[Que j'ai eu dans la préparation du CAPES 2020 en histoire du travail]
https://www.franceculture.fr/personne/fabrice-bensimon
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-5-page-75.htm
"La culture populaire dite « ancienne », c’est d’abord celle des campagnes, centrée autour des veillées, des principales fêtes associées au travail (rituels d’apprentissage) ou au calendrier rural, et des foires. Sur ce plan des fêtes, une différence avec les pratiques catholiques était sans doute que l’Église anglicane n’avait guère cherché à mettre fin aux fêtes païennes (Mardi Gras, la fête des Rois, etc.), mais bien plutôt à se distinguer du catholicisme, par exemple du culte marial. Au XVIIIe siècle, différentes transformations économiques et sociales (la croissance des villes, l’amélioration des routes, le recul de l’illettrisme) avaient désenclavé l’essentiel des zones rurales. Nombre des loisirs tournaient autour des combats d’animaux, dont la mode était parfois ancienne. Dans les plus grandes villes, les combats entre un ours et plusieurs chiens, ou entre un taureau et des chiens, durent jusqu’en 1835; plus rudimentaires, et donc plus simples à organiser, sont les lancers ou les combats de coqs, les combats entre chiens, entre le chien ratier et les rats, les blaireaux, etc. Souvent, à ces jeux sanglants est associé le pari avec argent, une constante de la culture populaire britannique, à l’ampleur néanmoins variable dans le temps; les combats d’animaux sont ainsi doublement condamnables aux yeux des élites et des Églises. Toutes les grandes foires ont également leur ménagerie, et les différentes attractions itinérantes, les montreurs d’êtres difformes et de curiosités : la femme salamandre, le géant irlandais, le nain hollandais, et autres femmes hercules. On le voit, la culture populaire ancienne avait déjà en partie un aspect « commercial ». Ce type d’exhibitions devait continuer tout au long du siècle et au-delà, comme en témoigne le cas bien connu de John Merrick, l’« homme-éléphant », dans les années 1880. On peut également rapprocher de cette curiosité du sensationnel voire du macabre l’intérêt considérable pour les grands criminels et pour les exécutions, parfois accompagnées de débordements de violence. Les exécutions sont publiques jusqu’en 1869, et on en compte une moyenne de 80 par an vers 1820; en 1807, 45000 personnes assistent à une pendaison, 27 meurent écrasées. La violence morbide est ainsi entretenue, utilisée par les autorités, à une époque où les tensions sociales considérables créées par les transformations sociales et par l’oppression politique sont régulièrement étouffées dans le sang."
"Comprendre cette culture populaire, c’est aussi mesurer l’hostilité croissante dont elle est l’objet, à la fin du XVIIIe, et plus encore au début du XIXe, de la part de différentes forces (Purdue et Golby). Dans les élites, dans les milieux religieux, on s’indigne de la cruauté populaire, des bacchanales, de la débauche d’alcool, de l’immoralité, du vice qui caractérisent la plupart de ces distractions.
De fait, les notables locaux les tolèrent le plus souvent, d’une part parce qu’ils savent les difficultés qu’il y aurait à les interdire effectivement; d’autre part, parce qu’ils considèrent parfois qu’elles sont une nécessaire soupape qui permet aux tensions de s’exprimer, et de s’assurer ainsi une certaine paix sociale et civile. Il n’empêche qu’un mouvement croissant se développe pour « civiliser » le peuple. La Société pour la suppression du vice est créée en 1802, celle contre la cruauté envers les animaux en 1824, celle pour le respect strict du jour du Seigneur (les Sabbatarians) en 1831, sans compter les nombreuses sociétés de tempérance, sur lesquelles je reviendrai. S’ils ne parviennent pas toujours à modifier la réalité des pratiques, ces mouvements réussissent parfois à changer la législation. En 1835, une loi interdit tous les combats d’animaux, et, en 1845, une autre prohibe spécifiquement les combats de coqs; en fait, ceux-ci, comme les concours de ratiers, conserveront par la suite une existence clandestine.
Jusqu’au milieu du siècle, cependant, les autorités ne se soucient guère d’augmenter l’offre culturelle pour réduire les loisirs dits « immoraux »: les quelques musées, comme la National Gallery (fondée en 1824) ou le British Museum (gratuit à partir de 1810), sont surtout situés à Londres et ne touchent qu’une petite minorité aisée; il n’y a pas de bibliothèques publiques avant la loi de 1850, guère de jardins publics (les très populaires pleasure gardens sont payants, et sur le déclin), alors que l’achèvement des enclosures a considérablement réduit l’espace public disponible pour les loisirs. Sans parler des entraves posées à la presse populaire, radicale en particulier, par le biais des taxes qui frappent, jusque dans les années 1850, les journaux. En revanche, diverses forces, notamment religieuses, œuvrent depuis déjà longtemps à l’alphabétisation populaire."
