« Les années d’antisémitisme grandissant, quand le mouvement antijuif se consolide dans l’opinion, quand la presse hostile étend sa diffusion et raidit se consolide dans l’opinion, quand la presse hostile étend sa diffusion et raidit son style, quand les agressions physiques se font plus courantes, sont encore prodigue en réprobations indignées et en marques de sympathie.
Il en va autrement, bien sûr, quand l’antisémitisme triomphe, comme ce sera le cas de l’Europe avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Il accède au pouvoir d’Etat, il discrimine les Juifs par la loi, il les élimine de la vie sociale et économique, il les persécute, il les terrorise, et, au-delà, il les extermine… Que deviennent alors les amis des Juifs, ceux qu’on applaudissait si fort, quelques années plus tôt, quand ils affirmaient, d’un ton vibrant d’audace, qu’ils seront toujours avec les victimes et jamais avec les bourreaux ? Que reste-t-il des professions de foi et des clameurs protestaires, maintenant que les antijuifs tiennent le pays et qu’ils entreprennent, à leur manière, de résoudre le problème juif ? » (p.9)
« Confrontés à cet antisémitisme qui grimpe vite mais qui, avant 1940, ne déborde pas, les « philosémites » devenus « antiracistes » seront nombreux, loquaces et visibles.
On les trouve, avant tout, à la LICA. Elle est, de très loin, la plus puissante des organisations de lutte contre le racisme dans la France d’avant-guerre. […]
La LICA est politiquement à gauche, et prend une part active à toutes les initiatives de regroupement antifascistes qui vont marquer la période. » (p.13)
« La presse juive française des années 1930 est très fournie : L’Univers isréalite, Le Journal juif, Paix et Droit, La Terre retrouvée, etc. » (note 3 p.15)
« Si les chefs de la collaboration, pour beaucoup, sont d’anciens philosémites, se pourrait-il, par l’effet d’une même logique, que ceux de la Résistance fussent pour certains, voire pour beaucoup, d’anciens antisémites ?
La supposition semblait folle, plus folle même que la précédente. » (p.19)
« François Léotard rapporte que son père était maurrassien, mais qu’il ne partageait pas l’antisémitisme de l’Action française. » (p.21)
« [Manque ceux] dont j’ai pensé qu’ils n’avaient pas le poids historique requis pour faire l’objet d’une rubrique. » (p.22)
« Les réseaux résistants ne font pas de politique. Ils font la guerre. Ils transmettent aux Anglais les renseignements militaires, ou industriels, qui les aideront à combattre l’Allemagne. Ces renseignements peuvent être immédiatement opérationnels, quand ils signalent le déplacement de telle ou telle unité des forces aériennes ou navales du Reich : s’ils parviennent à temps, et s’ils sont exploités avec efficience, ils procureront de belles cibles aux bombes de la RAF ou aux torpilles de la Royal Navy. Ils peuvent être d’effet plus lointain, quand ils portent sur les approvisionnements, les fortifications ou les communications de l’ennemi. Ces réseaux pour l’essentiel sont de deux catégories : certains sont liés à la France libre et au général de Gaulle, d’autres travaillent directement avec les services secrets britanniques.
Le plus gros de ces réseaux, l’Alliance, doit son existence à Georges Loustaunau-Lacau (1894-1955). Il avait fait Saint-Cyr, se souviendra-t-il avec humour, « pour reprendre l’Alsace, bien sûr, mais aussi pour épater Clarisse ». Militaire de carrière attaché en 1935 au secrétariat du maréchal Pétain, il crée en 1936 une officine clandestine, la centrale Corvignolles, destinée à protéger l’armée contre les infiltrations communistes et autres formes de subversion. Il rencontre Deloncle, le chef de la Cagoule, mais les deux hommes se découvrent adversaires dès l’abord. Il entre en rapport avec La Rocque et Maurras et tente de promouvoir l’union des droites nationalistes. Il est proche de Doriot et organise un meeting commun du Parti populaire français (PPF) et d’une Union militaire française (UMF) créée pour la circonstance. Il diffuse un petit journal, L’Ordre national, où paraissent, en 1938 et 1939, des articles au titre éloquent : « Comment conjurer le péril juif », « L’invasion juive », « La question raciale juive ». » (pp.395-396)
« Loustaunau-Lacau anime deux autres publications : la revue Notre prestige, où l’antisémitisme n’apparaît pas, et le mensuel Barrage, où il apparaît en dose nettement plus faible que dans L’Ordre national. » (note 4 p.396)
« Loustaunau-Lacau n’a cessé d’être préoccupé par l’impréparation de l’armée française, cette « vieille mule au pas lourd ». Il se bat bravement en 1940 et s’évade de l’hôpital où il est prisonnier de guerre. En une démarche pour le moins incongrue, et qui mériterait certainement un complément de recherche, il s’adresse à l’ambassade d’Allemagne pour proposer la formation d’un gouvernement (?) et s’informer des intentions de l’occupant.
Il gagne Vichy, où Xavier Vallat lui confie, pour un temps assez bref, la direction de la Légion française des combattants. Il utilise cette couverture officielle pour abriter ses débuts d’activité antiallemande. Puis il crée l’Alliance, l’un des premiers et des plus importants réseaux clandestins qui se constituent dans une France encore hébétée par la défaite. Il recrute parmi les gens de Corvignolles et parmi les anciens de la Spirale, c’est-à-dire dans la droite nationaliste et dans l’armée. Les relations avec la France libre et le général de Gaulle ne sont pas aisées et l’Alliance préfère se rattacher directement aux services secrets britanniques à partir d’avril 1941. Loustaunau-Lacau est arrêté à deux reprises, à Alger puis en métropole. Il est par la suite livré aux Allemands, interrogé et torturé, puis déporté.
