https://fr.wikipedia.org/wiki/Mike_Davis_(historien)#Contribution_%C3%A0_la_g%C3%A9ographie_radicale
https://fr.1lib.fr/book/5284568/f45c4c
"Les autorités de Dubaï estiment que leur forêt enchantée de 600 gratte-ciels et centres commerciaux attirera aux environs de 2010 près de 15 millions de visiteurs étrangers par an, soit trois fois plus que la ville de New York. La compagnie Emirates Airlines a commandé pour pas moins de 37 milliards de dollars de nouveaux appareils Boeing et Airbus afin de transporter cette masse de touristes jusqu’à la nouvelle plaque tournante du trafic aérien mondial, le vaste aéroport international Jebel Ali. Grâce à la fatale addiction d’une planète désespérément assoiffée de pétrole arabe, cet ancien village de pêcheurs et de contrebandiers est bien placé pour devenir l’une des capitales mondiales du XXIe siècle. Parce qu’elle préfère les vrais diamants au strass, Dubaï a déjà surpassé Las Vegas, cette autre vitrine désertique du désir capitaliste, dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d’eau et d’électricité.
Des dizaines de méga-projets extravagants – dont l’« Île-Monde » artificielle (où le chanteur Rod Stewart aurait acquis la « Grande-Bretagne » pour 33 millions de dollars), le plus haut gratte-ciel du monde (Burj Dubaï, conçu par le cabinet d’architectes Skidmore, Owings et Merrill), l’hôtel de luxe sous-marin, les dinosaures carnivores, la piste de ski indoor et le giga-centre commercial – sont déjà en chantier ou au moins à l’état de projet avancé. Le Burj Al-Arab, un hôtel sept étoiles en forme de voile –parfait pour tourner un futur James Bond– s’est déjà rendu célèbre pour ses chambres à 5000 dollars la nuit, ses vues panoramiques sur 150 kilomètres de mer et de désert et sa clientèle exclusive de familles royales arabes, de rock stars anglaises et de milliardaires russes. Quant aux dinosaures, pour le directeur financier du Muséum d’histoire naturelle de Dubaï, ils « seront homologués par le Muséum de Londres et démontreront qu’on peut se cultiver tout en s’amusant »… et en remplissant la caisse, puisque « l’accès au parc des dinosaures se fera exclusivement par le centre commercial ».
Le plus gros projet, Dubailand, représente une avancée prodigieuse en matière de création d’univers virtuels. Il s’agit tout bonnement d’un « parc à thème de parcs à thème », deux fois plus grand que Disney World, avec ses 300 000 employés censés accueillir 15 millions de visiteurs par an (ces derniers devraient y dépenser un minimum de 100 dollars par jour, hors hébergement). Telle une encyclopédie surréaliste, il inclut 45 grands projets de « classe mondiale », dont les répliques des jardins suspendus de Babylone, du Taj Mahal et des pyramides d’Égypte, une montagne enneigée avec remontées mécaniques et ours polaires, un espace dédié aux « sports extrêmes », un village nubien, un « Eco-Tourism World », un complexe thermal de style andalou, des parcours de golf, des circuits de vitesse, des pistes de course, « Giants’ World », « Fantasia », le plus grand zoo du Moyen-Orient, plusieurs hôtels 5 étoiles, une galerie d’art moderne et le « Mall of Arabia »."
"Sous le règne de l’Émir-PDG Cheikh Mohammed El Maktoum, son despote éclairé âgé de 58 ans, Dubaï est devenue la nouvelle icône globale de l’ingénierie urbanistique d’avant-garde. Le multimilliardaire « Cheikh Mo » –comme le surnomment les occidentaux résidant à Dubaï– a une ambition explicite et totalement dénuée d’humilité : « Je veux être le Numéro Un mondial. » Collectionneur enthousiaste de purs-sangs (il possède la plus grande écurie du monde) et de super yachts (le Project Platinum, une embarcation de 160 mètres de long, possède son propre sous-marin et sa piste d’atterrissage), sa passion la plus dévorante est toutefois l’architecture « extrême » et l’urbanisme monumental. De fait, c’est un peu comme si le livre-culte de l’hyper-réalité, Learning From Las Vegas, de Robert Venturi, était devenu pour l’émir de Dubaï ce que la récitation du Coran est aux musulmans pieux."
"Souvent comparé à Las Vegas, Manhattan, Orlando, Monaco et Singapour, l’émirat est tout cela à la fois, mais porté à la dimension du mythe : un pastiche hallucinatoire du nec plus ultra en matière de gigantisme et de mauvais goût."
