https://journals.openedition.org/chrhc/1661
"Siècle chrétien par le renouveau de quelques ordres religieux et la floraison des congrégations, par la naissance de nouvelles dévotions, par l’action de hautes personnalités catholiques ou protestantes dans différents domaines, le xixe siècle fut aussi un siècle d’athéisme. Ce terme, dont l’histoire et les acceptions sont complexes 1, peut désigner, de manière assez schématique, soit une indifférence marquée en matière de religion – on parle alors d’athéisme pratique –, soit une volonté, fondée sur l’intelligence et la réflexion, de repousser toute croyance en Dieu – il s’agit alors d’un athéisme théorique, qui peut lui-même se présenter sous différents jours."
"Actifs et influents dès le Second Empire, ils s’exprimèrent, durant cette période, dans divers journaux, La Libre Pensée, La Pensée nouvelle, Le Démocrite, L’Excommunié, L’Athée. Leur athéisme se fondait sur des considérations d’ordre philosophique, moral et politique. Dieu, pensaient-ils, est la principale source de l’asservissement et de l’humiliation de l’homme."
"En 1904, à Bressuire (Deux-Sèvres), la conférencière anarchiste et libre-penseuse Séraphine Pajaud commença sa conférence par une attaque en règle contre Dieu, dans laquelle, comme chez Eugène Chatelain, l’argument du mal recoupe celui des inégalités sociales : « Dieu n’existe pas, il ne peut exister, loin de nous désormais l’idée de Dieu. Dieu, c’est le mal, c’est l’opprobre, c’est l’oppression, c’est l’infâmie. » Ces vigoureux propos ayant entraîné des applaudissements, l’oratrice poursuivit : « Comment se fait-il, citoyens, que cet être prétendu si bon et sans défauts laisse commettre sur terre un tas de vilenies et un tas d’atrocités ? Comment se fait-il qu’il soit si injuste en permettant que les prolétaires crèvent de faim, tandis que les bourgeois et les capitalistes crèvent d’indigestion ? »."
"L’anarchiste libre-penseur Sébastien Faure parcourait la France pour présenter une conférence dont le titre était « Les crimes de Dieu »."
"Plus inattendu sans doute est un texte laissé par Guy de Maupassant peu de temps avant la crise qui le fit définitivement sombrer dans la folie. Voyant dans les imprécations de l’écrivain contre Dieu « un magnifique et émouvant blasphème », le journal libre-penseur L’Action les reproduisit dans son « supplément littéraire » du 1er janvier 1910."
"Loin d’être une figure admirée des révolutionnaires les plus déterminés de la seconde moitié du XIXe siècle, l’Incorruptible en était au contraire détesté. Henri Verlet, Jules Vallès et Gustave Tridon n’éprouvaient pour lui que haine et mépris ; pour Tridon, c’est pour avoir exprimé son repentir « au Père Éternel » que la Révolution avait reculé « jusqu’à César ». Leur opinion se rapprochait de celles qu’avait exprimées Edgar Quinet dans ses leçons professées au Collège de France en 1845."
"Gustave Tridon (1841-1871). Tout d’abord gagné aux thèses de Proudhon, Tridon fit la connaissance de Blanqui à Sainte-Pélagie et en devint le lieutenant fidèle. Il assista au congrès des étudiants de Liège, aux congrès de la Première Internationale. Il signa l’affiche rouge, participa à la Commune. Réfugié à Bruxelles, il y mourut de maladie au mois d’août 1871."
