« Français et Britanniques ne considèrent pas la question allemande sous le même angle. D’une part, les insulaires s’estiment protégés par la mer ; et, d’autre part, nombreux sont les cercles financiers ou marchands qui désirent qu’on ménage politiquement le quatrième client de l’économie britannique. Bon nombre des conservateurs, enfin, que l’Allemagne -même hitlérienne- est fort utile pour barrer la route au bolchevisme. Neville Chamberlain, devenu Premier ministre après avoir été chancelier de l’Échiquier, synthèse le tout dans ce qu’il appelle une politique d’apaisement : une appréciation réaliste de la conjoncture commande de s’entendre avec l’Allemagne, pour peut qu’elle se montre « raisonnable ». Lors de la remilitarisation de la Rhénanie comme pendant la crise de l’Anschluss, le gouvernement de Sa Majesté a estimé que ni la sécurité de la France ni l’équilibre européen n’étaient véritablement menacés. » (p.12)
« Prague se prévalait d’une double protection : un pacte d’assistance mutuelle franco-tchèque, signé en 1925, et un pacte d’assistance mutuelle franco-tchèque, signé en 1925, et un pacte tchéco-soviétique, conclu en mai 1935, mais dont la mise en application était subordonnée -comme l’avait exigé Paris- à l’exécution par la France de ses propres obligations. En quatre semaines pourtant, Prague se trouvait piégée dans un engrenage imparable. » (p.15)
« Selon toute vraisemblance, Daladier était intimement convaincu que -à tous égards- les Français n’étaient pas prêts à affronter la guerre. » (p.17)
« Il n’était pas certain que la fabrication (même accélérée) des Hurricane et des Spitfire pût compenser la mise à mort d’une alliée qui apportait également en dot trente divisions aguerries et quelque mille avions. Au total, la sentence que Churchill prononça quelques années plus tard garde toute sa valeur : « Le gouvernement avait à choisir entre la honte et la guerre. Il a choisi la honte et il a eu la guerre ». » (pp.17-18)
« Louis Marin, qui ne peut être en rien soupçon de tiédeur, déclarait sans ambiguïté le 1er octobre : « Le 28 septembre un coup de frein était donné aux affreux bellicistes… nous ne pouvons à nos frais offrir au monde une bataille de la Marne tous les vingt ans ». » (p.18)
« [L’Action française] exigeait, le jour de Munich […] des balles « pour Mandel, Blum et Reynaud ». Quelques mois plus tard, en mars 1939, dans Je suis partout, Brasillach écrivait : « Mais le petit matin frais où l’on conduira Blum à Vincennes sera un jour de fête dans les familles françaises et l’on pourra boire du champagne à l’occasion. » (« Pas d’union sacrée avec la canaille », Je suis partout, 24 mars 1939). » (note 1 p.19)
« L’hypothèque Blum levée, Daladier, président en titre du parti radical et ministre de la Guerre sans discontinuer depuis juin 1936, était investi le 12 avril par 575 voix contre 5. Aussi bien la Chambre que le Sénat lui accordaient sans rechigner les pleins pouvoirs financiers. A l’évidence, de part et d’autre, on attendait beaucoup de lui, il lui restait à faire ses choix. […]
Après les premiers succès de la politique déflationniste du premier gouvernement Blum, la conjoncture était morose : des tensions inflationnistes étaient réapparues, aggravées par le protectionnisme et la stagnation relative de la production industrielle. La situation monétaire et financière était encore plus précaire : il fallait en effet compter sur le déficit croissant des finances publiques et l’accroissement de la dette flottante, puisque 50% des dépenses de l’Etat étaient consacrés à solder la guerre de 14-18 et à préparer la nouvelle (un très sérieux effort en matière d’armement avait été consenti depuis septembre 1936) ; une circulation fiduciaire trop élevée comme l’appel répété aux avances de la Banque de France par suite de la dérobade des marchés financier et monétaire n’arrangeaient pas les choses ; sur le marché des changes, le franc dit « élastique » puis « flottant » subissait une dépréciation sensible. » (p.23)
« La CGT comptait, au printemps 1937, plus de 4 millions d’adhérents. […] [Les syndicats] entendaient défendre coûte que coûte les acquis sociaux de 1936. En avril 1938, 130 000 salariés du secteur privé étaient en grève tandis qu’une centaine d’usines étaient occupées dans la seule région parisienne. » (p.24)
« Le tournant politique était accentué par l’arrivée aux Finances, en novembre, de Paul Reynaud. Après avoir vigoureusement combattu le contrôle des changes, il imposait à un gouvernement d’abord réticent une nouvelle stratégie économique mise au point avec l’aide d’un cabinet de jeunes technocrates brillants : pour relancer la machine économique, on devait avant tout compter sur les mécanismes de l’économie libérale, la relance des investissements privés et le rapatriement des capitaux placés à l’étranger depuis 1935. A cette fin, il fallait renoncer à toute nouvelle mesure sociale et lever les entraves « dirigistes » : le contrôle des prix mais aussi les limitations apportées à la liberté d’embauche ou à la durée du travail. Politiquement, enfin, il fallait provoquer un choc psychologique décisif, trancher dans le vif et accepter sans barguigner l’affrontement devenu inéluctable avec le pouvoir syndical.
