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    Marie Gilbert-Flutre (dir.), L'Asie du Sud-Est + POUR UNE MICRO-GÉOPOLITIQUE DES ESPACES PUBLICS ORDINAIRES À HỒ CHÍ MINH VILLE

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Marie Gilbert-Flutre (dir.), L'Asie du Sud-Est + POUR UNE MICRO-GÉOPOLITIQUE DES ESPACES PUBLICS ORDINAIRES À HỒ CHÍ MINH VILLE Empty Marie Gilbert-Flutre (dir.), L'Asie du Sud-Est + POUR UNE MICRO-GÉOPOLITIQUE DES ESPACES PUBLICS ORDINAIRES À HỒ CHÍ MINH VILLE

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 4 Jan - 11:50

    https://www.cnrseditions.fr/auteur/marie-gibert-flutre/

    "Quelle unité peut receler cet ensemble émietté parce qu'en partie archipélagique ? Quoi de commun dans cette région-carrefour, où coexistent bouddhisme, islam, christianisme et religions ancestrales et où la diversité ethnique est telle que dans certains pays, la proportion des minorités dépasse celle des populations majoritaires ?
    Pourtant, l'Asie du Sud-Est est un monde en soi. Les pays qui la composent connaissent des trajectoires de développement comparables, bien que suivant des chronologies différenciées. Ils s'intègrent rapidement dans la mondialisation qui nourrit leur forte croissance économique, mais approfondit encore les inégalités socioterritoriales, notamment dans les modalités de l'urbanisation. Les flux de population dessinent la forme d'une région intégrée: des systèmes migratoires régionaux dominent, organisés autour de la Thaïlande, de la Malaisie et de Singapour, et, depuis la fin des années 2000, le tourisme intrarégional a explosé de façon spectaculaire. Depuis la fin de la guerre froide, l'association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) s'est progressivement élargie aux anciens Etats du bloc de l'Est au nom des intérêts politico-économiques communs de ses membres et du sentiment de l'unité régionale.
    Les pays de l'Asie du Sud-Est ont la mer en partage et assument la responsabilité de routes maritimes stratégiques à l'échelle mondiale, en particulier dans le détroit de Malacca et en mer de Chine méridionale. La présence de la Chine, qui nourrit de grandes ambitions à l'échelle du continent, est un élément structurant des relations internationales dans la région. Les "nouvelles routes de la soie" suscitent l'espoir d'un développement accéléré et la méfiance vis-à-vis du puissant voisin. Les relations avec la Chine sont souvent conflictuelles, notamment en mer de Chine méridionale. Elle justifie l'attachement des pays de la région à l'alliance américaine et des rapprochements inattendus, comme entre les Etats-Unis et le Vietnam
    ." (p.1)

    "La région est engagée de manière concomitante dans des processus de construction nationale, d'intégration régionale et d'insertion mondiale, en partie contradictoires et sources de tensions." (p.2)

    "L'Asie du Sud-Est fut longtemps un ensemble envisagé et nommé depuis l'extérieur. Pour la Chine, il s'agissait de la région des mers du Sud (Nan Yang), quand les Européens y voyaient initialement un prolongement de l'Inde en la nommant "Inde extérieure", "Inde insulaire" ou encore "Indonésie", terme adopté par les Hollandais lors de leur conquête au XVe siècle. [...]
    L'accent mis sur la localisation stratégique de l'Asie du Sud-Est entre l'Inde et la Chine -les deux territoires les plus convoités par les colonisateurs européens- s'est ensuite traduit par la popularité du terme "Indo-Chine", apparu dans la
    Géographie universelle de Conrad Malte-Brun en 1837." (p.3)
    -Marie Gilbert-Flutre (dir.), L'Asie du Sud-Est, La Documentation photographique, CNRS Éditions, 2020, 61 pages.


