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    Alain Coulon, L'école de Chicago

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Alain Coulon, L'école de Chicago Empty Alain Coulon, L'école de Chicago

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 28 Mai - 9:09

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Coulon

    "On désigne habituellement sous l’expression “ École de Chicago ” un ensemble de travaux de recherches sociologiques conduites, entre 1915 et 1940, par des enseignants et des étudiants de l’université de Chicago. Cette expression a été pour la première fois utilisée bien après le commencement de ce mouvement, en 1930 précisément, lorsque Luther Bernard présenta les différentes écoles de sociologie existantes. Il ne s’agit certes pas toujours d’un courant de pensée homogène, adoptant une approche théorique commune, mais l’École de Chicago offre cependant plusieurs caractéristiques qui lui donnent incontestablement une grande unité et lui assignent une place particulière et distincte dans la sociologie américaine.

    La sociologie de Chicago se caractérise avant tout par la recherche empirique et elle marque un tournant dans l’impact que la recherche sociologique va avoir sur la société. [...]

    L’École de Chicago est une sociologie urbaine qui a entrepris une série impressionnante d’études sur les problèmes auxquels la ville de Chicago était confrontée. Mais elle a surtout consacré nombre de ses travaux à un problème politique et social majeur, qui concernait alors toutes les grandes villes américaines et débordait le seul cadre d’une sociologie de la ville : celui de l’immigration et de l’assimilation des millions d’immigrants à la société américaine."

    "Lorsqu’à l’automne 1892 l’université de Chicago voit le jour, la ville est devenue, avec New York et Philadelphie, l’une des trois plus grandes villes américaines, en ayant connu un taux de croissance stupéfiant : la bourgade qui comptait 4 470 habitants lors du recensement de 1840 et qui représentait alors la frontière de l’Ouest des États-Unis, en comptait 1 100 000 cinquante ans plus tard, en 1890 et en comptera près de 3 500 000 en 1930 !

    Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des migrants ruraux du Middle West sont en effet arrivés en masse, ainsi qu’un nombre impressionnant d’immigrants étrangers : Allemands, Scandinaves, Irlandais, Italiens, Polonais, Lituaniens, Tchèques, Juifs. En 1900, plus de la moitié de la population de Chicago était née en dehors d’Amérique. Chicago devient une ville industrielle, un centre de commerce et une bourse prospère, le capitalisme sauvage s’y développe, elle connaît des émeutes (1886) et de grandes grèves ouvrières (1894). C’est aussi une ville d’art et de culture, influencée par la religion protestante, qui voue un grand respect à l’enseignement et au livre. C’est une ville moderne, qui se reconstruit en béton et en acier après le grand incendie de 1871. On y bâtit les premiers gratte-ciel d’Amérique et un mouvement architectural moderniste s’y développe qui sera connu, lui aussi, sous le nom d’École de Chicago.

    C’est dans ce contexte que va naître en 1890 l’université de Chicago, qui accueillera ses premiers étudiants deux ans plus tard, en 1892, grâce à la générosité de John D. Rockefeller, qui confie à William Harper – un ancien pasteur baptiste –, le soin de mener à bien le projet d’une nouvelle université.

    I. Le berceau de la sociologie américaine.

    Le président Harper, qui avait été professeur de grec et d’hébreu à l’université de Yale, avait une grande ambition pour l’université de Chicago : d’une part, il créa immédiatement une Graduate School dévolue à la recherche et à la formation des étudiants de doctorat, initiative qui était novatrice à une époque où les universités américaines privilégiaient l’enseignement au détriment de la recherche, qui n’était jamais valorisée ; d’autre part, il voulait ouvrir l’Université sur la vie sociale extérieure. Dans cette perspective, il institua, dès la deuxième année d’existence de l’Université, un trimestre d’études pendant l’été. Cette division de l’année universitaire en quatre trimestres permit d’une part aux étudiants les plus motivés d’obtenir leur diplôme en moins de quatre ans et permit d’autre part d’accueillir une nouvelle population de thésards à temps partiel, fait inhabituel pour l’époque. C’est ainsi que des étudiants d’âge mûr, ou encore des travailleurs sociaux, furent attirés à Chicago et motivés pour reprendre leurs études après parfois plusieurs années d’interruption. Pour la première fois dans le monde, l’organisation des études d’une université allait explicitement permettre à des étudiants en thèse de combiner une vie professionnelle et une vie de chercheur.