"En Grande-Bretagne, la culture populaire pré-industrielle, « ancienne », était fortement marquée, en comparaison avec ce qu’elle était dans les sociétés catholiques, par le protestantisme et ses variantes insulaires. Ses variantes, car ce n’est pas seulement l’anglicanisme qui rendait la situation de la Grande-Bretagne spécifique. À la fin du XVIIIe, et au début du XIXe, l’Église établie est souvent vue par les milieux populaires comme une Église de riches, ce qui explique le succès du méthodisme ( 100000 membres en 1801,500000 en 1851) et des différentes variantes du non-conformisme, qui représentent au total, en 1851, autant de pratiquants que l’Église anglicane. Elie Halévy voyait dans le méthodisme l’élément déterminant dans l’absence de révolution en Angleterre ; E. P. Thompson a également souligné avec force son rôle dans la formation de la conscience ouvrière. Si leurs analyses ont depuis été controversées ou révisées, l’historiographie contemporaine n’a guère revu à la baisse le poids du méthodisme. Or, on le verra, les méthodistes mettent très tôt l’accent sur l’éducation populaire : ils insistent pour que même les moins instruits de leurs membres fréquentent, lisent, connaissent la Bible. Même au sein de l’Église anglicane, l’usage du livre religieux est plus encouragé que chez les catholiques. Le protestantisme est une religion du Livre, l’Anglican doit lire la Bible. Associée au développement du commerce au XVIIIe siècle, cette pratique explique sans doute en partie la précocité de l’alphabétisation de la Grande-Bretagne, qui touche, au début du XIXe siècle, quelque 60 % des Anglais et des Gallois. En Écosse, où l’Église presbytérienne favorise plus encore le développement des écoles, les chiffres sont plus élevés (en 1855, 83% d’alphabétisés). A contrario, en Irlande, l’illettrisme affecte plus de la moitié de la population en 1841, et dans une région pauvre comme le Connaught, à l’ouest du pays, près des trois quarts des gens.
Dans l’ensemble des îles britanniques, des écoles dispensent aux enfants un enseignement rudimentaire, mais réel. Une loi de 1696, révisée en 1803, stipule que chaque paroisse doit loger et rémunérer un maître d’école. C’est en Écosse que ce système est le plus abouti. Il n’est ni gratuit, ni obligatoire, mais il touche de fait un grand nombre d’enfants ( 10,9% de la population totale en 1818); quand une paroisse est trop étendue pour que les enfants puissent aller à l’école tous les jours, les maîtres d’école sont itinérants. En Angleterre et au Pays de Galles, le système est plus fragmenté (respectivement, 6,6% et 4,8% de la population totale) :
les endowed schools, dame schools, schools of industry concernent quelque 675000 enfants en 1819. Surtout, à partir de la fin du XVIIIe, se diffuse le modèle des Sunday schools: le dimanche, on emmène deux fois les enfants à l’église, pour le catéchisme et pour l’instruction. En 1820, quelque 480000 enfants fréquentent, en Angleterre et au Pays de Galles, de telles écoles. L’inspiration de ce mouvement est nettement religieuse : il s’agit de sanctifier le jour du Seigneur, de sauver des âmes, d’apprendre à lire la Bible. L’influence méthodiste est également manifeste; un anglican et un quaker développent le principe des moniteurs. S’y ajoutent, enfin, les écoles créées par de nombreuses initiatives individuelles, souvent philanthropiques, comme celle de Robert Owen, qui a créé dans sa manufacture de coton de New Lanark une école pour enfants. En Irlande, le système est plus rudimentaire. En 1824, pourtant, quelque 40 % des enfants sont plus ou moins scolarisés; la ségrégation religieuse est quasi totale dans l’enseignement, et n’y échappent que quelques familles isolées. Une réforme, en 1831, systématise sur le papier l’enseignement élémentaire, mais de fait, l’analphabétisme reste très présent, en particulier dans la paysannerie pauvre, et il est significatif que c’est avec la Grande Famine que la proportion d’illettrés reculera de façon la plus importante, car la famine tue en premier lieu les plus démunis des Irlandais (Daly)."
"Et puis il y a les radicaux, c’est-à-dire le courant qui, notamment après la fin des guerres napoléoniennes, a lutté pour imposer une extension des droits politiques et du suffrage (limité à 3 % de la population adulte avant la réforme de 1832, puis à 7 %). Les radicaux fondent une bonne partie de leur propagande sur la diffusion de l’écrit et, malgré le timbre fiscal qui frappe la presse pour empêcher les classes populaires d’y avoir accès, des journaux radicaux, comme le Political Register de William Cobbett ( 50000 exemplaires en 1816), ou plus tard le Poor Man’s Guardian d’Hetherington. En témoigne également la forme sans doute la plus populaire qu’a prise le radicalisme, le chartisme, de 1838 à la fin des années 1840. La charte comptait six revendications, en premier lieu le suffrage universel masculin, auquel s’opposaient alors résolument aristocratie et bourgeoisie. Les chartistes cherchaient à faire signer la charte, le plus souvent lors de cérémonies publiques. Ils s’appuyaient sur une presse nationale et locale d’une portée considérable, et dont la lecture était souvent, savons-nous, collective plutôt que privée. Si leur principal organe, le Northern Star, a eu un tirage maximal de 60000 exemplaires par semaine qui semble faible en comparaison avec les grands quotidiens de la fin du siècle, cette faiblesse est à relativiser au miroir des modalités de la réception de cette presse politique : on estime jusqu’à 60 le nombre de lecteurs touchés par chaque exemplaire du journal, que ce soit par un contact écrit ou par le biais de la lecture collective. Et les chartistes cherchaient, comme les radicaux qui les avaient précédés, à diffuser la culture dans les couches auxquelles ils s’adressaient; c’est ainsi qu’alors que la pénétration des genres littéraires reconnus dans les classes moyennes restait faible dans les classes populaires, chaque journal radical avait sa colonne de poésie ou de fiction."
