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    Chloé Maurel, La World/Global History - Questions et débats

    Johnathan R. Razorback
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    Chloé Maurel, La World/Global History - Questions et débats Empty Chloé Maurel, La World/Global History - Questions et débats

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 4 Mai - 14:36

    https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-4-page-153.htm

    "Depuis une trentaine d’années, le courant de la world history ou global history, apparu initialement aux États-Unis, a connu un développement intense et a suscité un fort engouement dans le monde anglo-saxon. Paradoxalement, en France, ce courant a longtemps inspiré la méfiance et les réticences de la communauté historienne, avant de susciter récemment un nombre croissant de recherches."

    "En 1963, l’historien canadien William McNeill publie un ouvrage précurseur intitulé The Rise of the West : A History of the Human Community. Le titre, L’Expansion de l’Occident, est une allusion inversée au titre de l’ouvrage du philosophe et historien allemand Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, publié en 1918 . Alors que ce dernier avait développé l’idée de civilisations étanches, entités cloisonnées et indépendantes connaissant chacune un cycle d’ascension puis de déclin, McNeill au contraire souligne les effets réciproques des différentes civilisations les unes sur les autres et met l’accent sur les fusions entre cultures. L’« expansion de l’Occident » qu’analyse McNeill au fil des siècles est décrite comme une expansion territoriale continue, liée à l’industrialisation, et qui se traduit par une influence croissante de la civilisation européenne sur les autres civilisations et sur le monde entier. Succès de librairie, cet ouvrage a joué un rôle certain dans l’émergence du courant de l’histoire mondiale.

    Outre William McNeill, un autre pionnier de l’histoire mondiale/globale est l’intellectuel d’origine allemande Andre Gunder Frank. À la fois historien, économiste, sociologue, anthropologue, géographe, spécialiste des relations internationales et des sciences politiques, il incarne bien, par son profil interdisciplinaire, l’aspiration totalisante de ce courant. Il a été l’un des principaux représentants dans les années 1970 de la « théorie de la dépendance » qui a analysé les rapports de domination dans le monde selon un modèle centre-périphérie et a développé l’idée que les périphéries exploitées (comme l’Afrique ou l’Amérique latine) sont entretenues dans le cercle vicieux du sous-développement par les nations du centre.

    Sous l’influence conjuguée de ces chercheurs et d’autres, comme Patrick Manning, l’histoire mondiale (world history) a commencé réellement à se développer dans les années 1980 aux États-Unis. Patrick Manning, auteur d’une thèse de doctorat sur l’histoire économique du Dahomey du Sud, réalisée à l’Université du Wisconsin en 1969, a contribué à la mise en place dans cette université, dès les années 1980, d’un programme pionnier d’histoire mondiale, dans la lignée des travaux de son prédécesseur Melville Herskovits. Poursuivant ses recherches sur l’Afrique, il les a inscrites dans une perspective d’histoire mondiale/globale, entreprenant en particulier une histoire « globale » du commerce des esclaves [cf: Patrick Manning Slavery and African Life : Occidental, Oriental and African Slave Trades, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Patrick Manning, Slave Trades, 1500-1800 : Globalization of Forced Labor, Aldershot, Variorum, 1996.]."

    "Le fort engouement rencontré par l’histoire mondiale dès le début des années 1980 a conduit à sa rapide institutionnalisation : en 1982 a été fondée la World History Association, plusieurs revues spécifiques ont été créées, comme le Journal of World History, publié depuis 1990 par l’Université de Hawaï, en tant qu’organe officiel de la World History Association. Internet a joué un rôle moteur, permettant aux historiens s’intéressant à l’histoire mondiale de s’organiser en réseaux et de communiquer de manière dynamique grâce à des sites comme H-World ou des revues en ligne comme World History Connected, tous deux lancés en 1994.

    Plusieurs universités américaines ont alors mis en place des cursus de world history, d’abord en premier cycle, et ont créé des centres de recherche sur l’histoire mondiale/globale. En 1994, sous l’impulsion de Patrick Manning, ont été créés à la Northeastern University un World History Center ainsi qu’un programme doctoral d’histoire mondiale. Plusieurs autres universités américaines ont mis sur pied à leur tour des programmes ou centres de recherches en histoire mondiale, comme la State University of New York qui a créé en 2003 un Center for Global History."

