"L'image d'un XIXe siècle sombre et triste, austère et contraignant pour les femmes, est une représentation spontanée. Certes, ce siècle a repensé la vie des femmes comme le déroulement d'une histoire personnelle soumise à une codification collective précise, socialement élaborée. On aurait tort de croire cependant que cette époque est seulement le temps d'une longue domination, d'une absolue soumission des femmes. Car ce siècle signe la naissance du féminisme, mot emblématique qui désigne aussi bien des changements structurels importants (travail salarié, autonomie de l'individu civil, droit à l'instruction) que l'apparition collective des femmes sur la scène politique. Ainsi faudrait-il dire plutôt que ce siècle est le moment historique où la vie des femmes change, plus exactement où la perspective de la vie des femmes change: temps de la modernité où est rendue possible une position de sujet, individu à part entière et actrice politique, future citoyenne. Malgré l'extrême codification de la vie quotidienne féminine, le champ des possibles s'agrandit et l'aventure n'est pas loin.
Le XIXe siècle s'ouvre et se ferme sur deux événements, une révolution, une guerre: les historiens le parcourent de 1789 à 1914, sans qu'on puisse dire pour autant que ces événements produisent l'essentiel du sens de cette époque. Pour ce qui est des femmes cependant, on remarquera qu'une révolution comme une guerre peut les appeler à la tâche tout en sachant ensuite plus ou moins vite les congédier." (pp.11-12)
"Le féminisme qu'on aperçoit en filigrane dans la pratique révolutionnaire de 1789 surgit après 1830." (p.13)
"Ce sont les philosophes allemands qui donnent le ton tout au long du siècle." (p.17)
-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et libertés", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.11-18.
"La travailleuse acquiert au cours du XIXe siècle un relief extraordinaire. Certes, elle existait longtemps avant l'avènement du capitalisme industriel, gagnant sa vie comme fileuse, couturière, ouvrière dans l'orfèvrerie, la brasserie, la métallurgie, comme boutonnière, dentellière, bonne d'enfants, fille de laiterie ou femme de chambre dans les villes et les campagnes d'Europe et d'Amérique. Mais, au XIXe siècle, elle est observée, décrite, étudiée, avec une attention sans précédent." (p.479)
"Les questions qu'elle suscitait étaient toujours les mêmes: une femme doit-elle travailler pour de l'argent ? Quelle est l'influence du travail salarié sur le corps d'une femme et sur sa capacité à remplir son rôle de mère de famille ? Quelle sorte de travail est convenable pour une femme ? Tout le monde n'était pas d'accord avec le législateur français Jules Simon qui déclarait en 1860 qu' "une femme qui se met à travailler n'est plus une femme", mais la plupart de ceux qui prenaient part au débat sur le travail des femmes organisaient leur argumentation autour d'une prétendue opposition entre foyer et travail, maternité et salariat, féminité et productivité." (p.480)
"Certaines femmes travaillaient déjà régulièrement hors de chez elles dans la période qui précède l'industrialisation. Mariées ou célibataires, elles vendaient des marchandises sur les marchés, gagnaient de l'argent grâce à de petits commerces ou au colportage, se louaient pour des emplois temporaires, comme bonnes d'enfants ou blanchisseuses, faisaient de la poterie, de la soie, de la dentelle, des vêtements, des objets en métal, de la quincaillerie, du tissage ou de l'impression de tissus dans les ateliers. Si le travail et les soins des enfants n'étaient pas compatibles, les mères envoyaient leurs bébés chez des nourrices ou des gardiennes plutôt que d'abandonner leur emploi. A la recherche d'un salaire, les femmes s'engagèrent dans de nombreux métiers et se déplacèrent aussi d'un emploi à un autre. Maurice Garden remarque dans son livre sur Lyon que l' "ampleur du travail féminin est un des traits marquants de la société lyonnaise au XVIIIe siècle..."." (p.483)