    Le département de sociologie et d’anthropologie de Chicago devenait rapidement, dès le début des années 1910, le centre principal d’enseignement et de recherche en sociologie aux États-Unis et allait demeurer le plus prestigieux pendant plus de deux décennies. Ainsi offrait-il en 1913 une centaine de cours en sociologie et en anthropologie. Grâce à la fondation de la Graduate School, il se développa dans le département un climat de recherche, suivant en cela les vues de Harper qui considérait que

    « seul celui qui a fait de la recherche peut enseigner aux autres comment chercher. […] Il est prévu que les professeurs seront, de temps en temps, complètement déchargés de leurs cours afin de pouvoir se consacrer à leurs recherches à plein-temps. […] En un mot, cette institution privilégiera le travail de recherche et considérera les cours comme secondaires ».

    Harper avait également pensé au moyen de diffuser les résultats des recherches entreprises, en créant les Presses de l’université de Chicago, dont la structure était mise en place avant même qu’un seul étudiant ne franchisse le seuil de la toute nouvelle Université.

    Le président Harper demande à Albion Small de fonder et de diriger le nouveau département d’anthropologie et de sociologie qui sera le premier en tant que tel aux États-Unis.

    Small (1854-1926) a joué un grand rôle dans l’installation de la sociologie, non seulement à Chicago, mais également dans l’ensemble des États-Unis. Après avoir commencé des études théologiques, il va étudier à Berlin –où il rencontre Georg Simmel, alors étudiant, qui marquera la sociologie allemande et européenne–, et à Leipzig, de 1879 à 1881, où il étudie l’histoire, la philosophie et la sociologie allemandes. Il revient ensuite aux États-Unis, passe son doctorat d’histoire en 1889 à l’université Johns-Hopkins, puis devient professeur d’histoire à Colby College, où il enseignera jusqu’en 1892.

    Là, il commence à enseigner la sociologie, notamment la sociologie allemande. Il publie, en 1890, à compte d’auteur, un ouvrage qui sera lu par tous les étudiants de sociologie des États-Unis pendant vingt ans."

    "Il insistait auprès de ses étudiants pour qu’ils fassent de la recherche active sur le terrain et de l’observation directe et non qu’ils s’adonnent à des réflexions théoriques « de fauteuil ».

    Dans l’ouvrage qu’il publie en collaboration avec George Vincent en 1894, Small, qui appelait lui-même son livre « un guide de laboratoire », consacre deux chapitres à la conduite empirique de la sociologie. Insistant sur l’importance de l’habitat sur les relations sociales, il y encourage les étudiants à observer les communautés dans lesquelles ils vivent, à analyser cette « mosaïque de petits mondes », à étudier leur histoire, à dresser des cartes de leur environnement. D’autre part, il proposa à ses collègues du département de sociologie d’utiliser la ville de Chicago en tant qu’objet et terrain de recherche. Cette idée préfigurait donc les principes de recherche sur la ville que Park et Burgess, vingt ans plus tard, allaient mettre en œuvre de manière plus systématique encore.

    L’un des mérites intellectuels de Small fut d’insister sur la nécessaire objectivité vers laquelle devaient tendre les recherches sociologiques. Small pensait que la sociologie était une science, qu’il s’agissait de fonder non sur le discours mais sur les recherches empiriques, bien qu’il n’en fît pas lui-même. Il considérait que la sociologie, dans une démarche interdisciplinaire, devait nous faire connaître la structure de la société. Il ne sera pas le seul à insister sur ce critère d’objectivité, qui lui paraissait devoir garantir la scientificité de la sociologie : William Thomas, Ellsworth Faris, Burgess partageront un souci identique, et surtout Park qui s’opposera plus tard fermement aux visions humanitaires qu’on pouvait alors donner à la sociologie, tel Charles Henderson, qui considérait que les sciences sociales étaient un don que Dieu avait fait aux hommes afin qu’ils puissent régler leurs douloureux problèmes sociaux.

