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    Willy Gianinazzi, Le syndicalisme révolutionnaire en Italie (1904-1925). Les hommes et les luttes

    Johnathan R. Razorback
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    Willy Gianinazzi, Le syndicalisme révolutionnaire en Italie (1904-1925). Les hommes et les luttes Empty Willy Gianinazzi, Le syndicalisme révolutionnaire en Italie (1904-1925). Les hommes et les luttes

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 2 Nov - 10:32

    https://www.cairn.info/revue-mil-neuf-cent-2006-1-page-95.htm

    "Un processus parallèle de désignation eut lieu en Italie. À la fin de 1904, au lendemain d’une première grève nationale qui mit en émoi tout le pays, la gauche révolutionnaire du Parti socialiste commença à invoquer le « syndicalisme révolutionnaire ». La référence au mouvement français, et donc en quelque sorte la paternité de celui-ci, étaient indéniables puisque le mot même de « syndicat » était inconnu en italien dans l’acception française (on parlait en ce sens de « résistance » – comme jadis en France – ou de « ligue »), ce qui permettait, de façon non anodine, de nommer ce courant par l’abréviation de sindacalismo (« syndicalisme »).

    Arturo Labriola, mentor de cette mouvance naissante, connaissait bien la France pour y avoir été en exil (1898-1899) tout comme l’œuvre de Sorel qu’il citait souvent et dont, en 1903, il avait publié dans son hebdomadaire milanais
    Avanguardia socialista la brochure très ouvriériste sur L’avenir socialiste des syndicats. Les contacts entre un versant et l’autre des Alpes furent fréquents. Les militants italiens réservèrent un bon accueil aux articles de Sorel, Lagardelle et Gustave Hervé qui les payèrent en retour en leur ouvrant généreusement les colonnes de leurs périodiques (le Mouvement socialiste, la Guerre sociale), ainsi que le fera plus tard la Vie ouvrière. Différemment que pour la France, le syndicalisme révolutionnaire représentait, jusqu’au néologisme qui le désignait, une grande nouveauté pour l’Italie. Mais il ne fait guère de doute que sa naissance et son essor tenaient plus à des raisons nationales qu’à l’importation d’idées qui seraient demeurées stériles sans un terreau préparé à les recevoir."

    "En Italie, le cours libéral que Giovanni Giolitti imprima aux gouvernements qui se succédèrent à partir du printemps 1901 bénéficia de la bienveillance des parlementaires socialistes en échange de la neutralité de l’État dans les conflits sociaux. De nombreuses grèves spontanées se déroulèrent avec succès en 1901 et 1902. Le mouvement paysan (composé de salariés et de métayers) prit son envol, surtout en Émilie. Mais c’était sans compter avec le faible niveau d’organisation et d’encadrement des travailleurs du Midi qui s’exposaient, lors de conflits devenus plus âpres à la suite du renversement de conjoncture en 1903, aux fusillades des forces de l’ordre ; en se répétant, ces répressions sanglantes suscitaient parmi les ouvriers conscients de l’Italie une indignation de plus en plus grande et difficile à contenir. En 1903, il était évident que le souffle libéral du gouvernement, s’il avait jamais existé, s’était épuisé et que le va-tout parlementaire du leader réformiste Filippo Turati n’avait plus la cote au sein du parti.

    Dès 1901, l’opposition s’était cristallisée à Naples où les socialistes locaux (Enrico Leone, Ernesto Cesare Longobardi, Arturo Labriola), qui menaient la guerre à la camorra liée au parti au pouvoir, n’avaient que faire de la modération réformiste. Le transfert de Labriola de Naples à Milan, à la fin de 1902, fut une tentative réussie pour rallier le Nord à la cause des socialistes révolutionnaires. Ceux-ci obtinrent une majorité limitée mais retentissante lors du congrès régional de Lombardie qui eut lieu à Brescia en février 1904 (Lafargue et Kautsky les en félicitèrent) et, en alliance temporaire avec le centre-gauche intransigeant d’Enrico Ferri, la direction du parti lors du congrès national de Bologne qui suivit en avril.

