https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2017-2-page-105.htm
"Le monde de la nuit étant empli de significations mythico-religieuses, vécu souvent sous un mode sensible voire irrationnel, il nous semblait important de tenter d’arriver à une compréhension scientifique des nuits urbaines. Nous verrons que ceci ne peut se produire qu’au prisme d’efforts physiques, en suivant la lumière de la ville, et grâce à l’éclairage d’un corpus scientifique solide, d’autrui. Néanmoins, cette compréhension analytique ne peut être similaire à la structuration diurne de la science et de la marche car la nuit révélerait « d’autres manières d’être ensemble au monde » (Heurgon, 2005). Il semble donc nécessaire de se détourner des éclairages illusoires d’une perspective diurne, de préconceptions scientifiques d’un monde autre. Ceci implique la nécessité d’outils pour penser le monde nocturne, notamment urbain, c’est-à-dire, les relations spécifiques entre cet espace-temps, le milieu non humain et l’humain."
"Nous avons tenté de mettre en place une méthodologie de marches urbaines exploratoires, c’est-à-dire, de traversées collectives nocturnes d’une diversité morphologique aux niveaux spatial et temporel. La ville de Paris a été choisie comme terrain d’étude."
"L’espace-temps nocturne a été longtemps oublié par les réflexions sur le fonctionnement urbain, le développement des territoires et la gestion dans les usages des espaces urbains. Alors que les artistes l’avaient investi depuis bien longtemps, les aménageurs et chercheurs ne l’ont considéré qu’à partir des années 2000-2005."
"Pour autant, la nuit est investie de multiples usages. De fait, de nombreuses études ont porté sur l’aspect sécuritaire (Girardon, 1980 ; Delumeau, 1978) et la thématique de l’éclairage public – liée en partie à la thématique sécuritaire – à travers des ouvrages techniques (Schivelbusch, 1993 ; Ibusza, 1972 ; Narboni, 1995), des études portant sur la fabrique d’ambiances nocturnes (Fiori, 2000 ; Bertin, en cours), des réflexions sur la circulation des modèles d’illumination (Hernandez Gonzalez, 2010 ; Mallet, 2009) ou des travaux sur la pollution lumineuse (Mizon, 1994 ; Challéat, 2010). La dimension festive fait l’objet d’une attention particulière, notamment les rassemblements festifs dans l’espace public (Moreau, 2010 ; Bonny, 2010, 2011 ; Desse, 2015 ; Moreau et Sauvage, 2006 ; Candela, 2015). En filigrane, se dessine la problématique de l’alcoolisation express ou ordinaire (Nahoum-Grappe, 2010 ; Farnié, 2006 ; Amador et al., 2005 ; Freyssinet-Dominjon et Wagner, 2003). Cela fait apparaître la question de la gestion des nuisances comme conséquences de la fête, notamment sonores (Defrance, 2017 ; Walker, en cours), des inégalités sociales nocturnes (Mouchtouris, 2003 ; Buford May, 2014) et des formes de sexualité nocturne (Gaissad, 2009 ; Boivin, 2013 ; Redoutey, 2002 ; Deschamps, 2006, 2011)."
"Afin d’articuler les premiers savoirs sur les nuits urbaines contemporaines à l’action publique, une technique d’explorations urbaines a été mise en place par Armengaud et Gwiazdzinski dès les années 1990. L’objectif était davantage politique que scientifique : interpeler les pouvoirs publics sur l’importance d’une temporalité nocturne délaissée, les faire dialoguer avec d’autres types d’acteurs (artistes, urbanistes, chercheurs, citoyens, etc.) et envisager des innovations en termes d’aménagement urbain afin de permettre une hospitalité urbaine."
"[Les dérives situationnistes comme] méthodologies d’explorations urbaines sont de véritables critiques de la société moderne et notamment du design fonctionnaliste des villes qui tend à séparer chaque type de vélocité et à effacer les espaces urbains de sociabilités."
"nocturnalité."
"Six thématiques principales nous ont permis d’engendrer cette diversité au niveau des formes de : mobilités (infrastructures de transports, potentiels de mobilités et stationnements, etc.), loisirs (commerces de convivialité, loisirs informels, etc.), travail nocturne (services urbains, « ville de garde », etc.), sûreté et prévention (sans-abrisme, délinquance, etc.), aménagement et design urbain (mobilier urbain, voiries, types d’espaces, etc.), information (signalétique, etc.). De même, la volonté était de parcourir un Paris utilisé de nuit, d’amener à la comparaison entre des quartiers aux conditions socioéconomiques variées et de traverser des formes de ruptures urbaines, interstices (dont le passage du boulevard périphérique). Il s’agissait donc d’aller à la rencontre d’ambiances et peuples variés, d’espaces-temps vides et animés."