Il décrira les atrocités de Mauthausen […]
Pris dans les ultimes convulsions du système concentrationnaire nazi, il survit à une « marche de la mort » […]
Loustaunau-Lacau, rentré en France, est inculpé de complot contre la sécurité de l’Etat : on lui reproche son militantisme d’extrême-droite, ses activités conspiratives d’avant 1939 et ses hantises anticommunistes d’après 1945. Inculpé en octobre 1946, arrêté en juin 1947 par l’adjoint du commissaire de police qui l’appréhenda, sous Pétain et Darlan, en 1941, ce vétéran des geôles vichystes et des camps hitlériens passera six mois en prison républicaine avant de bénéficier d’un non-lieu. […] Il sera élu au Parlement en 1951. » (pp.397-398)
« Paul Dungler (1901-1974). Camelot du roi, ancien dirigeant de l’Action française en Alsace, il a dévié du maurrassisme orthodoxe et s’est rallié à la Cagoule. Il suit avec inquiétude le développement des menées allemandes en Alsace à la fin des années 1930. […]
Recrutant essentiellement parmi ses amis d’extrême droite, il fonde en septembre 1940 le premier réseau antiallemand dans le Haut-Rhin, la « 7e colonne d’Alsace », dénommée aussi réseau Martial. » (p.405)
« Dungler aura eu des liens assez persistants avec les milieux militaires allemands complotant contre Hitler. » (p.406)
« Louis de La Bardonie […] narrera en 1972 l’épopée constitutive du réseau qui deviendra, après sa rencontre avec Rémy, la Confrérie Notre-Dame : « Je suis entré dans la Résistance à l’heure même où j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. J’étais dans la salle à manger, la tête dans les mains, et je pleurais de honte, de tristesse et d’écoeurement de la défaite de mon pays. Derrière mon dos, il y avait un poste de T. S. F., je l’ai d’abord entendu que la fin. […] J’ai ensuite parlé de cet appel à un petit groupe de très bons amis que j’ai réuni chez moi, précisément le jour de la signature de l’armistice. Nous étions sept, tous des propriétaires de la région, plus ou moins fortunés. […] Les membres de notre groupe étaient pour la plupart des amis d’enfance, tous des hommes de droite. Ensuite nous avons commencé à rassembler des informations sur les Allemands. »
La Bardonnie donnera aussi, dans son témoignage, le total des pertes cumulées de la Confrérie Notre-Dame : « Sur un effectif de 1155 membres, il y a eu dans notre réseau, 537 victimes -257 morts et 280 déportés-, or sur ces 537 tués ou déportés, 103 seulement ont été pris par les Allemands, tous les autres ont été pris ou vendus par les Français. » Cet ancien maurrassien évoquera aussi les Juifs, en une courte phrase : « J’ai sauvé pendant la guerre des centaines de Juifs, non parce qu’ils étaient juifs, mais parce qu’ils étaient persécutés. »
La Bardonnie, comme Rémy, était fervent lecteur de L’Action française, mais il a rompu comme le journal et ses chefs. Il adressera à Maurras, le 30 décembre 1940, une missive véhémente l’accusant de faire le jeu de l’ennemi : « Vous encourez, ce faisant, une bien lourde responsabilité dont un jour la France libre et surtout ceux que vous aurez indignement abusés seront en droit de vous demander des comptes. Cela m’est dur d’avoir à vous dire cela, croyez le bien, mais combien moins que la vision quotidienne de votre trahison, car […] agir comme vous le faites c’est trahir la plus sacrée des causes. Faites de ma lettre ce que vous voudrez, dénoncez-moi si vous voulez, peu me chaut, mais sachez que tant que j’aurais un atome de vie je lutterai contre l’envahisseur de la Patrie. Vous, vous le soutenez et l’aidez, je vous quitte. Veuillez me faire rayer de toutes vos organisations et ne plus me compter parmi vos abonnés à dater de ce jour, je ne veux plus avoir rien de commun avec vous. » (p.407-408)
« Le colonel Maurice Dutheil de La Rochère (1870-1944) est lui aussi maurrassien. Il est même ami d’enfance de Charles Maurras… La destruction de la statut du général Mangin par les Allemands, aux premiers jours de l’Occupation, le pousse à l’action. Par Germaine Tillion, il sera lié au réseau du Musée de l’Homme. Ce réseau clandestin est composé d’hommes et de femmes qui politiquement sont plutôt à gauche […] Arrêté en 1942, Dutheil de La Rochère périra en déportation. » (p.408)
« On ne peut évoquer Martin sans dire un mot d’Aristide Corre (1895-1942). Ce personnage étrange vient de l’AF et des Camelots du roi, et fait partie de l’équipe initiale de la Cagoule. Il a la manie des fiches, et c’est en exploitant la fameuse « liste Corre » que la police effectuera en 1937 ses premières arrestations de dirigeants cagoulards. Ses cahiers personnels, qui seront publiés bien plus tard, sont parsemés de réflexions antisémites. Lié à l’Intelligence Service, Corre est interné comme otage par les Allemands. Il est fusillé en mars 1942. » (pp.409-410)
« André Brouillard (1900-1985). Il est connu du grand public sous son pseudonyme littéraire : Pierre Nord. « Catholique et conservateur, c’est avant tout un nationaliste passionné », dira de lui Alain Griotteray. Très jeune, il fait partie de la résistance antiallemande, dans le Nord occupé, lors de la Grande Guerre : condamné à mort puis grâcié, il s’évade pour reprendre le combat. […] Militaire de carrière, il est d’abord officier de chars avant de servir dans le renseignement. Il publie ses premiers romans (ainsi, Double crime sur la ligne Maginot) dans les années 1930. Redoutant le pacifisme et le défaitisme qu’il croit voir triompher avec le Front populaire, il se rapproche des réseaux militaires d’extrême droite.
Pierre Nord pendant la guerre est dans les services de renseignement de l’armée de l’armistice. On le retrouve au réseau résistant Éleuthère, dans le cadre de Libération-Nord, puis auprès de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA). » (p.410)
« Pierre Nord nous conduit au capitaine Hubert de Lagarde, avec qui il travailla au réseau Éleuthère, puis à l’état-major des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Lagarde avant la guerre écrit dans L’Action française. C’est lui, ainsi, qui commente le livre de De Gaulle sur La France et son armée. […] Il rompt avec Maurras à l’approche des hostilités.
Hubert de Lagarde fonde et dirige le réseau Éleuthère, remportant plusieurs succès. On lui doit, tout particulièrement, la collecte des données qui permirent à l’aviation alliée, en mai 1944, de pilonner et d’anéantir la division blindée SS « Hohenstauffen ». Il dirige le 2ème Bureau de l’état-major des FFI. La nomination du communiste Alfred Malleret (nom de clandestinité : Joinville) à la tête des FFI l’amène à protester officiellement contre la politisation de la structure, ce qui provoque son éviction de l’état-major FFI (juin 1944). Arrêté quelques jours plus tard, il est déporté en camp de concentration. Il y mourra d’épuisement en janvier 1945. » (p.411)
« Hubert Beuve-Méry (1902-1989), le futur fondateur et directeur du Monde, vient tout naturellement après Dunoyer de Segonzac, dont il fut l’adjoint à Uriage puis qu’il retrouvera, plus tard, dans les maquis.
Beuve-Méry jeune subit l’influence du père Janvier, un dominicain militant qui est proche de l’Action française. Il acquiert sa première expérience de journaliste en écrivant aux Nouvelles Religieuses, journal catholique conservateur qui verse occasionnellement dans l’antisémitisme. Il vit sa première expérience politique en 1925, prenant part aux chahuts et aux manifestations des Camelots du roi qui visent à empêcher la nomination du pacifiste Georges Scelle à la faculté de droit de Paris. Il est attiré, pour un temps assez bref, par le Faisceau de Georges Valois qui, premier mouvement fasciste français, prend son essor durant cette même année 1925.