    « Cet objet d’étude ne se laisse cependant pas facilement appréhender, tant nous sommes tributaires d’héritages sémantiques et de conceptions européano-centrés particulièrement peu adaptés au Vietnam, lorsqu’il s’agit de penser les espaces publics aujourd’hui. Les critères normatifs de définition, reposant sur une conception juridique de ces espaces – incompatible avec des pratiques commerciales –, mais aussi ses déclinaisons morphologiques les plus emblématiques, comme la place, matrice historique de la ville européenne, et enfin l’idéal démocratique auquel le terme est associé – renvoyant immanquablement à l’emblème de l’agora grecque – laissent en effet penser que Hồ Chí Minh Ville n’a tout simplement pas d’espace public. Dans les parcs comme dans les rues, l’expression citoyenne est très étroitement contrôlée et entravée par les représentants de l’État-parti, qui utilisent d’ailleurs ces espaces comme autant de lieux de propagande. De plus, le foisonnement des vendeurs de rue et toutes sortes d’appropriations relevant de la sphère privée peuvent être lus comme autant de formes de privatisation. Enfin, les quelques places que l’on trouve à Hồ Chí Minh Ville sont exclusivement d’origine coloniale. Comme dans la plupart des villes asiatiques héritées, ce sont en effet les carrefours, bien plus que les places, qui constituent les principaux pôles de centralité et de sociabilité. L’absence de grands espaces ouverts en dehors du centre-ville colonial est notamment liée à la miniaturisation cadastrale et architecturale historique de la ville, où 85 % des habitants vivent dans des maisons-tubes mitoyennes, le long d’étroites ruelles. Cette caractéristique essentielle du tissu urbain d’une métropole qui compte aujourd’hui plus de 10 millions d’habitants explique par ailleurs les très fortes densités de peuplement qu’elle accueille (4 000 hab /km² en moyenne, comprenant les districts ruraux de la métropole, mais jusqu’à 80 000 hab /km² dans certains quartiers péricentraux comme le district 10).
    Une analyse fine des enjeux liés au contrôle et à l’accès des espaces publics à Hồ Chí Minh Ville nécessite alors une entreprise de décentrement scientifique afin d’en post-colonialiser l’approche. L’enjeu est de trois ordres. Il s’agit tout d’abord d’élargir la compréhension et la définition des espaces publics dans le champ des études urbaines, au-delà du seul critère juridique, en reconnaissant notamment la valeur des usages quotidiens de ces espaces, dans la production même de leur caractère public. La « publicité » d’un lieu peut en effet relever de différents critères, leur statut juridique public n’en étant qu’un parmi d’autres, comme la capacité d’un lieu à accueillir les citadins dans leur diversité et dans le foisonnement de leurs pratiques et revendications. »

    "Les autorités métropolitaines de Hồ Chí Minh Ville ont lancé le 1er mars 2017 une opération intitulée « 45 jours pour ‘récupérer’ les trottoirs du district 1 », district qui correspond au centre historique de la métropole. [...] Cette opération d’envergure, qui a couplé campagnes d’affichage, démonstrations de fermeté par des annonces officielles et multiplication d’actions fortes médiatisées – avec déguerpissement des vendeurs ambulants, destruction des façades et terrasses empiétant sur les trottoirs et mise en fourrière des véhicules stationnés sur les trottoirs – est loin d’être la première du genre. Les archives de la période coloniale recèlent déjà des projets de réglementations menaçant la pratique de la vente de rue à Saigon. [...]
    Reconsidérer les espaces publics interstitiels, les ruelles et les trottoirs par exemple, mais aussi les cours de pagode et les petits carrefours pour leur important potentiel de mixité sociale et les aménités urbaines qu’ils offrent sur une base quotidienne. Ces derniers peuvent être éphémères : un axe de circulation fermé à la circulation motorisée en soirée pour laisser place à un marché et un lieu de rencontres. [...]
    Leur relative invisibilisation par les pouvoirs publics en quête de grands projets aux formes de plus en plus mondialisées ne doit pas occulter leur extraordinaire potentiel en termes de création de lien social, notamment par la réversibilité des usages quotidiens qu’ils accueillent. Revaloriser l’ordinaire urbain implique également de revaloriser le rôle des citadins ordinaires dans la fabrique métropolitaine et de les considérer comme des acteurs à part entière, dans une conception itérative du processus de métropolisation. [...]
    La richesse de la réversibilité des espaces publics ordinaires de Hồ Chí Minh Ville est aujourd’hui menacée par les programmes de « nettoyage » orchestrés par les autorités métropolitaines, mais plus encore par le caractère de plus en plus hégémonique d’un usage sur les autres : la circulation motorisée. Alors que les trottoirs et les ruelles de Hồ Chí Minh Ville pouvaient jusqu’ici être considérés comme autant de « territoires » urbains, c’est-à-dire des espaces fortement appropriés par les citadins dans le cadre de leurs pratiques quotidiennes, ces derniers tendent de plus en plus à se réduire à une fonction de simple réseau, au service des circulations dans la ville."
    -Marie Gilbert-Flutre, Pour une micro-géopolitique des espaces publics ordinaires à Ho Chi Minh Ville: http://www.gis-reseau-asie.org/fr/pour-une-micro-geopolitique-des-espaces-publics-ordinaires-ho-chi-minh-ville





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