"Les courants qui œuvraient à l’éducation populaire dans le premier tiers du siècle le faisaient à une époque difficile : l’histoire de la culture et des loisirs populaires, c’est d’abord celle du temps libre, et l’industrialisation a le plus souvent réduit celui dont disposent les classes populaires, au moins dans les villes. On est passé en quelques décennies d’une journée de travail moyenne de 10 heures à 12 heures, voire plus dans les mines et les manufactures. On travaille six jours par semaine, et les employeurs font la guerre à la « Saint-Lundi » héritée de la société pré-industrielle, et qui disparaît progressivement, même si certains aspects perdureront jusqu’à la fin du siècle. Le nombre de jours fériés a été également considérablement restreint : légalement, il n’en reste plus que 4 en 1834 (le vendredi saint, le 1er mai, Noël, la Toussaint).
À partir des années 1840, souvent considérées comme une charnière dans le domaine de la culture populaire et des loisirs, le temps de travail commence à diminuer, et la pression des luttes ouvrières prolongera ce mouvement par la suite. Moins de travail, c’est du temps pour des loisirs, parfois des loisirs « culturels »."
"Dans la foulée de la suppression du droit de timbre, 170 titres sont créés en 1855; cette décennie voit naître le journal à un penny et plusieurs journaux dépasser les 100000 exemplaires. Hormis la presse radicale, qui décline alors pour des raisons controversées, cette progression concerne tous les types de journaux, les quotidiens ( Daily Telegraph, 200000 ex. en 1870), mais surtout les journaux dominicaux (comme News of the World, qui atteint alors le plus gros tirage au monde). C’est la grande époque des magazines à un penny ( penny magazines), qui vendent un total cumulé de plusieurs millions d’exemplaires par mois. En 1865, les huit hebdomadaires religieux les plus populaires vendent au total 1,25 à 1,5 million d’exemplaires par semaine. Les plus diffusés de ces périodiques sont néanmoins ceux qui combinent les faits divers, le sensationnel, et parfois la politique. Voici, par exemple, les titres d’un seul numéro de Lloyd’s Weekly Newspaper ( 350000 exemplaires par semaine en 1863), un journal radical à l’origine, et qui continuait de diffuser des idées contestataires : « Ce que disait l’Empereur Napoléon sur le meurtre. Jalousie : épouvantable agression au couteau. Scène terrible lors d’une exécution. Cannibalisme à Liverpool. Grande saisie d’imprimés indécents. Un homme rôti à mort. Un mari cruel et une femme adultère », etc. (Golby & Purdue).
Dans le cadre de la diffusion de l’imprimé, le nombre de livres et les tirages augmentent considérablement pendant cette période : 370 titres par an dans les années 1790,2600 dans les années 1850, plus de 6000 en 1900."
"Le plus souvent, dans les milieux populaires, lire à la maison est inconfortable, difficile, voire impossible. D’où, ici encore, le rôle central joué dans la lecture de l’imprimé par le pub, dont le milieu du siècle constitue l’âge d’or. Méthodistes, sociétés de tempérance, militants de diverses causes ont beau lutter contre l’alcoolisme, la consommation d’alcool atteint le plus haut chiffre de toute l’histoire britannique dans cette période, vers 1870 exactement. Mais le pub n’est pas qu’un débit de boisson : il est à cette époque le centre de la vie culturelle populaire, masculine du moins. On y chante, on y joue de la musique, on y lit la presse, les trade-unions s’y réunissent, tout comme les sociétés d’amélioration personnelle ( self-help). S’y ajoutent, dans certaines régions, d’autres établissements, comme les coffee-houses, et où les travailleurs peuvent apporter leur nourriture et lire la presse en prenant une tasse de café :
rien qu’à Londres, il y en a 1400 à 1600 dans les années 1840.
Mais, nous le savons, au pub, la lecture est celle du périodique plus que du livre. Reste encore une autre source, l’écriture de soi : les journaux intimes, la correspondance privée, et surtout les autobiographies ouvrières, genre prisé outre-Manche – pour le seul XIXe siècle, 800 ont été conservées ou retrouvées.
C’est ce qu’a entrepris Martyn Lyons, ou Jonathan Rose dans son ouvrage récent sur la vie intellectuelle de la classe ouvrière : il en ressort une grande autodidaxie, un très fort appétit de lecture, nourri de John Bunyan et de son Voyage du Pèlerin ( Pilgrim’s Progress), de John Milton, de Walter Scott, de Charles Dickens, de William Thackeray, mais aussi de Tom Paine, puis d’Henry George, de Thomas Hardy, etc. Mais il s’agit pour l’essentiel d’ouvriers qualifiés, autodidactes le plus souvent – une minorité significative, une minorité malgré tout."