Son service militaire le détourne de la politique et le confirme dans sa vocation journalistique. La prise du pouvoir par Hitler et les progrès du nazisme en Europe centrale ne cessent de l’inquiéter au cours des années 1930. Correspondant du Temps à Prague, il démissionne en protestation contre les accords de Munich en 1938. Sous l’Occupation, il est avec Emmanuel Mounier qui fait reparaître Esprit ; il est avec Dunoyer de Segonzac à l’école des cadres d’Uriage, puis à l’Ordre qui lui fait suite. Il publie en mars 1941 un article, aux consonnances discutées, sur la Révolution nationale. Il passe à la Résistance en fin 1942 puis rejoint Segonzac dans les maquis du Tarn. » (p.417)
« Charles de Gaulle était-il maurrassien ? Les attestations foisonnent en ce sens. […] Lui-même résistant et militant de gauche, Claude Bourdet qualifiera de Gaulle d’ « homme de droite, longtemps proche de L’Action française, devenu républicain par mimétisme » [Claude Bourdet, L’Aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration, Paris, Stock, 1975, p.249]. […] Il n’empêche que ses opinions et ses fréquentations, à la fin des années 1930, sont plus proches de la démocratie chrétienne que de l’extrême-droite. » (pp.421-422)
« Une évidente contiguïté de pensée l’unit [de Gaulle] […] à Bainville. » (p.423)
« [De Gaulle] enseigne à Saint-Cyr et étudie à l’École de guerre avant d’être nommé à Mayence, en Allemagne occupée. Il est appelé en 1925 à l’état-major personnel du maréchal Pétain. » (p.424)
« [Dans le fil de l’épée, de Gaulle] prône une philosophie du commandement […] qui, dira-t-on parfois [est] de facture nietzschéenne. » (p.424)
« En octobre 1936 : [de Gaulle] tente de rallier Léon Blum, président du Conseil, à ses vues sur l’arme blindée, et des relations d’estime réciproque ne cesseront d’unir les deux hommes. » (p.428)
« Dirigeant d’associations d’anciens combattants de la Grande Guerre, René Cassin (1887-1976) est un juriste doté d’une vaste expérience en négociations internationales. De Gaulle l’accueille, le 29 juin 1940, d’un « vous tombez à pic » particulièrement affable. C’est que Churchill, la veille, l’a reconnu « chef des Français libres », et qu’il faut maintenant, et d’urgence, codifier les relations entre la France libre et les autorités britanniques. Le général charge donc sa nouvelle recrue de préparer un texte en la matière, mais Cassin, avant de se mettre à l’ouvrage, tient à s’assurer qu’il ne s’agit pas, dans l’esprit de son interlocuteur, de former une simple légion française travaillant pour les Anglais. « Nous sommes […] des alliés reconstituant l’armée française et visant à maintenir l’unité française ? » insiste-il. « Nous sommes la France », répond de Gaulle. Cassin s’amusera de ce dialogue insolite associant, dans une petite pièce sommairement meublée, un général à titre temporaire et un « civil efflanqué », professeur de droit et juif de surcroît : « Voilà deux fois dignes du cabanon », eût dit Hitler s’il avait pu voir la scène par le trou de la serrure ».
Les négociations s’achèvent et l’accord de Gaulle-Churchill du 7 août 1940, dans ses grandes lignes, donne à la France libre les fondements juridiques de son existence et les moyens matériels de son action. De Gaulle propose à Cassin de contresigner le document, mais il refuse : « Mon général, n’oubliez pas que je suis juif. Ma signature, auprès de la vôtre, serait en ce moment trop gênante pour vous ». De Gaulle hésite puis se range à son point de vue : « Vous serez tout de même un des libérateurs de la France », conclut-il. » (p.435)
« La lettre qu’il [Georges Boris] à Léon Blum, le 22 juin 1942 […] vise à faire savoir au vieux chef socialiste, emprisonné par le régime de Vichy, que le gaullisme est absolument compatible avec les idéaux démocratiques et républicains. […] Boris insiste sur l’estime et la déférence avec lesquelles de Gaulle lui parle de Blum. » (p.436)
« Stanislas Mangin (1917-1986) […] est le fils du général Charles Mangin, honni des pacifistes français (qui le qualifièrent de « boucher ») et des militaires allemands (qui détruiront sa statue). Et il descend du non moins fameux Cavaignac, lequel écrasa, sous la mitraille, l’insurrection ouvrière de juin 1848… Frais émoulus de Saint-Cyr, le sous-lieutenant Mangin s’évade de captivité en 1940. Groussard, qui fut son commandant d’école, le met en contact avec Pierre Fourcaud, émissaire de la France libre. Il anime le réseau Ali-Tir avant de passer à Londres, où il est affecté au BCRA. Il rejoint l’armée en Tunisie et s’illustre dans la campagne de France en 1944. Il sera le second de Wybot à la direction de la DST, et comme lui, sera Compagnon de la Libération.
Roger Stéphane, résistant d’origine juive […] [note] : « En 1939, Stanislas Mangin était franchement réactionnaire. […] Les deux hommes se retrouvent, plus tard, sous l’Occupation, quand Mangin vient de Londres en mission. Stéphane lui demande s’il a conservé les mêmes opinions, s’il est resté antisémite : « Ah non ! Maintenant, je vois où cela mène », proteste Mangin. » (p.444-445)
« Philippe de Hautecloque (1902-1947) entrera dans l’Histoire -et dans Paris, en ces journées d’août 1944 que nul n’oubliera !- sous le nom de Leclerc. […] Cet officier de cavalerie […] était maurrassien dans les années 1920. Il décide en 1926 de ne pas se soumettre à la condamnation pontificale de L’Action française, dont il est lecteur assidu. Les événements du 6 février 1934 et la victoire du Front populaire ne le laissent pas indifférent. […]
Leclerc, qui arrive à Londres en juillet 1940, est envoyé par de Gaulle en Afrique équatoriale. Il assume le commandement militaire du Tchad et, avec les faibles moyens dont il dispose, mène une guerre de raids motorisés contre les Italiens implantés en Lybie. La prise de l’oasis fortifiée de Koufra, début mars 1941, est d’une valeur stratégique infime mais d’une portée symbolique considérable. Leclerc salue cette première victoire française en faisant le serment de continuer le combat jusqu’à ce que le drapeau tricolore flotte à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. Leclerc et sa 2e division blindée (la fameuse 2e DB) participent à la bataille de Normandie, libèrent Paris et prennent Strasbourg, comme promis à Koufra, en novembre 1944. Leclerc et ses hommes ne penètrent que très tardivement en Allemagne, mais ils ont la satisfaction de s’emparer du « nid d’aigle » de Hitler au Berghof dans les derniers jours de la guerre. Après un commandement en Indochine, Leclerc périt dans un accident d’avion au Maroc en 1947. Il est fait maréchal à titre posthume, en 1952. » (pp.450-451)
« Maurice Duclos (1906-1981) fut cagoulard actif. Il est même chargé par le CSAR, en 1937, d’affréter un navire destiné au transport clandestin d’armes belges vers la France, ces armes devant servir aux activités subversives et antirépublicaines de son organisation. Lieutenant de réserve, mobilisé en 1939, il participe à l’expédition de Narvik, puis rejoint de Gaulle à Londres. Sous le pseudonyme de Saint-Jacques, accompagné de Beresnikoff, il est envoyé en France occupée, début août 1940. Il débarque en Normandie et monte un réseau de renseignement. Duclos, après une autre mission, sera nommé chef de la section « Action » du BCRA. Il aura ainsi joué un rôle capital dans les services secrets gaullistes. Jugé à la Libération pour son appartenance à la Cagoule, il est acquitté et s’installe en Argentine. Entre autres décorations, Duclos est Compagnon de la Libération.