"A Dubaï, on adore les propos flatteurs d’architectes ou d’urbanistes de renom comme George Katodrytis : « Dubaï est le prototype de la ville post-globale, dont la fonction est plutôt d’éveiller des désirs que de résoudre des problèmes… Si Rome était la “ville éternelle” et Manhattan l’apothéose de l’urbanisme hyper-dense du XXe siècle, Dubaï peut être considérée comme le prototype émergent de la ville du XXIe siècle : une série de prothèses urbaines et d’oasis nomades, autant de villes isolées gagnant sur la terre et sur l’eau. » Dans cette quête effrénée des records architecturaux, Dubaï n’a qu’un seul véritable rival : la Chine, un pays qui compte aujourd’hui 300 000 millionnaires et devrait devenir d’ici quelques années le plus grand marché mondial du luxe (de Gucci à Mercedes). Partis respectivement du féodalisme et du maoïsme paysan, l’émirat et la République populaire sont tous deux parvenus au stade de l’hyper-capitalisme."
"Si la nouvelle vague de gigantisme immobilier incarnée entre autres par Dubailand atteint ses objectifs, vers 2010, la totalité du PIB de Dubaï proviendra d’activités non-pétrolières comme la finance et le tourisme.
En arrière-fond des ambitions exceptionnelles de Dubaï, il y a sa longue histoire de refuge pour pirates, contrebandiers et trafiquants d’or. À la fin de l’ère victorienne, un traité donna à Londres tout pouvoir sur la politique étrangère de l’émirat, ce qui eut pour effet de le maintenir à l’écart du contrôle de la cour ottomane et de ses percepteurs. Cette autonomie relative permit également à la dynastie El Maktoum de tirer profit de sa souveraineté sur le seul port naturel en eaux profondes de la « Côte des Pirates », longue de 650 kilomètres. La pêche des perles et la contrebande restèrent les deux piliers de l’économie locale jusqu’au moment où, sous l’effet de la richesse pétrolière, l’expertise commerciale et les facilités portuaires de l’émirat devinrent un atout sur le marché régional. Jusqu’en 1956, date où fut construit le premier édifice en béton, l’ensemble de la population vivait dans un habitat traditionnel de type barastri, sous des toits de palme, consommait l’eau du puits du village et faisait paître ses chèvres au milieu des rues étroites.
En 1971, peu après le retrait britannique de la péninsule arabique en 1968, le Cheikh Rashid s’associa au dirigeant d’Abu Dhabi, le Cheikh Zayed, pour créer les Émirats arabes unis, une fédération de type féodal mobilisée contre la menace commune de la guérilla marxiste d’Oman, puis du régime islamiste iranien. Abu Dhabi possédait la majorité des ressources pétrolières des Émirats (presque un douzième des réserves mondiales prouvées d’hydrocarbures), mais Dubaï était le port et le centre commercial le mieux situé. Quand le petit port d’origine se révéla trop étroit pour absorber l’essor du commerce, les émirs utilisèrent une partie des profits du premier choc pétrolier pour aider Dubaï à financer la construction du plus grand port artificiel du monde, achevé en 1976. Après la révolution khomeyniste de 1979, Dubaï devint également le Miami du Golfe persique en accueillant un grand nombre d’exilés iraniens. Nombre d’entre eux se spécialisèrent dans le trafic d’or, de cigarettes et d’alcool à destination de l’Inde et de leur très puritaine patrie d’origine. Plus récemment, sous le regard indulgent de Téhéran, Dubaï a attiré de nombreux Iraniens aisés qui utilisent la ville comme plateforme commerciale et enclave binationale, plus à la manière de Hong Kong que de Miami. On estime que ces nouveaux immigrants de luxe contrôlent près de 30 % du marché de la construction immobilière de l’émirat. Entre les années 1980 et le début des années 1990, sur la base de ces connexions plus ou moins clandestines, Dubaï est devenue la capitale régionale du blanchiment d’argent sale ainsi que le repaire de truands et de terroristes notoires. Le Wall Street Journal décrit comme suit la face cachée de la ville : « Avec ses souks de négociants d’or et de diamants, ses maisons de troc et ses bureaux de transferts d’argent informels, Dubaï prospère sur tout un réseau opaque de relations personnelles et d’allégeances claniques. Contrebandiers, trafiquants d’armes, financiers du terrorisme et professionnels du blanchiment profitent du laxisme ambiant, même si l’essentiel des affaires traitées dans l’émirat sont légales. »
Début 2006, les congressistes américains se sont fortement émus de l’OPA lancée par la compagnie Dubaï Port World sur la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, une entreprise londonienne qui gère de nombreux ports aux États-Unis. L’éventualité – et les risques supposés – de la cession d’installations portuaires américaines à un pays du Moyen-Orient provoqua un tel scandale dans les médias que, malgré le soutien de l’administration Bush, Dubaï dût renoncer à l’affaire. La part de pur et simple racisme anti-arabe est indéniable dans cette réaction (les activités portuaires américaines sont déjà largement passées sous le contrôle d’entreprises étrangères), mais la « connexion terroriste » de Dubaï, effet collatéral de son rôle de « Suisse du Golfe », est loin d’être un fantasme.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une ample documentation illustre le rôle de Dubaï comme « centre financier des groupes islamistes radicaux », en particulier Al-Qaïda et les talibans. D’après un ancien haut fonctionnaire du Trésor américain, « tous les chemins mènent à Dubaï lorsqu’on s’intéresse à l’argent [du terrorisme] »."