Les décrets-lois Reynaud libérèrent donc pratiquement tous les prix, instituèrent un « Comité de la hache » pour supprimer des postes budgétaires dans les services publics, et, bien entendu, s’en prirent aux quarante heures. Non que la foi fût abrogée, mais les dérogations furent telles qu’elle en perdrait toute signification ; et la tarification des heures supplémentaires était notablement diminuée. La base combative réagit, provoquant localement des heurts violents, entre autres aux usines Renault. » (p.26)
« Que le régime se portât honorablement, le déclin de l’ultra-droite en témoigne également. Certes, nous l’avons vu, elle demeurait efficace comme groupe de pression pacifiste, mais pour l’heure elle n’était plus capable de menacer sérieusement le régime proprement dit : les comploteurs à la manière de la « Cagoule » étaient dispersés, le parti populaire français qui devait être le « grand parti » fasciste attendu se déchirait de scission en scission, l’Action française périclitait politiquement. Tout aussi significatif est la stagnation électorale du parti social français pourtant soucieux de jouer le jeu parlementaire : Daladier et les radicaux avaient supplanté La Rocque pour bon nombre de ces Français qui avaient naguère basculé dans l’opposition boudeuse ou violente. » (p.30)
« Dès 1939, le parti [socialiste] subissait des revers électoraux cuisants ; en 1940 il n’était plus que l’ombre de lui-même. » (p.31)
« Paris devait vivement réagir aux prétentions émises par Rome le 30 novembre sur Nice, la Savoie, la Corse et la Tunisie. » (p.33)
« C’est sur un navire de guerre que Daladier se rendit en Corse, en Tunisie, en Algérie pour réaffirmer la présence française ; des garanties étaient offertes à la Pologne, la Roumanie, la Grèce ; pour gagner la Turquie, la France cédait au Levant le sandjak d’Alexandrette, un territoire en litige depuis une vingtaine d’années ; Paris, surtout, s’efforçait d’amener Londres à conclure une alliance défensive avec Moscou. En France même, le très germanophile comité France-Allemagne était dissous et le futur ambassadeur Otto Abetz, trop prodigue en fonds « culturels », ne pouvait rejoindre Paris. » (p.34)
« Le 2 septembre [1939], seuls Bergery à la Chambre et Laval au Sénat tentèrent de s’opposer à la guerre. » (p.34)
« Le nombre des déserteurs fut infime. » (note 1 p.35)
« A cause de divergences entre la Home Fleet et l’état-major français, Français et Britanniques furent incapables d’envoyer un ultimatum commun : l’Empire britannique se trouvait en guerre le 3 septembre à 11 heures, l’Empire français à 17 heures. » (p.41)
« En septembre 1939, les deux tiers de l’armée belge gardaient la frontière franco-belge. » (p.41)
« Selon tous les stratèges, le temps travaillait en faveur des Franco-Britanniques : les Anglais pourraient ainsi étoffer leur corps expéditionnaire (ils avaient envoyé seulement deux divisions sur le continent) tandis que le Reich, déjà miné de l’intérieur, capitulerait asphyxié par le blocus et la guerre économique. » (p.42)
« Les Polonais, écrasés sous les coups des Panzerdivisionen et des Stukas, désemparés par l’attaque imprévue et brutale lancée le 17 septembre à l’Est par les Soviétiques, étaient abandonnés à leur triste sort. Varsovie tombait le 28 ; le 12 octobre, le quatrième partage de la Pologne était consommé […] Les corps d’élite de la police secrète du Reich, les Einsatzgruppen, recevaient pour mission de liquider physiquement toute l’intelligentsia et les notables polonais. » (p.42)
« En dépit de son infériorité numérique, la Kriegsmarine avec ses « cuirassés de poche » et ses sous-marins disposés « en meute » tenait la dragée haute à la Home Fleet. » (p.43)
« En octobre 1939 et en février 1940 l’Union soviétique livrait à l’Allemagne des produits stratégiques, métaux rares, pétrole (le dixième des besoins du Reich). » (p.43)
« Les « grands chefs » français à l’inverse des responsables de la Wehrmacht avaient tout prévu sauf une guerre de mouvement (les armées françaises disposaient de trois fois plus de pièces d’artillerie, mais de trois fois moins de canons antichars et de deux fois mois d’avions de combat). » (p.43)
« Les députés communistes votèrent les 70 milliards de crédits extraordinaires.