Ce qu’il pense des Juifs, nous le savons par Jean-Pierre Levy, dirigeant du mouvement clandestin Franc-Tireur. Levy, lors de son séjour à Londres, en 1943, s’est indigné d’une remarque antisémite émanant « d’un officier courageux, une sorte de héros : un commandant du BCRA, l’un des tout premier à avoir été envoyé en mission en France ». Duclos, car c’est de lui qu’il s’agit, lance à son interlocuteur, lui-même juif : « Vous, je m’incline devant votre action. Ce que vous avez fait est admirable mais les juifs me dégoûtent ». » (p.454)
« Honoré d’Estienne d’Orves (1901-1941), pour sa part, est issu d’une vieille famille légitimiste. Il entre à Polytechnique puis s’engage dans la Marine… Ses rapports avec l’Action française donneront lieu à plusieurs interprétations. Trois historiens, et non des moindres, le rangent parmi les maurrassiens de la Résistance. Son biographe, Étienne de Monteny, leur oppose qu’aucun document ne permet d’affirmer qu’il fut membre de l’Action française. François-Marin Fleutot précise que « si d’Estienne d’Orves n’a jamais milité dans un parti politique, il a agi, et l’a dit à plusieurs reprises […] en communion avec ses aïeux, d’Autichan et Suzannet, deux héros légendaires du combat catholique et royaliste contre les systèmes politiques issus de 1793 ». […] Une biographie de Tixier-Vignancour, lequel fut ami de Louis d’Estienne d’Orves, son frère, affirme qu’Honoré fut lycéen d’Action française, mais qu’il a abandonné la politique en entrant à Polytechnique. La nature précise de ses rapports avec l’Action française (adhésion de jeunesse, proximité idéologique, influences partielles) reste donc à éclaircir.
Ayant rallié de Gaulle en 1940, il est d’abord affecté aux Forces navales françaises libres (FNFL), puis devient le second de Passy aux services de renseignements, tout embryonnaires, de la France libre. Il exige de partir en mission en France occupée et finit par obtenir satisfaction. Il a à peine le temps d’établir ses contacts qu’une trahison le livre aux Allemands, en janvier 1941. Il est transféré en Allemagne puis ramené en France, où il est jugé en mai 1941. Il est fusillé, avec deux de ses compagnons, le 29 août 1941. » (p.456-457)
« Alexandre Sanguinetti (1913-1981) vient de l’Action française et des Camelots du roi. Son nom figure sur la fameuse « liste Corre » des cagoulards. Ce nationaliste d’extrême droite fait une belle guerre en Afrique du Nord et en Italie. Il témoigne à la Libération en faveur du chef milicien Jean Bassompierre, lequel fut son camarade avant la guerre. Plusieurs fois ministre, il prône un gaullisme idéologique et intransigeant qui s’accomodera mal de la présidence de Georges Pompidou […] Sanguinetti sera fortement pro-iséraélien. » (p.462)
« D’après un témoignage rapporté par François-Marin Fleutot, [Pierre Messmer] fut, lui aussi, comme tant d’autres, Camelot du roi dans sa jeunesse. » (p.464)
« Henri d’Astier de La Vigerie (1897-1952) est un homme d’Action française qui a subi de près l’influence du docteur Martin. Désireux de poursuivre la guerre, il entreprend dès 1940 une action de collecte de renseignements militaires. Nanti d’un porte-cigarette jadis offert par Goering à son frère François d’Astier de La Vigerie, le général d’aviation, il se fait passer pour ce dernier et jouit ainsi de la considération des officiers ennemis. Il peut donc visiter leurs bases en toute impunité.
[…] Née dans les préparatifs clandestins de l’offensive anglo-américaine en Afrique du Nord, une estime réciproque caractérise les relations entre les deux hommes. « Entre [José Aboulker], républicain et juif, et d’Astier, monarchiste et antisémite, un courant de confiance et d’amitié s’établit aussitôt », écrit Christine Levisse-Touzé.
Suite au débarquement du 8 novembre 1942, Henri d’Astier sert dans l’équipe gouvernementale de l’amiral Darlan lequel, présent à Alger, est passé dans le camp allié et s’est vu confier le pouvoir par les Américains. Après l’assassinat de Darlan, d’Astier est emprisonné puis cesse toute activité politique. Il organise les Commandos de France qui poursuivront, jusqu’à la victoire alliée, la guerre contre l’Allemagne. Comme son frère François, le général d’aviation gaulliste, et comme son autre frère Emmanuel […] Henri d’Astier de La Vigerie sera fait Compagnon de la Libération. » (p.466)
[15. Intellectuels, militants, journalistes]
« Boutang est condamné en 1955 pour un article à connotation raciste, visant Pierre Mendès France. […] Son élection à la Sorbonne, comme successeur d’Emmanuel Levinas à la chaire de métaphysique, soulèvera en 1976 des protestations impérieuses mais vite étouffés. » (p.516)
« Jacques Debû-Bridel (1902-1993), qui est Camelot du roi dans sa prime jeunesse. Il rallie le Faisceau de Georges Valois en 1925, ce qui le fâche pour un temps avec sa famille politique d’origine. Debû-Bridel n’est pas un simple militant, il assume des responsabilités importantes dans le nouveau mouvement, tant à la rédaction du Nouveau Siècle qu’à la gestion financière du groupe. Mais il quitte Valois et son fascisme et retourne en 1926 à l’Action française […] Il anime pour un temps, au début des années 1930, L’Action nouvelle, éphémère publication d’un fantomatique Mouvement national-populaire prônant le nationalisme et la lutte contre le marxisme. Il collabore à L’Ordre d’Émile Buré, dont il partage l’antigermanisme et l’antipacifisme. Dénigrant Briand et ses disciples, il soutient les idées et l’action d’André Tardieu, qui est l’homme politique dont il est le plus proche. Comme il le fera savoir après la guerre, il est en liaison avec certains personnages qui joueront un rôle dans la Cagoule.
Naturellement antimunichois en 1938, Debû-Bridel passe à la Résistance dès octobre 1940. On le retrouve, avec Claude Morgan, à la direction des Lettres françaises et du Conseil national des écrivains (CNE). Il est membre fondateur du Conseil national de la Résistance (CNR), où il représente la très droitière Fédération républicaine. […]
Sur instigation d’Aragon et des communistes qui donnent le ton au CNE, Debû-Bridel est exclu en février 1946 de la direction dudit CNE. Gaulliste, membre du RPF, il est conseiller municipal de Paris entre 1947 et 1955, et sénateur de la Seine entre 1948 et 1958. Il animera divers regroupements du gaullisme de gauche sous la Ve République : l’Union populaire progressiste, l’Union travailliste, l’UDT. Adversaire du « pompidouisme » après le départ du général, Debû-Bridel constatera avec amertume qu’ « aujourd’hui, il semble que seule une poignée de gaullistes de gauche continue, avec la jeunesse dite gauchiste, révolutionnaire ou maoïste, à dire non ! Non à la toute-puissance du dollar et de la CIA, son chien de garde ; non à l’invasion du Cambodge ; non aussi à la présence des chars soviétique à Prague et à l’impérialisme d’Israël. Il y a là matière à réfléchir. L’héritière légitime du gaullisme, pour peu qu’elle retrouve la patrie, n’est-ce pas la jeunesse contestataire ? Contestataire comme Charles de Gaulle ne cessa de l’être » [Debû-Bridel, De Gaulle contestataire, Paris, Plon, 1970, pp.244-245]. […] Ses sympathies gauchistes et ses ferveurs tiers-mondistes, associés à sa fidélité au Général, sont typiques de certaines fractions du gaullisme de gauche d’après 1968. » (pp.532-534)
« La guerre oppose des gens que tout rapprochait dans les années 1930. Concurremment, elle rapproche des gens que tout opposait, dans ces mêmes années 1930.
Ce gigantesque brassage d’itinéraires est l’une des caractéristiques principales de la période. » (p.591)
« La Résistance, en effet, est un vaste conglomérat de Françaises et de Français de toutes mouvances idéologiques et de toutes formations politiques antérieures. » (p.592)
« La corrélation entre nationalisme et antisémitisme est tout aussi déterminante que la corrélation entre pacifisme et antiracisme. » (p.610)
-Simon Epstein, Un Paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Paris, Éditions Albin Michel, 2000, 623 pages.
