"À la suite des accords de Matignon sur la Corse, un âpre débat s’est engagé sur le pouvoir qu’en vertu de ces derniers, il était projeté de donner à l’assemblée territoriale d’adapter certaines dispositions législatives intéressant les collectivités territoriales ainsi que le développement économique, social et culturel de l’île. La discussion a été brillamment lancée par un article de mon…. Ce débat allait introduire à un niveau élevé, dans les réactions provoquées par les divers projets de décentralisation, le soupçon de ce que ces projets pouvaient être attentatoires à l’intégrité de la République et à l’égalité des citoyens.
À vrai dire, cette inquiétude s’était aussi manifestée lorsque ont été mises en œuvre les réformes des années 1980. Mais elle s’était ensuite apaisée car on avait bien vu que ces dernières n’avaient aucunement conduit au démantèlement de la République ou à une régression quelconque de l’égalité des citoyens."
"Comment peut-on rester attaché à l’idée que l’appareil d’État est nécessairement plus efficace dans la conduite de politiques publiques quand on le voit accumuler de grandes questions non résolues – du problème de la ville à la réforme de la Sécurité sociale en passant par les difficultés budgétaires déjà rappelées –, alors que, dans l’ensemble, les collectivités territoriales se sont tout à fait bien acquittées, selon l’avis majoritaire de nos concitoyens, des tâches nouvelles que les réformes des années 1980 leur ont confiées ?"
"La conviction selon laquelle la centralisation et l’application de normes juridiques uniformes sont nécessaires pour assurer l’égale garantie des droits des citoyens est également erronée. Si elle était fondée, il faudrait considérer que notre système, qui s’écarte grandement de l’uniformité juridique territoriale – que l’on songe à l’outre-mer, à la Corse, aux règles particulières qui régissent Paris et la région d’Île-de-France –, n’assure pas du tout cette égale garantie. Mais en fait elle repose sur une vision simpliste et irréaliste de l’égalité. Dans la réalité, même si on laisse de côté les particularismes de l’outre-mer, etc., ni les politiques publiques ni les réalités juridiques ne sont véritablement uniformes. Les politiques publiques ne sont pas uniformes sur le territoire pour de multiples raisons, en particulier du fait que toute politique publique comporte une part de “transactionnel”, d’adaptation dans sa mise en œuvre. Les réalités juridiques ne le sont pas davantage : outre le fait que, dans beaucoup de domaines, les collectivités territoriales disposent d’un pouvoir réglementaire leur permettant de moduler localement le droit, même si les règles de droit appliquées sur le territoire étaient partout identiques, il n’en résulterait pas d’uniformité juridique. Plongées dans des contextes différents, les règles de droit produisent de toute façon des résultats différents : comme cela a été dit dans les débats sur la Corse, les règles de protection du littoral n’ont pas du tout la même portée concrète sur les côtes qui sont déjà complètement bétonnées et sur celles qui ont été heureusement préservées.
C’est parce que ces réalités non conformes aux habitudes nationales de pensée sont méconnues que la décentralisation, chaque fois que l’on veut la pousser en avant chez nous, suscite l’angoisse, la crainte de voir notre citoyenneté et nos droits démembrés dans un système plural dont l’appareil d’État n’assurerait plus le fonctionnement homogène."
"Le système français d’administration territoriale est resté et va rester à un stade de décentralisation et de pluralisme bien inférieur à celui que connaissent la plupart des grands pays voisins, spécialement l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne. Or, si ces systèmes ne sont pas et ne se prétendent pas parfaits, si leur évolution suscite de grands débats parfois – il en va ainsi en Espagne, où certaines communautés autonomes exigent que l’on passe à un stade supérieur de décentralisation –, nulle part n’y prévaut l’idée que les citoyens n’y seraient pas égaux quant à leurs droits essentiels."
-Jean-Bernard Auby, professeur de droit public à l’Université Paris-II, in Jean-Bernard Auby & Roland Hureaux, « Le débat - La décentralisation : trop ou trop peu ? », Informations sociales, 2005/1 (n° 121), p. 17-23. DOI : 10.3917/inso.121.0017. URL : https://www.cairn-int.info/revue-informations-sociales-2005-1-page-17.htm
"Les entités locales sont responsables d’un tiers de l’augmentation totale de la dépense publique. Et cela ne s’explique pas par les seuls transferts de compétences. La décentralisation suscite des doubles emplois, les financements croisés incitent à la dépense et l’État continue de venir en aide aux collectivités locales. Tout cela plaide pour une refonte d’ensemble du financement des collectivités locales."