A compter du 20 septembre, le PCF défendit une tout autre ligne imposée par les dirigeants du Komintern […] il dénonça la « guerre impérialiste », en exigeant la cessation immédiate des hostilités ; parallèlement, les dirigeants du PCF plongeaient dans la clandestinité, tandis que Thorez, le 4 octobre, désertait. » (p.45)
« Dissolution par décret [du PCF] le 27 septembre (après l’invasion de la Pologne par les troupes soviétiques). » (p.46)
« On n’avait pas pu empêcher les prix de déraper. Les salaires, eux, étaient pratiquement bloqués. » (p.48)
« Indice des produits industriels (1938 = 100) : décembre 1939 = 128, avril 1940 = 154. […]
En avril 1939, un OS de la région parisienne gagnait 400 F pour 40 heures de travail ; 420 F (après prélèvement à la source) pout 60 heures de travail en mars 1940. » (note 3 et 4 p.48)
« Le 14 mars, 60 sénateurs manifestaient leur défiance en s’abstenant ; cinq jours plus tard, on dénombrait à la Chambre 300 abstentionnistes ; Daladier choisit alors de se démettre.
Poussé en avant par les « bellicistes », Paul Reynaud, président du Conseil désigné, crut bon pour former le gouvernement d’opérer un savant dosage parlementaire : son Cabinet ne comprenait pas moins de 21 ministres et 14 secrétaires d’Etat […] Certes, il avait fait entrer les socialistes (sans Blum) par la petite porte, éliminé Bonnet, mais le gouvernement manquait d’homogénéité et n’était en aucun cas un cabinet de guerre. […] Il ne dut son investiture acquise d’extrême justesse (268 oui, 156 non, 111 abstentions) qu’à un très bon discours de Blum, à Mandel qui « fit les couloirs » et à Herriot qui laissa traîner le scrutin.
Cette séance avait été consternante, les résultats du vote ambigus à souhait : plus de la moitié des députés de son propre parti -l’Alliance démocratique- avait voté contre Reynaud, sauvé par les voix socialistes. » (p.51)
« 28 mars […] accord au terme duquel les deux alliés [France / Royaume-Uni] « s’engageaient mutuellement à ne négocier ni conclure d’armistice ou de traité de paix durant la présente guerre si ce n’est d’un commun accord ». » (p.52)
« Le torchon brûlait entre le président du Conseil et son ministre de la Défense nationale, qui ne communiquait plus que par missives, et aucun Conseil des ministres ne put se tenir entre le 14 avril et le 9 mai. Ce jour-là, estimant qu’il n’était pas en mesure de mener la guerre à sa guise, et rendant le général Gamelin responsables des échecs en Scandinavie, Reynaud déclarait que ce dernier n’avait plus sa confiance tandis que Daladier couvrait le général en chef : le conflit était ouvert. Reynaud remettait sa démission à Lebrun qui le pressait -savait-on jamais- de la tenir secrète. Il la reprenait le lendemain : la Wehrmacht s’était ébranlée. » (p.53)
« Le beau temps étant revenu, Hitler lançait, le 10 mai, une offensive de grand style. » (p.56)
« Le haut commandement français fut au-dessous de tout. […] Le commandant du front nord-est, le général Georges, était comme frappé d’aboulie. Huntziger, qui commandait la IIe armée, écrivait encore le 14 mai que « l’avance ennemie a[vait] été colmatée ». Ordres et contrordres se succédaient de façon si contradictoires que la 2e division cuirassée appelée enfin en renfort fut incapable d’atteindre en bon ordre le champ de bataille et fut détruite avant d’être engagée.