Il en va autrement, bien sûr, quand l’antisémitisme triomphe, comme ce sera le cas de l’Europe avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Il accède au pouvoir d’Etat, il discrimine les Juifs par la loi, il les élimine de la vie sociale et économique, il les persécute, il les terrorise, et, au-delà, il les extermine… Que deviennent alors les amis des Juifs, ceux qu’on applaudissait si fort, quelques années plus tôt, quand ils affirmaient, d’un ton vibrant d’audace, qu’ils seront toujours avec les victimes et jamais avec les bourreaux ? Que reste-t-il des professions de foi et des clameurs protestaires, maintenant que les antijuifs tiennent le pays et qu’ils entreprennent, à leur manière, de résoudre le problème juif ? » (p.9)
« Confrontés à cet antisémitisme qui grimpe vite mais qui, avant 1940, ne déborde pas, les « philosémites » devenus « antiracistes » seront nombreux, loquaces et visibles.
On les trouve, avant tout, à la LICA. Elle est, de très loin, la plus puissante des organisations de lutte contre le racisme dans la France d’avant-guerre. […]
La LICA est politiquement à gauche, et prend une part active à toutes les initiatives de regroupement antifascistes qui vont marquer la période. » (p.13)
« La presse juive française des années 1930 est très fournie : L’Univers isréalite, Le Journal juif, Paix et Droit, La Terre retrouvée, etc. » (note 3 p.15)
« Si les chefs de la collaboration, pour beaucoup, sont d’anciens philosémites, se pourrait-il, par l’effet d’une même logique, que ceux de la Résistance fussent pour certains, voire pour beaucoup, d’anciens antisémites ?
La supposition semblait folle, plus folle même que la précédente. » (p.19)
« François Léotard rapporte que son père était maurrassien, mais qu’il ne partageait pas l’antisémitisme de l’Action française. » (p.21)
« [Manque ceux] dont j’ai pensé qu’ils n’avaient pas le poids historique requis pour faire l’objet d’une rubrique. » (p.22)
« Les réseaux résistants ne font pas de politique. Ils font la guerre. Ils transmettent aux Anglais les renseignements militaires, ou industriels, qui les aideront à combattre l’Allemagne. Ces renseignements peuvent être immédiatement opérationnels, quand ils signalent le déplacement de telle ou telle unité des forces aériennes ou navales du Reich : s’ils parviennent à temps, et s’ils sont exploités avec efficience, ils procureront de belles cibles aux bombes de la RAF ou aux torpilles de la Royal Navy. Ils peuvent être d’effet plus lointain, quand ils portent sur les approvisionnements, les fortifications ou les communications de l’ennemi. Ces réseaux pour l’essentiel sont de deux catégories : certains sont liés à la France libre et au général de Gaulle, d’autres travaillent directement avec les services secrets britanniques.
Le plus gros de ces réseaux, l’Alliance, doit son existence à Georges Loustaunau-Lacau (1894-1955). Il avait fait Saint-Cyr, se souviendra-t-il avec humour, « pour reprendre l’Alsace, bien sûr, mais aussi pour épater Clarisse ». Militaire de carrière attaché en 1935 au secrétariat du maréchal Pétain, il crée en 1936 une officine clandestine, la centrale Corvignolles, destinée à protéger l’armée contre les infiltrations communistes et autres formes de subversion. Il rencontre Deloncle, le chef de la Cagoule, mais les deux hommes se découvrent adversaires dès l’abord. Il entre en rapport avec La Rocque et Maurras et tente de promouvoir l’union des droites nationalistes. Il est proche de Doriot et organise un meeting commun du Parti populaire français (PPF) et d’une Union militaire française (UMF) créée pour la circonstance. Il diffuse un petit journal, L’Ordre national, où paraissent, en 1938 et 1939, des articles au titre éloquent : « Comment conjurer le péril juif », « L’invasion juive », « La question raciale juive ». » (pp.395-396)
« Loustaunau-Lacau anime deux autres publications : la revue Notre prestige, où l’antisémitisme n’apparaît pas, et le mensuel Barrage, où il apparaît en dose nettement plus faible que dans L’Ordre national. » (note 4 p.396)
« Loustaunau-Lacau n’a cessé d’être préoccupé par l’impréparation de l’armée française, cette « vieille mule au pas lourd ». Il se bat bravement en 1940 et s’évade de l’hôpital où il est prisonnier de guerre. En une démarche pour le moins incongrue, et qui mériterait certainement un complément de recherche, il s’adresse à l’ambassade d’Allemagne pour proposer la formation d’un gouvernement (?) et s’informer des intentions de l’occupant.
Il gagne Vichy, où Xavier Vallat lui confie, pour un temps assez bref, la direction de la Légion française des combattants. Il utilise cette couverture officielle pour abriter ses débuts d’activité antiallemande. Puis il crée l’Alliance, l’un des premiers et des plus importants réseaux clandestins qui se constituent dans une France encore hébétée par la défaite. Il recrute parmi les gens de Corvignolles et parmi les anciens de la Spirale, c’est-à-dire dans la droite nationaliste et dans l’armée. Les relations avec la France libre et le général de Gaulle ne sont pas aisées et l’Alliance préfère se rattacher directement aux services secrets britanniques à partir d’avril 1941. Loustaunau-Lacau est arrêté à deux reprises, à Alger puis en métropole. Il est par la suite livré aux Allemands, interrogé et torturé, puis déporté.
