https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Mongin
https://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ANNA&ID_NUMPUBLIE=ANNA_631&ID_ARTICLE=ANNA_631_0039#
"Clausewitz consacre à Waterloo et à ses préparatifs une monographie entière, La campagne de 1815 en France, que les admirateurs de son traité De la guerre ont bien à tort négligée. On y découvre qu’il précède M. Weber dans l’usage et pour ainsi dire dans l’énoncé du principe de rationalité instrumentale (dénommé simplement « principe de rationalité » par la suite). En revanche, les concepts de fins et de moyens qui, dans le traité, animent les célèbres définitions de la guerre se rattachent à une téléologie abstraite, détachée des individus agissants, qui n’est pas celle de M. Weber et de ses successeurs. La monographie a ceci de remarquable que, tout en se conformant au principe de rationalité, elle en dépasse le niveau de généralité ordinaire pour annoncer – et même amorcer – des modèles dans l’acception technique retenue ici. De telles anticipations paraissent d’autant plus instructives qu’à la différence du traité, La campagne de 1815 en France relève sans doute possible de la discipline historique. L’ouvrage suit les lois communes du récit militaire tout en les aménageant. Parce qu’il fait alterner la narration traditionnelle et des raisonnements qui préfigurent les formalisations contemporaines, Clausewitz nous est apparu comme un ancêtre ignoré du genre du « récit analytique »."
"La seconde partie change de registre en proposant un modèle formalisé de la décision, cruciale entre toutes, que Napoléon prit le 17 juin 1815, au lendemain de la victoire qu’il venait de remporter sur Blücher à Ligny. Ce jour-là, il choisit de lancer un bon tiers de ses forces, dirigé par Grouchy, contre les Prussiens qui faisaient retraite. Tous les interprètes s’accordent à considérer que la division de l’armée française a compté pour beaucoup dans la victoire que Wellington remporta le 18 juin au Mont-Saint-Jean. Grouchy passa la journée fatidique à Wavre, leurré par l’arrière-garde de Blücher, dont l’avant-garde marchait vers le Mont-Saint-Jean où s’opéra la jonction avec Wellington. La plus grande question que soulève la campagne est de savoir si Napoléon pouvait faire un meilleur usage du détachement de Grouchy. Le modèle qui nous permettra d’y répondre aura la forme simple d’un jeu à somme nulle entre Napoléon et Blücher. Malgré l’absence de Grouchy comme joueur autonome, il aide à préciser les hypothèses concurrentes, celle, défavorable, de Clausewitz et celle de l’autre école, qui est en continuité relative avec le Mémorial. Nous prendrons finalement parti pour la seconde contre la première."
-Philippe Mongin, « Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 63, 2008, p. 39-69.
https://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ANNA&ID_NUMPUBLIE=ANNA_631&ID_ARTICLE=ANNA_631_0039#
"Clausewitz consacre à Waterloo et à ses préparatifs une monographie entière, La campagne de 1815 en France, que les admirateurs de son traité De la guerre ont bien à tort négligée. On y découvre qu’il précède M. Weber dans l’usage et pour ainsi dire dans l’énoncé du principe de rationalité instrumentale (dénommé simplement « principe de rationalité » par la suite). En revanche, les concepts de fins et de moyens qui, dans le traité, animent les célèbres définitions de la guerre se rattachent à une téléologie abstraite, détachée des individus agissants, qui n’est pas celle de M. Weber et de ses successeurs. La monographie a ceci de remarquable que, tout en se conformant au principe de rationalité, elle en dépasse le niveau de généralité ordinaire pour annoncer – et même amorcer – des modèles dans l’acception technique retenue ici. De telles anticipations paraissent d’autant plus instructives qu’à la différence du traité, La campagne de 1815 en France relève sans doute possible de la discipline historique. L’ouvrage suit les lois communes du récit militaire tout en les aménageant. Parce qu’il fait alterner la narration traditionnelle et des raisonnements qui préfigurent les formalisations contemporaines, Clausewitz nous est apparu comme un ancêtre ignoré du genre du « récit analytique »."
"La seconde partie change de registre en proposant un modèle formalisé de la décision, cruciale entre toutes, que Napoléon prit le 17 juin 1815, au lendemain de la victoire qu’il venait de remporter sur Blücher à Ligny. Ce jour-là, il choisit de lancer un bon tiers de ses forces, dirigé par Grouchy, contre les Prussiens qui faisaient retraite. Tous les interprètes s’accordent à considérer que la division de l’armée française a compté pour beaucoup dans la victoire que Wellington remporta le 18 juin au Mont-Saint-Jean. Grouchy passa la journée fatidique à Wavre, leurré par l’arrière-garde de Blücher, dont l’avant-garde marchait vers le Mont-Saint-Jean où s’opéra la jonction avec Wellington. La plus grande question que soulève la campagne est de savoir si Napoléon pouvait faire un meilleur usage du détachement de Grouchy. Le modèle qui nous permettra d’y répondre aura la forme simple d’un jeu à somme nulle entre Napoléon et Blücher. Malgré l’absence de Grouchy comme joueur autonome, il aide à préciser les hypothèses concurrentes, celle, défavorable, de Clausewitz et celle de l’autre école, qui est en continuité relative avec le Mémorial. Nous prendrons finalement parti pour la seconde contre la première."
-Philippe Mongin, « Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 63, 2008, p. 39-69.