"En 1870, la loi Forster organise l’enseignement public, à côté duquel les écoles religieuses se maintiennent, mais n’ont plus de monopoles. En 1880, l’école primaire devient obligatoire jusqu’à l’âge de 10 ans ( 12 ans en 1899), et en 1891, elle est systématiquement gratuite. L’enseignement élémentaire regroupe désormais 5 millions d’élèves, tous types d’écoles confondus, élevant considérablement les taux de scolarisation (en 1901 : 16,6 % de la population totale en Angleterre, 23 % au Pays de Galles, 17,6 % en Écosse, soit 2 à 4 fois plus qu’en 1818). En 1902, une loi renforce le poids des municipalités et de l’État sur le système scolaire, et vise à créer un système national d’enseignement secondaire public, auquel échappe cependant encore une partie très importante des classes populaires. Ici aussi, il faut se méfier de l’effet de source : si on s’en tient aux signatures des actes de mariage, l’illettrisme a disparu en 1900 ( 97% d’alphabétisés en 1900); mais par l’histoire orale, on sait qu’une constante des cinémas d’avant-guerre est que les plus jeunes lisent à voix haute les inscriptions à l’écran pour les plus âgés. Dans cette dernière partie du siècle, le recul de l’illettrisme n’est plus guère l’œuvre des non-conformistes, dont il sape en partie le rôle social : on apprend de plus en plus à lire à l’école, de moins en moins au temple."
"Les élites et la bourgeoisie victoriennes, désormais acquises aux vertus de l’enseignement pour tous, s’accommodaient d’un nombre croissant de loisirs populaires (comme le cirque ou le football). Tout au plus trouvaient-elles refuge dans d’autres lieux (les banlieues résidentielles, le foyer et non le pub), des stations balnéaires plus huppées, des activités et des loisirs qui leur étaient propres (le voyage sur le continent, le tennis, le badminton, le hockey), des pratiques culturelles différenciées. Le théâtre en est un bon exemple : à la fin du siècle, il était de moins en moins populaire : les places étaient plus chères, les théâtres restructurés, les pièces qui y étaient jouées (Wilde, Shaw, Pinero, Ibsen) inaccessibles aux milieux populaires. Certaines associations restaient explicitement fermées aux ouvriers. Et si nombre des pratiques culturelles populaires de la fin du XIXe siècle étaient aux yeux des élites plus acceptables que celles de 1800, elles ne s’y investissaient pas pour autant.
"Loisirs de masse
Cette dernière période voit donc l’essor de loisirs de masse. Sont souvent citées, pour expliquer cet expansion, des raisons culturelles ou politiques (le sport comme ferment identitaire régional ou national), mais de toute façon, ce développement est largement lié à la baisse du temps de travail que le mouvement ouvrier, le mouvement syndical conquiert graduellement. Ce qu’on appelle alors en France « la semaine anglaise », c’est-à-dire la libération du samedi après-midi, s’impose au fur et à mesure, des années 1850 aux années 1890, où c’est alors la norme. Les différences régionales sont considérables, et permettent de mesurer l’impact de cette demi-journée supplémentaire : par exemple, sur une période de six mois en 1879-80, on recense 811 matches de football annoncés à Birmingham, où le samedi après-midi libre était alors la norme, contre 2 à Liverpool, où cette demi-journée ne s’était pas encore imposée (T. Mason)."
Autre loisir de sortie, de spectacle, dont il est difficile de surestimer la popularité : le music-hall. Il prend son essor à partir des années 1850, et connaît son âge d’or à la fin du siècle. Le music-hall intègre non seulement le chant et la danse, mais aussi l’acrobatie, la pantomime, et les numéros de clown. Il est l’objet de nombreuses critiques car on y boit, on y rencontre des prostituées, on y joue, on y chahute – le public des music-halls n’est pas passif, il participe au spectacle. Les propriétaires font des efforts de respectabilité, allant jusqu’à renoncer à y vendre de l’alcool. Mais, jusqu’à la fin du siècle, le succès du music-hall ne se dément pas – en 1900, on en dénombre 328 rien qu’à Londres. De plus, à la différence du football, le music-hall était souvent une sortie familiale, à laquelle prenaient part les femmes.
À partir de 1900, c’est le cinéma qui s’impose et devient très rapidement la plus populaire des « sorties », même si cinéma et music-hall ont coexisté quelque temps. À la veille de la guerre, 4000 cinémas attirent 7 ou 8 millions de spectateurs par semaine, pour un total de 400 millions d’entrées par an. Le cinéma attire surtout un public ouvrier, jeune, où les femmes sont très présentes."
