https://www.cairn.info/revue-mil-neuf-cent-2001-1-page-43.htm
"Pour Péguy, en ce « demi-clair matin » du 6 juin 1905, est alors apparue de manière brutale, aux yeux de tous, la menace d’une invasion allemande. Le tournant de juin 1905 est avant tout la prise de conscience que l’anéantissement est proche. « Un orage montait que nul ne voyait venir », écrit-il. Cette menace n’est pas seulement celle qui pèse sur la France, mais au-delà sur toute idée de civilisation. Péguy a, en effet, la vision de la fin possible de la liberté et du progrès. Car ce dernier n’est en rien une fatalité inéluctable. Il appartient aux hommes d’en préserver le principe, en maintenant en eux cette conscience aiguë de la fragilité de l’idée de progrès humain."
"La France du 5 juin ne s’est pas réveillée le lendemain nationaliste. Péguy ne considère pas, d’ailleurs, que l’élément pertinent serait, à cet instant précis, le passage d’une France dreyfusarde à une France nationaliste. Car, pour lui, la corruption du dreyfusisme a déjà eu lieu. De même, le basculement observé le 6 juin n’est pas intellectuel ; il est populaire. Il est la prise de conscience d’une menace qui n’est pas apparue ex nihilo, mais qui existait bel et bien depuis plusieurs décennies. La nouveauté réelle est bien la conscience contagieuse d’une identité menacée."
"Romain Rolland s’y arrête en 1944 dans son Péguy. Il évoque cette résonance personnelle, ce plaisir de Péguy à son propre accablement, sa hantise de la mort violente. Pour Péguy, 1905 est la référence."
"Mais cette perception n’est pas, selon lui, née de l’action consciente, concertée du monde intellectuel ou politique. C’est une perception populaire. C’est le peuple qui a compris à cet instant que la vie n’était pas celle qu’il avait cru être jusqu’alors, et c’est lui, le peuple, qui va changer le cours des choses en se préparant à faire face à la menace d’invasion allemande.
Le rôle de l’intellectuel est alors, pour Péguy, d’être de son peuple, de sa race. Or, à ses yeux, la France a une mission dans le carcan du monde moderne. Elle est la dernière nation qui puisse encore donner à la liberté et à la justice leur véritable sens. Cette inscription de l’intellectuel dans la communauté nationale lui permet de la sorte de demeurer fidèle à la mystique dreyfusarde."
-Éric Thiers, « Charles Péguy : la révélation du 6 juin 1905 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 43-52. DOI : 10.3917/mnc.019.0043. URL : https://www.cairn-int.info/revue-mil-neuf-cent-2001-1-page-43.htm
"Pour Péguy, en ce « demi-clair matin » du 6 juin 1905, est alors apparue de manière brutale, aux yeux de tous, la menace d’une invasion allemande. Le tournant de juin 1905 est avant tout la prise de conscience que l’anéantissement est proche. « Un orage montait que nul ne voyait venir », écrit-il. Cette menace n’est pas seulement celle qui pèse sur la France, mais au-delà sur toute idée de civilisation. Péguy a, en effet, la vision de la fin possible de la liberté et du progrès. Car ce dernier n’est en rien une fatalité inéluctable. Il appartient aux hommes d’en préserver le principe, en maintenant en eux cette conscience aiguë de la fragilité de l’idée de progrès humain."
"La France du 5 juin ne s’est pas réveillée le lendemain nationaliste. Péguy ne considère pas, d’ailleurs, que l’élément pertinent serait, à cet instant précis, le passage d’une France dreyfusarde à une France nationaliste. Car, pour lui, la corruption du dreyfusisme a déjà eu lieu. De même, le basculement observé le 6 juin n’est pas intellectuel ; il est populaire. Il est la prise de conscience d’une menace qui n’est pas apparue ex nihilo, mais qui existait bel et bien depuis plusieurs décennies. La nouveauté réelle est bien la conscience contagieuse d’une identité menacée."
"Romain Rolland s’y arrête en 1944 dans son Péguy. Il évoque cette résonance personnelle, ce plaisir de Péguy à son propre accablement, sa hantise de la mort violente. Pour Péguy, 1905 est la référence."
"Mais cette perception n’est pas, selon lui, née de l’action consciente, concertée du monde intellectuel ou politique. C’est une perception populaire. C’est le peuple qui a compris à cet instant que la vie n’était pas celle qu’il avait cru être jusqu’alors, et c’est lui, le peuple, qui va changer le cours des choses en se préparant à faire face à la menace d’invasion allemande.
Le rôle de l’intellectuel est alors, pour Péguy, d’être de son peuple, de sa race. Or, à ses yeux, la France a une mission dans le carcan du monde moderne. Elle est la dernière nation qui puisse encore donner à la liberté et à la justice leur véritable sens. Cette inscription de l’intellectuel dans la communauté nationale lui permet de la sorte de demeurer fidèle à la mystique dreyfusarde."
-Éric Thiers, « Charles Péguy : la révélation du 6 juin 1905 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 43-52. DOI : 10.3917/mnc.019.0043. URL : https://www.cairn-int.info/revue-mil-neuf-cent-2001-1-page-43.htm