Le sort de la campagne de France était scellé le 26 mai après qu’eurent échoué les ultimes tentatives de rétablir un front continu. Le haut commandement français avait fini par faire donner les divisions cuirassées, mais trois d’entre elles furent englouties dans la bataille ; si la quatrième, commandée par le colonel de Gaulle, put ébranler le dispositif adverse près de Montcornet, elle ne put empêcher les Allemands d’établir trois têtes de pont sur la Somme et d’atteindre la mer le 20 mai : 45 divisions franco-britanniques étaient prises dans la nasse des Flandres. Le nouveau généralissime, Weygand, rappelé du Levant, tenta bien une ultime manœuvre pour les débloquer ; mais elle échoua par suite d’une série de contretemps, de malentendus, de dissensions entre Français et Britanniques. » (p.57)
« Sur le continent -abandonné par le corps expéditionnaire britannique-, la situation était dramatique. Pour défendre un front de 280 kilomètres, étiré de la basse Somme à la ligne Maginot et adossé à quelques lignes d’eau, Weygand disposait d’une petite cinquantaine de divisions. De surcroît, l’Italie entrait en guerre le 10 juin ; même si, à la grande colère de Mussolini, ses troupes parvenaient seulement à enlever quelques vallées frontalières et la moitié de Menton, du moins fixaient-elles sur place l’armée des Alpes. » (p.58)
« Le 12 juin, Weygand donnait l’ordre de retraite générale. Paris avait été déclarée « ville ouverte » ; les avant-gardes allemandes y pénétraient le 14 ; le maître du Reich, accompagné de Speer […] la parcourait en vainqueur dans le petit matin du 18. » (p.58)
« Le 16 juin au soir, après deux réunions gouvernementales d’une rare violence, Reynaud cédait la place à Pétain.
C’était tout, sauf la France de l’An II. […] Jeannerey, adversaire déterminé de l’armistice, se perdait dans des excès de juridisme ; si, enfin, Reynaud sut porter sur la guerre un diagnostic prémonitoire, sa conduite fut bien moins ferme que sa pensée. Ce n’était pas Churchill. » (p.60-61)
« Si l’on prend en compte les mouvements qui ont affecté partiellement la France méridionale, on peut estimer que, du 15 mai au 20 juin, au moins 6 millions -et plus vraisemblablement 8 millions- de Français et de Françaises ont abandonné leur domicile. […] Une bonne part des innombrables maisons pillées le furent moins par la Wehrmacht que par des Français. » (p.62)
« La Wehrmacht fut moins « korrect » qu’on ne l’affirme : ici et là des otages civils furent massacrés, plusieurs centaines, en mai, à Oignies, une quinzaine, le 14 juin, à Tremblay-lès-Gonesse, etc.). C’est cette grande peur qui leur faisait braver les risques de voir les convois bombardés -comme le fut le dernier train qui tenta de quitter la gare d’Arras -ou les routes régulièrement mitraillées. » (p.63)
« Les 150 habitants de Bousselange prirent la route à l’exception d’une famille qui choisit le suicide collectif. » (p.63)
« Près de Lyon, le 1er régiment d’infanterie coloniale se défendit avec tant d’opiniâtreté que les Allemands fusillèrent les officiers survivants et -le racisme aidant- jetèrent les Sénégalais sous les chenilles de leurs chars. » (p.64)
« La Wehrmacht rafla -avant et après la conclusion de l’armistice- près de 2 millions de prisonniers. » (p.64)
« [A Paris] une quinzaine de personnes s’étaient suicidées de désespoir. » (p.65)
« La Grande-Bretagne établi par Corbin, Jean Monnet et Charles de Gaulle instituant un gouvernement commun, etc. […]
Quoi qu’il en fût, Reynaud ne parvenait pas à fléchir Weygand, qui s’était voué à l’armée, détestait les politiciens et était de surcroît fort réactionnaire. » (p.66)
« La plupart des opposants à l’armistice préféraient s’établir en terre d’Empire, notamment en Afrique du Nord. » (p.68)
« Le général Noguès, commandant en chef en Afrique du Nord : « L’Afrique du Nord tout entière est consternée par la demande d’armistice… car on ne gouverne pas dans le mépris ». Quelques jours plut tôt, Weygand n’avait-il pas déclaré : « L’Empire mais c’est de l’enfantillage », en ajoutant : « Lorsque j’aurai été battu ici, l’Angleterre n’attendra pas huit jours pour négocier avec le Reich ». » (p.68-69)
« L’argument démographique est peu pertinent, puisque les deux armées telles qu’elles se faisaient face étaient numériquement égales. Quant à l’armement, la thèse [de Pétain] ne vaut guère mieux, mais elle a la vie dure. Rappelons que les armées française -contrairement à ce qui est couramment écrit- disposaient de plus de blindés que n’en possédait la Wehrmacht et que certains d’entre eux -les chars B- étaient tout à fait remarquables. C’est dans la guerre aérienne que l’armée allemande conservait un avantage appréciable, grâce à ses bombardiers et à ses avions en piqué, les redoutés Stukas. Mais, globalement, le potentiel militaire s’équilibrait de part et d’autre à ceci près que l’économie de guerre du Reich exigeait une guerre courte. Ajoutons encore que, contrairement à une légende complaisamment entretenue, « dans l’ensemble on se bat et on se bat bien », comme en témoignent les 100 000 soldats tués sur les fronts en moins de cinq semaines. » (p.70)
