"Il n’acquit une signification proche de l’actuelle que dans l’ouvrage de Mirabeau-père L’Ami des hommes en 1757, où il désigne à la fois l’adoucissement des mœurs, l’éducation des esprits, le développement de la politesse, la culture des arts et des sciences, l’essor du commerce et de l’industrie, l’acquisition des commodités matérielles et du luxe.
En 1767, civilization, dans son sens moderne, est introduit en Angleterre par Ferguson dans son Essay on the History of Civil Society."
"Vidal a choisi de privilégier dans sa géographie humaine le concept de « genre de vie » [terme emprunté à Montesquieu] plutôt que celui de civilisation. Il associe systématiquement milieu à genre de vie : « Un genre de vie constitué implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou, pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées » (Vidal de la Blache, 1911, 339). Il définit les genres de vie comme « des modes de groupements sociaux originairement sortis de la collaboration de la nature et des hommes, mais de plus en plus émancipés de l’influence directe des milieux... À l’aide de matériaux et d’éléments pris dans la nature ambiante, il a réussi, non d’un seul coup, mais par une transmission héréditaire de procédés et d’inventions, à constituer quelque chose de méthodique qui assure son existence, et qui lui fait un milieu à son usage. Chasseur, pêcheur, agriculteur, il est cela grâce à une combinaison d’instruments qui sont son œuvre personnelle, sa conquête, ce qu’il ajoute de son chef à la création » (Vidal de la Blache, 1922, 115).
Vidal définit des « domaines de civilisation » qu’il met en rapport avec les genres de vie : « Il se forme, à la longue, des domaines de civilisation absorbant les milieux locaux, des milieux de civilisation imposant une tenue générale qui s’imprime dans beaucoup d’usages de la vie » (Vidal de la Blache, 1922, 288-290). Il parle de civilisation supérieure à propos de l’Islam, de l’Hindouisme, de la Chine, de l’Europe, du Yankee. Il distingue de ces civilisations supérieures ce qu’il appelle des « civilisations stéréotypées » ou autonomes plus rudimentaires, nées de l’affrontement entre des groupes humains relativement isolés et un milieu naturel hostile ou difficile (populations de la forêt dense équatoriale ou esquimaux du grand Nord). "
"En 1982 dans Terres de bonne espérance, P. Gourou renverse très clairement la perspective de la « La civilisation du végétal » (1948). Ce ne sont plus les techniques de production qui sont premières mais les encadrements : « Ce serait renoncer à trouver les ultimes réponses aux questions posées par la géographie que de voir dans l’homme avant tout un producteur et d’expliquer par les techniques de production l’organisation des sociétés et le nombre des habitants. L’homme est premièrement un organisateur... Une forte densité de la population sur une grande surface et une longue durée s’explique d’abord par l’ouverture et l’orientation des techniques d’encadrement, ouverture et orientation qui n’ont pas été déterminées par les techniques de production » (1982, 29). Ainsi P. Gourou récuse tout déterminisme économique sur la société : « Les hommes sont beaucoup plus contrôlés par leur encadrement social et intellectuel que par l’économie » (Lannes, 1983, 124).
Si, à bien des égards, P. Gourou est l’un des grands héritiers de la géographie vidalienne, il s’en démarque cependant très tôt, en récusant à la fois le possibilisme et la notion de genre de vie (1966, 80-82). Un groupe humain ne procède pas à un choix conscient parmi un éventail de « possibilités » qui lui seraient offertes par la nature, mais « il exploite celles auxquelles s’appliquent les techniques qu’il maîtrise ». Ce groupe ne peut percevoir dans le milieu naturel que ce qui est familier à sa civilisation et ne peut l’utiliser qu’à l’aide des techniques dont il dispose au sein de sa propre civilisation. Il dénonce en outre le caractère fallacieux de la notion de genre de vie, parce qu’elle fait tout découler de la technique de production qui permet la subsistance d’un groupe en relation étroite avec le milieu dans lequel il vit et est entachée ainsi de déterminisme."