-Fabrice Bensimon, « La culture populaire au Royaume-Uni, 1800-1914 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2001/5 (no48-4bis), p. 75-91. DOI : 10.3917/rhmc.485.0075. URL : https://www.cairn-int.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-5-page-75.htm
https://www.franceculture.fr/personne/fabrice-bensimon
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-5-page-75.htm
"La culture populaire dite « ancienne », c’est d’abord celle des campagnes, centrée autour des veillées, des principales fêtes associées au travail (rituels d’apprentissage) ou au calendrier rural, et des foires. Sur ce plan des fêtes, une différence avec les pratiques catholiques était sans doute que l’Église anglicane n’avait guère cherché à mettre fin aux fêtes païennes (Mardi Gras, la fête des Rois, etc.), mais bien plutôt à se distinguer du catholicisme, par exemple du culte marial. Au XVIIIe siècle, différentes transformations économiques et sociales (la croissance des villes, l’amélioration des routes, le recul de l’illettrisme) avaient désenclavé l’essentiel des zones rurales. Nombre des loisirs tournaient autour des combats d’animaux, dont la mode était parfois ancienne. Dans les plus grandes villes, les combats entre un ours et plusieurs chiens, ou entre un taureau et des chiens, durent jusqu’en 1835; plus rudimentaires, et donc plus simples à organiser, sont les lancers ou les combats de coqs, les combats entre chiens, entre le chien ratier et les rats, les blaireaux, etc. Souvent, à ces jeux sanglants est associé le pari avec argent, une constante de la culture populaire britannique, à l’ampleur néanmoins variable dans le temps; les combats d’animaux sont ainsi doublement condamnables aux yeux des élites et des Églises. Toutes les grandes foires ont également leur ménagerie, et les différentes attractions itinérantes, les montreurs d’êtres difformes et de curiosités : la femme salamandre, le géant irlandais, le nain hollandais, et autres femmes hercules. On le voit, la culture populaire ancienne avait déjà en partie un aspect « commercial ». Ce type d’exhibitions devait continuer tout au long du siècle et au-delà, comme en témoigne le cas bien connu de John Merrick, l’« homme-éléphant », dans les années 1880. On peut également rapprocher de cette curiosité du sensationnel voire du macabre l’intérêt considérable pour les grands criminels et pour les exécutions, parfois accompagnées de débordements de violence. Les exécutions sont publiques jusqu’en 1869, et on en compte une moyenne de 80 par an vers 1820; en 1807, 45000 personnes assistent à une pendaison, 27 meurent écrasées. La violence morbide est ainsi entretenue, utilisée par les autorités, à une époque où les tensions sociales considérables créées par les transformations sociales et par l’oppression politique sont régulièrement étouffées dans le sang."
"Comprendre cette culture populaire, c’est aussi mesurer l’hostilité croissante dont elle est l’objet, à la fin du XVIIIe, et plus encore au début du XIXe, de la part de différentes forces (Purdue et Golby). Dans les élites, dans les milieux religieux, on s’indigne de la cruauté populaire, des bacchanales, de la débauche d’alcool, de l’immoralité, du vice qui caractérisent la plupart de ces distractions.
De fait, les notables locaux les tolèrent le plus souvent, d’une part parce qu’ils savent les difficultés qu’il y aurait à les interdire effectivement; d’autre part, parce qu’ils considèrent parfois qu’elles sont une nécessaire soupape qui permet aux tensions de s’exprimer, et de s’assurer ainsi une certaine paix sociale et civile. Il n’empêche qu’un mouvement croissant se développe pour « civiliser » le peuple. La Société pour la suppression du vice est créée en 1802, celle contre la cruauté envers les animaux en 1824, celle pour le respect strict du jour du Seigneur (les Sabbatarians) en 1831, sans compter les nombreuses sociétés de tempérance, sur lesquelles je reviendrai. S’ils ne parviennent pas toujours à modifier la réalité des pratiques, ces mouvements réussissent parfois à changer la législation. En 1835, une loi interdit tous les combats d’animaux, et, en 1845, une autre prohibe spécifiquement les combats de coqs; en fait, ceux-ci, comme les concours de ratiers, conserveront par la suite une existence clandestine.
Jusqu’au milieu du siècle, cependant, les autorités ne se soucient guère d’augmenter l’offre culturelle pour réduire les loisirs dits « immoraux »: les quelques musées, comme la National Gallery (fondée en 1824) ou le British Museum (gratuit à partir de 1810), sont surtout situés à Londres et ne touchent qu’une petite minorité aisée; il n’y a pas de bibliothèques publiques avant la loi de 1850, guère de jardins publics (les très populaires pleasure gardens sont payants, et sur le déclin), alors que l’achèvement des enclosures a considérablement réduit l’espace public disponible pour les loisirs. Sans parler des entraves posées à la presse populaire, radicale en particulier, par le biais des taxes qui frappent, jusque dans les années 1850, les journaux. En revanche, diverses forces, notamment religieuses, œuvrent depuis déjà longtemps à l’alphabétisation populaire."
