"[L'école française de sociologie s'est attachée] tout spécialement à l'histoire sociale des catégories de l'esprit humain. Nous essayons de les expliquer une à une en partant tout simplement et provisoirement de la liste des catégories aristotéliciennes." (p.333)
"Combien est récent le mot philosophique le "moi", combien récents la "catégorie du moi", le culte du moi (son aberrance)." (p.355)
"Le grand et si injustement traité L. H. Morgan, fondateur de nos sciences." (p.337)
"Chez les Pueblo de Zuni, et évidemment chez les autres, ceux de Sia, de Tusayan, chez les Hopi, de Walpi et Mishongnovi, les noms correspondent non pas simplement à l'organisation du clan, à son défilé, à ses pompes, et privées et publiques, mais surtout aux rangs dans les confréries." (p.339)
"Ancêtres qui se réincarnent dans leurs ayants droit, qui revivent dans le corps de ceux qui portent leurs noms, dont la perpétuité s'assure par le rituel [...] La perpétuité des choses et des âmes n'est assurée que par la perpétuité des noms des individus, des personnes." (p.342)
"L'Inde me semble même avoir été la plus ancienne des civilisations qui ait eu la notion de l'individu, de sa conscience, que dis-je, du "moi" ; l'ahamkara, la "fabrication de je", est le nom de la conscience individuelle, aham = je (c'est le même mot ind. eur. que ego). Le mot ahamkara est évidemment un mot technique, fabriqué par quelque école de sages voyants, supérieurs à toutes les illusions psychologiques. Le samkhya, l'école qui justement a dû précéder le boudhisme soutient le caractère composé des choses et des esprits (samkhya veut précisément dire composition), considère que le "moi" est la chose illusoire ; le bouddhisme, lui, dans une première partie de son histoire, décrétait que ce n'était qu'un composé, divisible, sécable de skanda, et en poursuivait l'anéantissement chez le moine." (pp.348-349)
"Je pense que ce travail, ce progrès, s'est surtout fait avec l'aide des Stoïciens, dont la morale volontariste, personnelle, pouvait enrichir la notion romaine de personne et même s'est enrichie elle-même, en même temps qu'elle enrichissait le droit. [...] Les mots qui désignent la conscience d'abord, la conscience psychologique ensuite [...] sont vraiment stoïciens, semblent techniques, et traduisent nettement conscius, conscientia du droit romain. On peut apercevoir, entre l'ancien stoïcisme et celui de l'époque gréco-latine, le progrès, le changement qui est définitivement accompli à l'époque d'Epictète et de Marc-Aurèle. [...]
Mais la notion de personne manquait encore de base métaphysique sûre. Ce fondement, c'est au christianisme qu'elle le doit." (pp.355-356)
"La notion de "personne morale" était d'ailleurs devenue tellement claire que, dès les premiers jours de notre ère, et avant à Rome, dans tout l'Empire, elle s'imposait à toutes les personnalités fictives, que nous appelons encore de ce nom: personnes morales: corporations, fondations pieuses, etc. [...] Une universitas était une personnes de personnes -mais, comme une ville, comme Rome, une chose, une entité." (p.357)
"Spinoza a encore gardé sur l'immortalité de l'âme l'idée antique pure. [...] Il ne croit pas à la subsistance après la mort d'une autre partie de l'âme que celle qui est animée de "l'amour intellectuel de Dieu". Il répète au fond Maïmonide, qui répétait Aristote." (p.360)
-Marcel Mauss, "Une catégorie de l'esprit humain: La notion de personne, celle de "Moi".", paru dans le Journal of the Royal Anthropological Institute, 1938, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2013 (1950 pour la première édition), pp.143-279 pages.