"Dans la plupart des pays occidentaux en cours d'industrialisation, le service domestique constituait le secteur d'emploi le plus important pour les femmes. En Angleterre, premier nation industrielle, 40% des travailleuses étaient domestiques en 1851, alors que 22% seulement se trouvaient employées dans les usines textiles ; en France, les chiffres correspondants, en 1866, étaient de 22% pour les emplois de domestiques et de 10% dans le textile ; en Prusse, en 1882, les domestiques étaient 18% de l'ensemble des travailleuses, et les ouvrières d'usine 12% environ. Mais, que l'on considère les domestiques ou les ouvrières d'usine, il s'agissait de filles du même âge. [...] A Roubaix, dans l'industrie textile, 82% des employées avaient moins de trente ans ; à Stockport, en Angleterre, l'âge moyen des tisserandes était de 1841 de vingt ans, et de vingt-quatre ans en 1861." (pp.484-485)
"S'il y eut des problèmes liés à ces changements -une discipline horaire nouvelle, des machines bruyantes, un salaire dépendant du marché et des cycles économiques, des employeurs mus par le désir de profit, ils ne venaient cependant pas du fait que les femmes avaient quitté leur foyer et leur cadre familial. (En fait, le travail en usine permit souvent à des filles qui auraient dû habiter chez leur patron de vivre au contraire avec leur famille.)." (p.485)
"Les femmes travaillaient davantage dans des secteurs "traditionnels" de l'économie que dans des fabriques industrielles. Dans la petite manufacture, le commerce et le service, les femmes mariées ou célibataires suivaient l'exemple du passé: elles travaillaient sur les marchés, dans les boutiques ou chez elles, vendaient des produits alimentaires, transportaient des marchandises, faisaient du blanchissage, tenaient des pensions de famille, fabriquaient des allumettes ou des boîtes d'allumettes, des boîtes en carton, des fleurs artificielles, des bijoux et des pièces de vêtements. Les lieux de travail étaient variés, même pour une seule femme." (pp.485-486)
"Dans les années 1830-1840, en France et en Angleterre, avec le développement de l'industrie de la confection, les ouvrières trouvèrent un peu partout du travail (à faire chez elles ou en atelier). Bien que la production de vêtement ait commencé à se développer en usine (dans les années 1850 en Angleterre, les années 1880 en France), le travail à la tâche (sweated labor) restait le plus répandu." (p.486)
"Les emplois "en col blanc" ont conservé certains traits marquants du travail des femmes. Ces emplois sont apparus vers la fin du XIXe siècle dans le secteur commercial et le service public. [...] Ces emplois s'adressaient au même genre de femmes que celles qui avaient constitué la main-d'œuvre féminine typique: des filles jeunes et célibataires. Les bureaux du gouvernement, les compagnies d'affaires et d'assurance embauchèrent des secrétaires, des dactylos et des commises, les bureaux de poste s'adressèrent aux femmes pour la vente des timbres, les compagnies du téléphone et du télégraphe employèrent des opératrices, les boutiques et les grands magasins recrutèrent des vendeuses, les hôpitaux, nouvellement organisés, embauchèrent des équipes d'infirmières, et les écoles subventionnées par l'Etat des enseignantes. [...]