"L’alourdissement presque continu de la fiscalité locale depuis trente ans, sans diminution correspondante de la fiscalité d’État."
"Les pays qui, comme l’Angleterre de Margaret Thatcher, ont entrepris avec énergie de comprimer la sphère publique ont été conduits non seulement à réduire le nombre de niveaux d’administration locale, mais encore à opérer une recentralisation vigoureuse des compétences locales."
"En 2001, la répartition était la suivante : 113 milliards d’euros pour les communes ; 22 milliards d’euros pour les groupements de communes ; 35 milliards d’euros pour les départements ; 12 milliards d’euros pour les régions. Mais c’est le budget des régions qui a le plus augmenté au cours des dernières années : il a été multiplié par six entre 1982 et 2002 (celui des départements l’a été par un peu plus de quatre).
Moins que des investissements somptueux souvent dénoncés, l’alourdissement des dépenses locales résulte surtout de la hausse des coûts de fonctionnement. On comptait 529 576 agents locaux en 1977 ; vingt-cinq ans plus tard, ils étaient 1 737 400 (68 % dans les communes, 13 % dans les départements, 8 % dans les groupements de communes et 1 % dans les régions). La fonction publique locale continue de grossir de 30 000 emplois par an. La hausse des frais de fonctionnement a été particulièrement rapide entre 1983 et 1989 : plus de 8,6 % par an. Parallèlement, les dépenses d’action sociale (qui reposent surtout sur les départements) ont progressé de 120 % de 1984 à 2001 (alors que le coût de la vie n’a augmenté que de 50 %)."
"De manière intrinsèque, la décentralisation suscite les doubles emplois. Par exemple, l’action économique a été largement transférée aux régions en 1984, mais les départements et les grandes communes s’en mêlent aussi : chacun veut avoir son agence de développement économique ou d’aide aux entreprises. Les préfectures disposent aussi de bureaux d’accueil des entreprises ; dans certaines régions, les commissariats à l’industrialisation interviennent, ainsi que les chambres de commerce. Plus de soixante instances s’occupent de l’eau en Bretagne !"
"Pour éviter que la décentralisation n’incite à la dépense, on peut imaginer deux systèmes : un premier, dans lequel les ressources des collectivités seraient décidées – et par là plafonnées – à l’échelon central, comme c’est en vigueur dans beaucoup de pays d’Europe, dont l’Angleterre et jusqu’à un certain point l’Allemagne ; un second, dans lequel les collectivités locales s’autofinanceraient presque intégralement, chaque citoyen sachant donc ce que lui coûtent les investissements et les services locaux. Le système français, mixte, cumule les inconvénients des deux : une partie des dépenses locales est financée par l’État ou d’autres collectivités, sous la forme de dotations ou de subventions, mais les collectivités locales ont aussi, plus que partout ailleurs, le loisir d’augmenter leurs propres impôts. Ceux-ci, collectés par les agents de l’État, sont noyés dans la masse opaque des impôts de toutes les collectivités locales – assis sur les mêmes bases – et encore, beaucoup de contribuables peu éclairés ne les distinguent pas des impôts d’État, imputant au gouvernement la hausse continue des prélèvements locaux ! Un élu local a plutôt intérêt à dépenser : cela lui assure une reconnaissance politique supérieure à la pénalité que peut lui infliger une hausse des impôts noyée parmi d’autres prélèvements."
-Roland Hureaux, professeur de droit public à l’Université Paris-II, in Jean-Bernard Auby & Roland Hureaux, « Le débat - La décentralisation : trop ou trop peu ? », Informations sociales, 2005/1 (n° 121), p. 17-23. DOI : 10.3917/inso.121.0017. URL : https://www.cairn-int.info/revue-informations-sociales-2005-1-page-17.htm
https://academienouvelle.forumactif.org/t6959-seine-saint-denis-jean-castex-annonce-aux-elus-une-experimentation-de-la-prise-en-charge-du-rsa-par-letat-au-lieu-du-departement?highlight=denis