« Prague se prévalait d’une double protection : un pacte d’assistance mutuelle franco-tchèque, signé en 1925, et un pacte d’assistance mutuelle franco-tchèque, signé en 1925, et un pacte tchéco-soviétique, conclu en mai 1935, mais dont la mise en application était subordonnée -comme l’avait exigé Paris- à l’exécution par la France de ses propres obligations. En quatre semaines pourtant, Prague se trouvait piégée dans un engrenage imparable. » (p.15)
« Selon toute vraisemblance, Daladier était intimement convaincu que -à tous égards- les Français n’étaient pas prêts à affronter la guerre. » (p.17)
« Il n’était pas certain que la fabrication (même accélérée) des Hurricane et des Spitfire pût compenser la mise à mort d’une alliée qui apportait également en dot trente divisions aguerries et quelque mille avions. Au total, la sentence que Churchill prononça quelques années plus tard garde toute sa valeur : « Le gouvernement avait à choisir entre la honte et la guerre. Il a choisi la honte et il a eu la guerre ». » (pp.17-18)
« Louis Marin, qui ne peut être en rien soupçon de tiédeur, déclarait sans ambiguïté le 1er octobre : « Le 28 septembre un coup de frein était donné aux affreux bellicistes… nous ne pouvons à nos frais offrir au monde une bataille de la Marne tous les vingt ans ». » (p.18)
« [L’Action française] exigeait, le jour de Munich […] des balles « pour Mandel, Blum et Reynaud ». Quelques mois plus tard, en mars 1939, dans Je suis partout, Brasillach écrivait : « Mais le petit matin frais où l’on conduira Blum à Vincennes sera un jour de fête dans les familles françaises et l’on pourra boire du champagne à l’occasion. » (« Pas d’union sacrée avec la canaille », Je suis partout, 24 mars 1939). » (note 1 p.19)
« L’hypothèque Blum levée, Daladier, président en titre du parti radical et ministre de la Guerre sans discontinuer depuis juin 1936, était investi le 12 avril par 575 voix contre 5. Aussi bien la Chambre que le Sénat lui accordaient sans rechigner les pleins pouvoirs financiers. A l’évidence, de part et d’autre, on attendait beaucoup de lui, il lui restait à faire ses choix. […]
Après les premiers succès de la politique déflationniste du premier gouvernement Blum, la conjoncture était morose : des tensions inflationnistes étaient réapparues, aggravées par le protectionnisme et la stagnation relative de la production industrielle. La situation monétaire et financière était encore plus précaire : il fallait en effet compter sur le déficit croissant des finances publiques et l’accroissement de la dette flottante, puisque 50% des dépenses de l’Etat étaient consacrés à solder la guerre de 14-18 et à préparer la nouvelle (un très sérieux effort en matière d’armement avait été consenti depuis septembre 1936) ; une circulation fiduciaire trop élevée comme l’appel répété aux avances de la Banque de France par suite de la dérobade des marchés financier et monétaire n’arrangeaient pas les choses ; sur le marché des changes, le franc dit « élastique » puis « flottant » subissait une dépréciation sensible. » (p.23)
« La CGT comptait, au printemps 1937, plus de 4 millions d’adhérents. […] [Les syndicats] entendaient défendre coûte que coûte les acquis sociaux de 1936. En avril 1938, 130 000 salariés du secteur privé étaient en grève tandis qu’une centaine d’usines étaient occupées dans la seule région parisienne. » (p.24)
« Le tournant politique était accentué par l’arrivée aux Finances, en novembre, de Paul Reynaud. Après avoir vigoureusement combattu le contrôle des changes, il imposait à un gouvernement d’abord réticent une nouvelle stratégie économique mise au point avec l’aide d’un cabinet de jeunes technocrates brillants : pour relancer la machine économique, on devait avant tout compter sur les mécanismes de l’économie libérale, la relance des investissements privés et le rapatriement des capitaux placés à l’étranger depuis 1935. A cette fin, il fallait renoncer à toute nouvelle mesure sociale et lever les entraves « dirigistes » : le contrôle des prix mais aussi les limitations apportées à la liberté d’embauche ou à la durée du travail. Politiquement, enfin, il fallait provoquer un choc psychologique décisif, trancher dans le vif et accepter sans barguigner l’affrontement devenu inéluctable avec le pouvoir syndical.
