http://books.google.fr/books?id=-gYZ2Ouj5LwC&pg=PT159&lpg=PT159&dq=mat%C3%A9rialisme+vitaliste&source=bl&ots=BQ6HuBu9Q9&sig=Gro_1BeuQPrFRyOuK0eVOrhAQEo&hl=fr&sa=X&ei=cwQoVIzgH8LOaJWyglg&ved=0CEMQ6AEwBzgK#v=onepage&q=mat%C3%A9rialisme%20vitaliste&f=false
"Il ne s'agit pas d'énoncer une nouvelle morale (que peut-on ajouter à Socrate, aux stoïciens ou à Spinoza) ?" (p.9)
"Si Dieu n'existe pas, la responsabilité morale nous incombe intégralement. Pas de justice ni de miséricorde divine dans l'au-delà. Trouver nos propres limites, c'est notre affaire. Déterminer ce que nous devons nous interdire, cela nous concerne et la réponse est dans l'usage de notre jugement et nulle part ailleurs. Autrement dit, on pourrait renverser la proposition commune sur l'amoralisme de notre époque désenchantée. C'est parce que la religion a déserté les esprits et les pratiques sociales que nous avons besoin de morale, et c'est parce que nous pouvons entrer dans l'âge de la majorité -pour parler comme Kant dans Qu'est-ce que les Lumières ?- que la morale, une morale autonome, humaine, rien qu'humaine, est véritablement possible." (p.18)
"On peut réserver le terme d'éthique à un ensemble de prescriptions et de valeurs auxquelles nous décidons de nous conformer subjectivement, sans que nous puissions nécessairement exiger ces prescriptions." (p.19)
"Les doctrines éthiques [...] sont étroitement dépendantes d'une métaphysique sous-jacente. L'éthique aristotélicienne renvoie à la conception aristotélicienne de la nature et au finalisme qui la guide. [...] L'éthique de Spinoza est démontrée "more geometrico" à partir de la définition de la substance, des attributs et des modes qui constituent le point de départ de tous les raisonnements. Or si nous avons les moyens de trancher entre des théories scientifiques concurrentes, nous n'avons aucun moyen de le faire entre les doctrines métaphysiques rivales. [...] Il y a toujours dans cette prise de parti un aspect irréductiblement subjectif." (p.21)
"Si le droit n'est que la règle de coexistence de la liberté des individus, il est nécessaire et non suffisant pour qu'une société relativement stable puisse exister. Il doit y avoir une moralité commune, une "Sittlichkeit" pour parler le langage de Hegel qui unit les citoyens par-delà le simple formalisme de la légalité. Ce point est crucial. Politiquement, il sépare les républicanistes des libéraux ; moralement, les tenants d'une conception substantielle du bien commun de ceux d'une "morale minimale"." (p.24)
"Certains stoïciens grecs feront même de ce droit naturel une arme critique contre les institutions sociales existantes, ainsi de la dénonciation de l'esclavage." (p.31)
"[Spencer] reprend l'idée -anti-darwinienne, si l'on veut prendre la peine de lire Darwin- d'un sens de l'évolution où "plus évolué" est synonyme de "supérieur"." (p.36)
"Il n'y a aucune raison de passer des faits aux valeurs." (p.36)
"Il y a beaucoup d'ambiguïtés dans la révolte d'Antigone contre Créon." (p.39)
"Si l'on abandonne la fondation religieuse, si la nature (plus ou moins divinisée) est bien muette et si l'on veut éviter de commettre ce pêché contre la logique qu'est la sophisme naturaliste, nous pourrions, à l'instar d'un philosophe comme Yvon Quiniou, nous mettre en quête d'un fondement matérialiste de la morale en distinguant ici le matérialisme du naturalisme." (p.40)
"La métaphysique aristotélicienne semble matérialiste: la matière sous-jacente à toute réalité naturelle est éternelle et incréée. Pourtant, une matière sans forme n'existe." (p.42)
"On ne peut pas trouver de fondements matérialistes de la morale si l'on s'en tient au sens habituel du mot matérialisme. Cependant on peut trouver un fondement social ("matériel" en un sens particulier) des formes de la moralité, qui s'inscrirait dans une théorie plus générale de la génèse sociale historique des formes de la pensée, ce qui est le sens raisonnable que l'on peut donner au "matérialisme historique"." (p.48)
"En Grèce comme en Chine, entre le VIe et le IIIe [siècle] on est passé d'une morale valorisant les vertus des sociétés de guerriers (le courage vient au premier rang) à une morale qui valorise la paix et la justice (Confucius et Aristote). On pourrait aisément montrer que l'émergence de ces valeurs est liée à des transformations sociales profondes." (pp.48-49)
"La politique ne peut pas être toujours morale, du moins à l'aune [...] [de ce que chacun doit] suivre dans ses rapports avec les particuliers. Les individus doivent s'abstenir de toute violence les uns envers les autres, alors que l'Etat est l' "entreprise qui détient le monopole de la violence légitime sur un territoire donné", selon la définition de Max Weber. La dissimulation et le mensonge sont considérés comme des vices, mais comment un Etat peut-il assurer la défense de la nation sans mentir et en ne dissimulant rien ?" (p.59)
"Machiavel se contente de dire ce qui est, c'est-à-dire quelles sont "les ruses des tyrans", mais il ne prescrit nullement à l'homme politique de devenir un tyran ! Ce qui doit guider le politique, en toutes circonstances, c'est le bien commun et non la recherche de ses propres avantages." (p.59)