Il y eut donc un déplacement massif, tout au long du XIXe siècle, des activités domestiques (citadines ou rurales, ménagères, artisanales et agricoles) vers les emplois "en col blanc". [...] En France, en 1906, les femmes occupaient plus de 40% des emplois en col blanc." (pp.487-488)
"On ne peut donc pas soutenir la thèse que l'industrialisation provoqua une séparation entre foyer et travail, forçant les femmes à choisir entre travail domestique et travail salarié. On ne peut pas davantage démontrer que cette séparation a posé aux femmes des problèmes en les maintenant dans des emplois marginaux et peu rémunérés." (p.489)
"Les syndicats refusaient souvent l'adhésion de femmes, ou bien demandaient qu'on leur accorde, avant qu'ils acceptent les acceptent, un salaire égal à celui des hommes. [...] Les femmes étaient associés à l'idée d'un travail bon marché, mais tous les travaux de cette sorte n'étaient pas jugés bons pour elles. Si on pensait qu'elles pouvaient exercer un métier dans la chaussure, le tabac, l'alimentation et le cuir, on les trouvait rarement dans les mines, le bâtiment, la construction mécanique ou la construction navale, même quand le besoin de main-d'oeuvre dite "non qualifiée" se faisait sentir. [...] Le sexe devint [...] un critère de recrutement de plus en plus important. Les travailleuses étaient embauchées pour des "travaux de femmes", adaptés d'une manière ou d'une autre à leurs compétences physiques et à leur niveau propre de productivité. Ce discours provoqua une division sexuelle de la main-d'œuvre sur le marché du travail, rassemblant les femmes dans certains emplois, les plaçant toujours au bas d'une hiérarchie professionnelle, et établissant leurs salaires à des taux insuffisants pour leur subsistance." (p.490)
"Même lorsque la mécanisation augmentait leur productivité, comme dans l'industrie de la bonneterie à Leicester (Angleterre) durant les années 1870, les salaires des femmes restaient au niveau très bas (par rapport à ceux des hommes) qu'ils avaient dans le travail familial." (p.494)
"Dans le service français du télégraphe, durant les années 1880, hommes et femmes travaillaient dans des pièces séparées, et sur des postes différents, sans doute pour limiter les contacts entre des personnes de sexes différents, et l'immoralité qui auraient pu s'ensuivre. De plus, les locaux, nettement différenciés, soulignaient l'inégalité de statut entre travailleurs et travailleuses, différence reflétée dans les barèmes appliqués aux salaires pour chacun des groupes." (p.499)
"Dans d'autres régions, elles formaient des organisations syndicales nationales féminines, et recrutaient des travailleuses dans les métiers les plus divers. (La British Women's Trade Union League, créée en 1889, par exemple, fonda la Fédération nationale des travailleuses en 1906 et, à l'aube de la Première Guerre mondiale, en 1914, comptait environ 20 000 membres)." (p.502)
"Au XIXe siècle, la revendication d'un salaire familial occupa une place de plus en plus centrale dans la politique des syndicats. Ce salaire ne fut, bien sûr, jamais tout à fait effectif, et les femmes mariées continuèrent à chercher du travail, mais la femme au foyer commença à représenter l'idéal de respectabilité des classes laborieuses." (p.504)
"En Angleterre, d'après Jane Lewis, le recensement de 1881 fut le premier à exclure les occupations ménagères des femmes des catégories de travail. "Dès que les femmes qui travaillaient à la maison ont été classés comme "sans emploi", le taux d'activité des femmes fut réduit de moitié". Auparavant, femmes et hommes de plus de vingt ans avaient des niveaux d'activité économique équivalents. Après 1881, vie domestique et productivité furent présentées comme antithétiques. Cette reclassification (qui eut lieu également dans d'autres pays, à des dates différentes) ne reflétait pas tant les changements dans les conditions d'emploi qu'une interprétation sociale de la différence entre les sexes. Les femmes à la maison n'étaient pas des travailleuses, ou n'étaient pas supposées l'être ; en fait, quelquefois, même si elles gagnaient de l'argent chez elles à des travaux de couture ou autres, les agents du recensement ne considéraient pas cette activité comme du vrai travail, puisqu'elle n'était exercée ni à plein temps, ni hors de la maison. Le résultat fut que la plus grande partie du travail rémunéré exercé par les femmes n'apparut pas dans les statistiques gouvernementales ; invisible, il ne pouvait pas être l'objet d'attention ni d'amélioration." (pp.510-511)
-Joan W. Scott, "La Travailleuse", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.479-511 pages.
"Il y eut alors comme un "âge d'or" du féminisme occidental qui participe au développement de la démocratie et de l'individualisme."
-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, p.536.