    En septembre, le déclenchement d’une impressionnante grève spontanée à la suite de deux nouveaux massacres, en Sardaigne et en Sicile, donna des ailes aux partisans de Labriola qui, en prenant la tête de la protestation, espérèrent faire chuter le gouvernement. En tirant le bilan, Labriola constata que le parti avait été à la traîne du mouvement et que « le prolétariat italien commen[çait] à avoir une conscience si claire de sa position de classe qu’il n’allait plus avoir besoin du parrainage d’un parti politique distinct des organisations de métier, Avanguardia socialista,… ». Les labrioliens conjuguèrent alors les thèmes de la violence et de la grève générale (que le tout récent congrès international d’Amsterdam avait débattue) à celui de l’action directe que confortait la reprise des luttes ouvrières au cours de 1904 : le syndicalisme révolutionnaire italien était né."

    "En Italie le Parti socialiste (Psi) exerçait une emprise sur le mouvement ouvrier encore plus forte. À l’inverse du cas français où les sectes politiques avaient pullulé, il avait toujours été unique depuis sa fondation en 1892 et avait précédé la naissance, en 1906, de la confédération des syndicats. Dans un pays où la structure de la classe ouvrière reflétait le caractère segmenté et inégal du développement capitaliste, le socialisme était une référence nationale incontournable pour unifier politiquement, ou au moins sentimentalement, l’ensemble des opprimés. C’est tout naturellement que le syndicalisme révolutionnaire avait surgi en son sein. La conjoncture poussait de surcroît les dissidents à ne pas rompre brutalement avec le parti.

    Les difficultés que le « syndicalisme » rencontrait sur le terrain de l’organisation économique à cause d’une contre-offensive patronale qui fit chuter en 1905 le taux des grèves globalement victorieuses, le découragement qui suivit l’échec de la lutte des cheminots, inspirée par les syndicalistes, pour la défense du droit de grève, la même année, et la faillite d’une nouvelle grève générale contre les fusillades meurtrières des forces de l’ordre, en 1906, étaient autant de signaux qui incitaient à la prudence."

    "Au début de leur expérience, les syndicalistes italiens théorisèrent, contre Sorel et contre leurs amis confédéraux français, l’usage du parlement par les organisations ouvrières elles-mêmes. Pour Leone, la présence au Parlement aurait fourni une tribune à l’action directe et un moyen de contrôler la législation relative aux questions ouvrières, pour Labriola, un moyen de surveiller la garantie des droits collectifs et individuels dans le cadre particulier de l’institution monarchique. C’est pourquoi ce dernier incita, en 1905, à une campagne en faveur du suffrage universel."

    "En 1912, au moins 170 militants révolutionnaires étaient emprisonnés et 60 en fuite à l’étranger."

    "La fonction d’organisateur, dans un nombre de cas assez fréquents, rémunérée ou indemnisée, exigeait une grande disponibilité et, pour les militants itinérants, rendait quasiment impossible l’exercice d’une autre profession. Cette fonction était pourtant aléatoire non seulement à cause de contextes politiques locaux changeants, mais aussi à cause de la solvabilité incertaine des organisations – au moins jusqu’en 1910 – qui étaient parfois contraintes, en période de marasme, de réduire les dépenses de fonctionnement. Selon notre enquête, les rémunérations éventuelles correspondaient, au minimum, au traitement d’un instituteur en ville (soit 1200 L), au maximum, à celui d’un préposé de l’État (soit 2220 L ; à titre de comparaison, le rédacteur en chef du quotidien socialiste l’Avanti ! touchait en 1903 3000 L).

    Les militants étaient jeunes, parfois à peine majeurs – aussi monopolisaient-ils la Fédération de la Jeunesse socialiste –, mais la plupart approchaient la trentaine et avaient déjà à leur actif un passé militant. Leur travail d’agitation semi-professionnel représentait tantôt une promotion militante à l’intérieur du métier, tantôt une solution de rechange à un renvoi pour fait de grève, tantôt un choix lié à l’abandon des études et de la carrière correspondante. Pour caractériser ces militants de l’idée syndicaliste, on peut dire qu’ils étaient à mi-chemin entre le chevalier errant et le fonctionnaire permanent. Parmi eux se trouvait des ouvriers, des employés, mais aussi nombre d’intellectuels ou demi-intellectuels.
    "