"En 1870, Ernest Lavigne, ancien élève de l’École normale supérieure, publia une traduction en prose de Lucrèce. Pour cet auteur, « Lucrèce et ses devanciers avaient tout dit, et originalement ». Lucrèce a dégagé l’esprit humain des liens qui l’enlaçaient et lui interdisaient « un libre essor » ; la recherche exclusive de la vérité le guidait et, pour y parvenir, il se fia aux témoignages de ses sens, sous le contrôle de sa raison. Il appartient à cette race d’« hommes courageux, [d’] esprits droits et indépendants » qui ont ouvert « la route que d’autres plus tard ont parcourue » et secoué « le joug des doctrines scolastiques, des vérités soi-disant révélées, des superstitions de toutes sortes ». Certes, le De Natura Rerum contient nombre d’erreurs, mais la méthode sur laquelle ce texte repose demeure « la vraie, la seule », puisqu’elle consiste à combattre « l’engourdissement des intelligences […], la tendance fatale qu’éprouve l’esprit humain à accepter sans contrôle les principes que lui lègue la tradition, ou qu’un long usage semble avoir consacré ». Pour Ernest Lavigne, le De Natura Rerum « a été dans le domaine de la philosophie et des sciences positives comme une aube nouvelle, qui […] fait pressentir le jour désiré, le jour qui doit rendre au monde la lumière, la vérité, la vie ». Enfin, Lucrèce a donné aux sciences des fondations durables, sur lesquelles les générations suivantes ont pu élever un édifice solide.
Légèrement postérieure – elle a été publiée en 1876 – la traduction d’André Lefèvre est aussi celle d’un admirateur de Lucrèce, resté fidèle à la forme poétique de l’original. Pour Lefèvre, il était temps d’associer Lucrèce « au triomphe définitif de la science » ; alors qu’« une terreur superstitieuse » planait depuis longtemps sur ce poète, il était enfin sorti « de sa gloire solitaire » pour être reçu et discuté à l’Académie, à la Sorbonne et dans les collèges."
"André Lefèvre (1834-1904). Archiviste-paléographe, il collabora à L’histoire de France par les monuments et à la Revue de l’Instruction publique. Libre-penseur, il joua un rôle important dans la vie de La Libre Pensée et de La Pensée nouvelle. Il publia Religions et mythologies comparées (1877) et La Renaissance du matérialisme (1881)."
"Leconte de Lisle (1818-1894), figure dominante du mouvement parnassien, était connu non seulement pour ses convictions républicaines, mais aussi pour ses dénégations religieuses ; il a en effet composé des poèmes qui expriment son athéisme."
"En 1875, un indicateur signalait encore que « les discussions religieuses entre étudiants ne sont plus permises ; elles sont bafouées, conspuées. Veut-on discuter sur l’existence de Dieu ou de l’âme, sur les vérités primordiales de la religion ? On est traité de crétin, de faible d’esprit, ou bien d’hypocrite, de jésuite ». Encouragés par l’enseignement de quelques-uns de leurs professeurs, comme Charles Robin, le maître de Clemenceau, sensibilisés aux thèses matérialistes par certaines recherches sur le cerveau ou sur la génération spontanée, les étudiants en médecine se montrèrent particulièrement ouverts aux doctrines athées et aux doctrines positivistes, ce qui, pour les catholiques, revenait au même."
"Dans sa thèse, soutenue en 1865, [Clemenceau] estima que « dire qu’il y a eu une création parce qu’il y a eu une force créatrice est déjà une pétition de principe. Mais placer cette force en dehors de la matière et lui donner l’intelligence et la conscience d’elle-même est une conception qui ne relève ni de l’expérience ni du jugement »."
"[Blanqui] considérait Dieu comme « un monstre abreuvé, gonflé, nourri, pétri de sang humain »."
"Pour Édouard Vaillant, toute religion était un fléau ; le manifeste de 1874, intitulé Aux Communeux, que Vaillant cosigna avec Granger, proclame : « l’homme ne sera jamais libre tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison »."
"En 1886, des libres-penseurs déistes et spiritualistes et des protestants fondèrent la Ligue nationale contre l’athéisme. Jules Simon, qui, en 1848, avait présidé la première Société française de libres-penseurs, en devint le président d’honneur ; les protestants y étaient nombreux ; ses membres s’engageaient « à combattre l’athéisme sous toutes ses formes »."
"D’après Roger des Fourniels, Gambetta « s’était fait athée » parce qu’il avait estimé que l’irréligion était « un moyen d’arriver »."
-Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005, connection on 11 February 2021. URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/chrhc.1661
https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1991_num_21_73_5782
"
-Jacqueline Lalouette, "Une rencontre oubliée : la Libre Pensée française et les savants matérialistes allemands (1863-1870)", Romantisme, Année 1991, 73, pp. 57-67.