    "Fait significatif, l’American Historical Association, pour sa 123e réunion annuelle en janvier 2009, a choisi le thème « Doing Transnational History », dans lequel une large place est accordée à l’histoire mondiale/globale."

    "Se rapprochant du modèle des « histoires universelles », l’histoire mondiale/globale a donné lieu à de grandes tentatives de synthèse englobant des siècles entiers, voire des millénaires, à l’image de l’Encyclopedia of World History publiée à Boston en 2001, travail collectif réalisé par une trentaine d’historiens, s’étendant de l’époque préhistorique aux années 2000."

    "Si le terme de world history a dominé dans les débuts, cette appellation s’est vue peu à peu concurrencée par celle, proche mais distincte, de global history. Ainsi, en 1989, l’historien Bruce Mazlish a réuni un petit groupe d’universitaires autour du projet d’une New Global History Initiative (NGH). De cette entreprise est né l’ouvrage Conceptualizing Global History, paru en 1993, qui se veut un manifeste en faveur de la global history, par opposition à la world history . Mazlish définit l’objectif de la global history comme l’analyse la naissance et l’évolution du phénomène de « globalization ». D’où, en français, une ambiguïté de traduction de l’expression global history, puisque l’adjectif anglais « global » se traduit traditionnellement en français par « mondial », et « globalization » par « mondialisation ».

    Pour Bruce Mazlish, l’histoire globale serait la meilleure manière d’étudier le monde de plus en plus interdépendant et interconnecté qui est le nôtre depuis quelques décennies, et d’analyser la société « globalisée » qui en découle. Pour lui, l’histoire globale devrait même devenir une nouvelle période de l’histoire, après l’histoire moderne et l’histoire contemporaine. Elle se centrerait sur l’histoire de la mondialisation économique, technologique, culturelle, etc., et des processus qui y sont liés, comme l’émergence d’une société de consommation planétaire, l’exploration de l’espace, la menace nucléaire, les risques technologiques, les problèmes environnementaux Selon lui, ces phénomènes, qui ont comme caractéristique de transcender les frontières des États, peuvent être beaucoup mieux étudiés d’un point de vue global que d’un point de vue national, régional, ou local."

    "Sa richesse et sa spécificité résident notamment dans la volonté de mener des analyses à plusieurs niveaux, de déplacer les perspectives, de combiner différentes échelles, des plus grandes aux plus petites. Par le va-et-vient incessant entre différents niveaux d’échelles (temporelles comme spatiales), l’histoire globale vise à repérer des analogies, des parallélismes, identifier des connexions, que l’on n’aurait pas pu déceler avec l’histoire traditionnelle, plus cloisonnée et statique."

    "Par rapport à l’histoire mondiale, qui peut en un certain sens apparaître comme une juxtaposition d’histoires nationales, en une accumulation d’histoires séparées, l’histoire globale se démarque par une attention encore plus grande portée aux liens, aux comparaisons."

    "Arjun Appadurai, s’opposant à la thèse culturaliste de Samuel Huntington, a mis en évidence et analysé le phénomène de « l’indigénisation du cricket » en Inde pour illustrer les mécanismes d’emprunt et de réinvention d’une culture sur une autre. Le cricket, sport introduit en Inde, par les colonisateurs britanniques, porteur des valeurs traditionnelles et élitistes de l’Angleterre coloniale, a connu un processus d’adaptation dans le cadre de l’affirmation de la culture nationale indienne : repris par les élites indiennes, il est devenu un sport authentiquement indien, très populaire en Inde et fortement associé au nationalisme indien. L’exemple du cricket illustre donc le processus d’appropriation de valeurs exogènes pour en faire des valeurs indiennes et l’indigénisation d’une pratique culturelle. L’histoire mondiale/globale présente bien des points communs avec les postcolonial studies et les subaltern studies, par son effort pour décentrer la perspective et par son intention de se démarquer de l’ethnocentrisme occidental qui imprégnait jusque-là de nombreux travaux historiques."