    "Le groupe d’intellectuels qui participèrent à la naissance et à la direction du courant syndicaliste à ses débuts s’étaient formés dans les universités pendant les tumultueuses années quatre-vingt-dix. Ils faisaient partie d’une génération qui avait eu massivement accès à l’Université alors que les débouchés correspondants faisaient défaut. Ces étudiants, fils d’employés et d’artisans, parfois de bourgeois, étaient voués à grossir les rangs dudit prolétariat intellectuel. Ils manifestaient leur inquiétude par une agitation politique permanente qui prit les couleurs de l’engagement républicain et socialiste, voire garibaldien pour ceux qui s’engagèrent pour libérer la Crète en 1897. Tantôt marqués par une révolte antibourgeoise individualiste, messianique et vaguement bohémienne (qui en appelait à Giosuè Carducci, le poète national, à Zola, Shelley, Carlyle et Ruskin) tantôt par la foi positiviste en la rédemption par la science (via Achille Loria et Marx), ils devinrent, souvent au prix d’études négligées ou interrompues, des propagandistes enthousiastes et des organisateurs infatigables auprès des masses – aussi, à cet égard, pourrait-on les comparer aux populistes russes. C’est ainsi que la frustration qu’ils ressentaient du fait d’un diplôme déprécié qui les privait de la reconnaissance sociale escomptée trouvait un pendant dans la frustration des masses, souvent celles les plus démunies et écartées des bénéfices de la croissance économique. Le syndicalisme révolutionnaire réussissait le pari inouï de réunir dans la même conscience d’un état d’exclusion sociale l’intellectuel féru de droit, d’économie, et l’ouvrier agricole analphabète."

    "La génération suivante d’intellectuels, qui adhéra aux idéaux syndicalistes après la scission de 1907, respecta l’antintellectualisme professé par le syndicalisme lui-même en se cantonnant davantage à un militantisme de plume. Il est vrai aussi que les possibilités de carrière professionnelle dans l’Université, l’édition, la grande presse et en général dans le tertiaire s’étaient sensiblement accrues."

    "Avec le déclenchement de la guerre coloniale en Libye à l’automne 1911, l’antimilitarisme prit les couleurs de la lutte contre l’autoritarisme dynastique et la politique réactionnaire de l’État. Mis à part quelques rares intellectuels de renom (Angelo Oliviero Olivetti, Paolo Orano et Labriola qui toutefois se rebiffa), tout l’état-major syndicaliste révolutionnaire s’engagea à fond dans la protestation – qui réunit à Parme 30 000 manifestants – en essuyant un très grand nombre d’inculpations. Sur cette lancée, l’antimilitarisme devint un axe majeur de l’agitation révolutionnaire d’avant-guerre."

    "À Mirandola, dans le Modénais, Ottavio Dinale, qui organisait depuis 1901 les ouvriers agricoles auxquels s’étaient joints les métayers, conduisit avec succès une série de luttes qui s’épuisèrent toutefois en 1906 avec sa fuite en exil. Il avait été le premier à subir l’ostracisme du Parti socialiste et à tenter en conséquence un rapprochement avec les anarchistes. Ce fut ensuite le tour du Ferrarais où Umberto Pasella fut appelé pour régler le conflit d’Argenta qui impliquait l’ensemble des paysans et qui déboucha, en 1907, sur trois mois de grève intense – avec la nouveauté de l’hébergement solidaire de 1200 enfants de grévistes dans d’autres régions ! Peu après la conclusion heureuse de cette lutte, il dirigea à Copparo une grève très dure des seuls journaliers – souvent des chômeurs –, avec incendies de récoltes et de granges, qui sembla à Sorel l’« un des grands événements de l’époque, mais qui se solda par une cinglante défaite, par l’emprisonnement de l’agitateur et par la fuite en Autriche du maire pro-syndicaliste. Pendant cette même année 1907, les ouvriers agricoles du Parmesan, avec à leur tête Alceste De Ambris, menèrent une lutte victorieuse. La contre-offensive patronale de 1908, qui consistait à renier les accords, fut sans précédent par sa méthode et sa virulence (création de l’organisation patronale soudée par le dépôt de chèques en blanc, intimidations musclées, recours massif aux « travailleurs volontaires » des régions « blanches » de Lombardie) : elle provoqua en réponse, après deux mois de « lutte héroïque » que Sorel ne laissa pas sans commentaire, une mémorable grève générale, étendue à la ville de Parme, qui mobilisa, à la fin du mois de juin, 20 000 travailleurs. La répression fut sans quartiers : après avoir protégé les jaunes, la cavalerie occupa la chambre du travail et multiplia les arrestations, alors que De Ambris se sauva à l’étranger. Cet épisode, qui poussa à l’introduction des machines agricoles, provoqua une vague d’émigration de paysans défaits et sans travail. Il mit en fait un terme à l’expansion du syndicalisme révolutionnaire dans les campagnes."

