https://en.wikipedia.org/wiki/Hutton_Webster
http://classiques.uqac.ca/classiques/webster_hutton/le_tabou/le_tabou.html
"La langue anglaise a donné accès au mot taboo (en polynésien: tabu) depuis l'apparition du prestigieux récit où le capitaine Cook retrace son troisième et dernier voyage à travers le monde insulaire de l'océan Pacifique. En 1888, James George Frazer, dans la neuvième édition de l'Encyclopœdia britannica, consacra un bref article à traiter du système du tabou, observé spécialement en Polynésie, son terrain d'élection par excellence." (p.11)
"[Chapitre IX: Aspects sociaux du tabou]
Le système des tabous, dont le développement atteignit son apogée en Polynésie, ne devait pas subsister longtemps, après que ce monde insulaire se fut ouvert à la colonisation européenne. Ses innombrables restrictions étaient alors devenues presque insupportables aux simples particuliers, et il s'en fallait de peu que les bénéficiaires eux-mêmes, chefs et prêtres, n'en trouvassent pas le poids aussi lourd. Dans plusieurs des archipels polynésiens, au lieu de tomber lentement en désuétude et de se trouver abrogé sans secousse, ce système finit au prix d'une révolution." (p.441)
"Dans le concept de tabou il n'y a rien de spécifiquement religieux ou éthique ; il semble être aussi extérieur par rapport à la moralité et à la religion que, parmi nous, l'idée d'un « mauvais présage ». Mais on ne saurait considérer le tabou in vacuo. D'un côté, les règles négatives qu'il prescrit, une fois reconnues par le groupe comme obligatoires, se trouvent revêtues du caractère inviolable et de la sainteté inhérents à toutes les coutumes établies depuis longtemps et dont l'origine est inconnue. D'autre part, ces mêmes règles en viennent à être considérées comme opportunes pour le bien-être du groupe ; elles acquièrent de la sorte le caractère moral imparti à toute mesure sociale coercitive. Le tabou entre ainsi à la fois dans le domaine de la religion et dans celui de la moralité.
Les tabous sont des défenses (« tu ne dois pas;… ») à sanction automatique. Ceci reste largement exact, même quand on admet que ce sont des esprits qui punissent l'infraction, car de tels « agents » d'exécution n'ont guère de personnalité ou n'en ont pas, et ils châtient le transgresseur presque ou tout à fait automatiquement." (p.449)
"Une fois que les tabous sont solidement établis et reconnus par la société, une condition mentale, la conscience ou le sentiment du devoir, contraint chacun à les accepter au plus tôt et sans discussion. Leur caractère d' « impératifs catégoriques » s'applique également à des actions et manières d'être dépourvues de signification éthique et à des coutumes et institutions dont l'expérience de l'humanité a prouvé qu'elles possèdent cette signification. D'un côté, les femmes pendant leurs époques et les accouchées, les morts et ceux qui les pleurent, les personnes sacrées, sont soumises à une multitude de prohibitions sans utilité apparente. D'un autre côté, le lien du mariage est sauvegardé, la propriété collective et personnelle protégée, le respect de l'autorité constituée favorisé - voilà encore l'œuvre des tabous. Une société qui progresse abrogera les prohibitions de la première catégorie, comme dépourvues de sens, ou tout au moins elle les soumettra à un processus de « sublimation », cependant qu'elle maintiendra le caractère inconditionnel, impératif, des autres interdictions, celles dont l'utilité est manifeste. Ce mouvement aura nécessairement pris naissance en maintes contrées de ce monde, à mesure que l'homme progressait de la sauvagerie à la civilisation." (pp.449-450)
"Si, assurément, toutes les lois civiles ne doivent pas leur origine à des tabous, il en est cependant pour qui ceci peut être solidement affirmé. En d'autres termes, d'anciens tabous, à mesure que les connaissances se perfectionnèrent et que la vie devint plus raffinée, se transformèrent en prohibitions pourvues d'une sanction purement sociale." (p.451)
"Depuis longtemps, ceux qui étudient la société primitive ont reconnu le fait qu'un système de tabous est nécessairement compris parmi les plus importantes des forces travaillant à consolider cette société. Même si les tabous d'un individu ne concernent que lui-même, leur observation impose un frein aux passions humaines et requiert la maîtrise sur des impulsions qui, autrement, seraient irrésistibles. Si les tabous sont observés par la communauté, leur rôle disciplinaire est encore plus manifeste. Leur violation par quelqu'un entraîne, croit-on, mauvaise fortune pour chacun. Comme disent les naturels du Congo, « un seul homme devient la malédiction de cent hommes ». De là, le devoir imparti à tout membre du groupe : s'assurer si son voisin respecte la loi. En conséquence, les règles du tabou produisent comme effet général l'exercice d'une puissante sanction pour tous ces sentiments altruistes qui mettent en œuvre la coopération entre semblables. Nombreux sont nos informateurs qui attestent que de telles règles tendent à établir et à maintenir la solidarité sociale." (p.453)
-Hutton Webster, Le tabou. Étude sociologique, Paris, Payot, 1952, cité d'après l'édition "Les classiques des sciences sociales", 459 pages.