"Théorie des "sphères" dont Ruskin se fait l'interprète (Of Queen's Gardens, 1864)." (p.539)
"La philanthropie a constitué pour les femmes une expérience non négligeable qui a modifié leur perception du monde, leur sens d'elles-mêmes et, jusqu'à un certain point, leur insertion publique. [...] London Bible Women and Nurses Mission de Ellen R. White en 1859 ou la Charity Organization Society d'Octavia Hill en 1869. [...] Octavia Hill, femme d'affaires avisée et membre de très nombreux comités, conçoit la philanthropie comme une science destinée à promouvoir la responsabilité individuelle ; son livre, Our Common Land (1877), empreint d'idéologie libérale, exprime une foi optimiste dans l'initiative privée qu'elle préfère à l'intervention de l'Etat." (p.541)
"Des féministes, des syndicalistes, telles Gabrielles Duchêne et Jeanne Bouvier, créèrent un Office du travail à domicile, fortement documenté, et furent à l'origine de la loi du 10 juillet 1915 instituant pour la première fois contrôle du travail à domicile et minimum de salaire: deux mesures qui inaugurent un droit social nouveau." (p.543)
"[A la fin du siècle] La gestion du social passe aux mains des politiques et des professionnels: médecins, juristes, psychologues, prompts à faire des femmes des auxiliaires cantonnées dans les emplois subalternes: infirmières, assistances sociales. Un autre type de lutte, pour la formation professionnelle et la reconnaissance de diplômes garants d'un statut, commence." (p.547)
"En France, entre 1870 et 1890, elles représentent 4% des grévistes alors qu'elles forment 30% de la main-d'œuvre." (p.550)
"En Grande-Bretagne, où la sociabilité féminine était peut-être plus développée et le suffragisme spécialement éclatant, la situation était différente. Les tisseuses en coton du Lancashire, fortement syndiquées, sont en même temps des suffragistes militantes. [...] Elles mènent dans les années 1893-1900 une ardente campagne de pétitions et réunissent près de 30 000 signatures d'ouvrières que leurs déléguées portent au Parlement." (p.554)
"La loi du 30 avril 1793 renvoie dans leurs foyers les femmes aventurées aux armées et leur interdit désormais toute prestation militaire ; il en subsistera quelques-unes, dissimulées. Mais l'opprobre désormais s'attache à celles qui s'enrôlent. En 1848, la raillerie salace poursuit les Allemandes, et surtout les Vésuviennes de Paris, ces femmes du peuple armées, qui avaient l'audace de revendiquer une "Constitution politique des femmes", le port du costume masculin et l'accès à tous les emplois publics, "civils, religieux, militaires"." (p.570)
"L'image de la femme soldat, compatible avec une vision aristocratique et religieuse, était devenue insupportable à ce siècle bourgeois, pour lequel la violence des femmes -criminelles, guerrières ou terroristes- est un scandale." (p.571)
-Michelle Perrot, "Sortir", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.539-574.
Le XIXe siècle s'ouvre et se ferme sur deux événements, une révolution, une guerre: les historiens le parcourent de 1789 à 1914, sans qu'on puisse dire pour autant que ces événements produisent l'essentiel du sens de cette époque. Pour ce qui est des femmes cependant, on remarquera qu'une révolution comme une guerre peut les appeler à la tâche tout en sachant ensuite plus ou moins vite les congédier." (pp.11-12)
"Le féminisme qu'on aperçoit en filigrane dans la pratique révolutionnaire de 1789 surgit après 1830." (p.13)
"Ce sont les philosophes allemands qui donnent le ton tout au long du siècle." (p.17)
-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et libertés", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.11-18.