"Le livre de Huntington (1996) est à bien des égards un ouvrage de géopolitique. Il distingue huit ou neuf grandes civilisations définies pour une majorité d’entre elles en fonction d’une religion dominante (islamique, chrétienne occidentale, orthodoxe, hindoue, bouddhiste) ou bien de la combinaison d’une langue, d’un État-nation et d’une idéologie religieuse comme le confucianisme (chinoise, japonaise), d’une langue et d’un ensemble géographique (latino-américaine) ou bien d’un ensemble géographique et de cultures proches (africaine). Elles sont dans le monde des acteurs majeurs de la politique et des conflits à côté des États-nations affaiblis. Il cartographie les civilisations sous la forme caricaturale d’agrégations d’États-nations (Huntington, 1996, 21). Il affirme que les conflits majeurs entre ces blocs commencent à être et seront de nature culturelle plus que politique et économique : « Les communautés culturelles remplacent les blocs de la guerre froide, et les frontières entre civilisations sont désormais les principaux points de conflit à l’échelon mondial » (Huntington, 1996, 135). De même qu’O. Spengler, il imagine les civilisations comme des êtres vivants (naissant, s’épanouissant et entrant en déclin) et les voit beaucoup trop comme des entités séparées."
"Les dictionnaires de géographie récents (George-Verger, 1970-2004 ; Brunet et al., 1992 ; Lévy, Lussault, 2003 ; Lacoste, 2003), celui des mondialisations (Ghorra-Gobin, 2006), contiennent tous le mot civilisation, alors qu’ils omettent la notion de « genre de vie » ou en soulignent le côté désuet. A. Frémont (2005, 289-290), comme le dictionnaire de Lévy-Lussault (2003), dit que les géographes contemporains utilisent peu ou pas du tout le concept de civilisation à cause sans doute de son caractère ambigu et peut-être de son appartenance à une géographie classique surannée. Ils lui préfèrent le mot de culture, promu surtout par les anthropologues anglo-saxons puis francophones, en grande partie synonyme de civilisation, mais plus neutre. En effet la notion de civilisation, qui a été beaucoup utilisée à l’époque coloniale, peut apparaître trop européocentriste. Comme on l’a vu, elle implique trop souvent une hiérarchie des civilisations et la supériorité de la civilisation occidentale considérée comme devant devenir la Civilisation mondiale. J. Diamond (2006 et 2007), qui traite des rapports entre les civilisations et leur environnement, préfère utiliser le terme de société. Les géographes ont d’ailleurs eu au cours des dernières décennies tendance à parler d’aires culturelles plutôt que de civilisations (Douzant-Rosenfeld, Gandjean, 1997, 248-258).
La géographie culturelle de Paul Claval et de la revue Géographie et Cultures met au premier plan la notion de culture et n’utilisent le plus souvent civilisation que comme mot, non comme notion ou concept défini."
"Daniel Dory (1989, 114) a fait remarquer qu’il est difficile, voire impossible de distinguer éléments humains du paysage et faits de civilisation chez P. Gourou. « Civilisation et éléments humains du paysage étant des signifiants dont les champs sont coextensifs », la civilisation ne représente donc pas véritablement un troisième terme entre milieu physique et éléments humains du paysage, qui aurait une valeur explicative. Ce terme a un pouvoir évocateur que P. Gourou utiliserait de façon itérative, mais sans validité théorique réelle."
-Michel Bruneau, « Civilisation(s) : pertinence ou résilience d'un terme ou d'un concept en géographie ? », Annales de géographie, 2010/4 (n° 674), p. 315-337. DOI : 10.3917/ag.674.0315. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-de-geographie-2010-4-page-315.htm
Genres de vie: « On entend par là un ensemble collectif de pratiques transmises et consolidées par la tradition grâce auxquelles un groupe humain entretient son existence dans un milieu déterminé. Un ensemble de techniques adaptatives avec ce qu’elles comportent d’éléments spirituels. Il présente le maximum de stabilité dans des sociétés soumises à la tyrannie d’un milieu naturel très spécialisé (éleveurs nomades de désert, Eskimos). À mesure que les hommes s’affranchissent de la sujétion de la nature, le centre se déplace, la notion se charge, comme on vient de le suggérer, d’éléments sociaux. On parlera du genre de vie des ouvriers mineurs, des agents de la circulation, etc. Elle ne perd pas pour autant son intérêt. » (Max Sorre, 1961, 4).
« Les situations sont ce qu’elles sont parce qu’une série d’accidents historiques se sont accumulés et ont provoqué certaines dérives qui aboutissent aux situations présentes. Mais rien de tout cela n’était nécessaire. Les choses se font, elles ne sont pas faites. »
-Pierre Gourou, Hérodote, 1984, 68.
En 1767, civilization, dans son sens moderne, est introduit en Angleterre par Ferguson dans son Essay on the History of Civil Society."
"Vidal a choisi de privilégier dans sa géographie humaine le concept de « genre de vie » [terme emprunté à Montesquieu] plutôt que celui de civilisation. Il associe systématiquement milieu à genre de vie : « Un genre de vie constitué implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou, pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées » (Vidal de la Blache, 1911, 339). Il définit les genres de vie comme « des modes de groupements sociaux originairement sortis de la collaboration de la nature et des hommes, mais de plus en plus émancipés de l’influence directe des milieux... À l’aide de matériaux et d’éléments pris dans la nature ambiante, il a réussi, non d’un seul coup, mais par une transmission héréditaire de procédés et d’inventions, à constituer quelque chose de méthodique qui assure son existence, et qui lui fait un milieu à son usage. Chasseur, pêcheur, agriculteur, il est cela grâce à une combinaison d’instruments qui sont son œuvre personnelle, sa conquête, ce qu’il ajoute de son chef à la création » (Vidal de la Blache, 1922, 115).
Vidal définit des « domaines de civilisation » qu’il met en rapport avec les genres de vie : « Il se forme, à la longue, des domaines de civilisation absorbant les milieux locaux, des milieux de civilisation imposant une tenue générale qui s’imprime dans beaucoup d’usages de la vie » (Vidal de la Blache, 1922, 288-290). Il parle de civilisation supérieure à propos de l’Islam, de l’Hindouisme, de la Chine, de l’Europe, du Yankee. Il distingue de ces civilisations supérieures ce qu’il appelle des « civilisations stéréotypées » ou autonomes plus rudimentaires, nées de l’affrontement entre des groupes humains relativement isolés et un milieu naturel hostile ou difficile (populations de la forêt dense équatoriale ou esquimaux du grand Nord). "
"En 1982 dans Terres de bonne espérance, P. Gourou renverse très clairement la perspective de la « La civilisation du végétal » (1948). Ce ne sont plus les techniques de production qui sont premières mais les encadrements : « Ce serait renoncer à trouver les ultimes réponses aux questions posées par la géographie que de voir dans l’homme avant tout un producteur et d’expliquer par les techniques de production l’organisation des sociétés et le nombre des habitants. L’homme est premièrement un organisateur... Une forte densité de la population sur une grande surface et une longue durée s’explique d’abord par l’ouverture et l’orientation des techniques d’encadrement, ouverture et orientation qui n’ont pas été déterminées par les techniques de production » (1982, 29). Ainsi P. Gourou récuse tout déterminisme économique sur la société : « Les hommes sont beaucoup plus contrôlés par leur encadrement social et intellectuel que par l’économie » (Lannes, 1983, 124).
Si, à bien des égards, P. Gourou est l’un des grands héritiers de la géographie vidalienne, il s’en démarque cependant très tôt, en récusant à la fois le possibilisme et la notion de genre de vie (1966, 80-82). Un groupe humain ne procède pas à un choix conscient parmi un éventail de « possibilités » qui lui seraient offertes par la nature, mais « il exploite celles auxquelles s’appliquent les techniques qu’il maîtrise ». Ce groupe ne peut percevoir dans le milieu naturel que ce qui est familier à sa civilisation et ne peut l’utiliser qu’à l’aide des techniques dont il dispose au sein de sa propre civilisation. Il dénonce en outre le caractère fallacieux de la notion de genre de vie, parce qu’elle fait tout découler de la technique de production qui permet la subsistance d’un groupe en relation étroite avec le milieu dans lequel il vit et est entachée ainsi de déterminisme."
"Le livre de Huntington (1996) est à bien des égards un ouvrage de géopolitique. Il distingue huit ou neuf grandes civilisations définies pour une majorité d’entre elles en fonction d’une religion dominante (islamique, chrétienne occidentale, orthodoxe, hindoue, bouddhiste) ou bien de la combinaison d’une langue, d’un État-nation et d’une idéologie religieuse comme le confucianisme (chinoise, japonaise), d’une langue et d’un ensemble géographique (latino-américaine) ou bien d’un ensemble géographique et de cultures proches (africaine). Elles sont dans le monde des acteurs majeurs de la politique et des conflits à côté des États-nations affaiblis. Il cartographie les civilisations sous la forme caricaturale d’agrégations d’États-nations (Huntington, 1996, 21). Il affirme que les conflits majeurs entre ces blocs commencent à être et seront de nature culturelle plus que politique et économique : « Les communautés culturelles remplacent les blocs de la guerre froide, et les frontières entre civilisations sont désormais les principaux points de conflit à l’échelon mondial » (Huntington, 1996, 135). De même qu’O. Spengler, il imagine les civilisations comme des êtres vivants (naissant, s’épanouissant et entrant en déclin) et les voit beaucoup trop comme des entités séparées."
"Les dictionnaires de géographie récents (George-Verger, 1970-2004 ; Brunet et al., 1992 ; Lévy, Lussault, 2003 ; Lacoste, 2003), celui des mondialisations (Ghorra-Gobin, 2006), contiennent tous le mot civilisation, alors qu’ils omettent la notion de « genre de vie » ou en soulignent le côté désuet. A. Frémont (2005, 289-290), comme le dictionnaire de Lévy-Lussault (2003), dit que les géographes contemporains utilisent peu ou pas du tout le concept de civilisation à cause sans doute de son caractère ambigu et peut-être de son appartenance à une géographie classique surannée. Ils lui préfèrent le mot de culture, promu surtout par les anthropologues anglo-saxons puis francophones, en grande partie synonyme de civilisation, mais plus neutre. En effet la notion de civilisation, qui a été beaucoup utilisée à l’époque coloniale, peut apparaître trop européocentriste. Comme on l’a vu, elle implique trop souvent une hiérarchie des civilisations et la supériorité de la civilisation occidentale considérée comme devant devenir la Civilisation mondiale. J. Diamond (2006 et 2007), qui traite des rapports entre les civilisations et leur environnement, préfère utiliser le terme de société. Les géographes ont d’ailleurs eu au cours des dernières décennies tendance à parler d’aires culturelles plutôt que de civilisations (Douzant-Rosenfeld, Gandjean, 1997, 248-258).
La géographie culturelle de Paul Claval et de la revue Géographie et Cultures met au premier plan la notion de culture et n’utilisent le plus souvent civilisation que comme mot, non comme notion ou concept défini."
"Daniel Dory (1989, 114) a fait remarquer qu’il est difficile, voire impossible de distinguer éléments humains du paysage et faits de civilisation chez P. Gourou. « Civilisation et éléments humains du paysage étant des signifiants dont les champs sont coextensifs », la civilisation ne représente donc pas véritablement un troisième terme entre milieu physique et éléments humains du paysage, qui aurait une valeur explicative. Ce terme a un pouvoir évocateur que P. Gourou utiliserait de façon itérative, mais sans validité théorique réelle."
-Michel Bruneau, « Civilisation(s) : pertinence ou résilience d'un terme ou d'un concept en géographie ? », Annales de géographie, 2010/4 (n° 674), p. 315-337. DOI : 10.3917/ag.674.0315. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-de-geographie-2010-4-page-315.htm
Genres de vie: « On entend par là un ensemble collectif de pratiques transmises et consolidées par la tradition grâce auxquelles un groupe humain entretient son existence dans un milieu déterminé. Un ensemble de techniques adaptatives avec ce qu’elles comportent d’éléments spirituels. Il présente le maximum de stabilité dans des sociétés soumises à la tyrannie d’un milieu naturel très spécialisé (éleveurs nomades de désert, Eskimos). À mesure que les hommes s’affranchissent de la sujétion de la nature, le centre se déplace, la notion se charge, comme on vient de le suggérer, d’éléments sociaux. On parlera du genre de vie des ouvriers mineurs, des agents de la circulation, etc. Elle ne perd pas pour autant son intérêt. » (Max Sorre, 1961, 4).
« Les situations sont ce qu’elles sont parce qu’une série d’accidents historiques se sont accumulés et ont provoqué certaines dérives qui aboutissent aux situations présentes. Mais rien de tout cela n’était nécessaire. Les choses se font, elles ne sont pas faites. »
-Pierre Gourou, Hérodote, 1984, 68.