    Enfin, l’influence décisive de Small dans la sociologie fut surtout d’ordre institutionnel et tous ses contemporains lui reconnaissent un extraordinaire talent d’administrateur et d’organisateur. D’une part, il dirigea le département de sociologie depuis sa création, en 1892, jusqu’à sa retraite en 1924, date à laquelle la sociologie s’était définitivement implantée à Chicago comme une discipline majeure. D’autre part, sur les conseils du président Harper, il fonda en juillet 1895, soit un an avant L’Année sociologique de Durkheim, l’American Journal of Sociology, dont il allait être le rédacteur en chef pendant trente ans, jusqu’en 1925. Cette revue, qui existe toujours aujourd’hui, près d’un siècle après sa fondation, fut ainsi la première revue sociologique dans le monde et fut même pendant longtemps la seule existant aux États-Unis puisqu’il fallut attendre 1921 pour voir paraître Sociology and Social Research et 1922 pour que Social Forces voit le jour.

    Albion Small contribua également à fonder, en 1905, l’American Sociological Society, qui allait devenir en 1935 l’American Sociological Association. Ce lien, construit par Small, entre l’association nationale de sociologie, dont il publia la plupart des débats et travaux, et la revue du département de sociologie de Chicago, allait avoir une influence considérable sur la sociologie américaine et fonder pour longtemps le leadership de l’École de Chicago."

    "John Dewey, venant de l’université de Michigan, rejoint Chicago en 1894 et y demeurera jusqu’en 1904. George Herbert Mead, dont le nom restera attaché à la fondation de l’interactionnisme symbolique, l’accompagne en 1894, ainsi que quelques chercheurs moins connus mais qui sont également des penseurs très actifs, tels que James Tufts, James Angell en psychologie. Ces deux courants de pensée, sociologique et philosophique, vont avoir des influences réciproques."

    "Les leaders de l’École de Chicago du début du XXe siècle ont fait du « pragmatisme la philosophie sociale de la démocratie » (p. XXXIII). Son influence la plus spectaculaire fut dans le développement démocratique de l’éducation et, plus généralement, dans celui de la justice sociale et dans l’action municipale. Le pragmatisme est en effet une philosophie de l’action, qu’on pourrait également appeler une philosophie de l’intervention sociale."

    "L’interactionnisme symbolique a souligné la nature symbolique de la vie sociale : les significations sociales doivent être considérées comme « produites par les activités interagissantes des acteurs » (Blumer, 1969, p. 5) [14]. Ce qui implique pour l’observateur qui se propose de comprendre et d’analyser ces significations qu’il adopte une posture méthodologique qui autorise cette analyse. Le chercheur ne peut avoir accès à ces phénomènes privés que sont les productions sociales signifiantes des acteurs que s’il participe, également en tant qu’acteur, au monde qu’il se propose d’étudier.

    De ce point de vue, l’interactionnisme symbolique prend le contre-pied de la conception durkheimienne de l’acteur. Durkheim, s’il reconnaît la capacité qu’a l’acteur de décrire les faits sociaux qui l’entourent, considère que ces descriptions sont trop vagues, trop ambiguës pour que le chercheur puisse en faire un usage scientifique, ces manifestations subjectives ne relevant d’ailleurs pas, selon lui, du domaine de la sociologie. À l’inverse, l’interactionnisme symbolique soutient que c’est la conception que les acteurs se font du monde social qui constitue, en dernière analyse, l’objet essentiel de la recherche sociologique.

    Mead est considéré comme l’inspirateur de l’interactionnisme symbolique, bien que l’expression ait été employée pour la première fois en 1937 seulement par Blumer. Voulant faire la synthèse entre l’approche individuelle et l’approche macrosociologique, il pensa que la notion de « soi » pouvait remplir ce rôle, à condition de considérer le « soi » comme l’intériorisation du processus social par lequel des groupes d’individus inter-agissent avec d’autres. L’acteur apprend à construire son « soi », et ceux des autres, grâce à son interaction avec les autres. L’action individuelle peut alors être considérée comme la création mutuelle de plusieurs « soi » en interaction. Ainsi, les « soi » acquièrent une signification sociale, deviennent des phénomènes sociologiques, qui constituent la vie sociale. L’étude sociologique de ce monde devra donc analyser les processus par lesquels les acteurs accordent leurs conduites, sur la base de leurs interprétations du monde qui les entoure.