"La travailleuse acquiert au cours du XIXe siècle un relief extraordinaire. Certes, elle existait longtemps avant l'avènement du capitalisme industriel, gagnant sa vie comme fileuse, couturière, ouvrière dans l'orfèvrerie, la brasserie, la métallurgie, comme boutonnière, dentellière, bonne d'enfants, fille de laiterie ou femme de chambre dans les villes et les campagnes d'Europe et d'Amérique. Mais, au XIXe siècle, elle est observée, décrite, étudiée, avec une attention sans précédent." (p.479)
"Les questions qu'elle suscitait étaient toujours les mêmes: une femme doit-elle travailler pour de l'argent ? Quelle est l'influence du travail salarié sur le corps d'une femme et sur sa capacité à remplir son rôle de mère de famille ? Quelle sorte de travail est convenable pour une femme ? Tout le monde n'était pas d'accord avec le législateur français Jules Simon qui déclarait en 1860 qu' "une femme qui se met à travailler n'est plus une femme", mais la plupart de ceux qui prenaient part au débat sur le travail des femmes organisaient leur argumentation autour d'une prétendue opposition entre foyer et travail, maternité et salariat, féminité et productivité." (p.480)
"Certaines femmes travaillaient déjà régulièrement hors de chez elles dans la période qui précède l'industrialisation. Mariées ou célibataires, elles vendaient des marchandises sur les marchés, gagnaient de l'argent grâce à de petits commerces ou au colportage, se louaient pour des emplois temporaires, comme bonnes d'enfants ou blanchisseuses, faisaient de la poterie, de la soie, de la dentelle, des vêtements, des objets en métal, de la quincaillerie, du tissage ou de l'impression de tissus dans les ateliers. Si le travail et les soins des enfants n'étaient pas compatibles, les mères envoyaient leurs bébés chez des nourrices ou des gardiennes plutôt que d'abandonner leur emploi. A la recherche d'un salaire, les femmes s'engagèrent dans de nombreux métiers et se déplacèrent aussi d'un emploi à un autre. Maurice Garden remarque dans son livre sur Lyon que l' "ampleur du travail féminin est un des traits marquants de la société lyonnaise au XVIIIe siècle..."." (p.483)
"Dans la plupart des pays occidentaux en cours d'industrialisation, le service domestique constituait le secteur d'emploi le plus important pour les femmes. En Angleterre, premier nation industrielle, 40% des travailleuses étaient domestiques en 1851, alors que 22% seulement se trouvaient employées dans les usines textiles ; en France, les chiffres correspondants, en 1866, étaient de 22% pour les emplois de domestiques et de 10% dans le textile ; en Prusse, en 1882, les domestiques étaient 18% de l'ensemble des travailleuses, et les ouvrières d'usine 12% environ. Mais, que l'on considère les domestiques ou les ouvrières d'usine, il s'agissait de filles du même âge. [...] A Roubaix, dans l'industrie textile, 82% des employées avaient moins de trente ans ; à Stockport, en Angleterre, l'âge moyen des tisserandes était de 1841 de vingt ans, et de vingt-quatre ans en 1861." (pp.484-485)
"S'il y eut des problèmes liés à ces changements -une discipline horaire nouvelle, des machines bruyantes, un salaire dépendant du marché et des cycles économiques, des employeurs mus par le désir de profit, ils ne venaient cependant pas du fait que les femmes avaient quitté leur foyer et leur cadre familial. (En fait, le travail en usine permit souvent à des filles qui auraient dû habiter chez leur patron de vivre au contraire avec leur famille.)." (p.485)
"Les femmes travaillaient davantage dans des secteurs "traditionnels" de l'économie que dans des fabriques industrielles. Dans la petite manufacture, le commerce et le service, les femmes mariées ou célibataires suivaient l'exemple du passé: elles travaillaient sur les marchés, dans les boutiques ou chez elles, vendaient des produits alimentaires, transportaient des marchandises, faisaient du blanchissage, tenaient des pensions de famille, fabriquaient des allumettes ou des boîtes d'allumettes, des boîtes en carton, des fleurs artificielles, des bijoux et des pièces de vêtements. Les lieux de travail étaient variés, même pour une seule femme." (pp.485-486)
"Dans les années 1830-1840, en France et en Angleterre, avec le développement de l'industrie de la confection, les ouvrières trouvèrent un peu partout du travail (à faire chez elles ou en atelier). Bien que la production de vêtement ait commencé à se développer en usine (dans les années 1850 en Angleterre, les années 1880 en France), le travail à la tâche (sweated labor) restait le plus répandu." (p.486)
"Les emplois "en col blanc" ont conservé certains traits marquants du travail des femmes. Ces emplois sont apparus vers la fin du XIXe siècle dans le secteur commercial et le service public. [...] Ces emplois s'adressaient au même genre de femmes que celles qui avaient constitué la main-d'œuvre féminine typique: des filles jeunes et célibataires. Les bureaux du gouvernement, les compagnies d'affaires et d'assurance embauchèrent des secrétaires, des dactylos et des commises, les bureaux de poste s'adressèrent aux femmes pour la vente des timbres, les compagnies du téléphone et du télégraphe employèrent des opératrices, les boutiques et les grands magasins recrutèrent des vendeuses, les hôpitaux, nouvellement organisés, embauchèrent des équipes d'infirmières, et les écoles subventionnées par l'Etat des enseignantes. [...]