"Siècle chrétien par le renouveau de quelques ordres religieux et la floraison des congrégations, par la naissance de nouvelles dévotions, par l’action de hautes personnalités catholiques ou protestantes dans différents domaines, le xixe siècle fut aussi un siècle d’athéisme. Ce terme, dont l’histoire et les acceptions sont complexes 1, peut désigner, de manière assez schématique, soit une indifférence marquée en matière de religion – on parle alors d’athéisme pratique –, soit une volonté, fondée sur l’intelligence et la réflexion, de repousser toute croyance en Dieu – il s’agit alors d’un athéisme théorique, qui peut lui-même se présenter sous différents jours."
"Actifs et influents dès le Second Empire, ils s’exprimèrent, durant cette période, dans divers journaux, La Libre Pensée, La Pensée nouvelle, Le Démocrite, L’Excommunié, L’Athée. Leur athéisme se fondait sur des considérations d’ordre philosophique, moral et politique. Dieu, pensaient-ils, est la principale source de l’asservissement et de l’humiliation de l’homme."
"En 1904, à Bressuire (Deux-Sèvres), la conférencière anarchiste et libre-penseuse Séraphine Pajaud commença sa conférence par une attaque en règle contre Dieu, dans laquelle, comme chez Eugène Chatelain, l’argument du mal recoupe celui des inégalités sociales : « Dieu n’existe pas, il ne peut exister, loin de nous désormais l’idée de Dieu. Dieu, c’est le mal, c’est l’opprobre, c’est l’oppression, c’est l’infâmie. » Ces vigoureux propos ayant entraîné des applaudissements, l’oratrice poursuivit : « Comment se fait-il, citoyens, que cet être prétendu si bon et sans défauts laisse commettre sur terre un tas de vilenies et un tas d’atrocités ? Comment se fait-il qu’il soit si injuste en permettant que les prolétaires crèvent de faim, tandis que les bourgeois et les capitalistes crèvent d’indigestion ? »."
"L’anarchiste libre-penseur Sébastien Faure parcourait la France pour présenter une conférence dont le titre était « Les crimes de Dieu »."
"Plus inattendu sans doute est un texte laissé par Guy de Maupassant peu de temps avant la crise qui le fit définitivement sombrer dans la folie. Voyant dans les imprécations de l’écrivain contre Dieu « un magnifique et émouvant blasphème », le journal libre-penseur L’Action les reproduisit dans son « supplément littéraire » du 1er janvier 1910."
"Loin d’être une figure admirée des révolutionnaires les plus déterminés de la seconde moitié du XIXe siècle, l’Incorruptible en était au contraire détesté. Henri Verlet, Jules Vallès et Gustave Tridon n’éprouvaient pour lui que haine et mépris ; pour Tridon, c’est pour avoir exprimé son repentir « au Père Éternel » que la Révolution avait reculé « jusqu’à César ». Leur opinion se rapprochait de celles qu’avait exprimées Edgar Quinet dans ses leçons professées au Collège de France en 1845."
"Gustave Tridon (1841-1871). Tout d’abord gagné aux thèses de Proudhon, Tridon fit la connaissance de Blanqui à Sainte-Pélagie et en devint le lieutenant fidèle. Il assista au congrès des étudiants de Liège, aux congrès de la Première Internationale. Il signa l’affiche rouge, participa à la Commune. Réfugié à Bruxelles, il y mourut de maladie au mois d’août 1871."