"[De Gaulle] sut mettre en oeuvre pour conquérir et garder le pouvoir tous les préceptes que l'on peut lire dans Le Prince..." (p.60)
"[L']égoïsme rationnel [de Ayn Rand] est [...] délirant. [...] L'individu en dehors du groupe, cela n'existe tout simplement pas." (p.64)
"L'éthique minimale d'Ogien pourrait rappeler la vertu de l'égoïsme d'Ayn Rand, mais elle s'en sépare clairement en ce qu'elle ne s'occupe pas de la réalisation de l'individu. Pour Rand, l'individu a tout de même des devoirs envers lui-même: c'est le côté héroïque de la vertu de l'égoïsme. Pour Ogien, au contraire, il n'est pas question de devoir envers soi-même. Chacun est libre de sa propre vie et il fait ce qu'il veut de son propre corps et de sa personne [sous réserve ne pas nuire à autrui]." (p.67)
"Quel est le champ d'application du principe "ne pas nuire" ? Ne pas nuire, c'est ne pas faire de mal, mais si je vois un homme en train de se noyer et que je ne lui porte pas secours au motif que je n'ai pas d'obligation positive envers lui, ne suis-je pas en réalité en train de lui nuire ?" (p.69)
"[Objections à l'éthique minimale]
La notion de consentement est extrêmement douteuse. Michela Marzano a montré comment le consentement pouvait servir d'alibi aux pires formes de domination. Les méthodes pour extorquer le consentement sont si nombreuses qu'il est impossible d'être exhaustif. La contrainte est évidemment le cas le plus simple qui enlève toute validité au consentement [il s'agit au sens strict d'obéissance] obtenu dans ces conditions. [Mais] La nécessité est également un puissant levier pour obtenir le consentement. Pendant que le bandit crie: "la bourse ou la vie", le patron demande à "son" ouvrier: "travaille à mes conditions, sinon tu n'aurais rien et tu mourras de faim". Ce n'est pas la même chose... mais ça y ressemble. Marx critique sévèrement cette fable du consentement contractualisant le rapport salarial. [...]
De la même manière, le consentement des "mères porteuses" dans le cas de la GPA n'est qu'une très mauvaise farce. Les "usines à bébés", qui ont commencé à se développer dans certains pays comme l'Inde, sont des endroits où les femmes sont asservies par les couples aisés qui ont recours à elles. [...]
Le consentement peut aussi être fabriqué par l'éducation inculquée par le groupe. Le consentement au voile islamique est de ce genre: "le voile, c'est mon choix !". D'une part, c'est très souvent non un choix, mais quelque chose qui est imposé par la "communauté": celles qui refusent de porter cet accoutrement sont vites traitées de mauvaises musulmanes, de filles de mauvaises vie, de "putes". [...] Mais même sans pression directe, le "choix du voile" renvoie tout simplement à l'éducation. Chaque enfant ne peut se construire qu'avec des identifications et si l'identification que l'on propose aux filles est celle de la femme voilée, porter le voile apparaît alors comme un accomplissement nécessaire, comme le produit d'une volonté vraiment libre." (pp.74-75)
"Ces morales minimales sont psychologiquement erronées. Nous n'avons pas seulement besoin des autres parce qu'ils nous sont utiles [...] Nous avons besoin des autres pour eux-mêmes, tout simplement parce que nous ne pouvons véritablement vivre qu'en compagnie des autres humains, qu'en nouant avec eux les liens de l'amitié. [...]
Elles ont un arrière-plan social et idéologiques, découlant du triomphe sans opposition de l'économie de marché, qui leur donne toute leur force et leur pouvoir de séduction, et leurs catégories ne sont qu'une expression d'un certain type de rapports sociaux, ceux que tissent les individus placés sous la domination du mode de production capitaliste." (p.78)
"Donner, accepter les bienfaits, rendre les bienfaits. Aucune société ne peut exister sans cette éthique-là." (p.83)
"Pourquoi ne puis-je pas faire passer mon propre bonheur avant le bonheur commun ? Aucun calcul ne peut m'en convaincre." (p.91)
"L'utilitarisme n'est qu'une illusion de morale." (p.92)
"Il n'est guère à propos de "moraliser" et de prôner on ne sait quel retour à la retenue qui tournerait certainement bien vite à l' "ordre moral" au sens de Mac Mahon." (p.93)
"Le plaisir n'est pas la joie. Cette dernière est synonyme de vie [...] Il y a dans la recherche à tout prix du plaisir quelque chose de la douce fascination de la mort. Alors que la joie nous transporte, le plaisir nous laisse dans un état d'exténuation de toutes les tensions. Nos sociétés fonctionnent peut-être de la manière la plus puritaine qui soit: en proclamant le triomphe du principe de plaisir, elles organisent la liquidation du désir, lequel ne doit d'exister qu'à la proclamation de l'interdit." (p.94)
"[La critique morale de Marx] se déploie sur trois axes. En premier lieu, c'est la critique de l'aliénation. Dans le mode de production capitaliste, le travailleur se perd, il devient étranger à lui-même puisque son activité vitale est devenue le moyen de quelqu'un d'autre, le produit de son travail lui échappe et les moyens de travail ne sont plus ses moyens de travail, mais c'est lui qui devient le moyen de ses moyens de travail [...]