Il décrira les atrocités de Mauthausen […]
Pris dans les ultimes convulsions du système concentrationnaire nazi, il survit à une « marche de la mort » […]
Loustaunau-Lacau, rentré en France, est inculpé de complot contre la sécurité de l’Etat : on lui reproche son militantisme d’extrême-droite, ses activités conspiratives d’avant 1939 et ses hantises anticommunistes d’après 1945. Inculpé en octobre 1946, arrêté en juin 1947 par l’adjoint du commissaire de police qui l’appréhenda, sous Pétain et Darlan, en 1941, ce vétéran des geôles vichystes et des camps hitlériens passera six mois en prison républicaine avant de bénéficier d’un non-lieu. […] Il sera élu au Parlement en 1951. » (pp.397-398)
« Paul Dungler (1901-1974). Camelot du roi, ancien dirigeant de l’Action française en Alsace, il a dévié du maurrassisme orthodoxe et s’est rallié à la Cagoule. Il suit avec inquiétude le développement des menées allemandes en Alsace à la fin des années 1930. […]
Recrutant essentiellement parmi ses amis d’extrême droite, il fonde en septembre 1940 le premier réseau antiallemand dans le Haut-Rhin, la « 7e colonne d’Alsace », dénommée aussi réseau Martial. » (p.405)
« Dungler aura eu des liens assez persistants avec les milieux militaires allemands complotant contre Hitler. » (p.406)
« Louis de La Bardonie […] narrera en 1972 l’épopée constitutive du réseau qui deviendra, après sa rencontre avec Rémy, la Confrérie Notre-Dame : « Je suis entré dans la Résistance à l’heure même où j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. J’étais dans la salle à manger, la tête dans les mains, et je pleurais de honte, de tristesse et d’écoeurement de la défaite de mon pays. Derrière mon dos, il y avait un poste de T. S. F., je l’ai d’abord entendu que la fin. […] J’ai ensuite parlé de cet appel à un petit groupe de très bons amis que j’ai réuni chez moi, précisément le jour de la signature de l’armistice. Nous étions sept, tous des propriétaires de la région, plus ou moins fortunés. […] Les membres de notre groupe étaient pour la plupart des amis d’enfance, tous des hommes de droite. Ensuite nous avons commencé à rassembler des informations sur les Allemands. »
La Bardonnie donnera aussi, dans son témoignage, le total des pertes cumulées de la Confrérie Notre-Dame : « Sur un effectif de 1155 membres, il y a eu dans notre réseau, 537 victimes -257 morts et 280 déportés-, or sur ces 537 tués ou déportés, 103 seulement ont été pris par les Allemands, tous les autres ont été pris ou vendus par les Français. » Cet ancien maurrassien évoquera aussi les Juifs, en une courte phrase : « J’ai sauvé pendant la guerre des centaines de Juifs, non parce qu’ils étaient juifs, mais parce qu’ils étaient persécutés. »
La Bardonnie, comme Rémy, était fervent lecteur de L’Action française, mais il a rompu comme le journal et ses chefs. Il adressera à Maurras, le 30 décembre 1940, une missive véhémente l’accusant de faire le jeu de l’ennemi : « Vous encourez, ce faisant, une bien lourde responsabilité dont un jour la France libre et surtout ceux que vous aurez indignement abusés seront en droit de vous demander des comptes. Cela m’est dur d’avoir à vous dire cela, croyez le bien, mais combien moins que la vision quotidienne de votre trahison, car […] agir comme vous le faites c’est trahir la plus sacrée des causes. Faites de ma lettre ce que vous voudrez, dénoncez-moi si vous voulez, peu me chaut, mais sachez que tant que j’aurais un atome de vie je lutterai contre l’envahisseur de la Patrie. Vous, vous le soutenez et l’aidez, je vous quitte. Veuillez me faire rayer de toutes vos organisations et ne plus me compter parmi vos abonnés à dater de ce jour, je ne veux plus avoir rien de commun avec vous. » (p.407-408)
« Le colonel Maurice Dutheil de La Rochère (1870-1944) est lui aussi maurrassien. Il est même ami d’enfance de Charles Maurras… La destruction de la statut du général Mangin par les Allemands, aux premiers jours de l’Occupation, le pousse à l’action. Par Germaine Tillion, il sera lié au réseau du Musée de l’Homme. Ce réseau clandestin est composé d’hommes et de femmes qui politiquement sont plutôt à gauche […] Arrêté en 1942, Dutheil de La Rochère périra en déportation. » (p.408)
« On ne peut évoquer Martin sans dire un mot d’Aristide Corre (1895-1942). Ce personnage étrange vient de l’AF et des Camelots du roi, et fait partie de l’équipe initiale de la Cagoule. Il a la manie des fiches, et c’est en exploitant la fameuse « liste Corre » que la police effectuera en 1937 ses premières arrestations de dirigeants cagoulards. Ses cahiers personnels, qui seront publiés bien plus tard, sont parsemés de réflexions antisémites. Lié à l’Intelligence Service, Corre est interné comme otage par les Allemands. Il est fusillé en mars 1942. » (pp.409-410)
« André Brouillard (1900-1985). Il est connu du grand public sous son pseudonyme littéraire : Pierre Nord. « Catholique et conservateur, c’est avant tout un nationaliste passionné », dira de lui Alain Griotteray. Très jeune, il fait partie de la résistance antiallemande, dans le Nord occupé, lors de la Grande Guerre : condamné à mort puis grâcié, il s’évade pour reprendre le combat. […] Militaire de carrière, il est d’abord officier de chars avant de servir dans le renseignement. Il publie ses premiers romans (ainsi, Double crime sur la ligne Maginot) dans les années 1930. Redoutant le pacifisme et le défaitisme qu’il croit voir triompher avec le Front populaire, il se rapproche des réseaux militaires d’extrême droite.
Pierre Nord pendant la guerre est dans les services de renseignement de l’armée de l’armistice. On le retrouve au réseau résistant Éleuthère, dans le cadre de Libération-Nord, puis auprès de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA). » (p.410)
« Pierre Nord nous conduit au capitaine Hubert de Lagarde, avec qui il travailla au réseau Éleuthère, puis à l’état-major des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Lagarde avant la guerre écrit dans L’Action française. C’est lui, ainsi, qui commente le livre de De Gaulle sur La France et son armée. […] Il rompt avec Maurras à l’approche des hostilités.
Hubert de Lagarde fonde et dirige le réseau Éleuthère, remportant plusieurs succès. On lui doit, tout particulièrement, la collecte des données qui permirent à l’aviation alliée, en mai 1944, de pilonner et d’anéantir la division blindée SS « Hohenstauffen ». Il dirige le 2ème Bureau de l’état-major des FFI. La nomination du communiste Alfred Malleret (nom de clandestinité : Joinville) à la tête des FFI l’amène à protester officiellement contre la politisation de la structure, ce qui provoque son éviction de l’état-major FFI (juin 1944). Arrêté quelques jours plus tard, il est déporté en camp de concentration. Il y mourra d’épuisement en janvier 1945. » (p.411)
« Hubert Beuve-Méry (1902-1989), le futur fondateur et directeur du Monde, vient tout naturellement après Dunoyer de Segonzac, dont il fut l’adjoint à Uriage puis qu’il retrouvera, plus tard, dans les maquis.
Beuve-Méry jeune subit l’influence du père Janvier, un dominicain militant qui est proche de l’Action française. Il acquiert sa première expérience de journaliste en écrivant aux Nouvelles Religieuses, journal catholique conservateur qui verse occasionnellement dans l’antisémitisme. Il vit sa première expérience politique en 1925, prenant part aux chahuts et aux manifestations des Camelots du roi qui visent à empêcher la nomination du pacifiste Georges Scelle à la faculté de droit de Paris. Il est attiré, pour un temps assez bref, par le Faisceau de Georges Valois qui, premier mouvement fasciste français, prend son essor durant cette même année 1925.
