"ll y a en effet au moins un aspect de la notion dont la valorisation a été immédiatement considérée comme suspecte par des auteurs aussi différents que Machiavel à Marx en passant Spinoza ou Rousseau. A partir de fondements théoriques divers ou contradictoires, tous ces auteurs ont montré que la paix entendue comme « paix sociale » — la paix comprise comme mode de communication et de relation entre les membres d’une même entité politique — devait faire l’objet d’une élucidation réaliste des fondements sur lesquels elle repose de façon à permettre le discernement et le jugement proprement politique dans et sur une situation donnée. Pour reprendre la distinction canonique établie par Spinoza dans le Traité politique entre la « paix » véritable et la simple « absence de guerre » — distinction qui recouvre presque exactement celle établie un siècle plus tard par Rousseau entre une « agrégation » et une « association » — ce qu’on considère à première vue positivement comme un état de paix sociale n’est bien souvent que l’effet de la domination d’un seul et non le produit d’interactions productrices entre les membres d’une communauté."
"Le cadre politique de l’Etat-Nation qui semblait pourtant revêtu d’une grande stabilité a perdu sa capacité d’intégration idéologique."
"L’Etat dans sa version moderne avait produit une « intégration idéologique » très puissante par le biais de processus d’inclusion — et donc d’exclusion — et d’identification symbolique des sujets sociaux, processus permettant de dépasser dans l’appartenance nationale la conflictualité à l’œuvre dans la société civile — le marché. Or, quand celui-ci est débridé, et nous avons vu que c’était le cas aujourd’hui — au moins relativement par rapport à la conjoncture précédente — les effets délétères de la conflictualité à l’œuvre dans le tissu de la société ne cessent pas, mais ne sont plus reconnus comme tels et ne sont plus transformés en problèmes politiques. Alors les institutions perdent la confiance des sujets qu’elles encadrent dans le même temps que ceux-ci subissent le contre-coup identitaire de l’arrêt de cette intégration idéologique."
-Nicolas Duvoux, « Faut-il vouloir la paix sociale ? », Le Philosophoire, 2005/1 (n° 24), p. 37-50. DOI : 10.3917/phoir.024.0037. URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2005-1-page-37.htm