En second lieu, l'homme est soumis au fétiche qu'est la marchandise. Les rapports entre les hommes apparaissent comme des rapports entre les choses. Si la marchandise n'est rien d'autre que du travail humain coagulé, dans l'échange marchand le travail humain disparaît et la valeur de la marchandise semble être une qualité qui lui est propre. Mais, du même coup, la marchandise fétichisée devient l'objet d'un nouveau culte. La "société de consommation" n'est pas une société d'abondance, mais une société entièrement soumise au culte de la marchandise.
Résultat des deux précédentes transformations dues à la généralisation de l'échange marchand, l'individu est transformé en chose, il est réifié. L'ouvrier est la chose de la machine, mais l'homme en général devient chose: la généralisation des procédés de procréation médicalement assistée va jusqu'au bout de la réification du petit humain.
Les travailleurs salariés sont évidemment les premières victimes de la domination absolue du capital sur l'ensemble de la vie sociale. Mais ils ne sont pas les seuls. En réalité, tous les individus sont soumis au règne de la marchandise. [...]
La culture de la marchandise transforme le monde entier en marchandise à consommer [...] on ne va pas à Venise, on fait Venise, c'est-à-dire qu'on descend d'un gigantesque paquebot qui surplombe entièrement San Marco, on se bouscule pour faire des photos et acheter des gadgets et l'on repart: Venise ? Fait !" (pp.109-110)
"Le contrôle de l'action des hommes publics, droit fondamental de l'homme, oblige chacun à se poser la question "qu'est-ce qu'être un homme intègre ?" (pp.111)
"Il ne s'agit pas d'abandonner les acquis de l'individualisme moderne au profit d'un retour à une communauté fermée archaïque." (p.112)
"Le stoïcien latin, Blossius de Cuma, après avoir été le maître des Gracques et notamment de Tiberius Gracchus, aurait participé, à Pergame, à la révolte d'Aristonique contre l'impérialisme avec un programme de libération totale des esclaves." (p.114)
"Notre seul point de vue sur le monde est notre Moi, c'est pour lui que nous existons, pour le satisfaire, pour le rendre heureux. Nous tendons donc à désirer son plein épanouissement.
Or le Moi est constamment confronté à la difficulté, voire à la souffrance issue, selon Freud, de trois sources: la puissance de la nature, la caducité de notre corps et la difficulté des rapports des hommes entre eux. Pour lutter contre ces souffrances, les hommes se regroupent et inventent la culture, qui les protège de la nature et qui réglemente les relations des hommes entre eux. La culture, ou civilisation exige des sacrifices et un certain renoncement au narcissisme. Un équilibre doit s'instaurer entre les revendications de l'individu et les exigences culturelles, et donc morales, de la collectivité.
Mais le plein développement du Moi, en tant que "dépliement", explicitation de son contenu, réalisation du potentiel existant en lui, est-il conciliable avec la vie sociale qui lui est imposée ? Au contraire, son accomplissement suppose-t-il, nécessite-t-il la présence des autres ? Si oui, il s'ensuit que la vie sociale exige des règles. Comment concilier ces règles avec le développement du Moi ? Sont-elles conciliables ? Comment les déterminer ? En raison de quel fondement ?" (pp.120-121)
"Sans la présence de l'autre, aucune morale n'aurait de raison d'être." (p.123)
"La formation subjective des relations interpersonnelles est très exactement la matière même de la pensée morale. Au lieu de séparer la réflexion morale et la compréhension du psychisme humain, nous voyons que l'une et l'autre sont l'avers et le revers de la même réalité." (p.147)
"Etre authentique ne signifie pas être absolument transparent à soi-même, mais c'est savoir justement que des motivations profondes peuvent nous inciter à agir. L'authenticité réside dans la recherche que nous pouvons entreprendre par un travail de connaissance." (p.158)
"Dans le conformisme, le moralisme, nous avons affaire à un Moi faible, impersonnel, qui ne fait que se conformer à ce que l'on attend de lui. A une morale superficielle correspond un Moi artificiel." (p.169)
"[L'éthique] est immanent[e] à la praxis humaine. [...] Bien faire, c'est bien vivre." (p.210)
"Rien ne peut justifier un être, sinon la reconnaissance que lui accorde l'autre, le Moi est donc sous la dépendance d'autrui dans la construction de sa singularité et en même temps est soumis à l'obligation de réciprocité dans ses relations avec les autres. [...] Le Moi peut se faire ainsi valoir dans la solidarité, l'autre est son propre constituant.
