https://www.babelio.com/auteur/Jacques-Paul/117720
https://fr.1lib.fr/book/2324597/6cf70d?dsource=recommend
"Le christianisme est d'abord une religion de salut. Sa raison d'être est d'assurer la réalisation de cette espérance, identique pour l'essentiel au cours des siècles, ce qui laisse présager une certaine permanence dans les convictions et même dans les pratiques. Les fidèles adhèrent avec plus ou moins de ferveur à cette aspiration qui est tout au long du Moyen Âge encadrée par l'Église.
Le christianisme est fondé sur une révélation contenue dans l'Écriture sainte, livre sacré où se trouve consigné sous les formes les plus diverses tout ce qu'il est nécessaire de savoir pour le salut. Qu'il s'agisse de récits, de poèmes ou d'œuvres de portée plus générale encore, elle contient un enseignement qui est la source de celui de l'Église. La Bible, parce qu'il s'agit d'un texte, reste accessible dans sa teneur originelle ou sous forme de traductions. Elle s'impose aux générations successives et fait le lien entre les siècles."
"Les chrétiens des premières générations sont persuadés d'une fin prochaine du monde et les textes sacrés ne semblent pas les contredire. L'Évangile de Matthieu place dans la bouche du Christ un discours où il évoque en même temps la destruction de Jérusalem et la parousie, ce qui engage à juger les événements proches l'un de l'autre. Marc et Luc tiennent les mêmes propos. En 51, dans la deuxième Épître aux Thessaloniciens, saint Paul traite longuement et avec précision de la fin des temps. Il explique qu'elle est précédée par la manifestation de l'Homme impie qui, parce qu'il s'oppose en tout à Dieu est devenu un Antichrist, terme transformé par l'usage en Antéchrist. Sa carrière est hautement symbolique, car il doit pénétrer dans le sanctuaire et s'y faire adorer. Ce propos allusif rend les imaginations fertiles."
"Vers 360-363, Hilaire de Poitiers voyait l'Antéchrist en personne dans l'empereur arien Constance."
"La fin des temps pouvait s'inscrire à tout moment dans la perception des événements. Toujours reprise en dépit de l'ajournement régulier de la fin des temps à une date ultérieure, elle entretient une vigilance permanente sur les événements et sur les hommes. Elle inspire constamment une lecture des faits passés et présents. Elle provoque l'attente ou la crainte, selon les époques."
"Le choix de la virginité, la fuite devant les charges publiques, le refus de porter les armes ou de servir dans l'administration impériale sont autant de désertions et de signes de rupture avec la société. Ces impulsions, caractéristiques du christianisme primitif, disparaissent partiellement lorsque le pouvoir devient chrétien. En fait, elles se prolongent et se renouvellent, car il s'agit d'un refus du monde. Au Moyen Âge, la recherche du salut inspire l'errance pour Dieu loin de sa patrie, la prédication itinérante, le renoncement à toute possession pour vivre dans la pauvreté. La piété encourage aussi une vie retirée consacrée aux œuvres de charité ou à l'éducation. Un individualisme religieux est sous-jacent au christianisme, car le salut éternel est en fin de compte l'affaire d'une personne, non d'une société."
"Les chrétiens ne peuvent admettre ni variations ni dissonances dans la Bible. Puisque Dieu en est l'auteur, il ne peut y avoir ni erreurs, ni propos superflus. Une fois admis que l'Écriture est inspirée, il est impossible d'échapper à cette logique. Les conséquences sont évidentes. Tout a un sens et il convient de le chercher. Ce qui est obscur est tenu pour un mystère à sonder. Ce qui paraît simplement anecdotique est l'anticipation figurée d'une grande vérité. Le commentaire se fait d'autant plus minutieux que la garantie divine s'étend jusqu'à la lettre. La mise en œuvre de ces principes peut entraîner bien des développements qui reposent sur des bases fragiles."
"La rédaction des divers écrits qui constituent le Nouveau Testament s'étend jusqu'aux dernières années du premier siècle."
"L'Église à sa naissance reconnaissait indiscutablement l'autorité spirituelle des Apôtres, ce qui ne signifie pas pour autant que les premiers disciples ont entrevu que des institutions étaient nécessaires."
"Avec les Lettres d'Ignace d'Antioche, vers 115, l'évêque apparaît avec ses fonctions et il est seul à la tête d'une Église.