Son service militaire le détourne de la politique et le confirme dans sa vocation journalistique. La prise du pouvoir par Hitler et les progrès du nazisme en Europe centrale ne cessent de l’inquiéter au cours des années 1930. Correspondant du Temps à Prague, il démissionne en protestation contre les accords de Munich en 1938. Sous l’Occupation, il est avec Emmanuel Mounier qui fait reparaître Esprit ; il est avec Dunoyer de Segonzac à l’école des cadres d’Uriage, puis à l’Ordre qui lui fait suite. Il publie en mars 1941 un article, aux consonnances discutées, sur la Révolution nationale. Il passe à la Résistance en fin 1942 puis rejoint Segonzac dans les maquis du Tarn. » (p.417)
« Charles de Gaulle était-il maurrassien ? Les attestations foisonnent en ce sens. […] Lui-même résistant et militant de gauche, Claude Bourdet qualifiera de Gaulle d’ « homme de droite, longtemps proche de L’Action française, devenu républicain par mimétisme » [Claude Bourdet, L’Aventure incertaine. De la Résistance à la Restauration, Paris, Stock, 1975, p.249]. […] Il n’empêche que ses opinions et ses fréquentations, à la fin des années 1930, sont plus proches de la démocratie chrétienne que de l’extrême-droite. » (pp.421-422)
« Une évidente contiguïté de pensée l’unit [de Gaulle] […] à Bainville. » (p.423)
« [De Gaulle] enseigne à Saint-Cyr et étudie à l’École de guerre avant d’être nommé à Mayence, en Allemagne occupée. Il est appelé en 1925 à l’état-major personnel du maréchal Pétain. » (p.424)
« [Dans le fil de l’épée, de Gaulle] prône une philosophie du commandement […] qui, dira-t-on parfois [est] de facture nietzschéenne. » (p.424)
« En octobre 1936 : [de Gaulle] tente de rallier Léon Blum, président du Conseil, à ses vues sur l’arme blindée, et des relations d’estime réciproque ne cesseront d’unir les deux hommes. » (p.428)
« Dirigeant d’associations d’anciens combattants de la Grande Guerre, René Cassin (1887-1976) est un juriste doté d’une vaste expérience en négociations internationales. De Gaulle l’accueille, le 29 juin 1940, d’un « vous tombez à pic » particulièrement affable. C’est que Churchill, la veille, l’a reconnu « chef des Français libres », et qu’il faut maintenant, et d’urgence, codifier les relations entre la France libre et les autorités britanniques. Le général charge donc sa nouvelle recrue de préparer un texte en la matière, mais Cassin, avant de se mettre à l’ouvrage, tient à s’assurer qu’il ne s’agit pas, dans l’esprit de son interlocuteur, de former une simple légion française travaillant pour les Anglais. « Nous sommes […] des alliés reconstituant l’armée française et visant à maintenir l’unité française ? » insiste-il. « Nous sommes la France », répond de Gaulle. Cassin s’amusera de ce dialogue insolite associant, dans une petite pièce sommairement meublée, un général à titre temporaire et un « civil efflanqué », professeur de droit et juif de surcroît : « Voilà deux fois dignes du cabanon », eût dit Hitler s’il avait pu voir la scène par le trou de la serrure ».
Les négociations s’achèvent et l’accord de Gaulle-Churchill du 7 août 1940, dans ses grandes lignes, donne à la France libre les fondements juridiques de son existence et les moyens matériels de son action. De Gaulle propose à Cassin de contresigner le document, mais il refuse : « Mon général, n’oubliez pas que je suis juif. Ma signature, auprès de la vôtre, serait en ce moment trop gênante pour vous ». De Gaulle hésite puis se range à son point de vue : « Vous serez tout de même un des libérateurs de la France », conclut-il. » (p.435)
« La lettre qu’il [Georges Boris] à Léon Blum, le 22 juin 1942 […] vise à faire savoir au vieux chef socialiste, emprisonné par le régime de Vichy, que le gaullisme est absolument compatible avec les idéaux démocratiques et républicains. […] Boris insiste sur l’estime et la déférence avec lesquelles de Gaulle lui parle de Blum. » (p.436)
« Stanislas Mangin (1917-1986) […] est le fils du général Charles Mangin, honni des pacifistes français (qui le qualifièrent de « boucher ») et des militaires allemands (qui détruiront sa statue). Et il descend du non moins fameux Cavaignac, lequel écrasa, sous la mitraille, l’insurrection ouvrière de juin 1848… Frais émoulus de Saint-Cyr, le sous-lieutenant Mangin s’évade de captivité en 1940. Groussard, qui fut son commandant d’école, le met en contact avec Pierre Fourcaud, émissaire de la France libre. Il anime le réseau Ali-Tir avant de passer à Londres, où il est affecté au BCRA. Il rejoint l’armée en Tunisie et s’illustre dans la campagne de France en 1944. Il sera le second de Wybot à la direction de la DST, et comme lui, sera Compagnon de la Libération.
Roger Stéphane, résistant d’origine juive […] [note] : « En 1939, Stanislas Mangin était franchement réactionnaire. […] Les deux hommes se retrouvent, plus tard, sous l’Occupation, quand Mangin vient de Londres en mission. Stéphane lui demande s’il a conservé les mêmes opinions, s’il est resté antisémite : « Ah non ! Maintenant, je vois où cela mène », proteste Mangin. » (p.444-445)
« Philippe de Hautecloque (1902-1947) entrera dans l’Histoire -et dans Paris, en ces journées d’août 1944 que nul n’oubliera !- sous le nom de Leclerc. […] Cet officier de cavalerie […] était maurrassien dans les années 1920. Il décide en 1926 de ne pas se soumettre à la condamnation pontificale de L’Action française, dont il est lecteur assidu. Les événements du 6 février 1934 et la victoire du Front populaire ne le laissent pas indifférent. […]
Leclerc, qui arrive à Londres en juillet 1940, est envoyé par de Gaulle en Afrique équatoriale. Il assume le commandement militaire du Tchad et, avec les faibles moyens dont il dispose, mène une guerre de raids motorisés contre les Italiens implantés en Lybie. La prise de l’oasis fortifiée de Koufra, début mars 1941, est d’une valeur stratégique infime mais d’une portée symbolique considérable. Leclerc salue cette première victoire française en faisant le serment de continuer le combat jusqu’à ce que le drapeau tricolore flotte à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. Leclerc et sa 2e division blindée (la fameuse 2e DB) participent à la bataille de Normandie, libèrent Paris et prennent Strasbourg, comme promis à Koufra, en novembre 1944. Leclerc et ses hommes ne penètrent que très tardivement en Allemagne, mais ils ont la satisfaction de s’emparer du « nid d’aigle » de Hitler au Berghof dans les derniers jours de la guerre. Après un commandement en Indochine, Leclerc périt dans un accident d’avion au Maroc en 1947. Il est fait maréchal à titre posthume, en 1952. » (pp.450-451)
« Maurice Duclos (1906-1981) fut cagoulard actif. Il est même chargé par le CSAR, en 1937, d’affréter un navire destiné au transport clandestin d’armes belges vers la France, ces armes devant servir aux activités subversives et antirépublicaines de son organisation. Lieutenant de réserve, mobilisé en 1939, il participe à l’expédition de Narvik, puis rejoint de Gaulle à Londres. Sous le pseudonyme de Saint-Jacques, accompagné de Beresnikoff, il est envoyé en France occupée, début août 1940. Il débarque en Normandie et monte un réseau de renseignement. Duclos, après une autre mission, sera nommé chef de la section « Action » du BCRA. Il aura ainsi joué un rôle capital dans les services secrets gaullistes. Jugé à la Libération pour son appartenance à la Cagoule, il est acquitté et s’installe en Argentine. Entre autres décorations, Duclos est Compagnon de la Libération.
Ce qu’il pense des Juifs, nous le savons par Jean-Pierre Levy, dirigeant du mouvement clandestin Franc-Tireur. Levy, lors de son séjour à Londres, en 1943, s’est indigné d’une remarque antisémite émanant « d’un officier courageux, une sorte de héros : un commandant du BCRA, l’un des tout premier à avoir été envoyé en mission en France ». Duclos, car c’est de lui qu’il s’agit, lance à son interlocuteur, lui-même juif : « Vous, je m’incline devant votre action. Ce que vous avez fait est admirable mais les juifs me dégoûtent ». » (p.454)
« Honoré d’Estienne d’Orves (1901-1941), pour sa part, est issu d’une vieille famille légitimiste. Il entre à Polytechnique puis s’engage dans la Marine… Ses rapports avec l’Action française donneront lieu à plusieurs interprétations. Trois historiens, et non des moindres, le rangent parmi les maurrassiens de la Résistance. Son biographe, Étienne de Monteny, leur oppose qu’aucun document ne permet d’affirmer qu’il fut membre de l’Action française. François-Marin Fleutot précise que « si d’Estienne d’Orves n’a jamais milité dans un parti politique, il a agi, et l’a dit à plusieurs reprises […] en communion avec ses aïeux, d’Autichan et Suzannet, deux héros légendaires du combat catholique et royaliste contre les systèmes politiques issus de 1793 ». […] Une biographie de Tixier-Vignancour, lequel fut ami de Louis d’Estienne d’Orves, son frère, affirme qu’Honoré fut lycéen d’Action française, mais qu’il a abandonné la politique en entrant à Polytechnique. La nature précise de ses rapports avec l’Action française (adhésion de jeunesse, proximité idéologique, influences partielles) reste donc à éclaircir.