L'obligation éthique résulte donc de la réciprocité quant à la raison d'être et le "mal radical" consiste à refuser cette réciprocité en confisquant, au profit du Moi, la relation avec autrui. Nous avons affaire alors à un égoïsme illimité traduisant un fantasme d'omnipotence narcissique." (p.220)
"La morale de l'obligation se distingue par sa volonté d'universalité et par la contrainte (le devoir), alors que l'éthique est la visée de la vie bonne. [...] C'est donc le mal qui oblige à passer à la morale. Cette dernière prend alors un point de vue déontologique à travers l'autonomie, à travers la position de la personne comme fin en soi (le respect) et à travers le contrat social. Mais une difficulté se pose, car le principe d'autonomie ne s'autorise que de lui-même [...] Ceci nous amène à découvrir que le point de vue déontologique est enraciné dans la perspective téléologique. En effet, lorsque l'amitié s'ajoute à l'estime de soi, qui est "le moment réflexif originaire de la visée de la vie bonne", il existe une mutualité dans l'échange entre des humains qui s'estiment chacun eux-mêmes. [...] C'est ainsi que sous l'obligation existe un sens éthique révélé dans la sollicitude, qui est plus fondamentale que l'obéissance au devoir. On ne peut être heureux seul, on ne peut actualiser la vie bonne que si l'on est avec d'autres dans un équilibre entre donner et recevoir. La visée éthique est affirmative et, sous l'interdiction, revendique notre refus de l'indignité infligée à autrui." (pp.221-222)
"La Révolution française [...] a non seulement autorisé le divorce, mais aussi fait disparaître l'homosexualité et l'inceste du Code pénal. C'est seulement au lendemain de la Première Guerre mondiale qu'ont été adoptées des lois réprimant l'homosexualité dans le pays qui pourtant avait été la terre d'accueil d'Oscar Wilde." (pp.235-236)
"La pratique des "mères porteuses" défendue par les partisans de la "morale minimale", suppose qu'un couple ait passé contrat avec une femme qui accepte de porter un enfant qui sera à sa naissance abandonné au couple commanditaire, et sera dès lors réputé l'enfant de ce couple. On voit immédiatement de quoi il s'agit: la transformation de la procréation en une activité salariée comme les autres -ce que feu Pierre Bergé n'avait pas manqué de souligner: "un ouvrier loue bien ses bras, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas louer son ventre ?". Ce faisant, Pierre Bergé confortait sans le savoir Marx qui dénonçait dans le mode de production capitaliste la prostitution généralisée de l'humanité." (p.237)
"[10 000 suicides en France par an] C'est deux fois et demie le nombre de morts par accident de la route. Ajoutons-y les deux cent mille tentatives de suicide et nous pouvons voir que se donner la mort est à la portée de tous. Le suicide représente, avec 14% des cas, la deuxième cause de mortalité chez les 18-24 ans. Bien qu'il n'y ait pas de statistiques fiables, les syndicats estiment à plus de trois cents le nombre annuels de travailleurs qui se suicident faute de pouvoir résister à la pression au travail." (p.251-252)
"Moralement et juridiquement, nous sommes tenus d'intervenir pour empêcher celui qui veut se mutiler de passer à l'acte, exactement comme nous sommes tenus, autant que nous le pouvons, d'empêcher le suicidaire de mettre fin à ses jours." (p.260)
"Dans la prostitution, que se passe-t-il du point de vue moral ? J'achète à un autre être humain l'usage de son corps, comme j'achèterais l'usage d'un objet. C'est-à-dire que je le transforme en chose et, ce faisant, je nie ce qui fait son humanité. [...] Même si l'autre n'est pas contraint à le faire, le fait de monnayer son corps le fait entrer, non pas en tant que simple service, mais en tant qu'être humain doté de dignité, dans l'échange marchand et le dégrade au rang de chose, le réifie. [...] La prostitution transforme des humains en vulgaire marchandises. Or [...] je ne veux pas être transformé en chose. Et si je ne veux pas être transformé en chose, je ne dois pas transformer les autres en choses. [...]
" (p.266)
"Le paternalisme traite les hommes comme des enfants alors qu'il s'agit de tous les considérer comme des sujets moraux. Il se peut que certains ne le soient point effectivement, mais imposer à tous une loi raisonnable, une loi que chacun choisirait s'il n'écoutait que sa raison, ce n'est pas traiter les hommes comme des enfants, mais bien comme des personnes douées de raison. Ainsi se prémunir contre les accidents de la vie, contre les malheurs qui peuvent nous toucher et toucher les autres, c'est ce que chacun devrait faire et le droit peut légitimement veiller à ce que chacun le fasse effectivement. C'est là le fondement légitime des systèmes collectifs de protection contre la maladie." (p.286)
-Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La Force de la Morale. Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages.
