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    Danilo Martuccelli, Figures de la domination

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Danilo Martuccelli, Figures de la domination Empty Danilo Martuccelli, Figures de la domination

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 15 Déc 2020 - 14:57

    https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2004-3-page-469.htm?try_download=1

    "La domination ne désigne qu’un type particulier de relations inégales qui coexiste ou s’articule avec bien des processus de dissymétrie des relations de pouvoir."

    "D’une part, elle souligne une forme de subordination qui n’est pas seulement de nature personnelle (comme ce fut largement le cas dans la relation entre le maître et l’esclave) mais prend plutôt la forme d’une série de subordinations impersonnelles à des contraintes systémiques – comme celle du type capital-travail. D’autre part, elle désigne un complexe d’associations ou de mécanismes assurant la formation et la reproduction du consentement des dominés par une série de compromis divers. Souvent dénommée « légitimation », « idéologie » ou encore « hégémonie », cette dimension souligne l’importance décisive de l’adhésion des individus aux différentes formes de contrôle dans les sociétés modernes."

    "Qu’il n’y ait pas de manifestation explicite et ouverte de contestation ne veut aucunement dire qu’il n’y ait pas de résistance. Les fantaisies, les rêveries, les rumeurs, les blagues, le renversement imaginaire des situations (le « monde-à-l’envers » si fréquent parmi les esclaves ou les mouvements millénaristes), l’art de la dissimulation, bref, tous ces discours ou pratiques occultes (hidden transcripts) sont bien des manières d’exprimer une colère, une humiliation ou une désapprobation que la domination réprime (Scott, 1990). Il s’agit en fait d’une autre forme de prise de parole des dominés, plus constante et sournoise que celle, plus classique, de la mobilisation collective et moins visible que leurs « discours publics »."

    "La notion de « réification », une de celles qui décrivent le mieux certains processus contemporains. Dans sa ligne principale, la notion souligne la tendance fondamentale du capitalisme à traiter les individus comme des « choses » et surtout à aborder les relations entre les individus comme des relations entre « choses ». Dans cette version, il s’agit donc moins, au fond, et à bien y regarder, d’insister sur le fait qu’une classe en domine une autre que de démasquer un système total de domination qui opprime tout le monde. Le problème principal n’est plus alors uniquement de nature économique – l’« exploitation » –, mais il engage aussi une épreuve d’authenticité individuelle.

    Cependant, trop longtemps associée à des processus d’intériorisation idéologique, la notion de « réification » n’est pas dépourvue d’ambiguïtés. C’est pourquoi il vaut sans doute mieux parler, comme Courpasson, de la domination comme d’un type d’action contrainte.
    « La contrainte y est vue à la fois comme une limite d’action et comme un déterminant de l’action. Elle diminue le champ des choix possibles, et en détermine partiellement le contenu. » (Courpasson, 2000, p. 24). Le propre de la domination ainsi comprise est donc de se détacher analytiquement des éléments soulignant l’adhésion, la soumission, l’asservissement, au profit d’un système de contraintes limitant l’action de manière substantielle et inégale. Dans tous les cas de figure, l’acteur, individuel ou collectif, est obligé de se plier à une contrainte exogène face à laquelle il éprouve un sentiment d’impuissance."

    "Malaise impossible à nommer puisque renvoyant à des contraintes d’autant plus pernicieuses qu’elles sont « innommables »."

    "L’injonction à l’autonomie.

    Figure hautement paradoxale, il s’agit d’enjoindre à quelqu’un de se doter par lui-même de sa propre loi. Mais cette obligation, sans imposer de contenu précis, en appelle simplement à ce que l’individu, en tant qu’acteur, prenne des décisions autonomes. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe l’essentiel du désaccord théorique autour de cette forme d’injonction. Pour certains, il s’agit d’un avatar d’un processus plus large de désinstitutionalisation ; pour d’autres, au contraire même, il s’agit d’un nouveau modèle institutionnel. Si le débat est subtil, la plupart de ces positions s’accorde sur le fait que l’injonction d’autonomie prend moins la forme de l’intériorisation d’une loi morale que d’une norme d’intériorité creuse, puisqu’elle est censée n’avoir aucun contenu normatif spécifique. Il s’agirait ainsi d’un nouveau mode de fonctionnement des normes sociales, enjoignant moins à l’individu de faire preuve de discipline et d’obéissance que de flexibilité et de souplesse (Beck, 2001 ; Roussel, 1989 ; Kaufmann, 2001 ; Dubet, 2002). C’est pourquoi il vaut peut-être mieux sur ce point adhérer à l’interprétation proposée par Singly pour qui il y aurait une nette expansion d’une normativité psychologique qui, sans l’abolir, prendrait néanmoins le pas sur une normativité de commandement (Singly, 2003, pp. 134-141).

    D’ailleurs, c’est aussi dans ce sens que, pour Ehrenberg, la « dépression » deviendrait un analyseur majeur de nos sociétés. Elle ne provient ni d’une « loi » écrasant l’individu à cause d’une surcharge d’interdits se traduisant par un sur-moi trop sévère (comme c’est le cas dans l’expérience de l’inculcation), ni d’une implosion induite par un assujettissement par contraintes. Elle procède, en revanche, d’une injonction constante de performance, de réussite, d’être à la hauteur, d’agir sans arrêt au meilleur de sa forme. Face à cet idéal collectif d’action, l’individu se sent assailli par sa fatigue, ses insuffisances, ses dysfonctionnements. La dépression découlerait de la « démocratisation de l’exception », là où l’individu reconnu maître de lui-même se révèle fragile, manquant d’être, et « fatigué par sa souveraineté », prisonnier de « l’aspiration à n’être que soi-même et la difficulté à l’être »."

    "Pendant longtemps, et malgré leur tendance à être confondues, les expériences de la domination ont été caractérisées essentiellement comme étant de l’ordre de l’inculcation (l’imposition idéologique) ou de l’implosion (les phénomènes d’aliénation). Aujourd’hui, sans que leur pertinence analytique ne disparaisse, et sans qu’il faille dès lors les abandonner, il faut prendre acte de la consolidation de nouvelles figures de domination et surtout du poids croissant des processus multiformes d’injonction et de dévolution."

    "L’inculcation n’est pas l’injonction : dans le premier cas, l’individu doit impérativement adhérer à un contenu normatif ; dans le deuxième, on fait confiance à ses capacités. Dans l’implosion, l’individu est disqualifié par son incapacité à se hausser jusqu’à une figure positive du sujet ; par la dévolution, il est « simplement » sanctionné objectivement pour son incapacité à être un acteur.

    Les figures dégagées sont bel et bien des idéaux-types. Leur intérêt analytique procède donc avant tout de leur capacité à s’établir à distance des faits empiriques, et à nous permettre, par le jeu des écarts, rarement équidistants entre les différents pôles, de mieux comprendre les diverses facettes d’un phénomène. Lors des études précises, il faudra donc de plus en plus différencier les divers processus, en se gardant de confondre les expressions subjectives avec les critères analytiques. Ce n’est pas au niveau des manifestations « phénoménologiques » ou du « vécu » intérieur que résident les différences entre les diverses expériences de la domination. À ce niveau, les expériences peuvent même souvent se ressembler
    ."
    -Danilo Martuccelli, « Figures de la domination », Revue française de sociologie, 2004/3 (Vol. 45), p. 469-497. DOI : 10.3917/rfs.453.0469. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2004-3-page-469.htm






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