http://classiques.uqac.ca/classiques/webster_hutton/le_tabou/le_tabou.html
"La langue anglaise a donné accès au mot taboo (en polynésien: tabu) depuis l'apparition du prestigieux récit où le capitaine Cook retrace son troisième et dernier voyage à travers le monde insulaire de l'océan Pacifique. En 1888, James George Frazer, dans la neuvième édition de l'Encyclopœdia britannica, consacra un bref article à traiter du système du tabou, observé spécialement en Polynésie, son terrain d'élection par excellence." (p.11)
"[Chapitre IX: Aspects sociaux du tabou]
Le système des tabous, dont le développement atteignit son apogée en Polynésie, ne devait pas subsister longtemps, après que ce monde insulaire se fut ouvert à la colonisation européenne. Ses innombrables restrictions étaient alors devenues presque insupportables aux simples particuliers, et il s'en fallait de peu que les bénéficiaires eux-mêmes, chefs et prêtres, n'en trouvassent pas le poids aussi lourd. Dans plusieurs des archipels polynésiens, au lieu de tomber lentement en désuétude et de se trouver abrogé sans secousse, ce système finit au prix d'une révolution." (p.441)
"Dans le concept de tabou il n'y a rien de spécifiquement religieux ou éthique ; il semble être aussi extérieur par rapport à la moralité et à la religion que, parmi nous, l'idée d'un « mauvais présage ». Mais on ne saurait considérer le tabou in vacuo. D'un côté, les règles négatives qu'il prescrit, une fois reconnues par le groupe comme obligatoires, se trouvent revêtues du caractère inviolable et de la sainteté inhérents à toutes les coutumes établies depuis longtemps et dont l'origine est inconnue. D'autre part, ces mêmes règles en viennent à être considérées comme opportunes pour le bien-être du groupe ; elles acquièrent de la sorte le caractère moral imparti à toute mesure sociale coercitive. Le tabou entre ainsi à la fois dans le domaine de la religion et dans celui de la moralité.
Les tabous sont des défenses (« tu ne dois pas;… ») à sanction automatique. Ceci reste largement exact, même quand on admet que ce sont des esprits qui punissent l'infraction, car de tels « agents » d'exécution n'ont guère de personnalité ou n'en ont pas, et ils châtient le transgresseur presque ou tout à fait automatiquement." (p.449)
"Une fois que les tabous sont solidement établis et reconnus par la société, une condition mentale, la conscience ou le sentiment du devoir, contraint chacun à les accepter au plus tôt et sans discussion. Leur caractère d' « impératifs catégoriques » s'applique également à des actions et manières d'être dépourvues de signification éthique et à des coutumes et institutions dont l'expérience de l'humanité a prouvé qu'elles possèdent cette signification. D'un côté, les femmes pendant leurs époques et les accouchées, les morts et ceux qui les pleurent, les personnes sacrées, sont soumises à une multitude de prohibitions sans utilité apparente. D'un autre côté, le lien du mariage est sauvegardé, la propriété collective et personnelle protégée, le respect de l'autorité constituée favorisé - voilà encore l'œuvre des tabous. Une société qui progresse abrogera les prohibitions de la première catégorie, comme dépourvues de sens, ou tout au moins elle les soumettra à un processus de « sublimation », cependant qu'elle maintiendra le caractère inconditionnel, impératif, des autres interdictions, celles dont l'utilité est manifeste. Ce mouvement aura nécessairement pris naissance en maintes contrées de ce monde, à mesure que l'homme progressait de la sauvagerie à la civilisation." (pp.449-450)
"Si, assurément, toutes les lois civiles ne doivent pas leur origine à des tabous, il en est cependant pour qui ceci peut être solidement affirmé. En d'autres termes, d'anciens tabous, à mesure que les connaissances se perfectionnèrent et que la vie devint plus raffinée, se transformèrent en prohibitions pourvues d'une sanction purement sociale." (p.451)
"Depuis longtemps, ceux qui étudient la société primitive ont reconnu le fait qu'un système de tabous est nécessairement compris parmi les plus importantes des forces travaillant à consolider cette société. Même si les tabous d'un individu ne concernent que lui-même, leur observation impose un frein aux passions humaines et requiert la maîtrise sur des impulsions qui, autrement, seraient irrésistibles. Si les tabous sont observés par la communauté, leur rôle disciplinaire est encore plus manifeste. Leur violation par quelqu'un entraîne, croit-on, mauvaise fortune pour chacun. Comme disent les naturels du Congo, « un seul homme devient la malédiction de cent hommes ». De là, le devoir imparti à tout membre du groupe : s'assurer si son voisin respecte la loi. En conséquence, les règles du tabou produisent comme effet général l'exercice d'une puissante sanction pour tous ces sentiments altruistes qui mettent en œuvre la coopération entre semblables. Nombreux sont nos informateurs qui attestent que de telles règles tendent à établir et à maintenir la solidarité sociale." (p.453)
-Hutton Webster, Le tabou. Étude sociologique, Paris, Payot, 1952, cité d'après l'édition "Les classiques des sciences sociales", 459 pages.