"Il ne s'agit pas d'énoncer une nouvelle morale (que peut-on ajouter à Socrate, aux stoïciens ou à Spinoza) ?" (p.9)
"Si Dieu n'existe pas, la responsabilité morale nous incombe intégralement. Pas de justice ni de miséricorde divine dans l'au-delà. Trouver nos propres limites, c'est notre affaire. Déterminer ce que nous devons nous interdire, cela nous concerne et la réponse est dans l'usage de notre jugement et nulle part ailleurs. Autrement dit, on pourrait renverser la proposition commune sur l'amoralisme de notre époque désenchantée. C'est parce que la religion a déserté les esprits et les pratiques sociales que nous avons besoin de morale, et c'est parce que nous pouvons entrer dans l'âge de la majorité -pour parler comme Kant dans Qu'est-ce que les Lumières ?- que la morale, une morale autonome, humaine, rien qu'humaine, est véritablement possible." (p.18)
"On peut réserver le terme d'éthique à un ensemble de prescriptions et de valeurs auxquelles nous décidons de nous conformer subjectivement, sans que nous puissions nécessairement exiger ces prescriptions." (p.19)
"Les doctrines éthiques [...] sont étroitement dépendantes d'une métaphysique sous-jacente. L'éthique aristotélicienne renvoie à la conception aristotélicienne de la nature et au finalisme qui la guide. [...] L'éthique de Spinoza est démontrée "more geometrico" à partir de la définition de la substance, des attributs et des modes qui constituent le point de départ de tous les raisonnements. Or si nous avons les moyens de trancher entre des théories scientifiques concurrentes, nous n'avons aucun moyen de le faire entre les doctrines métaphysiques rivales. [...] Il y a toujours dans cette prise de parti un aspect irréductiblement subjectif." (p.21)
"Si le droit n'est que la règle de coexistence de la liberté des individus, il est nécessaire et non suffisant pour qu'une société relativement stable puisse exister. Il doit y avoir une moralité commune, une "Sittlichkeit" pour parler le langage de Hegel qui unit les citoyens par-delà le simple formalisme de la légalité. Ce point est crucial. Politiquement, il sépare les républicanistes des libéraux ; moralement, les tenants d'une conception substantielle du bien commun de ceux d'une "morale minimale"." (p.24)
"Certains stoïciens grecs feront même de ce droit naturel une arme critique contre les institutions sociales existantes, ainsi de la dénonciation de l'esclavage." (p.31)
"[Spencer] reprend l'idée -anti-darwinienne, si l'on veut prendre la peine de lire Darwin- d'un sens de l'évolution où "plus évolué" est synonyme de "supérieur"." (p.36)
"Il n'y a aucune raison de passer des faits aux valeurs." (p.36)
"Il y a beaucoup d'ambiguïtés dans la révolte d'Antigone contre Créon." (p.39)
"Si l'on abandonne la fondation religieuse, si la nature (plus ou moins divinisée) est bien muette et si l'on veut éviter de commettre ce pêché contre la logique qu'est la sophisme naturaliste, nous pourrions, à l'instar d'un philosophe comme Yvon Quiniou, nous mettre en quête d'un fondement matérialiste de la morale en distinguant ici le matérialisme du naturalisme." (p.40)
"La métaphysique aristotélicienne semble matérialiste: la matière sous-jacente à toute réalité naturelle est éternelle et incréée. Pourtant, une matière sans forme n'existe." (p.42)
"On ne peut pas trouver de fondements matérialistes de la morale si l'on s'en tient au sens habituel du mot matérialisme. Cependant on peut trouver un fondement social ("matériel" en un sens particulier) des formes de la moralité, qui s'inscrirait dans une théorie plus générale de la génèse sociale historique des formes de la pensée, ce qui est le sens raisonnable que l'on peut donner au "matérialisme historique"." (p.48)
"En Grèce comme en Chine, entre le VIe et le IIIe [siècle] on est passé d'une morale valorisant les vertus des sociétés de guerriers (le courage vient au premier rang) à une morale qui valorise la paix et la justice (Confucius et Aristote). On pourrait aisément montrer que l'émergence de ces valeurs est liée à des transformations sociales profondes." (pp.48-49)
"La politique ne peut pas être toujours morale, du moins à l'aune [...] [de ce que chacun doit] suivre dans ses rapports avec les particuliers. Les individus doivent s'abstenir de toute violence les uns envers les autres, alors que l'Etat est l' "entreprise qui détient le monopole de la violence légitime sur un territoire donné", selon la définition de Max Weber. La dissimulation et le mensonge sont considérés comme des vices, mais comment un Etat peut-il assurer la défense de la nation sans mentir et en ne dissimulant rien ?" (p.59)
"Machiavel se contente de dire ce qui est, c'est-à-dire quelles sont "les ruses des tyrans", mais il ne prescrit nullement à l'homme politique de devenir un tyran ! Ce qui doit guider le politique, en toutes circonstances, c'est le bien commun et non la recherche de ses propres avantages." (p.59)
"[De Gaulle] sut mettre en oeuvre pour conquérir et garder le pouvoir tous les préceptes que l'on peut lire dans Le Prince..." (p.60)