Il y eut donc un déplacement massif, tout au long du XIXe siècle, des activités domestiques (citadines ou rurales, ménagères, artisanales et agricoles) vers les emplois "en col blanc". [...] En France, en 1906, les femmes occupaient plus de 40% des emplois en col blanc." (pp.487-488)
"On ne peut donc pas soutenir la thèse que l'industrialisation provoqua une séparation entre foyer et travail, forçant les femmes à choisir entre travail domestique et travail salarié. On ne peut pas davantage démontrer que cette séparation a posé aux femmes des problèmes en les maintenant dans des emplois marginaux et peu rémunérés." (p.489)
"Les syndicats refusaient souvent l'adhésion de femmes, ou bien demandaient qu'on leur accorde, avant qu'ils acceptent les acceptent, un salaire égal à celui des hommes. [...] Les femmes étaient associés à l'idée d'un travail bon marché, mais tous les travaux de cette sorte n'étaient pas jugés bons pour elles. Si on pensait qu'elles pouvaient exercer un métier dans la chaussure, le tabac, l'alimentation et le cuir, on les trouvait rarement dans les mines, le bâtiment, la construction mécanique ou la construction navale, même quand le besoin de main-d'oeuvre dite "non qualifiée" se faisait sentir. [...] Le sexe devint [...] un critère de recrutement de plus en plus important. Les travailleuses étaient embauchées pour des "travaux de femmes", adaptés d'une manière ou d'une autre à leurs compétences physiques et à leur niveau propre de productivité. Ce discours provoqua une division sexuelle de la main-d'œuvre sur le marché du travail, rassemblant les femmes dans certains emplois, les plaçant toujours au bas d'une hiérarchie professionnelle, et établissant leurs salaires à des taux insuffisants pour leur subsistance." (p.490)
"Même lorsque la mécanisation augmentait leur productivité, comme dans l'industrie de la bonneterie à Leicester (Angleterre) durant les années 1870, les salaires des femmes restaient au niveau très bas (par rapport à ceux des hommes) qu'ils avaient dans le travail familial." (p.494)
"Dans le service français du télégraphe, durant les années 1880, hommes et femmes travaillaient dans des pièces séparées, et sur des postes différents, sans doute pour limiter les contacts entre des personnes de sexes différents, et l'immoralité qui auraient pu s'ensuivre. De plus, les locaux, nettement différenciés, soulignaient l'inégalité de statut entre travailleurs et travailleuses, différence reflétée dans les barèmes appliqués aux salaires pour chacun des groupes." (p.499)
"Dans d'autres régions, elles formaient des organisations syndicales nationales féminines, et recrutaient des travailleuses dans les métiers les plus divers. (La British Women's Trade Union League, créée en 1889, par exemple, fonda la Fédération nationale des travailleuses en 1906 et, à l'aube de la Première Guerre mondiale, en 1914, comptait environ 20 000 membres)." (p.502)
"Au XIXe siècle, la revendication d'un salaire familial occupa une place de plus en plus centrale dans la politique des syndicats. Ce salaire ne fut, bien sûr, jamais tout à fait effectif, et les femmes mariées continuèrent à chercher du travail, mais la femme au foyer commença à représenter l'idéal de respectabilité des classes laborieuses." (p.504)
"En Angleterre, d'après Jane Lewis, le recensement de 1881 fut le premier à exclure les occupations ménagères des femmes des catégories de travail. "Dès que les femmes qui travaillaient à la maison ont été classés comme "sans emploi", le taux d'activité des femmes fut réduit de moitié". Auparavant, femmes et hommes de plus de vingt ans avaient des niveaux d'activité économique équivalents. Après 1881, vie domestique et productivité furent présentées comme antithétiques. Cette reclassification (qui eut lieu également dans d'autres pays, à des dates différentes) ne reflétait pas tant les changements dans les conditions d'emploi qu'une interprétation sociale de la différence entre les sexes. Les femmes à la maison n'étaient pas des travailleuses, ou n'étaient pas supposées l'être ; en fait, quelquefois, même si elles gagnaient de l'argent chez elles à des travaux de couture ou autres, les agents du recensement ne considéraient pas cette activité comme du vrai travail, puisqu'elle n'était exercée ni à plein temps, ni hors de la maison. Le résultat fut que la plus grande partie du travail rémunéré exercé par les femmes n'apparut pas dans les statistiques gouvernementales ; invisible, il ne pouvait pas être l'objet d'attention ni d'amélioration." (pp.510-511)
-Joan W. Scott, "La Travailleuse", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.479-511 pages.
