de fermes, les représailles et le contre-terrorisme qui sévit en Irlande en 1920. […] L’envoi d’une seconde force auxilliaire, les Auxiliary Cadets (Auxies), formée en juillet et opérationnelle en Irlande en août 1920, marque le début de la « Terreur Irlandaise » qui dure un an. Au nombre de 1000 en juillet 1920, ces officiers, présentés comme les meilleurs combattants de la Grande-Bretagne, seront 1900 fin 1921. […] Quand des attaques sont livrées contre la police, c’est le village entier qui en subit les représailles. Ils font sortir tous les habitants, les questionnent, les fouillent. Lorsqu’ils en gardent certains en détention, ils les brutalisent et les humilient. Ils tirent en rafale sur les fenêtres des maisons quand ils n’y mettent pas le feu. Ils pillent les fermes, détruisent le matériel, tuent les animaux et envoient ceux qu’ils ne mangent pas à leurs familles en Angleterre. […] Le maire Sinn Féin de Cork Tomas Mac Curtain est assassinné par des membres de la RIC. » (p.103)
-Alexandra Slaby, Histoire de l’Irlande. De 1912 à nos jours, Paris, Éditions Tallandier, 2016, 461 pages.
Membre du Groupe de recherches en études irlandaises à Caen.
Carte p.13