"[L']égoïsme rationnel [de Ayn Rand] est [...] délirant. [...] L'individu en dehors du groupe, cela n'existe tout simplement pas." (p.64)
"L'éthique minimale d'Ogien pourrait rappeler la vertu de l'égoïsme d'Ayn Rand, mais elle s'en sépare clairement en ce qu'elle ne s'occupe pas de la réalisation de l'individu. Pour Rand, l'individu a tout de même des devoirs envers lui-même: c'est le côté héroïque de la vertu de l'égoïsme. Pour Ogien, au contraire, il n'est pas question de devoir envers soi-même. Chacun est libre de sa propre vie et il fait ce qu'il veut de son propre corps et de sa personne [sous réserve ne pas nuire à autrui]." (p.67)
"Quel est le champ d'application du principe "ne pas nuire" ? Ne pas nuire, c'est ne pas faire de mal, mais si je vois un homme en train de se noyer et que je ne lui porte pas secours au motif que je n'ai pas d'obligation positive envers lui, ne suis-je pas en réalité en train de lui nuire ?" (p.69)
"[Objections à l'éthique minimale]
La notion de consentement est extrêmement douteuse. Michela Marzano a montré comment le consentement pouvait servir d'alibi aux pires formes de domination. Les méthodes pour extorquer le consentement sont si nombreuses qu'il est impossible d'être exhaustif. La contrainte est évidemment le cas le plus simple qui enlève toute validité au consentement [il s'agit au sens strict d'obéissance] obtenu dans ces conditions. [Mais] La nécessité est également un puissant levier pour obtenir le consentement. Pendant que le bandit crie: "la bourse ou la vie", le patron demande à "son" ouvrier: "travaille à mes conditions, sinon tu n'aurais rien et tu mourras de faim". Ce n'est pas la même chose... mais ça y ressemble. Marx critique sévèrement cette fable du consentement contractualisant le rapport salarial. [...]
De la même manière, le consentement des "mères porteuses" dans le cas de la GPA n'est qu'une très mauvaise farce. Les "usines à bébés", qui ont commencé à se développer dans certains pays comme l'Inde, sont des endroits où les femmes sont asservies par les couples aisés qui ont recours à elles. [...]
Le consentement peut aussi être fabriqué par l'éducation inculquée par le groupe. Le consentement au voile islamique est de ce genre: "le voile, c'est mon choix !". D'une part, c'est très souvent non un choix, mais quelque chose qui est imposé par la "communauté": celles qui refusent de porter cet accoutrement sont vites traitées de mauvaises musulmanes, de filles de mauvaises vie, de "putes". [...] Mais même sans pression directe, le "choix du voile" renvoie tout simplement à l'éducation. Chaque enfant ne peut se construire qu'avec des identifications et si l'identification que l'on propose aux filles est celle de la femme voilée, porter le voile apparaît alors comme un accomplissement nécessaire, comme le produit d'une volonté vraiment libre." (pp.74-75)
"Ces morales minimales sont psychologiquement erronées. Nous n'avons pas seulement besoin des autres parce qu'ils nous sont utiles [...] Nous avons besoin des autres pour eux-mêmes, tout simplement parce que nous ne pouvons véritablement vivre qu'en compagnie des autres humains, qu'en nouant avec eux les liens de l'amitié. [...]
Elles ont un arrière-plan social et idéologiques, découlant du triomphe sans opposition de l'économie de marché, qui leur donne toute leur force et leur pouvoir de séduction, et leurs catégories ne sont qu'une expression d'un certain type de rapports sociaux, ceux que tissent les individus placés sous la domination du mode de production capitaliste." (p.78)
"Donner, accepter les bienfaits, rendre les bienfaits. Aucune société ne peut exister sans cette éthique-là." (p.83)
"Pourquoi ne puis-je pas faire passer mon propre bonheur avant le bonheur commun ? Aucun calcul ne peut m'en convaincre." (p.91)
"L'utilitarisme n'est qu'une illusion de morale." (p.92)
"Il n'est guère à propos de "moraliser" et de prôner on ne sait quel retour à la retenue qui tournerait certainement bien vite à l' "ordre moral" au sens de Mac Mahon." (p.93)
"Le plaisir n'est pas la joie. Cette dernière est synonyme de vie [...] Il y a dans la recherche à tout prix du plaisir quelque chose de la douce fascination de la mort. Alors que la joie nous transporte, le plaisir nous laisse dans un état d'exténuation de toutes les tensions. Nos sociétés fonctionnent peut-être de la manière la plus puritaine qui soit: en proclamant le triomphe du principe de plaisir, elles organisent la liquidation du désir, lequel ne doit d'exister qu'à la proclamation de l'interdit." (p.94)
"[La critique morale de Marx] se déploie sur trois axes. En premier lieu, c'est la critique de l'aliénation. Dans le mode de production capitaliste, le travailleur se perd, il devient étranger à lui-même puisque son activité vitale est devenue le moyen de quelqu'un d'autre, le produit de son travail lui échappe et les moyens de travail ne sont plus ses moyens de travail, mais c'est lui qui devient le moyen de ses moyens de travail [...]