"Il y eut alors comme un "âge d'or" du féminisme occidental qui participe au développement de la démocratie et de l'individualisme."
-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, p.536.
"Théorie des "sphères" dont Ruskin se fait l'interprète (Of Queen's Gardens, 1864)." (p.539)
"La philanthropie a constitué pour les femmes une expérience non négligeable qui a modifié leur perception du monde, leur sens d'elles-mêmes et, jusqu'à un certain point, leur insertion publique. [...] London Bible Women and Nurses Mission de Ellen R. White en 1859 ou la Charity Organization Society d'Octavia Hill en 1869. [...] Octavia Hill, femme d'affaires avisée et membre de très nombreux comités, conçoit la philanthropie comme une science destinée à promouvoir la responsabilité individuelle ; son livre, Our Common Land (1877), empreint d'idéologie libérale, exprime une foi optimiste dans l'initiative privée qu'elle préfère à l'intervention de l'Etat." (p.541)
"Des féministes, des syndicalistes, telles Gabrielles Duchêne et Jeanne Bouvier, créèrent un Office du travail à domicile, fortement documenté, et furent à l'origine de la loi du 10 juillet 1915 instituant pour la première fois contrôle du travail à domicile et minimum de salaire: deux mesures qui inaugurent un droit social nouveau." (p.543)
"[A la fin du siècle] La gestion du social passe aux mains des politiques et des professionnels: médecins, juristes, psychologues, prompts à faire des femmes des auxiliaires cantonnées dans les emplois subalternes: infirmières, assistances sociales. Un autre type de lutte, pour la formation professionnelle et la reconnaissance de diplômes garants d'un statut, commence." (p.547)
"En France, entre 1870 et 1890, elles représentent 4% des grévistes alors qu'elles forment 30% de la main-d'œuvre." (p.550)
"En Grande-Bretagne, où la sociabilité féminine était peut-être plus développée et le suffragisme spécialement éclatant, la situation était différente. Les tisseuses en coton du Lancashire, fortement syndiquées, sont en même temps des suffragistes militantes. [...] Elles mènent dans les années 1893-1900 une ardente campagne de pétitions et réunissent près de 30 000 signatures d'ouvrières que leurs déléguées portent au Parlement." (p.554)
"La loi du 30 avril 1793 renvoie dans leurs foyers les femmes aventurées aux armées et leur interdit désormais toute prestation militaire ; il en subsistera quelques-unes, dissimulées. Mais l'opprobre désormais s'attache à celles qui s'enrôlent. En 1848, la raillerie salace poursuit les Allemandes, et surtout les Vésuviennes de Paris, ces femmes du peuple armées, qui avaient l'audace de revendiquer une "Constitution politique des femmes", le port du costume masculin et l'accès à tous les emplois publics, "civils, religieux, militaires"." (p.570)
"L'image de la femme soldat, compatible avec une vision aristocratique et religieuse, était devenue insupportable à ce siècle bourgeois, pour lequel la violence des femmes -criminelles, guerrières ou terroristes- est un scandale." (p.571)
-Michelle Perrot, "Sortir", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.539-574.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 20 Oct - 17:10, édité 2 fois