"En Grande-Bretagne, la culture populaire pré-industrielle, « ancienne », était fortement marquée, en comparaison avec ce qu’elle était dans les sociétés catholiques, par le protestantisme et ses variantes insulaires. Ses variantes, car ce n’est pas seulement l’anglicanisme qui rendait la situation de la Grande-Bretagne spécifique. À la fin du XVIIIe, et au début du XIXe, l’Église établie est souvent vue par les milieux populaires comme une Église de riches, ce qui explique le succès du méthodisme ( 100000 membres en 1801,500000 en 1851) et des différentes variantes du non-conformisme, qui représentent au total, en 1851, autant de pratiquants que l’Église anglicane. Elie Halévy voyait dans le méthodisme l’élément déterminant dans l’absence de révolution en Angleterre ; E. P. Thompson a également souligné avec force son rôle dans la formation de la conscience ouvrière. Si leurs analyses ont depuis été controversées ou révisées, l’historiographie contemporaine n’a guère revu à la baisse le poids du méthodisme. Or, on le verra, les méthodistes mettent très tôt l’accent sur l’éducation populaire : ils insistent pour que même les moins instruits de leurs membres fréquentent, lisent, connaissent la Bible. Même au sein de l’Église anglicane, l’usage du livre religieux est plus encouragé que chez les catholiques. Le protestantisme est une religion du Livre, l’Anglican doit lire la Bible. Associée au développement du commerce au XVIIIe siècle, cette pratique explique sans doute en partie la précocité de l’alphabétisation de la Grande-Bretagne, qui touche, au début du XIXe siècle, quelque 60 % des Anglais et des Gallois. En Écosse, où l’Église presbytérienne favorise plus encore le développement des écoles, les chiffres sont plus élevés (en 1855, 83% d’alphabétisés). A contrario, en Irlande, l’illettrisme affecte plus de la moitié de la population en 1841, et dans une région pauvre comme le Connaught, à l’ouest du pays, près des trois quarts des gens.
Dans l’ensemble des îles britanniques, des écoles dispensent aux enfants un enseignement rudimentaire, mais réel. Une loi de 1696, révisée en 1803, stipule que chaque paroisse doit loger et rémunérer un maître d’école. C’est en Écosse que ce système est le plus abouti. Il n’est ni gratuit, ni obligatoire, mais il touche de fait un grand nombre d’enfants ( 10,9% de la population totale en 1818); quand une paroisse est trop étendue pour que les enfants puissent aller à l’école tous les jours, les maîtres d’école sont itinérants. En Angleterre et au Pays de Galles, le système est plus fragmenté (respectivement, 6,6% et 4,8% de la population totale) :
les endowed schools, dame schools, schools of industry concernent quelque 675000 enfants en 1819. Surtout, à partir de la fin du XVIIIe, se diffuse le modèle des Sunday schools: le dimanche, on emmène deux fois les enfants à l’église, pour le catéchisme et pour l’instruction. En 1820, quelque 480000 enfants fréquentent, en Angleterre et au Pays de Galles, de telles écoles. L’inspiration de ce mouvement est nettement religieuse : il s’agit de sanctifier le jour du Seigneur, de sauver des âmes, d’apprendre à lire la Bible. L’influence méthodiste est également manifeste; un anglican et un quaker développent le principe des moniteurs. S’y ajoutent, enfin, les écoles créées par de nombreuses initiatives individuelles, souvent philanthropiques, comme celle de Robert Owen, qui a créé dans sa manufacture de coton de New Lanark une école pour enfants. En Irlande, le système est plus rudimentaire. En 1824, pourtant, quelque 40 % des enfants sont plus ou moins scolarisés; la ségrégation religieuse est quasi totale dans l’enseignement, et n’y échappent que quelques familles isolées. Une réforme, en 1831, systématise sur le papier l’enseignement élémentaire, mais de fait, l’analphabétisme reste très présent, en particulier dans la paysannerie pauvre, et il est significatif que c’est avec la Grande Famine que la proportion d’illettrés reculera de façon la plus importante, car la famine tue en premier lieu les plus démunis des Irlandais (Daly)."
"Et puis il y a les radicaux, c’est-à-dire le courant qui, notamment après la fin des guerres napoléoniennes, a lutté pour imposer une extension des droits politiques et du suffrage (limité à 3 % de la population adulte avant la réforme de 1832, puis à 7 %). Les radicaux fondent une bonne partie de leur propagande sur la diffusion de l’écrit et, malgré le timbre fiscal qui frappe la presse pour empêcher les classes populaires d’y avoir accès, des journaux radicaux, comme le Political Register de William Cobbett ( 50000 exemplaires en 1816), ou plus tard le Poor Man’s Guardian d’Hetherington. En témoigne également la forme sans doute la plus populaire qu’a prise le radicalisme, le chartisme, de 1838 à la fin des années 1840. La charte comptait six revendications, en premier lieu le suffrage universel masculin, auquel s’opposaient alors résolument aristocratie et bourgeoisie. Les chartistes cherchaient à faire signer la charte, le plus souvent lors de cérémonies publiques. Ils s’appuyaient sur une presse nationale et locale d’une portée considérable, et dont la lecture était souvent, savons-nous, collective plutôt que privée. Si leur principal organe, le Northern Star, a eu un tirage maximal de 60000 exemplaires par semaine qui semble faible en comparaison avec les grands quotidiens de la fin du siècle, cette faiblesse est à relativiser au miroir des modalités de la réception de cette presse politique : on estime jusqu’à 60 le nombre de lecteurs touchés par chaque exemplaire du journal, que ce soit par un contact écrit ou par le biais de la lecture collective. Et les chartistes cherchaient, comme les radicaux qui les avaient précédés, à diffuser la culture dans les couches auxquelles ils s’adressaient; c’est ainsi qu’alors que la pénétration des genres littéraires reconnus dans les classes moyennes restait faible dans les classes populaires, chaque journal radical avait sa colonne de poésie ou de fiction."