"Je dis bien les techniques du corps parce qu'on peut faire la théorie de la technique du corps à partir d'une étude, d'une exposition, d'une description pure et simple des techniques du corps. J'entends par ce mot les façons dont les hommes, société par société, d'une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps. En tout, il faut procéder du concret à l'abstrait, et non pas inversement." (p.365)
"Quand une science naturelle fait des progrès, elle ne les fait jamais que dans le sens du concret, et toujours dans le sens de l'inconnu. Or, l'inconnu se trouve aux frontières des sciences, là où les professeurs « se mangent entre eux », comme dit Goethe (je dis mange, mais Gœthe n'est pas si poli). C'est généralement dans ces domaines mal partagés que gisent les problèmes urgents. Ces terres en friche portent d'ailleurs une marque. Dans les sciences naturelles telles qu'elles existent, on trouve toujours une vilaine rubrique. Il y a toujours un moment où la science de certains faits n'étant pas encore réduite en concepts, ces faits n'étant pas même groupés organiquement, on plante sur ces masses de faits le jalon d'ignorance : « Divers ». C'est là qu'il faut pénétrer. On est sûr que c'est là qu'il y a des vérités à trouver : d'abord parce qu'on sait qu'on ne sait pas, et parce qu'on a le sens vif de la quantité de faits.
Pendant de nombreuses années, dans mon cours d'Ethnologie descriptive, j'ai eu à enseigner en portant sur moi cette disgrâce et cet opprobre de « divers » sur un point où cette rubrique « Divers », en ethnographie, était vraiment hétéroclite. Je savais bien que la marche, la nage, par exemple, toutes sortes de choses de ce type sont spécifiques à des sociétés déterminées ; que les Polynésiens ne nagent pas comme nous, que ma génération n'a pas nagé comme la génération actuelle nage. Mais quels phénomènes sociaux étaient-ce ? C'étaient des phénomènes sociaux « divers », et, comme cette rubrique est une horreur, j'ai souvent pensé à ce « divers », au moins chaque fois que j'ai été obligé d'en parler, et souvent entre temps.
Excusez-moi si, pour former devant vous cette notion de techniques du corps, je vous raconte à quelles occasions j'ai poursuivi et comment j'ai pu poser clairement le problème général. Ce fut une série de démarches consciemment et inconsciemment faites.
D'abord, en 1898, j'ai été lié à quelqu'un dont je connais bien encore les initiales, mais dont je ne me souviens plus du nom. J'ai eu la paresse de le rechercher. C'était lui qui rédigeait un excellent article sur la « Nage » dans l'édition de la British Enclyclopaedia de 1902, alors en cours. (Les articles « Nage » des deux éditions qui ont suivi sont devenus moins bons.) Il m'a montré l'intérêt historique et ethnographique de la question. Ce fut un point de départ, un cadre d'observation. Dans la suite - je m'en apercevais moi-même -, j'ai assisté au changement des techniques de la nage, du vivant de notre génération. Un exemple va nous mettre immédiatement au milieu des choses : nous, les psychologues, comme les biologistes et comme les sociologues. Autrefois on nous apprenait à plonger après avoir nagé. Et quand on nous apprenait à plonger, on nous apprenait à fermer les yeux, puis à les ouvrir dans l'eau. Aujourd'hui la technique est inverse. On commence tout l'apprentissage en habituant l'enfant à se tenir dans l'eau les yeux ouverts. Ainsi, avant même qu'ils nagent, on exerce les enfants surtout à dompter des réflexes dangereux mais instinctifs des yeux, on les familiarise avant tout avec l'eau, on inhibe des peurs, on crée une certaine assurance, on sélectionne des arrêts et des mouvements. Il y a donc une technique de la plongée et une technique de l'éducation de la plongée qui ont été trouvées de mon temps. Et vous voyez qu'il s'agit bien d'un enseignement technique et qu'il y a, comme pour toute technique, un apprentissage de la nage. D'autre part, notre génération, ici, a assisté à un changement complet de technique : nous avons vu remplacer par les différentes sortes de crawl la nage à brasse et à tête hors de l'eau. De plus, on a perdu l'usage d'avaler de l'eau et de la cracher. Car les nageurs se considéraient, de mon temps, comme des espèces de bateaux à vapeur. C'était stupide, mais enfin je fais encore ce geste : je ne peux pas me débarrasser de ma technique. Voilà donc une technique du corps spécifique, un art gymnique perfectionné de notre temps.