"En outre, on sait que pendant près dix ans, le fief d’El Maktoum a servi de refuge de luxe au Al Capone de Bombay, le légendaire truand Dawood Ibrahim. Sa présence dans l’émirat à la fin des années 1980 n’était pas franchement discrète : « Dawood coulait des jours heureux à Dubaï, écrit Suketu Mehta ; il y recréait Bombay en organisant des fêtes débridées où il faisait venir les plus grandes stars du cinéma de Bollywood et les joueurs de cricket de la ville ; il avait pour maîtresse une jolie starlette, Mandakini ». Début 1993, selon le gouvernement indien, Dawood – qui travaillait avec les services de renseignement pakistanais – organisa depuis Dubaï les épouvantables attentats du « Vendredi noir » à Bombay, qui provoquèrent la mort de 257 personnes. L’Inde demanda à Dubaï l’arrestation immédiate de Dawood, mais celui-ci fut autorisé à s’envoler pour Karachi, où il vit toujours sous la protection du gouvernement pakistanais. Son organisation criminelle, la « D-Company », poursuivrait néanmoins ses activités dans l’émirat."
p.11.
-Mike Davis, Le stade Dubaï du capitalisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007, 87 pages.
https://fr.1lib.fr/book/5185044/4aaef7
"
-Mike Davis et Bertrand Monk (dir.), Paradis infernaux. Les villes hallucinées du néocapitalisme,
https://fr.1lib.fr/book/5284568/f45c4c
"Les autorités de Dubaï estiment que leur forêt enchantée de 600 gratte-ciels et centres commerciaux attirera aux environs de 2010 près de 15 millions de visiteurs étrangers par an, soit trois fois plus que la ville de New York. La compagnie Emirates Airlines a commandé pour pas moins de 37 milliards de dollars de nouveaux appareils Boeing et Airbus afin de transporter cette masse de touristes jusqu’à la nouvelle plaque tournante du trafic aérien mondial, le vaste aéroport international Jebel Ali. Grâce à la fatale addiction d’une planète désespérément assoiffée de pétrole arabe, cet ancien village de pêcheurs et de contrebandiers est bien placé pour devenir l’une des capitales mondiales du XXIe siècle. Parce qu’elle préfère les vrais diamants au strass, Dubaï a déjà surpassé Las Vegas, cette autre vitrine désertique du désir capitaliste, dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d’eau et d’électricité.
Des dizaines de méga-projets extravagants – dont l’« Île-Monde » artificielle (où le chanteur Rod Stewart aurait acquis la « Grande-Bretagne » pour 33 millions de dollars), le plus haut gratte-ciel du monde (Burj Dubaï, conçu par le cabinet d’architectes Skidmore, Owings et Merrill), l’hôtel de luxe sous-marin, les dinosaures carnivores, la piste de ski indoor et le giga-centre commercial – sont déjà en chantier ou au moins à l’état de projet avancé. Le Burj Al-Arab, un hôtel sept étoiles en forme de voile –parfait pour tourner un futur James Bond– s’est déjà rendu célèbre pour ses chambres à 5000 dollars la nuit, ses vues panoramiques sur 150 kilomètres de mer et de désert et sa clientèle exclusive de familles royales arabes, de rock stars anglaises et de milliardaires russes. Quant aux dinosaures, pour le directeur financier du Muséum d’histoire naturelle de Dubaï, ils « seront homologués par le Muséum de Londres et démontreront qu’on peut se cultiver tout en s’amusant »… et en remplissant la caisse, puisque « l’accès au parc des dinosaures se fera exclusivement par le centre commercial ».