    On peut, avec Arnold Rose, résumer brièvement les principales propositions de l’interactionnisme symbolique de Mead selon cinq hypothèses :

    -Nous vivons dans un environnement à la fois symbolique et physique et c’est nous qui construisons les significations du monde et de nos actions dans le monde à l’aide de symboles ;

    -Grâce à ces symboles « signifiants », que Mead distingue des « signes naturels », nous avons la capacité de « prendre la place de l’autre », parce que nous partageons avec les autres les mêmes symboles ;

    -Nous partageons une culture, qui est un ensemble élaboré de significations et de valeurs, qui guide la plupart de nos actions et nous permet de prédire, dans une large mesure, le comportement des autres individus ;

    -Les symboles, et donc aussi le sens et la valeur qui y sont attachés, ne sont pas isolés mais font partie d’ensembles complexes, face auxquels l’individu définit son « rôle », définition que Mead appelle le « moi », qui varie selon les groupes auxquels il a affaire, tandis que son « je » est la perception qu’il a de lui-même comme un tout. Mead a précisé cette différence : « Le “je” est la réponse de l’organisme aux attitudes des autres ; le “moi” est l’ensemble organisé d’attitudes que je prête aux autres. Les attitudes des autres constituent le “moi” organisé et on réagit alors face à cela en tant que “je”. »

    -La pensée est le processus par lequel des solutions potentielles sont d’abord examinées sous l’angle des avantages et désavantages que l’individu en tirerait par rapport à ses valeurs, puis sont finalement choisies ; c’est une espèce de substitution au comportement par « essais et erreurs ». Un « acte » est donc une interaction continuelle entre le « je » et le « moi », c’est une succession de phases qui finissent par se cristalliser en un comportement unique. [...]

    Il faut retenir que l’interactionnisme symbolique, pour la première fois dans l’histoire de la sociologie, accorde une place théorique à l’acteur social en tant qu’interprète du monde qui l’entoure et, par conséquent, met en œuvre des méthodes de recherche qui donnent priorité aux points de vue des acteurs. Le but de l’emploi de ces méthodes est d’élucider les significations que les acteurs eux-mêmes mettent en œuvre pour construire leur monde social. La connaissance sociologique exige alors de s’appuyer sur la pratique des individus. Pour l’interactionnisme symbolique, une connaissance sociologique adéquate ne saurait être élaborée par l’observation de principes méthodologiques qui cherchent à extraire les données de leur contexte afin de les rendre objectives. Il s’agira au contraire d’étudier l’acteur en relation avec la réalité sociale naturelle dans laquelle il vit."

    "Ces liens avec le protestantisme sont importants pour comprendre pourquoi une partie des premiers sociologues de l’École de Chicago avaient une inclination pour le travail social et pour les réformes sociales teintées de charité chrétienne. Progressivement, les liens entre la sociologie et le travail social vont s’atténuer et la sociologie va devenir plus indépendante. Ce lien va dépendre largement du recrutement des enseignants et c’est dans cette direction que vont travailler par exemple les femmes recrutées par le département, telles que Clarence Rainwater, Edith Abbott ou encore Marion Talbot qui, jusqu’en 1904, enseigne les Sanatory sciences."

    "En 1915, le leadership de Chicago dans la sociologie américaine est déjà établi, bien qu’il existe d’autres centres universitaires importants de développement de la sociologie, tels que Yale (William Sumner), Wisconsin (Edward Ross), Michigan (Charles Cooley) et surtout Columbia (Franklin Giddings)."

    "La révolte de 1935 allait cependant marquer le début d’un rééquilibrage dans la sociologie américaine. Il faut sans doute considérer cet épisode de 1935 comme la conséquence de l’évolution d’ensemble de la sociologie américaine, qui se développe dans un grand nombre d’universités, devient plus soucieuse de ses méthodes d’investigation, dont la conceptualisation théorique se tourne davantage vers la sociologie européenne, et enfin dont les relations plus étroites avec une demande sociale et politique grandissante aboutit à la création d’un véritable métier de sociologue, qui fait évoluer à son tour la conception scientifique de la sociologie.

    En 1937, deux ans après cette rébellion, la parution de l’ouvrage de Talcott Parsons, The Structure of Social Action, allait confirmer l’apparition d’une nouvelle orientation théorique, radicalement différente de la sociologie empirique de Chicago, qui allait ensuite dominer la sociologie américaine pendant un quart de siècle. L’alliance de Parsons avec Stouffer à Harvard, d’une part, et celle de Merton avec Lazarsfeld à Columbia, d’autre part, allaient faire croire à l’existence d’un nouveau paradigme, fondé sur le mariage entre la théorie et la recherche quantitative."
    -Alain Coulon, L'école de Chicago, PUF, Que sais-je, 5ème édition, 2020 (1992 pour la première édition).



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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