Les décrets-lois Reynaud libérèrent donc pratiquement tous les prix, instituèrent un « Comité de la hache » pour supprimer des postes budgétaires dans les services publics, et, bien entendu, s’en prirent aux quarante heures. Non que la foi fût abrogée, mais les dérogations furent telles qu’elle en perdrait toute signification ; et la tarification des heures supplémentaires était notablement diminuée. La base combative réagit, provoquant localement des heurts violents, entre autres aux usines Renault. » (p.26)
« Que le régime se portât honorablement, le déclin de l’ultra-droite en témoigne également. Certes, nous l’avons vu, elle demeurait efficace comme groupe de pression pacifiste, mais pour l’heure elle n’était plus capable de menacer sérieusement le régime proprement dit : les comploteurs à la manière de la « Cagoule » étaient dispersés, le parti populaire français qui devait être le « grand parti » fasciste attendu se déchirait de scission en scission, l’Action française périclitait politiquement. Tout aussi significatif est la stagnation électorale du parti social français pourtant soucieux de jouer le jeu parlementaire : Daladier et les radicaux avaient supplanté La Rocque pour bon nombre de ces Français qui avaient naguère basculé dans l’opposition boudeuse ou violente. » (p.30)
« Dès 1939, le parti [socialiste] subissait des revers électoraux cuisants ; en 1940 il n’était plus que l’ombre de lui-même. » (p.31)
« Paris devait vivement réagir aux prétentions émises par Rome le 30 novembre sur Nice, la Savoie, la Corse et la Tunisie. » (p.33)
« C’est sur un navire de guerre que Daladier se rendit en Corse, en Tunisie, en Algérie pour réaffirmer la présence française ; des garanties étaient offertes à la Pologne, la Roumanie, la Grèce ; pour gagner la Turquie, la France cédait au Levant le sandjak d’Alexandrette, un territoire en litige depuis une vingtaine d’années ; Paris, surtout, s’efforçait d’amener Londres à conclure une alliance défensive avec Moscou. En France même, le très germanophile comité France-Allemagne était dissous et le futur ambassadeur Otto Abetz, trop prodigue en fonds « culturels », ne pouvait rejoindre Paris. » (p.34)
« Le 2 septembre [1939], seuls Bergery à la Chambre et Laval au Sénat tentèrent de s’opposer à la guerre. » (p.34)
« Le nombre des déserteurs fut infime. » (note 1 p.35)
« A cause de divergences entre la Home Fleet et l’état-major français, Français et Britanniques furent incapables d’envoyer un ultimatum commun : l’Empire britannique se trouvait en guerre le 3 septembre à 11 heures, l’Empire français à 17 heures. » (p.41)
« En septembre 1939, les deux tiers de l’armée belge gardaient la frontière franco-belge. » (p.41)
« Selon tous les stratèges, le temps travaillait en faveur des Franco-Britanniques : les Anglais pourraient ainsi étoffer leur corps expéditionnaire (ils avaient envoyé seulement deux divisions sur le continent) tandis que le Reich, déjà miné de l’intérieur, capitulerait asphyxié par le blocus et la guerre économique. » (p.42)
« Les Polonais, écrasés sous les coups des Panzerdivisionen et des Stukas, désemparés par l’attaque imprévue et brutale lancée le 17 septembre à l’Est par les Soviétiques, étaient abandonnés à leur triste sort. Varsovie tombait le 28 ; le 12 octobre, le quatrième partage de la Pologne était consommé […] Les corps d’élite de la police secrète du Reich, les Einsatzgruppen, recevaient pour mission de liquider physiquement toute l’intelligentsia et les notables polonais. » (p.42)
« En dépit de son infériorité numérique, la Kriegsmarine avec ses « cuirassés de poche » et ses sous-marins disposés « en meute » tenait la dragée haute à la Home Fleet. » (p.43)
« En octobre 1939 et en février 1940 l’Union soviétique livrait à l’Allemagne des produits stratégiques, métaux rares, pétrole (le dixième des besoins du Reich). » (p.43)
« Les « grands chefs » français à l’inverse des responsables de la Wehrmacht avaient tout prévu sauf une guerre de mouvement (les armées françaises disposaient de trois fois plus de pièces d’artillerie, mais de trois fois moins de canons antichars et de deux fois mois d’avions de combat). » (p.43)
« Les députés communistes votèrent les 70 milliards de crédits extraordinaires.