Le plus gros projet, Dubailand, représente une avancée prodigieuse en matière de création d’univers virtuels. Il s’agit tout bonnement d’un « parc à thème de parcs à thème », deux fois plus grand que Disney World, avec ses 300 000 employés censés accueillir 15 millions de visiteurs par an (ces derniers devraient y dépenser un minimum de 100 dollars par jour, hors hébergement). Telle une encyclopédie surréaliste, il inclut 45 grands projets de « classe mondiale », dont les répliques des jardins suspendus de Babylone, du Taj Mahal et des pyramides d’Égypte, une montagne enneigée avec remontées mécaniques et ours polaires, un espace dédié aux « sports extrêmes », un village nubien, un « Eco-Tourism World », un complexe thermal de style andalou, des parcours de golf, des circuits de vitesse, des pistes de course, « Giants’ World », « Fantasia », le plus grand zoo du Moyen-Orient, plusieurs hôtels 5 étoiles, une galerie d’art moderne et le « Mall of Arabia »."
"Sous le règne de l’Émir-PDG Cheikh Mohammed El Maktoum, son despote éclairé âgé de 58 ans, Dubaï est devenue la nouvelle icône globale de l’ingénierie urbanistique d’avant-garde. Le multimilliardaire « Cheikh Mo » –comme le surnomment les occidentaux résidant à Dubaï– a une ambition explicite et totalement dénuée d’humilité : « Je veux être le Numéro Un mondial. » Collectionneur enthousiaste de purs-sangs (il possède la plus grande écurie du monde) et de super yachts (le Project Platinum, une embarcation de 160 mètres de long, possède son propre sous-marin et sa piste d’atterrissage), sa passion la plus dévorante est toutefois l’architecture « extrême » et l’urbanisme monumental. De fait, c’est un peu comme si le livre-culte de l’hyper-réalité, Learning From Las Vegas, de Robert Venturi, était devenu pour l’émir de Dubaï ce que la récitation du Coran est aux musulmans pieux."
"Souvent comparé à Las Vegas, Manhattan, Orlando, Monaco et Singapour, l’émirat est tout cela à la fois, mais porté à la dimension du mythe : un pastiche hallucinatoire du nec plus ultra en matière de gigantisme et de mauvais goût."
"A Dubaï, on adore les propos flatteurs d’architectes ou d’urbanistes de renom comme George Katodrytis : « Dubaï est le prototype de la ville post-globale, dont la fonction est plutôt d’éveiller des désirs que de résoudre des problèmes… Si Rome était la “ville éternelle” et Manhattan l’apothéose de l’urbanisme hyper-dense du XXe siècle, Dubaï peut être considérée comme le prototype émergent de la ville du XXIe siècle : une série de prothèses urbaines et d’oasis nomades, autant de villes isolées gagnant sur la terre et sur l’eau. » Dans cette quête effrénée des records architecturaux, Dubaï n’a qu’un seul véritable rival : la Chine, un pays qui compte aujourd’hui 300 000 millionnaires et devrait devenir d’ici quelques années le plus grand marché mondial du luxe (de Gucci à Mercedes). Partis respectivement du féodalisme et du maoïsme paysan, l’émirat et la République populaire sont tous deux parvenus au stade de l’hyper-capitalisme."
"Si la nouvelle vague de gigantisme immobilier incarnée entre autres par Dubailand atteint ses objectifs, vers 2010, la totalité du PIB de Dubaï proviendra d’activités non-pétrolières comme la finance et le tourisme.
En arrière-fond des ambitions exceptionnelles de Dubaï, il y a sa longue histoire de refuge pour pirates, contrebandiers et trafiquants d’or. À la fin de l’ère victorienne, un traité donna à Londres tout pouvoir sur la politique étrangère de l’émirat, ce qui eut pour effet de le maintenir à l’écart du contrôle de la cour ottomane et de ses percepteurs. Cette autonomie relative permit également à la dynastie El Maktoum de tirer profit de sa souveraineté sur le seul port naturel en eaux profondes de la « Côte des Pirates », longue de 650 kilomètres. La pêche des perles et la contrebande restèrent les deux piliers de l’économie locale jusqu’au moment où, sous l’effet de la richesse pétrolière, l’expertise commerciale et les facilités portuaires de l’émirat devinrent un atout sur le marché régional. Jusqu’en 1956, date où fut construit le premier édifice en béton, l’ensemble de la population vivait dans un habitat traditionnel de type barastri, sous des toits de palme, consommait l’eau du puits du village et faisait paître ses chèvres au milieu des rues étroites.