[...] L'unité des chrétiens tient à la foi et à des filiations reconnues entre les Églises. Alexandrie, Carthage ou Rome sont à l'origine de nombreuses autres communautés et exercent rapidement une certaine autorité."
"On devient chrétien par le baptême. Le terme grec qui signifie immersion ou ablution n'a aucune signification religieuse dans la langue classique. Cet emprunt désigne un acte spécifique sans rapport avec le monde gréco-latin. Des rites de purification de cette sorte sont attestés en Palestine, chez les Esséniens par exemple. Jean le Baptiste le pratique en lui donnant un sens un peu différent. Il est lié à une conversion pour la rémission des péchés, ce qui lui confère un sens plus moral que rituel. C'est un geste qui n'est pas renouvelé, et qui a la portée d'une initiation. Celui qui le reçoit devient membre d'une communauté qui est dans l'attente d'événements messianiques.
L'adoption du rite par les chrétiens est immédiate. Comme celui de Jean le Baptiste, il est unique et il agrège à la communauté. Dans le premier discours placé dans la bouche de saint Pierre, les Actes des Apôtres invitent les auditeurs à recevoir le baptême « au nom de Jésus », ce qui peut signifier que la rémission des péchés est acquise par lui."
"La liberté de l'Église et l'évangélisme 1050-1280.
Après 1050, l'histoire de l'Église est marquée par de profondes transformations qui affectent les rapports entre les clercs et les laïcs, entre la papauté et les évêques, entre le Siège apostolique et les rois. L'ordre accepté jusque-là dans l'Église et dans le monde est remis en cause, ce qui conduit de proche en proche à des réajustements en chaîne. Une mutation générale s'accomplit au prix de violents conflits. Ses aspects politiques sont les plus visibles. Un tel changement est à relier à une évolution en profondeur de la vie chrétienne, sans que l'on puisse toujours dire ce qui est cause et ce qui est conséquence.
L'apparition d'un nouveau pouvoir dominant, celui du pape, aussi bien dans l'Église que sur le monde, est la conséquence politique la plus évidente de ce bouleversement. Un exemple est particulièrement significatif de ce changement. En décembre 1046, au synode de Sutri, dans un contexte de crise aiguë, l'empereur Henri III avait déposé trois papes, deux assez suspects et un légitime1. Il avait alors imposé son candidat et renouvelé le geste d'Otton 1er faisant juger le pape Jean XII. L'empereur était toujours le chef de la chrétienté latine, nul ne pouvait en douter. Trente ans plus tard, en février 1076, Grégoire VII délie tous les sujets d'Henri IV de leurs obligations à l'égard du souverain, ce qui devrait provoquer sa déchéance. Cette sentence prononcée devant le synode romain, même si elle n'aboutit pas, marque un renversement complet des rapports entre la papauté et l'Empire. Certes, l'opportunité et parfois même la légalité d'une telle sanction restent discutées. Longtemps les papes préfèrent ne pas avoir recours à cette extrémité. Toutefois, au 1er concile de Lyon, en 1248, Innocent IV prononce la déchéance de Frédéric II. Après une rupture éclatante avec le passé, dans la deuxième moitié du XIe siècle, la papauté impose sa prééminence. Les principes s'affirment et s'appliquent avec plus ou moins de vigueur au cours des siècles. Ils connaissent un échec décisif avec la victoire de Philippe le Bel sur Boniface VIII."
"Cette étape dans l'histoire de l'Église s'accomplit de 1050 à 1280, en plusieurs périodes distinctes cependant. La première jusque vers 1120 est communément désignée sous le nom de réforme grégorienne, du nom du pape Grégoire VII qui en a été le principal protagoniste. Il convient de suivre cet usage tout en sachant que la réforme commence avant lui et qu'elle est poursuivie par ses successeurs. Elle n'est pas non plus uniforme, car chaque pape lui donne une tonalité et parfois une orientation particulière. Ce qui est combat douloureux avec Grégoire VII est mission triomphante avec Urbain II. À la fragilité de Pascal II s'oppose le sens très sûr du compromis de Calixte II. Succède un temps de calme relatif de 1120 à 1160, pendant lequel les orientations de la réforme grégorienne s'imposent durablement. La période qui suit est marquée par deux longs conflits entre le Sacerdoce et l'Empire, de 1160 à 1180, de 1230 à 1250. S'affrontent alors des personnalités de l'envergure de Frédéric Barberousse et d'Alexandre III ou de Frédéric II et de Grégoire IX. Alors que ces luttes mobilisent les énergies, l'évolution en profondeur de l'Église se poursuit. C'est entre 1180-1230 et 1250 et 1280 que la papauté manifeste sa domination de la façon la plus éclatante."