Mais cette spécificité est le caractère de toutes les techniques. Un exemple : pendant la guerre j'ai pu faire des observations nombreuses sur cette spécificité des techniques. Ainsi celle de bêcher. Les troupes anglaises avec lesquelles j'étais ne savaient pas se servir de bêches françaises, ce qui obligeait à changer 8 000 bêches par division quand nous relevions une division française, et inversement. Voilà à l'évidence comment un tour de main ne s'apprend que lentement. Toute technique proprement dite a sa forme. Mais il en est de même de toute attitude du corps. Chaque société a ses habitudes bien à elle. Dans le même temps j'ai eu bien des occasions de m'apercevoir des différences d'une armée à l'autre. Une anecdote à propos de la marche. Vous savez tous que l'infanterie britannique marche à un pas différent du nôtre : différent de fréquence, d'une autre longueur. [...]
Une sorte de révélation me vint à l'hôpital. J'étais malade à New York. Je me demandais où j'avais déjà vu des demoiselles marchant comme mes infirmières. J'avais le temps d'y réfléchir. Je trouvai enfin que c'était au cinéma. Revenu en France, je remarquai, surtout à Paris, la fréquence de cette démarche ; les jeunes filles étaient Françaises et elles marchaient aussi de cette façon. En fait, les modes de marche américaine, grâce au cinéma, commençaient à arriver chez nous. C'était une idée que je pouvais généraliser. La position des bras, celle des mains pendant qu'on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques. Exemple : je crois pouvoir reconnaître aussi une jeune fille qui a été élevée au couvent. Elle marche, généralement, les poings fermés. Et je me souviens encore de mon professeur de troisième m'interpellant : « Espèce d'animal, tu vas tout le temps tes grandes mains ouvertes ! » Donc il existe également une éducation de la marche.
Autre exemple : il y a des positions de la main, au repos, convenables ou inconvenantes. Ainsi vous pouvez deviner avec sûreté, si un enfant se tient à table les coudes au corps et, quand il ne mange pas, les mains aux genoux, que c'est un Anglais. Un jeune Français ne sait plus se tenir: il a les coudes en éventail : il les abat sur la table, et ainsi de suite. En fin, sur la course, j'ai vu aussi, vous avez tous vu, le changement de la technique. Songez que mon professeur de gymnastique, sorti un des meilleurs de Joinville, vers 1860, m'a appris à courir les poings au corps : mouvement complètement contradictoire à tous les mouvements de la course ; il a fallu que je voie les coureurs professionnels de 1890 pour comprendre qu'il fallait courir autrement.
J'ai donc eu pendant de nombreuses années cette notion de la nature sociale de l' « habitus ». Je vous prie de remarquer que je dis en bon latin, compris en France, « habitus ». Le mot traduit, infiniment mieux qu' « habitude », l' « exis », l' « acquis » et la « faculté » d'Aristote (qui était un psychologue). Il ne désigne pas ces habitudes métaphysiques, cette « mémoire » mystérieuse, sujets de volumes ou de courtes et fameuses thèses. Ces « habitudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. Il faut y voir des techniques et l'ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d'ordinaire que l'âme et ses facultés de répétition.