"Les courants qui œuvraient à l’éducation populaire dans le premier tiers du siècle le faisaient à une époque difficile : l’histoire de la culture et des loisirs populaires, c’est d’abord celle du temps libre, et l’industrialisation a le plus souvent réduit celui dont disposent les classes populaires, au moins dans les villes. On est passé en quelques décennies d’une journée de travail moyenne de 10 heures à 12 heures, voire plus dans les mines et les manufactures. On travaille six jours par semaine, et les employeurs font la guerre à la « Saint-Lundi » héritée de la société pré-industrielle, et qui disparaît progressivement, même si certains aspects perdureront jusqu’à la fin du siècle. Le nombre de jours fériés a été également considérablement restreint : légalement, il n’en reste plus que 4 en 1834 (le vendredi saint, le 1er mai, Noël, la Toussaint).
À partir des années 1840, souvent considérées comme une charnière dans le domaine de la culture populaire et des loisirs, le temps de travail commence à diminuer, et la pression des luttes ouvrières prolongera ce mouvement par la suite. Moins de travail, c’est du temps pour des loisirs, parfois des loisirs « culturels »."
"Dans la foulée de la suppression du droit de timbre, 170 titres sont créés en 1855; cette décennie voit naître le journal à un penny et plusieurs journaux dépasser les 100000 exemplaires. Hormis la presse radicale, qui décline alors pour des raisons controversées, cette progression concerne tous les types de journaux, les quotidiens ( Daily Telegraph, 200000 ex. en 1870), mais surtout les journaux dominicaux (comme News of the World, qui atteint alors le plus gros tirage au monde). C’est la grande époque des magazines à un penny ( penny magazines), qui vendent un total cumulé de plusieurs millions d’exemplaires par mois. En 1865, les huit hebdomadaires religieux les plus populaires vendent au total 1,25 à 1,5 million d’exemplaires par semaine. Les plus diffusés de ces périodiques sont néanmoins ceux qui combinent les faits divers, le sensationnel, et parfois la politique. Voici, par exemple, les titres d’un seul numéro de Lloyd’s Weekly Newspaper ( 350000 exemplaires par semaine en 1863), un journal radical à l’origine, et qui continuait de diffuser des idées contestataires : « Ce que disait l’Empereur Napoléon sur le meurtre. Jalousie : épouvantable agression au couteau. Scène terrible lors d’une exécution. Cannibalisme à Liverpool. Grande saisie d’imprimés indécents. Un homme rôti à mort. Un mari cruel et une femme adultère », etc. (Golby & Purdue).
Dans le cadre de la diffusion de l’imprimé, le nombre de livres et les tirages augmentent considérablement pendant cette période : 370 titres par an dans les années 1790,2600 dans les années 1850, plus de 6000 en 1900."
"Le plus souvent, dans les milieux populaires, lire à la maison est inconfortable, difficile, voire impossible. D’où, ici encore, le rôle central joué dans la lecture de l’imprimé par le pub, dont le milieu du siècle constitue l’âge d’or. Méthodistes, sociétés de tempérance, militants de diverses causes ont beau lutter contre l’alcoolisme, la consommation d’alcool atteint le plus haut chiffre de toute l’histoire britannique dans cette période, vers 1870 exactement. Mais le pub n’est pas qu’un débit de boisson : il est à cette époque le centre de la vie culturelle populaire, masculine du moins. On y chante, on y joue de la musique, on y lit la presse, les trade-unions s’y réunissent, tout comme les sociétés d’amélioration personnelle ( self-help). S’y ajoutent, dans certaines régions, d’autres établissements, comme les coffee-houses, et où les travailleurs peuvent apporter leur nourriture et lire la presse en prenant une tasse de café :
rien qu’à Londres, il y en a 1400 à 1600 dans les années 1840.
Mais, nous le savons, au pub, la lecture est celle du périodique plus que du livre. Reste encore une autre source, l’écriture de soi : les journaux intimes, la correspondance privée, et surtout les autobiographies ouvrières, genre prisé outre-Manche – pour le seul XIXe siècle, 800 ont été conservées ou retrouvées.
C’est ce qu’a entrepris Martyn Lyons, ou Jonathan Rose dans son ouvrage récent sur la vie intellectuelle de la classe ouvrière : il en ressort une grande autodidaxie, un très fort appétit de lecture, nourri de John Bunyan et de son Voyage du Pèlerin ( Pilgrim’s Progress), de John Milton, de Walter Scott, de Charles Dickens, de William Thackeray, mais aussi de Tom Paine, puis d’Henry George, de Thomas Hardy, etc. Mais il s’agit pour l’essentiel d’ouvriers qualifiés, autodidactes le plus souvent – une minorité significative, une minorité malgré tout."