    "En 1913, avec 101 000 membres, l’Usi [Union syndicale italienne] parvenait à un rapport de un à trois avec la CGdL."

    "Le 7 juin 1914, journée nationale d’action contre le militarisme, les événements se précipitèrent : une fusillade meurtrière à Ancône déclencha sur le champ une vaste protestation qui prit une tournure quasi insurrectionnelle dans les Marches et en Romagne et s’étendit, sous la forme d’une grève générale et de combats de rue sanglants, à presque tout le pays. Mais l’insuffisance de la coordination, le défaut d’objectifs, en dépit des slogans qui fusèrent contre la monarchie, et les inquiétantes contre-manifestations des nationalistes indiquèrent que les conditions d’une révolution n’étaient pas réunies. Ce manque de débouchés politiques fut ressenti cruellement par l’état-major syndicaliste. Contrairement à ce qu’avaient proclamé Sorel, Labriola et même Corridoni, la grève, pour étendue qu’elle fût, n’épuisait pas la marche au socialisme. Une « révision » était nécessaire.

    C’était l’avis d’Alceste De Ambris : pour que le mouvement ouvrier, et en particulier son aile marchante, le syndicalisme, pût s’épanouir, il fallait « libérer la vie sociale de l’oppression de l’État politique » en développant le pouvoir fédéré des communes, suivant l’exemple des communes du Moyen Âge (ou de la Commune de Paris, comme écrivaient par ailleurs les « communalistes » de Parme). À ce programme de liberté, réalisable sur le terrain de la politique, toutes les forces révolutionnaires et démocratiques pouvaient concourir en formant ensemble un « bloc rouge » (c’est dans ce cadre qu’à Parme, en 1913, De Ambris avait été élu député, consacrant son retour triomphal après cinq ans d’exil)
    ."

    "Les dissidents s’engagèrent à fond dans un combat qu’ils partagèrent avec les autres composantes de l’interventionnisme de gauche et qui les amena progressivement à user d’une rhétorique grandiloquente fondée sur les thèmes de la Patrie combattante, de la classe qui n’est pas contre la patrie mais en son sein, de l’État qu’il ne fallait plus détruire mais conquérir, de l’effort de tous pour développer la production nationale, et du patronat non patriote et profiteur qu’il fallait combattre."

    "En mars 1918, Alceste De Ambris créa il Rinnovamento, « revue du révisionnisme socialiste » prônant des mesures d’expropriation, qui inspirèrent Mussolini en quête de programme. Il fit partie de la direction de l’Union socialiste italienne (U.S.I.), regroupement patriotique de syndicalistes et de socialistes dissidents qui tint son congrès fondateur en mai 1918 et obtint douze députés aux élections de novembre 1919, dont Labriola."

    "L’UIdL, exsangue, demanda à entrer dans la CGdL en mars 1925. En octobre, tout syndicat non fasciste était privé de pouvoir."

    "Portée par l’expansion des luttes sociales qui caractérisèrent les années 1919-1920, l’Usi ne cessa de croître, passant de 180 000 adhérents à la mi-1919 à 500 000 à la fin de 1920, mais ses forces restèrent toujours très inférieures à celles de la CGdL : le rapport, constant, fut de un à cinq."
    -Willy Gianinazzi, « Le syndicalisme révolutionnaire en Italie (1904-1925). Les hommes et les luttes », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2006/1 (n° 24), p. 95-121. DOI : 10.3917/mnc.024.0095. URL : https://www.cairn-int.info/revue-mil-neuf-cent-2006-1-page-95.htm



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    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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