Ainsi tout me ramenait un peu à la position que nous sommes ici, dans notre Société, un certain nombre à avoir prise, à l'exemple de Comte : celle de Dumas, par exemple, qui, dans les rapports constants entre le biologique et le sociologique, ne laisse pas très grande place à l'intermédiaire psychologique. Et je conclus que l'on ne pouvait avoir une vue claire de tous ces faits, de la course, de la nage, etc., si on ne faisait pas intervenir une triple considération au lieu d'une unique considération, qu'elle soit mécanique et physique, comme une théorie anatomique et physiologique de la marche, ou qu'elle soit au contraire psychologique ou sociologique. C'est le triple point de vue, celui de « l'homme total », qui est nécessaire. Enfin une autre série de faits s'imposait. Dans tous ces éléments de l'art d'utiliser le corps humain les faits d'éducation dominaient. La notion d'éducation pouvait se superposer à la notion d'imitation. Car il y a des enfants en particulier qui ont des facultés très grandes d'imitation, d'autres de très faibles, mais tous passent par la même éducation, de sorte que nous pouvons comprendre la suite des enchaînements. Ce qui se passe, c'est une imitation prestigieuse. L'enfant, l'adulte, imite des actes qui ont réussi et qu'il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui ont autorité sur lui. L'acte s'impose du dehors, d'en haut, fût-il un acte exclusivement biologique, concernant son corps. L'individu emprunte la série des mouvements dont il est composé à l'acte exécuté devant lui ou avec lui par les autres. C'est précisément dans cette notion de prestige de la personne qui fait l'acte ordonné, autorisé, prouvé, par rapport à l'individu imitateur, que se trouve tout l'élément social. Dans l'acte imitateur qui suit se trouvent tout l'élément psychologique et l'élément biologique. Mais le tout, l'ensemble est conditionné par les trois éléments indissolublement mêlés.
Tout ceci se rattache facilement à un certain nombre d'autres faits. Dans un livre d'Elsdon Best, parvenu ici en 1925, se trouve un document remarquable sur la façon de marcher de la femme Maori (Nouvelle-Zélande). (Ne dites pas que ce sont des primitifs, je les crois sur certains points supérieurs aux Celtes et aux Germains.) « Les femmes indigènes adoptent un certain « gait » (le mot anglais est délicieux) : à savoir un balancement détaché et cependant articulé des hanches qui nous semble disgracieux, mais qui est extrêmement admiré par les Maori. Les mères dressaient (l'auteur dit « drill ») leurs filles dans cette façon de faire qui s'appelle l' « onioi ». J'ai entendu des mères dire à leurs filles [je traduis] : « toi tu ne fais pas l'onioi », lorsqu'une petite fille négligeait de prendre ce balancement (The Maori, 1, p. 408-9, cf. p. 135). C'était une façon acquise, et non pas une façon naturelle de marcher. En somme, il n'existe peut-être pas de « façon naturelle » chez l'adulte. A plus forte raison lorsque d'autres faits techniques interviennent : pour ce qui est de nous, le fait que nous marchons avec des souliers transforme la position de nos pieds ; quand nous marchons sans souliers, nous le sentons bien." (pp.365-370)
"Nous avons fait, et j'ai fait pendant plusieurs années l'erreur fondamentale de ne considérer qu'il y a technique que quand il y a instrument. Il fallait revenir à des notions anciennes, aux données platoniciennes sur la technique, comme Platon parlait d'une technique de la musique et en particulier de la danse, et étendre cette notion.
J'appelle technique un acte traditionnel efficace (et vous voyez qu'en ceci il n'est pas différent de l'acte magique, religieux, symbolique). Il faut qu'il soit traditionnel et efficace. Il n'y a pas de technique et pas de transmission, s'il n'y a pas de tradition. C'est en quoi l'homme se distingue avant tout des animaux : par la transmission de ses techniques et très probablement par leur transmission orale.
Donnez-moi donc la permission de considérer que vous adoptez mes définitions. Mais quelle est la différence entre l'acte traditionnel efficace de la religion, l'acte traditionnel, efficace, symbolique, juridique, les actes de la vie en commun, les actes moraux d'une part, et l'acte traditionnel des techniques d'autre part ? C'est que celui-ci est senti par l'auteur comme un acte d'ordre mécanique, physique ou physico-chimique et qu'il est poursuivi dans ce but.
Dans ces conditions, il faut dire tout simplement : nous avons affaire à des techniques du corps. Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. Ou plus exactement, sans parler d'instrument, le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l'homme, c'est son corps. Immédiatement, toute cette grande catégorie de ce que, en sociologie descriptive, je classais comme « divers » disparaît de cette rubrique et prend forme et corps: nous savons où la ranger.