A compter du 20 septembre, le PCF défendit une tout autre ligne imposée par les dirigeants du Komintern […] il dénonça la « guerre impérialiste », en exigeant la cessation immédiate des hostilités ; parallèlement, les dirigeants du PCF plongeaient dans la clandestinité, tandis que Thorez, le 4 octobre, désertait. » (p.45)
« Dissolution par décret [du PCF] le 27 septembre (après l’invasion de la Pologne par les troupes soviétiques). » (p.46)
« On n’avait pas pu empêcher les prix de déraper. Les salaires, eux, étaient pratiquement bloqués. » (p.48)
« Indice des produits industriels (1938 = 100) : décembre 1939 = 128, avril 1940 = 154. […]
En avril 1939, un OS de la région parisienne gagnait 400 F pour 40 heures de travail ; 420 F (après prélèvement à la source) pout 60 heures de travail en mars 1940. » (note 3 et 4 p.48)
« Le 14 mars, 60 sénateurs manifestaient leur défiance en s’abstenant ; cinq jours plus tard, on dénombrait à la Chambre 300 abstentionnistes ; Daladier choisit alors de se démettre.
Poussé en avant par les « bellicistes », Paul Reynaud, président du Conseil désigné, crut bon pour former le gouvernement d’opérer un savant dosage parlementaire : son Cabinet ne comprenait pas moins de 21 ministres et 14 secrétaires d’Etat […] Certes, il avait fait entrer les socialistes (sans Blum) par la petite porte, éliminé Bonnet, mais le gouvernement manquait d’homogénéité et n’était en aucun cas un cabinet de guerre. […] Il ne dut son investiture acquise d’extrême justesse (268 oui, 156 non, 111 abstentions) qu’à un très bon discours de Blum, à Mandel qui « fit les couloirs » et à Herriot qui laissa traîner le scrutin.
Cette séance avait été consternante, les résultats du vote ambigus à souhait : plus de la moitié des députés de son propre parti -l’Alliance démocratique- avait voté contre Reynaud, sauvé par les voix socialistes. » (p.51)
« 28 mars […] accord au terme duquel les deux alliés [France / Royaume-Uni] « s’engageaient mutuellement à ne négocier ni conclure d’armistice ou de traité de paix durant la présente guerre si ce n’est d’un commun accord ». » (p.52)
« Le torchon brûlait entre le président du Conseil et son ministre de la Défense nationale, qui ne communiquait plus que par missives, et aucun Conseil des ministres ne put se tenir entre le 14 avril et le 9 mai. Ce jour-là, estimant qu’il n’était pas en mesure de mener la guerre à sa guise, et rendant le général Gamelin responsables des échecs en Scandinavie, Reynaud déclarait que ce dernier n’avait plus sa confiance tandis que Daladier couvrait le général en chef : le conflit était ouvert. Reynaud remettait sa démission à Lebrun qui le pressait -savait-on jamais- de la tenir secrète. Il la reprenait le lendemain : la Wehrmacht s’était ébranlée. » (p.53)
« Le beau temps étant revenu, Hitler lançait, le 10 mai, une offensive de grand style. » (p.56)
« Le haut commandement français fut au-dessous de tout. […] Le commandant du front nord-est, le général Georges, était comme frappé d’aboulie. Huntziger, qui commandait la IIe armée, écrivait encore le 14 mai que « l’avance ennemie a[vait] été colmatée ». Ordres et contrordres se succédaient de façon si contradictoires que la 2e division cuirassée appelée enfin en renfort fut incapable d’atteindre en bon ordre le champ de bataille et fut détruite avant d’être engagée.
Le sort de la campagne de France était scellé le 26 mai après qu’eurent échoué les ultimes tentatives de rétablir un front continu. Le haut commandement français avait fini par faire donner les divisions cuirassées, mais trois d’entre elles furent englouties dans la bataille ; si la quatrième, commandée par le colonel de Gaulle, put ébranler le dispositif adverse près de Montcornet, elle ne put empêcher les Allemands d’établir trois têtes de pont sur la Somme et d’atteindre la mer le 20 mai : 45 divisions franco-britanniques étaient prises dans la nasse des Flandres. Le nouveau généralissime, Weygand, rappelé du Levant, tenta bien une ultime manœuvre pour les débloquer ; mais elle échoua par suite d’une série de contretemps, de malentendus, de dissensions entre Français et Britanniques. » (p.57)
« Sur le continent -abandonné par le corps expéditionnaire britannique-, la situation était dramatique. Pour défendre un front de 280 kilomètres, étiré de la basse Somme à la ligne Maginot et adossé à quelques lignes d’eau, Weygand disposait d’une petite cinquantaine de divisions. De surcroît, l’Italie entrait en guerre le 10 juin ; même si, à la grande colère de Mussolini, ses troupes parvenaient seulement à enlever quelques vallées frontalières et la moitié de Menton, du moins fixaient-elles sur place l’armée des Alpes. » (p.58)
« Le 12 juin, Weygand donnait l’ordre de retraite générale. Paris avait été déclarée « ville ouverte » ; les avant-gardes allemandes y pénétraient le 14 ; le maître du Reich, accompagné de Speer […] la parcourait en vainqueur dans le petit matin du 18. » (p.58)
« Le 16 juin au soir, après deux réunions gouvernementales d’une rare violence, Reynaud cédait la place à Pétain.