En second lieu, l'homme est soumis au fétiche qu'est la marchandise. Les rapports entre les hommes apparaissent comme des rapports entre les choses. Si la marchandise n'est rien d'autre que du travail humain coagulé, dans l'échange marchand le travail humain disparaît et la valeur de la marchandise semble être une qualité qui lui est propre. Mais, du même coup, la marchandise fétichisée devient l'objet d'un nouveau culte. La "société de consommation" n'est pas une société d'abondance, mais une société entièrement soumise au culte de la marchandise.
Résultat des deux précédentes transformations dues à la généralisation de l'échange marchand, l'individu est transformé en chose, il est réifié. L'ouvrier est la chose de la machine, mais l'homme en général devient chose: la généralisation des procédés de procréation médicalement assistée va jusqu'au bout de la réification du petit humain.
Les travailleurs salariés sont évidemment les premières victimes de la domination absolue du capital sur l'ensemble de la vie sociale. Mais ils ne sont pas les seuls. En réalité, tous les individus sont soumis au règne de la marchandise. [...]
La culture de la marchandise transforme le monde entier en marchandise à consommer [...] on ne va pas à Venise, on fait Venise, c'est-à-dire qu'on descend d'un gigantesque paquebot qui surplombe entièrement San Marco, on se bouscule pour faire des photos et acheter des gadgets et l'on repart: Venise ? Fait !" (pp.109-110)
"Le contrôle de l'action des hommes publics, droit fondamental de l'homme, oblige chacun à se poser la question "qu'est-ce qu'être un homme intègre ?" (pp.111)
"Il ne s'agit pas d'abandonner les acquis de l'individualisme moderne au profit d'un retour à une communauté fermée archaïque." (p.112)
"Le stoïcien latin, Blossius de Cuma, après avoir été le maître des Gracques et notamment de Tiberius Gracchus, aurait participé, à Pergame, à la révolte d'Aristonique contre l'impérialisme avec un programme de libération totale des esclaves." (p.114)
"Notre seul point de vue sur le monde est notre Moi, c'est pour lui que nous existons, pour le satisfaire, pour le rendre heureux. Nous tendons donc à désirer son plein épanouissement.
Or le Moi est constamment confronté à la difficulté, voire à la souffrance issue, selon Freud, de trois sources: la puissance de la nature, la caducité de notre corps et la difficulté des rapports des hommes entre eux. Pour lutter contre ces souffrances, les hommes se regroupent et inventent la culture, qui les protège de la nature et qui réglemente les relations des hommes entre eux. La culture, ou civilisation exige des sacrifices et un certain renoncement au narcissisme. Un équilibre doit s'instaurer entre les revendications de l'individu et les exigences culturelles, et donc morales, de la collectivité.
Mais le plein développement du Moi, en tant que "dépliement", explicitation de son contenu, réalisation du potentiel existant en lui, est-il conciliable avec la vie sociale qui lui est imposée ? Au contraire, son accomplissement suppose-t-il, nécessite-t-il la présence des autres ? Si oui, il s'ensuit que la vie sociale exige des règles. Comment concilier ces règles avec le développement du Moi ? Sont-elles conciliables ? Comment les déterminer ? En raison de quel fondement ?" (pp.120-121)
"Sans la présence de l'autre, aucune morale n'aurait de raison d'être." (p.123)
"La formation subjective des relations interpersonnelles est très exactement la matière même de la pensée morale. Au lieu de séparer la réflexion morale et la compréhension du psychisme humain, nous voyons que l'une et l'autre sont l'avers et le revers de la même réalité." (p.147)
"Etre authentique ne signifie pas être absolument transparent à soi-même, mais c'est savoir justement que des motivations profondes peuvent nous inciter à agir. L'authenticité réside dans la recherche que nous pouvons entreprendre par un travail de connaissance." (p.158)
"Dans le conformisme, le moralisme, nous avons affaire à un Moi faible, impersonnel, qui ne fait que se conformer à ce que l'on attend de lui. A une morale superficielle correspond un Moi artificiel." (p.169)
"[L'éthique] est immanent[e] à la praxis humaine. [...] Bien faire, c'est bien vivre." (p.210)
"Rien ne peut justifier un être, sinon la reconnaissance que lui accorde l'autre, le Moi est donc sous la dépendance d'autrui dans la construction de sa singularité et en même temps est soumis à l'obligation de réciprocité dans ses relations avec les autres. [...] Le Moi peut se faire ainsi valoir dans la solidarité, l'autre est son propre constituant.