"La réforme de l'Église, entreprise dès le milieu du XIe siècle et longuement poursuivie avec des phases d'accélération et des périodes d'essoufflement, a pour objectif, au dire de ses promoteurs eux-mêmes, la Libertas Ecclesiae. Ce vocabulaire est abondamment employé dans les documents officiels et désigne d'une façon générale la non-ingérence d'un laïc quel qu'il soit dans les affaires proprement ecclésiastiques. Il peut s'agir de l'élection d'un évêque, de l'autonomie d'un monastère aussi bien que du respect des biens d'Église ou des droits reconnus au personnel ecclésiastique. Cette expression précise et forte qui semble évoquer une idée simple couvre en fait un vaste champ de revendications aux contours très incertains.
Le terme liberté est peu attesté dans le Nouveau Testament et l'idée n'y tient pas une place essentielle. Le concept est romain et il a une forte connotation juridique. Il n'est pas destructeur de l'autorité ou des hiérarchies, bien au contraire. Il signifie simplement qu'à l'intérieur de l'ordre défini par la loi, chacun jouit pleinement des droits qui lui sont reconnus. Cette situation fait la différence entre le citoyen et l'esclave, entre un pays civilisé et la barbarie. L'adoption par l'Église de ce vocabulaire d'origine juridique en élargit la signification, car l'idée prend une connotation morale et religieuse. Dans sa signification la plus profonde cette liberté introduit une distinction entre l'Église et le monde, entre le clergé et l'ensemble politique auquel il appartient. Aux temps carolingiens, Église et Empire étaient des termes interchangeables, il n'en va plus exactement de même, puisque l'Église revendique sa « liberté », c'est-à-dire ses droits propres. Alors que le but ultime des fidèles est toujours de parvenir au salut, l'Église et l'Empire ne jouent plus un rôle équivalent pour réaliser cette vocation. La différence s'accuse progressivement."
"La primauté du spirituel est une idée qui s'impose avec la force d'une évidence, car son contraire est manifestement faux. Comment soutenir que la religion doit servir les intérêts matériels des puissants ou assurer le confort de ses dignitaires ! La contestation du principe est impossible. Ceux qui s'y opposent doivent biaiser, ce qui est cause d'échec. La primauté du spirituel est une affirmation à la fois abstraite et élémentaire. Elle peut se prêter à des développements philosophiques qui ont leur utilité dans les milieux savants. Elle peut être soutenue par des métaphores, qu'il est facile de faire passer pour autant de preuves. Il est entendu que le ciel domine la terre. On ne doute pas que l'âme l'emporte sur le corps et l'esprit sur la chair. Ces exemples permettent d'affirmer qu'il y a entre les genres de vie une hiérarchie. Ils sont d'autant plus spirituels et saints qu'ils sont plus éloignés du monde et de ses turpitudes. La chair et l'argent sont mis en cause à titre principal. L'idée n'est pas nouvelle puisqu'elle est développée par saint Jérôme dans un contexte de renoncement au monde. Le principe de la primauté du spirituel a la redoutable efficacité des idées simples, voire sommaires. Désormais, il est applicable à tout, aux choix politiques comme au gouvernement du monde."
"En plus de leurs fonctions pastorales et religieuses, [les évêques] gèrent des biens fonciers, rendent la justice, entretiennent des vassaux. Ils disposent d'un patrimoine qui appartient à l'Église et exercent des droits publics qui leur ont été attribués par les souverains. Ils prêtent serment de fidélité au roi et lui doivent l'aide et le conseil. Ils sont impliqués dans tous les actes de gouvernement, à titre de conseillers. En temps de guerre ils doivent fournir des contingents militaires. En cas de nécessité ils peuvent assumer la garde du royaume ou faire des dons en argent au souverain. Ils ne peuvent se soustraire à ces multiples devoirs qui découlent de la possession de fiefs et de leur position dans un royaume."
-Jacques Paul, Le christianisme occidental au Moyen Âge (IVe-XVe siècle), Armand Colin, 2008 (2004 pour la première édition), 400 pages.