C’était tout, sauf la France de l’An II. […] Jeannerey, adversaire déterminé de l’armistice, se perdait dans des excès de juridisme ; si, enfin, Reynaud sut porter sur la guerre un diagnostic prémonitoire, sa conduite fut bien moins ferme que sa pensée. Ce n’était pas Churchill. » (p.60-61)
« Si l’on prend en compte les mouvements qui ont affecté partiellement la France méridionale, on peut estimer que, du 15 mai au 20 juin, au moins 6 millions -et plus vraisemblablement 8 millions- de Français et de Françaises ont abandonné leur domicile. […] Une bonne part des innombrables maisons pillées le furent moins par la Wehrmacht que par des Français. » (p.62)
« La Wehrmacht fut moins « korrect » qu’on ne l’affirme : ici et là des otages civils furent massacrés, plusieurs centaines, en mai, à Oignies, une quinzaine, le 14 juin, à Tremblay-lès-Gonesse, etc.). C’est cette grande peur qui leur faisait braver les risques de voir les convois bombardés -comme le fut le dernier train qui tenta de quitter la gare d’Arras -ou les routes régulièrement mitraillées. » (p.63)
« Les 150 habitants de Bousselange prirent la route à l’exception d’une famille qui choisit le suicide collectif. » (p.63)
« Près de Lyon, le 1er régiment d’infanterie coloniale se défendit avec tant d’opiniâtreté que les Allemands fusillèrent les officiers survivants et -le racisme aidant- jetèrent les Sénégalais sous les chenilles de leurs chars. » (p.64)
« La Wehrmacht rafla -avant et après la conclusion de l’armistice- près de 2 millions de prisonniers. » (p.64)
« [A Paris] une quinzaine de personnes s’étaient suicidées de désespoir. » (p.65)
« La Grande-Bretagne établi par Corbin, Jean Monnet et Charles de Gaulle instituant un gouvernement commun, etc. […]
Quoi qu’il en fût, Reynaud ne parvenait pas à fléchir Weygand, qui s’était voué à l’armée, détestait les politiciens et était de surcroît fort réactionnaire. » (p.66)
« La plupart des opposants à l’armistice préféraient s’établir en terre d’Empire, notamment en Afrique du Nord. » (p.68)
« Le général Noguès, commandant en chef en Afrique du Nord : « L’Afrique du Nord tout entière est consternée par la demande d’armistice… car on ne gouverne pas dans le mépris ». Quelques jours plut tôt, Weygand n’avait-il pas déclaré : « L’Empire mais c’est de l’enfantillage », en ajoutant : « Lorsque j’aurai été battu ici, l’Angleterre n’attendra pas huit jours pour négocier avec le Reich ». » (p.68-69)
« L’argument démographique est peu pertinent, puisque les deux armées telles qu’elles se faisaient face étaient numériquement égales. Quant à l’armement, la thèse [de Pétain] ne vaut guère mieux, mais elle a la vie dure. Rappelons que les armées française -contrairement à ce qui est couramment écrit- disposaient de plus de blindés que n’en possédait la Wehrmacht et que certains d’entre eux -les chars B- étaient tout à fait remarquables. C’est dans la guerre aérienne que l’armée allemande conservait un avantage appréciable, grâce à ses bombardiers et à ses avions en piqué, les redoutés Stukas. Mais, globalement, le potentiel militaire s’équilibrait de part et d’autre à ceci près que l’économie de guerre du Reich exigeait une guerre courte. Ajoutons encore que, contrairement à une légende complaisamment entretenue, « dans l’ensemble on se bat et on se bat bien », comme en témoignent les 100 000 soldats tués sur les fronts en moins de cinq semaines. » (p.70)