Avant les techniques à instruments, il y a l'ensemble des techniques du corps. Je n'exagère pas l'importance de ce genre de travail, travail de taxinomie psycho-sociologique. Mais c'est quelque chose : l'ordre mis dans des idées, là où il n'y en avait aucun. Même à l'intérieur de ce groupement de faits, le principe permettait un classement précis. Cette adaptation constante à un but physique, mécanique, chimique (par exemple quand nous buvons) est poursuivie dans une série d'actes montés, et montés chez l'individu non pas simplement par lui-même, mais par toute son éducation, par toute la société dont il fait partie, à la place qu'il y occupe."
(pp.371-372)
"L'histoire du portage est très importante. L'enfant porté à même la peau de sa mère pendant deux ou trois ans a une tout autre attitude vis-à-vis de sa mère qu'un enfant non porté 1 ; il a un contact avec sa mère tout autre que l'enfant de chez nous. Il s'accroche au cou, à l'épaule, il est à califourchon sur la hanche. C'est une gymnastique remarquable, essentielle pour toute sa vie. Et c'est une autre gymnastique pour la mère que de le porter. Même il semble qu'il y ait ici naissance d'états psychiques disparus de nos enfances. Il y a des contacts de sexes et de peaux, etc." (p.377)
"Il y a les gens à oreillers et les gens sans oreillers. - Il y a les populations qui se mettent très serrées en rond pour dormir, autour d'un feu, ou même sans feu. Il y a des façons primitives de se réchauffer et de chauffer les pieds. Les Fuégiens, qui vivent dans un endroit très froid, ne savent que se chauffer les pieds au moment où ils dorment, n'ayant qu'une seule couverture de peau (guanaco). - Il y a enfin le sommeil debout. Les Masaï peuvent dormir debout. J'ai dormi debout en montagne. J'ai dormi souvent à cheval, même en marche quelquefois : le cheval était plus intelligent que moi. Les vieux historiens des invasions nous représentent Huns et Mongols dormant, à cheval. C'est encore vrai, et leurs cavaliers dormant n'arrêtant pas la marche des chevaux." (pp.378-379)
"La danse enlacée est un produit de la civilisation moderne d'Europe." (p.381)
"Les inventeurs du savon ne sont pas les Anciens, ils ne se savonnaient pas. Ce sont les Gaulois." (p.382)
"Nous nous trouvons partout en présence de montages physio-psycho-sociologiques de séries d'actes. [...]
Un comtiste dirait qu'il n'y a pas d'intervalle entre le social et le biologique. Ce que je peux vous dire, c'est que je vois ici les faits psychologiques comme engrenage et que je ne les vois pas comme causes, sauf dans les moments de création ou de réforme. Les cas d'invention, de positions de principes sont rares. Les cas d'adaptation sont une chose psychologique individuelle. Mais généralement ils sont commandés par l'éducation, et au moins par les circonstances de la vie en commun, du contact." (pp.384-385)
"[L'éducation du sang-froid] est avant tout un mécanisme de retardement, d'inhibition de mouvements désordonnés ; ce retardement permet une réponse ensuite coordonnée de mouvements coordonnés partant alors dans la direction du but alors choisi. Cette résistance à l'émoi envahissant est quelque chose de fondamental dans la vie sociale et mentale. Elle sépare entre elles, elle classe même les sociétés dites primitives : suivant que les réactions y sont plus ou moins brutales, irréfléchies, inconscientes, ou au contraire isolées, précises, commandées par une conscience claire.
C'est grâce à la société qu'il y a une intervention de la conscience. Ce n'est pas grâce à l'inconscience qu'il y a une intervention de la société. C'est grâce à la société qu'il y a sûreté des mouvements prêts, domination du conscient sur l'émotion et l'inconscience." (pp.385-386)
-Marcel Mauss, "Les techniques du corps.", paru dans le Journal de Psychologie, avril 1936, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2013 (1950 pour la première édition).