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"Le christianisme est d'abord une religion de salut. Sa raison d'être est d'assurer la réalisation de cette espérance, identique pour l'essentiel au cours des siècles, ce qui laisse présager une certaine permanence dans les convictions et même dans les pratiques. Les fidèles adhèrent avec plus ou moins de ferveur à cette aspiration qui est tout au long du Moyen Âge encadrée par l'Église.
Le christianisme est fondé sur une révélation contenue dans l'Écriture sainte, livre sacré où se trouve consigné sous les formes les plus diverses tout ce qu'il est nécessaire de savoir pour le salut. Qu'il s'agisse de récits, de poèmes ou d'œuvres de portée plus générale encore, elle contient un enseignement qui est la source de celui de l'Église. La Bible, parce qu'il s'agit d'un texte, reste accessible dans sa teneur originelle ou sous forme de traductions. Elle s'impose aux générations successives et fait le lien entre les siècles."
"Les chrétiens des premières générations sont persuadés d'une fin prochaine du monde et les textes sacrés ne semblent pas les contredire. L'Évangile de Matthieu place dans la bouche du Christ un discours où il évoque en même temps la destruction de Jérusalem et la parousie, ce qui engage à juger les événements proches l'un de l'autre. Marc et Luc tiennent les mêmes propos. En 51, dans la deuxième Épître aux Thessaloniciens, saint Paul traite longuement et avec précision de la fin des temps. Il explique qu'elle est précédée par la manifestation de l'Homme impie qui, parce qu'il s'oppose en tout à Dieu est devenu un Antichrist, terme transformé par l'usage en Antéchrist. Sa carrière est hautement symbolique, car il doit pénétrer dans le sanctuaire et s'y faire adorer. Ce propos allusif rend les imaginations fertiles."
"Vers 360-363, Hilaire de Poitiers voyait l'Antéchrist en personne dans l'empereur arien Constance."
"La fin des temps pouvait s'inscrire à tout moment dans la perception des événements. Toujours reprise en dépit de l'ajournement régulier de la fin des temps à une date ultérieure, elle entretient une vigilance permanente sur les événements et sur les hommes. Elle inspire constamment une lecture des faits passés et présents. Elle provoque l'attente ou la crainte, selon les époques."
"Le choix de la virginité, la fuite devant les charges publiques, le refus de porter les armes ou de servir dans l'administration impériale sont autant de désertions et de signes de rupture avec la société. Ces impulsions, caractéristiques du christianisme primitif, disparaissent partiellement lorsque le pouvoir devient chrétien. En fait, elles se prolongent et se renouvellent, car il s'agit d'un refus du monde. Au Moyen Âge, la recherche du salut inspire l'errance pour Dieu loin de sa patrie, la prédication itinérante, le renoncement à toute possession pour vivre dans la pauvreté. La piété encourage aussi une vie retirée consacrée aux œuvres de charité ou à l'éducation. Un individualisme religieux est sous-jacent au christianisme, car le salut éternel est en fin de compte l'affaire d'une personne, non d'une société."
"Les chrétiens ne peuvent admettre ni variations ni dissonances dans la Bible. Puisque Dieu en est l'auteur, il ne peut y avoir ni erreurs, ni propos superflus. Une fois admis que l'Écriture est inspirée, il est impossible d'échapper à cette logique. Les conséquences sont évidentes. Tout a un sens et il convient de le chercher. Ce qui est obscur est tenu pour un mystère à sonder. Ce qui paraît simplement anecdotique est l'anticipation figurée d'une grande vérité. Le commentaire se fait d'autant plus minutieux que la garantie divine s'étend jusqu'à la lettre. La mise en œuvre de ces principes peut entraîner bien des développements qui reposent sur des bases fragiles."
"La rédaction des divers écrits qui constituent le Nouveau Testament s'étend jusqu'aux dernières années du premier siècle."
"L'Église à sa naissance reconnaissait indiscutablement l'autorité spirituelle des Apôtres, ce qui ne signifie pas pour autant que les premiers disciples ont entrevu que des institutions étaient nécessaires."
"Avec les Lettres d'Ignace d'Antioche, vers 115, l'évêque apparaît avec ses fonctions et il est seul à la tête d'une Église.
[...] L'unité des chrétiens tient à la foi et à des filiations reconnues entre les Églises. Alexandrie, Carthage ou Rome sont à l'origine de nombreuses autres communautés et exercent rapidement une certaine autorité."
"On devient chrétien par le baptême. Le terme grec qui signifie immersion ou ablution n'a aucune signification religieuse dans la langue classique. Cet emprunt désigne un acte spécifique sans rapport avec le monde gréco-latin. Des rites de purification de cette sorte sont attestés en Palestine, chez les Esséniens par exemple. Jean le Baptiste le pratique en lui donnant un sens un peu différent. Il est lié à une conversion pour la rémission des péchés, ce qui lui confère un sens plus moral que rituel. C'est un geste qui n'est pas renouvelé, et qui a la portée d'une initiation. Celui qui le reçoit devient membre d'une communauté qui est dans l'attente d'événements messianiques.
L'adoption du rite par les chrétiens est immédiate. Comme celui de Jean le Baptiste, il est unique et il agrège à la communauté. Dans le premier discours placé dans la bouche de saint Pierre, les Actes des Apôtres invitent les auditeurs à recevoir le baptême « au nom de Jésus », ce qui peut signifier que la rémission des péchés est acquise par lui."
"La liberté de l'Église et l'évangélisme 1050-1280.
Après 1050, l'histoire de l'Église est marquée par de profondes transformations qui affectent les rapports entre les clercs et les laïcs, entre la papauté et les évêques, entre le Siège apostolique et les rois. L'ordre accepté jusque-là dans l'Église et dans le monde est remis en cause, ce qui conduit de proche en proche à des réajustements en chaîne. Une mutation générale s'accomplit au prix de violents conflits. Ses aspects politiques sont les plus visibles. Un tel changement est à relier à une évolution en profondeur de la vie chrétienne, sans que l'on puisse toujours dire ce qui est cause et ce qui est conséquence.
L'apparition d'un nouveau pouvoir dominant, celui du pape, aussi bien dans l'Église que sur le monde, est la conséquence politique la plus évidente de ce bouleversement. Un exemple est particulièrement significatif de ce changement. En décembre 1046, au synode de Sutri, dans un contexte de crise aiguë, l'empereur Henri III avait déposé trois papes, deux assez suspects et un légitime1. Il avait alors imposé son candidat et renouvelé le geste d'Otton 1er faisant juger le pape Jean XII. L'empereur était toujours le chef de la chrétienté latine, nul ne pouvait en douter. Trente ans plus tard, en février 1076, Grégoire VII délie tous les sujets d'Henri IV de leurs obligations à l'égard du souverain, ce qui devrait provoquer sa déchéance. Cette sentence prononcée devant le synode romain, même si elle n'aboutit pas, marque un renversement complet des rapports entre la papauté et l'Empire. Certes, l'opportunité et parfois même la légalité d'une telle sanction restent discutées. Longtemps les papes préfèrent ne pas avoir recours à cette extrémité. Toutefois, au 1er concile de Lyon, en 1248, Innocent IV prononce la déchéance de Frédéric II. Après une rupture éclatante avec le passé, dans la deuxième moitié du XIe siècle, la papauté impose sa prééminence. Les principes s'affirment et s'appliquent avec plus ou moins de vigueur au cours des siècles. Ils connaissent un échec décisif avec la victoire de Philippe le Bel sur Boniface VIII."
"Cette étape dans l'histoire de l'Église s'accomplit de 1050 à 1280, en plusieurs périodes distinctes cependant. La première jusque vers 1120 est communément désignée sous le nom de réforme grégorienne, du nom du pape Grégoire VII qui en a été le principal protagoniste. Il convient de suivre cet usage tout en sachant que la réforme commence avant lui et qu'elle est poursuivie par ses successeurs. Elle n'est pas non plus uniforme, car chaque pape lui donne une tonalité et parfois une orientation particulière. Ce qui est combat douloureux avec Grégoire VII est mission triomphante avec Urbain II. À la fragilité de Pascal II s'oppose le sens très sûr du compromis de Calixte II. Succède un temps de calme relatif de 1120 à 1160, pendant lequel les orientations de la réforme grégorienne s'imposent durablement. La période qui suit est marquée par deux longs conflits entre le Sacerdoce et l'Empire, de 1160 à 1180, de 1230 à 1250. S'affrontent alors des personnalités de l'envergure de Frédéric Barberousse et d'Alexandre III ou de Frédéric II et de Grégoire IX. Alors que ces luttes mobilisent les énergies, l'évolution en profondeur de l'Église se poursuit. C'est entre 1180-1230 et 1250 et 1280 que la papauté manifeste sa domination de la façon la plus éclatante."
"La réforme de l'Église, entreprise dès le milieu du XIe siècle et longuement poursuivie avec des phases d'accélération et des périodes d'essoufflement, a pour objectif, au dire de ses promoteurs eux-mêmes, la Libertas Ecclesiae. Ce vocabulaire est abondamment employé dans les documents officiels et désigne d'une façon générale la non-ingérence d'un laïc quel qu'il soit dans les affaires proprement ecclésiastiques. Il peut s'agir de l'élection d'un évêque, de l'autonomie d'un monastère aussi bien que du respect des biens d'Église ou des droits reconnus au personnel ecclésiastique. Cette expression précise et forte qui semble évoquer une idée simple couvre en fait un vaste champ de revendications aux contours très incertains.
Le terme liberté est peu attesté dans le Nouveau Testament et l'idée n'y tient pas une place essentielle. Le concept est romain et il a une forte connotation juridique. Il n'est pas destructeur de l'autorité ou des hiérarchies, bien au contraire. Il signifie simplement qu'à l'intérieur de l'ordre défini par la loi, chacun jouit pleinement des droits qui lui sont reconnus. Cette situation fait la différence entre le citoyen et l'esclave, entre un pays civilisé et la barbarie. L'adoption par l'Église de ce vocabulaire d'origine juridique en élargit la signification, car l'idée prend une connotation morale et religieuse. Dans sa signification la plus profonde cette liberté introduit une distinction entre l'Église et le monde, entre le clergé et l'ensemble politique auquel il appartient. Aux temps carolingiens, Église et Empire étaient des termes interchangeables, il n'en va plus exactement de même, puisque l'Église revendique sa « liberté », c'est-à-dire ses droits propres. Alors que le but ultime des fidèles est toujours de parvenir au salut, l'Église et l'Empire ne jouent plus un rôle équivalent pour réaliser cette vocation. La différence s'accuse progressivement."
"La primauté du spirituel est une idée qui s'impose avec la force d'une évidence, car son contraire est manifestement faux. Comment soutenir que la religion doit servir les intérêts matériels des puissants ou assurer le confort de ses dignitaires ! La contestation du principe est impossible. Ceux qui s'y opposent doivent biaiser, ce qui est cause d'échec. La primauté du spirituel est une affirmation à la fois abstraite et élémentaire. Elle peut se prêter à des développements philosophiques qui ont leur utilité dans les milieux savants. Elle peut être soutenue par des métaphores, qu'il est facile de faire passer pour autant de preuves. Il est entendu que le ciel domine la terre. On ne doute pas que l'âme l'emporte sur le corps et l'esprit sur la chair. Ces exemples permettent d'affirmer qu'il y a entre les genres de vie une hiérarchie. Ils sont d'autant plus spirituels et saints qu'ils sont plus éloignés du monde et de ses turpitudes. La chair et l'argent sont mis en cause à titre principal. L'idée n'est pas nouvelle puisqu'elle est développée par saint Jérôme dans un contexte de renoncement au monde. Le principe de la primauté du spirituel a la redoutable efficacité des idées simples, voire sommaires. Désormais, il est applicable à tout, aux choix politiques comme au gouvernement du monde."
"En plus de leurs fonctions pastorales et religieuses, [les évêques] gèrent des biens fonciers, rendent la justice, entretiennent des vassaux. Ils disposent d'un patrimoine qui appartient à l'Église et exercent des droits publics qui leur ont été attribués par les souverains. Ils prêtent serment de fidélité au roi et lui doivent l'aide et le conseil. Ils sont impliqués dans tous les actes de gouvernement, à titre de conseillers. En temps de guerre ils doivent fournir des contingents militaires. En cas de nécessité ils peuvent assumer la garde du royaume ou faire des dons en argent au souverain. Ils ne peuvent se soustraire à ces multiples devoirs qui découlent de la possession de fiefs et de leur position dans un royaume."
-Jacques Paul, Le christianisme occidental au Moyen Âge (IVe-XVe siècle), Armand Colin, 2008 (2004 pour la première édition), 400 pages.