"En 1870, la loi Forster organise l’enseignement public, à côté duquel les écoles religieuses se maintiennent, mais n’ont plus de monopoles. En 1880, l’école primaire devient obligatoire jusqu’à l’âge de 10 ans ( 12 ans en 1899), et en 1891, elle est systématiquement gratuite. L’enseignement élémentaire regroupe désormais 5 millions d’élèves, tous types d’écoles confondus, élevant considérablement les taux de scolarisation (en 1901 : 16,6 % de la population totale en Angleterre, 23 % au Pays de Galles, 17,6 % en Écosse, soit 2 à 4 fois plus qu’en 1818). En 1902, une loi renforce le poids des municipalités et de l’État sur le système scolaire, et vise à créer un système national d’enseignement secondaire public, auquel échappe cependant encore une partie très importante des classes populaires. Ici aussi, il faut se méfier de l’effet de source : si on s’en tient aux signatures des actes de mariage, l’illettrisme a disparu en 1900 ( 97% d’alphabétisés en 1900); mais par l’histoire orale, on sait qu’une constante des cinémas d’avant-guerre est que les plus jeunes lisent à voix haute les inscriptions à l’écran pour les plus âgés. Dans cette dernière partie du siècle, le recul de l’illettrisme n’est plus guère l’œuvre des non-conformistes, dont il sape en partie le rôle social : on apprend de plus en plus à lire à l’école, de moins en moins au temple."
"Les élites et la bourgeoisie victoriennes, désormais acquises aux vertus de l’enseignement pour tous, s’accommodaient d’un nombre croissant de loisirs populaires (comme le cirque ou le football). Tout au plus trouvaient-elles refuge dans d’autres lieux (les banlieues résidentielles, le foyer et non le pub), des stations balnéaires plus huppées, des activités et des loisirs qui leur étaient propres (le voyage sur le continent, le tennis, le badminton, le hockey), des pratiques culturelles différenciées. Le théâtre en est un bon exemple : à la fin du siècle, il était de moins en moins populaire : les places étaient plus chères, les théâtres restructurés, les pièces qui y étaient jouées (Wilde, Shaw, Pinero, Ibsen) inaccessibles aux milieux populaires. Certaines associations restaient explicitement fermées aux ouvriers. Et si nombre des pratiques culturelles populaires de la fin du XIXe siècle étaient aux yeux des élites plus acceptables que celles de 1800, elles ne s’y investissaient pas pour autant.
"Loisirs de masse
Cette dernière période voit donc l’essor de loisirs de masse. Sont souvent citées, pour expliquer cet expansion, des raisons culturelles ou politiques (le sport comme ferment identitaire régional ou national), mais de toute façon, ce développement est largement lié à la baisse du temps de travail que le mouvement ouvrier, le mouvement syndical conquiert graduellement. Ce qu’on appelle alors en France « la semaine anglaise », c’est-à-dire la libération du samedi après-midi, s’impose au fur et à mesure, des années 1850 aux années 1890, où c’est alors la norme. Les différences régionales sont considérables, et permettent de mesurer l’impact de cette demi-journée supplémentaire : par exemple, sur une période de six mois en 1879-80, on recense 811 matches de football annoncés à Birmingham, où le samedi après-midi libre était alors la norme, contre 2 à Liverpool, où cette demi-journée ne s’était pas encore imposée (T. Mason)."
Autre loisir de sortie, de spectacle, dont il est difficile de surestimer la popularité : le music-hall. Il prend son essor à partir des années 1850, et connaît son âge d’or à la fin du siècle. Le music-hall intègre non seulement le chant et la danse, mais aussi l’acrobatie, la pantomime, et les numéros de clown. Il est l’objet de nombreuses critiques car on y boit, on y rencontre des prostituées, on y joue, on y chahute – le public des music-halls n’est pas passif, il participe au spectacle. Les propriétaires font des efforts de respectabilité, allant jusqu’à renoncer à y vendre de l’alcool. Mais, jusqu’à la fin du siècle, le succès du music-hall ne se dément pas – en 1900, on en dénombre 328 rien qu’à Londres. De plus, à la différence du football, le music-hall était souvent une sortie familiale, à laquelle prenaient part les femmes.
À partir de 1900, c’est le cinéma qui s’impose et devient très rapidement la plus populaire des « sorties », même si cinéma et music-hall ont coexisté quelque temps. À la veille de la guerre, 4000 cinémas attirent 7 ou 8 millions de spectateurs par semaine, pour un total de 400 millions d’entrées par an. Le cinéma attire surtout un public ouvrier, jeune, où les femmes sont très présentes."
-Fabrice Bensimon, « La culture populaire au Royaume-Uni, 1800-1914 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2001/5 (no48-4bis), p. 75-91. DOI : 10.3917/rhmc.485.0075. URL : https://www.cairn-int.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2001-5-page-75.htm