L'obligation éthique résulte donc de la réciprocité quant à la raison d'être et le "mal radical" consiste à refuser cette réciprocité en confisquant, au profit du Moi, la relation avec autrui. Nous avons affaire alors à un égoïsme illimité traduisant un fantasme d'omnipotence narcissique." (p.220)
"La morale de l'obligation se distingue par sa volonté d'universalité et par la contrainte (le devoir), alors que l'éthique est la visée de la vie bonne. [...] C'est donc le mal qui oblige à passer à la morale. Cette dernière prend alors un point de vue déontologique à travers l'autonomie, à travers la position de la personne comme fin en soi (le respect) et à travers le contrat social. Mais une difficulté se pose, car le principe d'autonomie ne s'autorise que de lui-même [...] Ceci nous amène à découvrir que le point de vue déontologique est enraciné dans la perspective téléologique. En effet, lorsque l'amitié s'ajoute à l'estime de soi, qui est "le moment réflexif originaire de la visée de la vie bonne", il existe une mutualité dans l'échange entre des humains qui s'estiment chacun eux-mêmes. [...] C'est ainsi que sous l'obligation existe un sens éthique révélé dans la sollicitude, qui est plus fondamentale que l'obéissance au devoir. On ne peut être heureux seul, on ne peut actualiser la vie bonne que si l'on est avec d'autres dans un équilibre entre donner et recevoir. La visée éthique est affirmative et, sous l'interdiction, revendique notre refus de l'indignité infligée à autrui." (pp.221-222)
"La Révolution française [...] a non seulement autorisé le divorce, mais aussi fait disparaître l'homosexualité et l'inceste du Code pénal. C'est seulement au lendemain de la Première Guerre mondiale qu'ont été adoptées des lois réprimant l'homosexualité dans le pays qui pourtant avait été la terre d'accueil d'Oscar Wilde." (pp.235-236)
"La pratique des "mères porteuses" défendue par les partisans de la "morale minimale", suppose qu'un couple ait passé contrat avec une femme qui accepte de porter un enfant qui sera à sa naissance abandonné au couple commanditaire, et sera dès lors réputé l'enfant de ce couple. On voit immédiatement de quoi il s'agit: la transformation de la procréation en une activité salariée comme les autres -ce que feu Pierre Bergé n'avait pas manqué de souligner: "un ouvrier loue bien ses bras, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas louer son ventre ?". Ce faisant, Pierre Bergé confortait sans le savoir Marx qui dénonçait dans le mode de production capitaliste la prostitution généralisée de l'humanité." (p.237)
"[10 000 suicides en France par an] C'est deux fois et demie le nombre de morts par accident de la route. Ajoutons-y les deux cent mille tentatives de suicide et nous pouvons voir que se donner la mort est à la portée de tous. Le suicide représente, avec 14% des cas, la deuxième cause de mortalité chez les 18-24 ans. Bien qu'il n'y ait pas de statistiques fiables, les syndicats estiment à plus de trois cents le nombre annuels de travailleurs qui se suicident faute de pouvoir résister à la pression au travail." (p.251-252)
"Moralement et juridiquement, nous sommes tenus d'intervenir pour empêcher celui qui veut se mutiler de passer à l'acte, exactement comme nous sommes tenus, autant que nous le pouvons, d'empêcher le suicidaire de mettre fin à ses jours." (p.260)
"Dans la prostitution, que se passe-t-il du point de vue moral ? J'achète à un autre être humain l'usage de son corps, comme j'achèterais l'usage d'un objet. C'est-à-dire que je le transforme en chose et, ce faisant, je nie ce qui fait son humanité. [...] Même si l'autre n'est pas contraint à le faire, le fait de monnayer son corps le fait entrer, non pas en tant que simple service, mais en tant qu'être humain doté de dignité, dans l'échange marchand et le dégrade au rang de chose, le réifie. [...] La prostitution transforme des humains en vulgaire marchandises. Or [...] je ne veux pas être transformé en chose. Et si je ne veux pas être transformé en chose, je ne dois pas transformer les autres en choses. [...]
" (p.266)
"Le paternalisme traite les hommes comme des enfants alors qu'il s'agit de tous les considérer comme des sujets moraux. Il se peut que certains ne le soient point effectivement, mais imposer à tous une loi raisonnable, une loi que chacun choisirait s'il n'écoutait que sa raison, ce n'est pas traiter les hommes comme des enfants, mais bien comme des personnes douées de raison. Ainsi se prémunir contre les accidents de la vie, contre les malheurs qui peuvent nous toucher et toucher les autres, c'est ce que chacun devrait faire et le droit peut légitimement veiller à ce que chacun le fasse effectivement. C'est là le fondement légitime des systèmes collectifs de protection contre la maladie." (p.286)
-Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La Force de la Morale. Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages.