https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ories_du_d%C3%A9veloppement
https://journals.openedition.org/cal/8276
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-9.htm
"Le paradigme de développement promu par le Consensus de Washington a été largement critiqué par l’analyse des trajectoires des pays d’Asie orientale qui avaient privilégié le modèle d’« État développeur », pivot de leurs stratégies de rattrapage respectives. Ce concept a été formulé en 1982 par Chalmers Johnson pour qualifier le rôle de l’État, certes central mais selon lui sous-estimé dans l’analyse du « miracle japonais » qui valorisait plutôt les grandes entreprises conglomérales ou le confucianisme. D’après C. Johnson, l’État japonais, tout en favorisant les mécanismes de marché, est intervenu stratégiquement, voire systématiquement, dans l’économie nationale pour promouvoir le développement. Sur l’exemple du Japon et sur celui du rattrapage, en des termes relativement similaires, de la Corée du Sud et de Taïwan, a été proposé un paradigme d’industrialisation tardive, caractérisé par une intervention de l’État « distordant les prix », pour permettre, in fine, une meilleure intégration au marché mondial. Les caractéristiques clés de l’État développeur sont une volonté politique développementaliste, une bureaucratie autonome mais enchevêtrée dans l’espace social, et une relation privilégiée de l’État avec les milieux d’affaires."
"À Taïwan, l’État a conservé sa stratégie industrielle de promotion du secteur des technologies de l’information en assurant près d’un tiers des dépenses en R & D et en accompagnant ces secteurs innovants malgré la concurrence croissante de la Chine."
"Ce qui distingue l’État développeur, c’est l’unité des élites autour du projet développementaliste et le caractère stratégique des interventions publiques dans une vision de long terme. Cette discussion théorique permet à E. Thurbon de qualifier les politiques menées en Corée sous la dernière administration (2008-2012) de développementalistes."
-Pauline Debanes & Sébastien Lechevalier, « La résurgence du concept d'État développeur : quelle réalité empirique pour quel renouveau théorique ? », Critique internationale, 2014/2 (N° 63), p. 9-18. DOI : 10.3917/crii.063.0009. URL : https://www.cairn-int.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-9.htm
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-59.htm
"Ce qui unit les déclinistes radicaux, c’est l’idée qu’en Corée l’État développeur a vécu. Les mesures de libéralisation adoptées depuis les années 1990 ont désagrégé ce qui avait été l’outil maître de l’État dans sa politique de développement : le contrôle sur la finance. Les grandes réformes telles que l’établissement d’une Banque centrale indépendante, l’arrivée massive des institutions financières étrangères et l’instauration de normes prudentielles pour le crédit bancaire ont dépossédé l’État des moyens de sa stratégie des champions nationaux – fondée sur l’endettement et de puissants effets de levier – qui était si caractéristique de l’industrialisation coréenne. L’État n’a plus le pouvoir d’influencer les décisions d’investissement des chaebols, ces énormes conglomérats privés qui étaient traditionnellement la cible de son activisme développeur. Ajoutez à cela, nous disent les radicaux, les règles sévères du commerce international qui interdisent les autres formes de soutien aux produits coréens, et vous avez un État réduit à l’impuissance en termes de projet de développement. Les décideurs publics doivent se contenter d’un rôle régulateur (par opposition à développeur), c’est-à-dire qu’ils établissent des règles de libre concurrence et en surveillent la bonne application, au lieu de s’efforcer de piloter l’économie par des interventions de caractère stratégique. Pour Kanishka Jayasuriya, la Corée n’est donc plus à classer dans la catégorie des États « développeurs » mais dans celle des États « régulateurs » ; et Iain Pirie écrit : « Il faut désormais considérer la Corée, sans ambiguïté, comme un État néolibéral »."
"L’idée selon laquelle le développementalisme est assimilable à telle politique particulière (ici promouvoir de grands champions nationaux par le contrôle autoritaire du crédit) a le défaut d’ignorer la réalité régionale. En effet, si certains États développeurs d’Asie orientale ont effectivement suivi cette voie pour certains secteurs et à certains moments de leur histoire, d’autres n’en ont rien fait : Taïwan, très largement citée par les chercheurs les plus sérieux comme exemple d’État développeur, n’a jamais placé ce type d’action au centre de sa stratégie d’industrialisation. Sa préférence pour le soutien aux petites et moyennes entreprises par une série de dispositifs très divers est aujourd’hui reconnue comme la marque de fabrique d’un développementalisme qui lui est propre. Dès que l’on se place dans une optique historique et comparative, la définition de celui-ci par la présence d’un certain ensemble de mesures spécifiques n’a plus aucun sens. En le ramenant à cela, les déclinistes radicaux figent l’État développeur dans le temps et dans l’espace et s’interdisent de comprendre toute la variété des moyens par lesquels les États peuvent chercher à réaliser leurs ambitions de développement, non seulement dans différents pays mais aussi à différents moments de l’histoire d’un même pays. En fait, des publications de plus en plus nombreuses nous disent que c’est l’évolution de la politique de développement – et non son abandon – qui est la norme en Corée et dans d’autres États développeurs."
"Il convient de commencer par le travail de Chalmers Johnson qui non seulement est l’inventeur de la formule mais qui a aussi consacré d’innombrables pages à la conceptualisation et à l’analyse de ses contours empiriques, en l’appliquant systématiquement à une grande diversité de cas – y compris la Corée – pour dégager les caractères communs à cette forme particulière de capitalisme. Pour lui, le concept d’État développeur se comprend par contraste. Son apport a consisté à identifier pour la première fois les principaux traits de cette formation et à préciser ce qui la différenciait des autres variétés d’État. Et tout en haut de la liste de ces traits distinctifs, il a placé les priorités des décideurs publics, plus précisément le fait que ces dirigeants donnent la primauté absolue et inébranlable à l’objectif de croissance économique. La cohésion des élites autour de cet objectif structure un type particulier d’intervention de l’État dans l’économie que l’on peut qualifier de « rationalité de plan ». Ce sont des résultats concrets qui sont visés : transformer la structure industrielle de la nation en vue d’élever sa compétitivité internationale .Cette « rationalité de plan » distingue les États développeurs de ceux qui épousent une « rationalité de marché » – plus préoccupés des règles de l’activité économique que de ses résultats – et de ceux qui se donnent pour guide une « idéologie du plan », où la planification par l’appareil d’État est une valeur en soi. Il est donc juste de dire que C. Johnson, réfléchissant à l’État développeur, a mis d’emblée l’accent sur les buts ou ambitions partagés par les élites productrices de politiques publiques (la transformation industrielle et la compétitivité de la nation) et sur leur conception commune de la meilleure manière d’y parvenir (par des interventions stratégiques sur le marché). Le développementalisme possède donc pour C. Johnson une composante idéelle distinctive. Autant qu’un ensemble de dispositions institutionnelles et de modalités d’action, il est une philosophie politico-économique : j’entends par là un ensemble d’idées sur le dessein premier de l’activité économique, les objectifs centraux de l’État et ce qu’il doit faire pour les atteindre."
"La naissance [de ces] dispositifs institutionnels est impossible à expliquer sans faire entrer en jeu une « vision du monde » dans laquelle la transformation techno-industrielle et la compétitivité constituent un but national de premier rang et suscitent à ce titre une adhésion très générale à l’activisme stratégique de l’État."
"Là où il y a une volonté persistante de gouverner stratégiquement l’économie industrielle dans une visée de développement (c’est-à-dire de transformation techno-industrielle), l’État, selon toute probabilité, en cherchera les moyens."
"Le trait distinctif commun de ces États était la très forte concordance entre l’ambition de développement (c’est-à-dire le désir d’œuvrer à l’élévation constante du niveau technique et industriel national et à l’indépendance) et la capacité institutionnelle (c’est-à-dire les moyens de poursuivre cet objectif avec une certaine efficacité)."
"Le développementalisme est essentiellement un faisceau d’idées sur la façon de gouverner l’économie industrielle dans une visée de construction nationale."
"Vouloir distinguer entre les types d’État par l’examen de leurs seules politiques publiques ne mène à rien : tous les États interviennent dans leur économie pour soutenir certaines activités. Ce qui distingue les États développeurs n’est donc pas l’intervention en soi mais l’ambition de développement que sert cette intervention et le consensus des élites qui en élaborent le cadre, ainsi que l’existence de capacités institutionnelles pour traduire cette ambition dans des politiques plus ou moins efficaces."
"Aujourd’hui, en Corée, un sentiment largement répandu de vulnérabilité favorise l’adhésion populaire à un rôle accru de l’État dans le gouvernement industriel, et plusieurs faits indiquent que, dans l’élite politique, la volonté de piloter le marché à des fins de développement demeure forte."
-Elizabeth Thurbon, « L'État développeur : défense du concept », Critique internationale, 2014/2 (N° 63), p. 59-75. DOI : 10.3917/crii.063.0059. URL : https://www.cairn-int.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-59.htm
https://journals.openedition.org/cal/8276
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-9.htm
"Le paradigme de développement promu par le Consensus de Washington a été largement critiqué par l’analyse des trajectoires des pays d’Asie orientale qui avaient privilégié le modèle d’« État développeur », pivot de leurs stratégies de rattrapage respectives. Ce concept a été formulé en 1982 par Chalmers Johnson pour qualifier le rôle de l’État, certes central mais selon lui sous-estimé dans l’analyse du « miracle japonais » qui valorisait plutôt les grandes entreprises conglomérales ou le confucianisme. D’après C. Johnson, l’État japonais, tout en favorisant les mécanismes de marché, est intervenu stratégiquement, voire systématiquement, dans l’économie nationale pour promouvoir le développement. Sur l’exemple du Japon et sur celui du rattrapage, en des termes relativement similaires, de la Corée du Sud et de Taïwan, a été proposé un paradigme d’industrialisation tardive, caractérisé par une intervention de l’État « distordant les prix », pour permettre, in fine, une meilleure intégration au marché mondial. Les caractéristiques clés de l’État développeur sont une volonté politique développementaliste, une bureaucratie autonome mais enchevêtrée dans l’espace social, et une relation privilégiée de l’État avec les milieux d’affaires."
"À Taïwan, l’État a conservé sa stratégie industrielle de promotion du secteur des technologies de l’information en assurant près d’un tiers des dépenses en R & D et en accompagnant ces secteurs innovants malgré la concurrence croissante de la Chine."
"Ce qui distingue l’État développeur, c’est l’unité des élites autour du projet développementaliste et le caractère stratégique des interventions publiques dans une vision de long terme. Cette discussion théorique permet à E. Thurbon de qualifier les politiques menées en Corée sous la dernière administration (2008-2012) de développementalistes."
-Pauline Debanes & Sébastien Lechevalier, « La résurgence du concept d'État développeur : quelle réalité empirique pour quel renouveau théorique ? », Critique internationale, 2014/2 (N° 63), p. 9-18. DOI : 10.3917/crii.063.0009. URL : https://www.cairn-int.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-9.htm
https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-59.htm
"Ce qui unit les déclinistes radicaux, c’est l’idée qu’en Corée l’État développeur a vécu. Les mesures de libéralisation adoptées depuis les années 1990 ont désagrégé ce qui avait été l’outil maître de l’État dans sa politique de développement : le contrôle sur la finance. Les grandes réformes telles que l’établissement d’une Banque centrale indépendante, l’arrivée massive des institutions financières étrangères et l’instauration de normes prudentielles pour le crédit bancaire ont dépossédé l’État des moyens de sa stratégie des champions nationaux – fondée sur l’endettement et de puissants effets de levier – qui était si caractéristique de l’industrialisation coréenne. L’État n’a plus le pouvoir d’influencer les décisions d’investissement des chaebols, ces énormes conglomérats privés qui étaient traditionnellement la cible de son activisme développeur. Ajoutez à cela, nous disent les radicaux, les règles sévères du commerce international qui interdisent les autres formes de soutien aux produits coréens, et vous avez un État réduit à l’impuissance en termes de projet de développement. Les décideurs publics doivent se contenter d’un rôle régulateur (par opposition à développeur), c’est-à-dire qu’ils établissent des règles de libre concurrence et en surveillent la bonne application, au lieu de s’efforcer de piloter l’économie par des interventions de caractère stratégique. Pour Kanishka Jayasuriya, la Corée n’est donc plus à classer dans la catégorie des États « développeurs » mais dans celle des États « régulateurs » ; et Iain Pirie écrit : « Il faut désormais considérer la Corée, sans ambiguïté, comme un État néolibéral »."
"L’idée selon laquelle le développementalisme est assimilable à telle politique particulière (ici promouvoir de grands champions nationaux par le contrôle autoritaire du crédit) a le défaut d’ignorer la réalité régionale. En effet, si certains États développeurs d’Asie orientale ont effectivement suivi cette voie pour certains secteurs et à certains moments de leur histoire, d’autres n’en ont rien fait : Taïwan, très largement citée par les chercheurs les plus sérieux comme exemple d’État développeur, n’a jamais placé ce type d’action au centre de sa stratégie d’industrialisation. Sa préférence pour le soutien aux petites et moyennes entreprises par une série de dispositifs très divers est aujourd’hui reconnue comme la marque de fabrique d’un développementalisme qui lui est propre. Dès que l’on se place dans une optique historique et comparative, la définition de celui-ci par la présence d’un certain ensemble de mesures spécifiques n’a plus aucun sens. En le ramenant à cela, les déclinistes radicaux figent l’État développeur dans le temps et dans l’espace et s’interdisent de comprendre toute la variété des moyens par lesquels les États peuvent chercher à réaliser leurs ambitions de développement, non seulement dans différents pays mais aussi à différents moments de l’histoire d’un même pays. En fait, des publications de plus en plus nombreuses nous disent que c’est l’évolution de la politique de développement – et non son abandon – qui est la norme en Corée et dans d’autres États développeurs."
"Il convient de commencer par le travail de Chalmers Johnson qui non seulement est l’inventeur de la formule mais qui a aussi consacré d’innombrables pages à la conceptualisation et à l’analyse de ses contours empiriques, en l’appliquant systématiquement à une grande diversité de cas – y compris la Corée – pour dégager les caractères communs à cette forme particulière de capitalisme. Pour lui, le concept d’État développeur se comprend par contraste. Son apport a consisté à identifier pour la première fois les principaux traits de cette formation et à préciser ce qui la différenciait des autres variétés d’État. Et tout en haut de la liste de ces traits distinctifs, il a placé les priorités des décideurs publics, plus précisément le fait que ces dirigeants donnent la primauté absolue et inébranlable à l’objectif de croissance économique. La cohésion des élites autour de cet objectif structure un type particulier d’intervention de l’État dans l’économie que l’on peut qualifier de « rationalité de plan ». Ce sont des résultats concrets qui sont visés : transformer la structure industrielle de la nation en vue d’élever sa compétitivité internationale .Cette « rationalité de plan » distingue les États développeurs de ceux qui épousent une « rationalité de marché » – plus préoccupés des règles de l’activité économique que de ses résultats – et de ceux qui se donnent pour guide une « idéologie du plan », où la planification par l’appareil d’État est une valeur en soi. Il est donc juste de dire que C. Johnson, réfléchissant à l’État développeur, a mis d’emblée l’accent sur les buts ou ambitions partagés par les élites productrices de politiques publiques (la transformation industrielle et la compétitivité de la nation) et sur leur conception commune de la meilleure manière d’y parvenir (par des interventions stratégiques sur le marché). Le développementalisme possède donc pour C. Johnson une composante idéelle distinctive. Autant qu’un ensemble de dispositions institutionnelles et de modalités d’action, il est une philosophie politico-économique : j’entends par là un ensemble d’idées sur le dessein premier de l’activité économique, les objectifs centraux de l’État et ce qu’il doit faire pour les atteindre."
"La naissance [de ces] dispositifs institutionnels est impossible à expliquer sans faire entrer en jeu une « vision du monde » dans laquelle la transformation techno-industrielle et la compétitivité constituent un but national de premier rang et suscitent à ce titre une adhésion très générale à l’activisme stratégique de l’État."
"Là où il y a une volonté persistante de gouverner stratégiquement l’économie industrielle dans une visée de développement (c’est-à-dire de transformation techno-industrielle), l’État, selon toute probabilité, en cherchera les moyens."
"Le trait distinctif commun de ces États était la très forte concordance entre l’ambition de développement (c’est-à-dire le désir d’œuvrer à l’élévation constante du niveau technique et industriel national et à l’indépendance) et la capacité institutionnelle (c’est-à-dire les moyens de poursuivre cet objectif avec une certaine efficacité)."
"Le développementalisme est essentiellement un faisceau d’idées sur la façon de gouverner l’économie industrielle dans une visée de construction nationale."
"Vouloir distinguer entre les types d’État par l’examen de leurs seules politiques publiques ne mène à rien : tous les États interviennent dans leur économie pour soutenir certaines activités. Ce qui distingue les États développeurs n’est donc pas l’intervention en soi mais l’ambition de développement que sert cette intervention et le consensus des élites qui en élaborent le cadre, ainsi que l’existence de capacités institutionnelles pour traduire cette ambition dans des politiques plus ou moins efficaces."
"Aujourd’hui, en Corée, un sentiment largement répandu de vulnérabilité favorise l’adhésion populaire à un rôle accru de l’État dans le gouvernement industriel, et plusieurs faits indiquent que, dans l’élite politique, la volonté de piloter le marché à des fins de développement demeure forte."
-Elizabeth Thurbon, « L'État développeur : défense du concept », Critique internationale, 2014/2 (N° 63), p. 59-75. DOI : 10.3917/crii.063.0059. URL : https://www.cairn-int.info/revue-critique-internationale-2014-2-page-59.htm