En 1971, peu après le retrait britannique de la péninsule arabique en 1968, le Cheikh Rashid s’associa au dirigeant d’Abu Dhabi, le Cheikh Zayed, pour créer les Émirats arabes unis, une fédération de type féodal mobilisée contre la menace commune de la guérilla marxiste d’Oman, puis du régime islamiste iranien. Abu Dhabi possédait la majorité des ressources pétrolières des Émirats (presque un douzième des réserves mondiales prouvées d’hydrocarbures), mais Dubaï était le port et le centre commercial le mieux situé. Quand le petit port d’origine se révéla trop étroit pour absorber l’essor du commerce, les émirs utilisèrent une partie des profits du premier choc pétrolier pour aider Dubaï à financer la construction du plus grand port artificiel du monde, achevé en 1976. Après la révolution khomeyniste de 1979, Dubaï devint également le Miami du Golfe persique en accueillant un grand nombre d’exilés iraniens. Nombre d’entre eux se spécialisèrent dans le trafic d’or, de cigarettes et d’alcool à destination de l’Inde et de leur très puritaine patrie d’origine. Plus récemment, sous le regard indulgent de Téhéran, Dubaï a attiré de nombreux Iraniens aisés qui utilisent la ville comme plateforme commerciale et enclave binationale, plus à la manière de Hong Kong que de Miami. On estime que ces nouveaux immigrants de luxe contrôlent près de 30 % du marché de la construction immobilière de l’émirat. Entre les années 1980 et le début des années 1990, sur la base de ces connexions plus ou moins clandestines, Dubaï est devenue la capitale régionale du blanchiment d’argent sale ainsi que le repaire de truands et de terroristes notoires. Le Wall Street Journal décrit comme suit la face cachée de la ville : « Avec ses souks de négociants d’or et de diamants, ses maisons de troc et ses bureaux de transferts d’argent informels, Dubaï prospère sur tout un réseau opaque de relations personnelles et d’allégeances claniques. Contrebandiers, trafiquants d’armes, financiers du terrorisme et professionnels du blanchiment profitent du laxisme ambiant, même si l’essentiel des affaires traitées dans l’émirat sont légales. »
Début 2006, les congressistes américains se sont fortement émus de l’OPA lancée par la compagnie Dubaï Port World sur la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, une entreprise londonienne qui gère de nombreux ports aux États-Unis. L’éventualité – et les risques supposés – de la cession d’installations portuaires américaines à un pays du Moyen-Orient provoqua un tel scandale dans les médias que, malgré le soutien de l’administration Bush, Dubaï dût renoncer à l’affaire. La part de pur et simple racisme anti-arabe est indéniable dans cette réaction (les activités portuaires américaines sont déjà largement passées sous le contrôle d’entreprises étrangères), mais la « connexion terroriste » de Dubaï, effet collatéral de son rôle de « Suisse du Golfe », est loin d’être un fantasme.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, une ample documentation illustre le rôle de Dubaï comme « centre financier des groupes islamistes radicaux », en particulier Al-Qaïda et les talibans. D’après un ancien haut fonctionnaire du Trésor américain, « tous les chemins mènent à Dubaï lorsqu’on s’intéresse à l’argent [du terrorisme] »."
"En outre, on sait que pendant près dix ans, le fief d’El Maktoum a servi de refuge de luxe au Al Capone de Bombay, le légendaire truand Dawood Ibrahim. Sa présence dans l’émirat à la fin des années 1980 n’était pas franchement discrète : « Dawood coulait des jours heureux à Dubaï, écrit Suketu Mehta ; il y recréait Bombay en organisant des fêtes débridées où il faisait venir les plus grandes stars du cinéma de Bollywood et les joueurs de cricket de la ville ; il avait pour maîtresse une jolie starlette, Mandakini ». Début 1993, selon le gouvernement indien, Dawood – qui travaillait avec les services de renseignement pakistanais – organisa depuis Dubaï les épouvantables attentats du « Vendredi noir » à Bombay, qui provoquèrent la mort de 257 personnes. L’Inde demanda à Dubaï l’arrestation immédiate de Dawood, mais celui-ci fut autorisé à s’envoler pour Karachi, où il vit toujours sous la protection du gouvernement pakistanais. Son organisation criminelle, la « D-Company », poursuivrait néanmoins ses activités dans l’émirat."
p.11.
-Mike Davis, Le stade Dubaï du capitalisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007, 87 pages.
https://fr.1lib.fr/book/5185044/4aaef7
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-Mike Davis et Bertrand Monk (dir.), Paradis infernaux. Les villes hallucinées du néocapitalisme,