"En 1870, Ernest Lavigne, ancien élève de l’École normale supérieure, publia une traduction en prose de Lucrèce. Pour cet auteur, « Lucrèce et ses devanciers avaient tout dit, et originalement ». Lucrèce a dégagé l’esprit humain des liens qui l’enlaçaient et lui interdisaient « un libre essor » ; la recherche exclusive de la vérité le guidait et, pour y parvenir, il se fia aux témoignages de ses sens, sous le contrôle de sa raison. Il appartient à cette race d’« hommes courageux, [d’] esprits droits et indépendants » qui ont ouvert « la route que d’autres plus tard ont parcourue » et secoué « le joug des doctrines scolastiques, des vérités soi-disant révélées, des superstitions de toutes sortes ». Certes, le De Natura Rerum contient nombre d’erreurs, mais la méthode sur laquelle ce texte repose demeure « la vraie, la seule », puisqu’elle consiste à combattre « l’engourdissement des intelligences […], la tendance fatale qu’éprouve l’esprit humain à accepter sans contrôle les principes que lui lègue la tradition, ou qu’un long usage semble avoir consacré ». Pour Ernest Lavigne, le De Natura Rerum « a été dans le domaine de la philosophie et des sciences positives comme une aube nouvelle, qui […] fait pressentir le jour désiré, le jour qui doit rendre au monde la lumière, la vérité, la vie ». Enfin, Lucrèce a donné aux sciences des fondations durables, sur lesquelles les générations suivantes ont pu élever un édifice solide.
Légèrement postérieure – elle a été publiée en 1876 – la traduction d’André Lefèvre est aussi celle d’un admirateur de Lucrèce, resté fidèle à la forme poétique de l’original. Pour Lefèvre, il était temps d’associer Lucrèce « au triomphe définitif de la science » ; alors qu’« une terreur superstitieuse » planait depuis longtemps sur ce poète, il était enfin sorti « de sa gloire solitaire » pour être reçu et discuté à l’Académie, à la Sorbonne et dans les collèges."
"André Lefèvre (1834-1904). Archiviste-paléographe, il collabora à L’histoire de France par les monuments et à la Revue de l’Instruction publique. Libre-penseur, il joua un rôle important dans la vie de La Libre Pensée et de La Pensée nouvelle. Il publia Religions et mythologies comparées (1877) et La Renaissance du matérialisme (1881)."
"Leconte de Lisle (1818-1894), figure dominante du mouvement parnassien, était connu non seulement pour ses convictions républicaines, mais aussi pour ses dénégations religieuses ; il a en effet composé des poèmes qui expriment son athéisme."
"En 1875, un indicateur signalait encore que « les discussions religieuses entre étudiants ne sont plus permises ; elles sont bafouées, conspuées. Veut-on discuter sur l’existence de Dieu ou de l’âme, sur les vérités primordiales de la religion ? On est traité de crétin, de faible d’esprit, ou bien d’hypocrite, de jésuite ». Encouragés par l’enseignement de quelques-uns de leurs professeurs, comme Charles Robin, le maître de Clemenceau, sensibilisés aux thèses matérialistes par certaines recherches sur le cerveau ou sur la génération spontanée, les étudiants en médecine se montrèrent particulièrement ouverts aux doctrines athées et aux doctrines positivistes, ce qui, pour les catholiques, revenait au même."
"Dans sa thèse, soutenue en 1865, [Clemenceau] estima que « dire qu’il y a eu une création parce qu’il y a eu une force créatrice est déjà une pétition de principe. Mais placer cette force en dehors de la matière et lui donner l’intelligence et la conscience d’elle-même est une conception qui ne relève ni de l’expérience ni du jugement »."
"[Blanqui] considérait Dieu comme « un monstre abreuvé, gonflé, nourri, pétri de sang humain »."
"Pour Édouard Vaillant, toute religion était un fléau ; le manifeste de 1874, intitulé Aux Communeux, que Vaillant cosigna avec Granger, proclame : « l’homme ne sera jamais libre tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison »."
"En 1886, des libres-penseurs déistes et spiritualistes et des protestants fondèrent la Ligue nationale contre l’athéisme. Jules Simon, qui, en 1848, avait présidé la première Société française de libres-penseurs, en devint le président d’honneur ; les protestants y étaient nombreux ; ses membres s’engageaient « à combattre l’athéisme sous toutes ses formes »."
"D’après Roger des Fourniels, Gambetta « s’était fait athée » parce qu’il avait estimé que l’irréligion était « un moyen d’arriver »."
-Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005, connection on 11 February 2021. URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/chrhc.1661
https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1991_num_21_73_5782
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-Jacqueline Lalouette, "Une rencontre oubliée : la Libre Pensée française et les savants matérialistes allemands (1863-1870)", Romantisme, Année 1991, 73, pp. 57-67.