    "L’approche « globale » a donné lieu à de nombreuses études sur différents objets transnationaux, comme les maladies :
    William McNeill, Plagues and Peoples, New York, Anchor, 1976, 1998 ; Alfred Crosby, America’s Forgotten Pandemic : The Influenza of 1918, Cambridge, Cambridge University Press 1989, 2003 (initialement publié sous le titre Epidemic and Peace, 1918, Westport, Greenwood Press, 1976) ; Kenneth Pomeranz et Steven Topik, op. cit. ; Vaclav Smil, Energy in World History : Global Perspectives and Uncertainties, Cambridge, MIT Press, 2003 ; William McNeill, Keeping Together in Time : Dance and Drill in the Human History, Cambridge, Harvard University Press, 1995 ; Johan Goudsblom, Fire and Civilization, Londres, Penguin Press, 1992 ; Raymond Grew, Food in Global History, Boulder, Westview Press, 1999 ; Wang Gungwu (dir.), Global History and Migrations, Boulder, Westview Press, 1996.

    "L’approche est réellement originale, car ces objets n’avaient jamais été pris comme véritable centre d’une recherche."

    Le thème des origines de la mondialisation économique tient une place importante dans les travaux d’histoire mondiale/globale, qui se sont souvent attachés à déterminer la localisation du centre d’impulsion de l’économie mondiale à partir du 16e siècle : est-ce d’Asie orientale ou bien d’Europe occidentale qu’est venue l’impulsion ? Comment peu à peu les grandes régions du monde sont-elles devenues de plus en plus interdépendantes sur le plan économique, s’organisant en un système de plus en plus global de production et d’échange ?"

    "L’histoire globale serait ainsi en phase avec la nouvelle génération des années 2000, celle d’Internet et de la mondialisation."

    "on peut pointer le manque de rigueur de plusieurs des grands essais totalisants auxquels a donné lieu ce courant et remettre en question la validité d’interprétations des grands phénomènes historiques, politiques, et sociaux reposant exclusivement sur des explications d’ordre biologiques et environnementales."

    "Les chercheurs des global new global histories ne rejettent d’ailleurs pas la filiation avec des historiens antérieurs, et se revendiquent au contraire de l’héritage d’Arnold Toynbee."

    "En Europe, et particulièrement en France, la world/global history a d’abord été reçue avec réticence, voire suspicion. Cependant, depuis quelques années ce courant est davantage pris en compte par la communauté historienne et suscite un intérêt croissant, comme en témoigne le numéro spécial consacré à ce thème de la Revue d’histoire moderne et contemporaine coordonné par Caroline Douki et Philippe Minard (2007), ou l’ouvrage collectif The Palgrave Dictionary of Transnational History, vaste entreprise interdisciplinaire d’histoire transnationale, réalisée conjointement par des Américains et des Européens. Des synthèses sont également parues récemment à l’intention du grand public  [Laurent Testot, Histoire globale, un nouveau regard sur le monde, Paris, Sciences humaines, 2008.]. Ces dernières années, plusieurs chercheurs français ont réalisé des études se rattachant au courant de l’histoire globale, tel Olivier Pétré-Grenouilleau avec son enquête sur les traites négrières, qui se revendique comme un « essai d’histoire globale". ».

    "En « démontrant » l’ancienneté et l’inéluctabilité de la mondialisation, la world/global history ne vise-t-elle pas à battre en brèche les critiques d’altermondialistes au sujet de ce processus ?"

    "Il apparaît ainsi légitime de se demander si le courant de l’histoire mondiale/globale ne constitue pas une nouvelle arme du soft power états-unien."
    -Chloé Maurel, « La World/Global History. Questions et débats », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2009/4 (n° 104), p. 153-166. DOI : 10.3917/ving.104.0153. URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-4-page-153.htm

    Peter Gran, Beyond Eurocentrism : A New View of Modern World History, Syracuse, Syracuse University Press, 1996.






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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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