Ayant rallié de Gaulle en 1940, il est d’abord affecté aux Forces navales françaises libres (FNFL), puis devient le second de Passy aux services de renseignements, tout embryonnaires, de la France libre. Il exige de partir en mission en France occupée et finit par obtenir satisfaction. Il a à peine le temps d’établir ses contacts qu’une trahison le livre aux Allemands, en janvier 1941. Il est transféré en Allemagne puis ramené en France, où il est jugé en mai 1941. Il est fusillé, avec deux de ses compagnons, le 29 août 1941. » (p.456-457)
« Alexandre Sanguinetti (1913-1981) vient de l’Action française et des Camelots du roi. Son nom figure sur la fameuse « liste Corre » des cagoulards. Ce nationaliste d’extrême droite fait une belle guerre en Afrique du Nord et en Italie. Il témoigne à la Libération en faveur du chef milicien Jean Bassompierre, lequel fut son camarade avant la guerre. Plusieurs fois ministre, il prône un gaullisme idéologique et intransigeant qui s’accomodera mal de la présidence de Georges Pompidou […] Sanguinetti sera fortement pro-iséraélien. » (p.462)
« D’après un témoignage rapporté par François-Marin Fleutot, [Pierre Messmer] fut, lui aussi, comme tant d’autres, Camelot du roi dans sa jeunesse. » (p.464)
« Henri d’Astier de La Vigerie (1897-1952) est un homme d’Action française qui a subi de près l’influence du docteur Martin. Désireux de poursuivre la guerre, il entreprend dès 1940 une action de collecte de renseignements militaires. Nanti d’un porte-cigarette jadis offert par Goering à son frère François d’Astier de La Vigerie, le général d’aviation, il se fait passer pour ce dernier et jouit ainsi de la considération des officiers ennemis. Il peut donc visiter leurs bases en toute impunité.
[…] Née dans les préparatifs clandestins de l’offensive anglo-américaine en Afrique du Nord, une estime réciproque caractérise les relations entre les deux hommes. « Entre [José Aboulker], républicain et juif, et d’Astier, monarchiste et antisémite, un courant de confiance et d’amitié s’établit aussitôt », écrit Christine Levisse-Touzé.
Suite au débarquement du 8 novembre 1942, Henri d’Astier sert dans l’équipe gouvernementale de l’amiral Darlan lequel, présent à Alger, est passé dans le camp allié et s’est vu confier le pouvoir par les Américains. Après l’assassinat de Darlan, d’Astier est emprisonné puis cesse toute activité politique. Il organise les Commandos de France qui poursuivront, jusqu’à la victoire alliée, la guerre contre l’Allemagne. Comme son frère François, le général d’aviation gaulliste, et comme son autre frère Emmanuel […] Henri d’Astier de La Vigerie sera fait Compagnon de la Libération. » (p.466)
[15. Intellectuels, militants, journalistes]
« Boutang est condamné en 1955 pour un article à connotation raciste, visant Pierre Mendès France. […] Son élection à la Sorbonne, comme successeur d’Emmanuel Levinas à la chaire de métaphysique, soulèvera en 1976 des protestations impérieuses mais vite étouffés. » (p.516)
« Jacques Debû-Bridel (1902-1993), qui est Camelot du roi dans sa prime jeunesse. Il rallie le Faisceau de Georges Valois en 1925, ce qui le fâche pour un temps avec sa famille politique d’origine. Debû-Bridel n’est pas un simple militant, il assume des responsabilités importantes dans le nouveau mouvement, tant à la rédaction du Nouveau Siècle qu’à la gestion financière du groupe. Mais il quitte Valois et son fascisme et retourne en 1926 à l’Action française […] Il anime pour un temps, au début des années 1930, L’Action nouvelle, éphémère publication d’un fantomatique Mouvement national-populaire prônant le nationalisme et la lutte contre le marxisme. Il collabore à L’Ordre d’Émile Buré, dont il partage l’antigermanisme et l’antipacifisme. Dénigrant Briand et ses disciples, il soutient les idées et l’action d’André Tardieu, qui est l’homme politique dont il est le plus proche. Comme il le fera savoir après la guerre, il est en liaison avec certains personnages qui joueront un rôle dans la Cagoule.
Naturellement antimunichois en 1938, Debû-Bridel passe à la Résistance dès octobre 1940. On le retrouve, avec Claude Morgan, à la direction des Lettres françaises et du Conseil national des écrivains (CNE). Il est membre fondateur du Conseil national de la Résistance (CNR), où il représente la très droitière Fédération républicaine. […]
Sur instigation d’Aragon et des communistes qui donnent le ton au CNE, Debû-Bridel est exclu en février 1946 de la direction dudit CNE. Gaulliste, membre du RPF, il est conseiller municipal de Paris entre 1947 et 1955, et sénateur de la Seine entre 1948 et 1958. Il animera divers regroupements du gaullisme de gauche sous la Ve République : l’Union populaire progressiste, l’Union travailliste, l’UDT. Adversaire du « pompidouisme » après le départ du général, Debû-Bridel constatera avec amertume qu’ « aujourd’hui, il semble que seule une poignée de gaullistes de gauche continue, avec la jeunesse dite gauchiste, révolutionnaire ou maoïste, à dire non ! Non à la toute-puissance du dollar et de la CIA, son chien de garde ; non à l’invasion du Cambodge ; non aussi à la présence des chars soviétique à Prague et à l’impérialisme d’Israël. Il y a là matière à réfléchir. L’héritière légitime du gaullisme, pour peu qu’elle retrouve la patrie, n’est-ce pas la jeunesse contestataire ? Contestataire comme Charles de Gaulle ne cessa de l’être » [Debû-Bridel, De Gaulle contestataire, Paris, Plon, 1970, pp.244-245]. […] Ses sympathies gauchistes et ses ferveurs tiers-mondistes, associés à sa fidélité au Général, sont typiques de certaines fractions du gaullisme de gauche d’après 1968. » (pp.532-534)
« La guerre oppose des gens que tout rapprochait dans les années 1930. Concurremment, elle rapproche des gens que tout opposait, dans ces mêmes années 1930.
Ce gigantesque brassage d’itinéraires est l’une des caractéristiques principales de la période. » (p.591)
« La Résistance, en effet, est un vaste conglomérat de Françaises et de Français de toutes mouvances idéologiques et de toutes formations politiques antérieures. » (p.592)
« La corrélation entre nationalisme et antisémitisme est tout aussi déterminante que la corrélation entre pacifisme et antiracisme. » (p.610)
-Simon Epstein, Un Paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Paris, Éditions Albin Michel, 2000, 623 pages.