"Quand le rythme fut accéléré, il a été noté un manque de temps pour appréhender le milieu urbain et ses ambiances, un resserrement du groupe autour d’un objectif commun de déplacement vers un certain point, ainsi que des regards vers l’autre et ses discussions. Le fait d’être en collectif encourageait à homogénéiser le rythme, les digressions de rythme et de trajectoire étant davantage notables en cas d’absence d’échanges verbaux."
-Florian Guérin & Edna Hernández González, « Les marches urbaines exploratoires de nuit : une critique socio-urbaine en situation », Sciences du Design, 2017/2 (n° 6), p. 105-127. DOI : 10.3917/sdd.006.0105. URL : https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2017-2-page-105.htm
"Le monde de la nuit étant empli de significations mythico-religieuses, vécu souvent sous un mode sensible voire irrationnel, il nous semblait important de tenter d’arriver à une compréhension scientifique des nuits urbaines. Nous verrons que ceci ne peut se produire qu’au prisme d’efforts physiques, en suivant la lumière de la ville, et grâce à l’éclairage d’un corpus scientifique solide, d’autrui. Néanmoins, cette compréhension analytique ne peut être similaire à la structuration diurne de la science et de la marche car la nuit révélerait « d’autres manières d’être ensemble au monde » (Heurgon, 2005). Il semble donc nécessaire de se détourner des éclairages illusoires d’une perspective diurne, de préconceptions scientifiques d’un monde autre. Ceci implique la nécessité d’outils pour penser le monde nocturne, notamment urbain, c’est-à-dire, les relations spécifiques entre cet espace-temps, le milieu non humain et l’humain."
"Nous avons tenté de mettre en place une méthodologie de marches urbaines exploratoires, c’est-à-dire, de traversées collectives nocturnes d’une diversité morphologique aux niveaux spatial et temporel. La ville de Paris a été choisie comme terrain d’étude."
"L’espace-temps nocturne a été longtemps oublié par les réflexions sur le fonctionnement urbain, le développement des territoires et la gestion dans les usages des espaces urbains. Alors que les artistes l’avaient investi depuis bien longtemps, les aménageurs et chercheurs ne l’ont considéré qu’à partir des années 2000-2005."
"Pour autant, la nuit est investie de multiples usages. De fait, de nombreuses études ont porté sur l’aspect sécuritaire (Girardon, 1980 ; Delumeau, 1978) et la thématique de l’éclairage public – liée en partie à la thématique sécuritaire – à travers des ouvrages techniques (Schivelbusch, 1993 ; Ibusza, 1972 ; Narboni, 1995), des études portant sur la fabrique d’ambiances nocturnes (Fiori, 2000 ; Bertin, en cours), des réflexions sur la circulation des modèles d’illumination (Hernandez Gonzalez, 2010 ; Mallet, 2009) ou des travaux sur la pollution lumineuse (Mizon, 1994 ; Challéat, 2010). La dimension festive fait l’objet d’une attention particulière, notamment les rassemblements festifs dans l’espace public (Moreau, 2010 ; Bonny, 2010, 2011 ; Desse, 2015 ; Moreau et Sauvage, 2006 ; Candela, 2015). En filigrane, se dessine la problématique de l’alcoolisation express ou ordinaire (Nahoum-Grappe, 2010 ; Farnié, 2006 ; Amador et al., 2005 ; Freyssinet-Dominjon et Wagner, 2003). Cela fait apparaître la question de la gestion des nuisances comme conséquences de la fête, notamment sonores (Defrance, 2017 ; Walker, en cours), des inégalités sociales nocturnes (Mouchtouris, 2003 ; Buford May, 2014) et des formes de sexualité nocturne (Gaissad, 2009 ; Boivin, 2013 ; Redoutey, 2002 ; Deschamps, 2006, 2011)."
"Afin d’articuler les premiers savoirs sur les nuits urbaines contemporaines à l’action publique, une technique d’explorations urbaines a été mise en place par Armengaud et Gwiazdzinski dès les années 1990. L’objectif était davantage politique que scientifique : interpeler les pouvoirs publics sur l’importance d’une temporalité nocturne délaissée, les faire dialoguer avec d’autres types d’acteurs (artistes, urbanistes, chercheurs, citoyens, etc.) et envisager des innovations en termes d’aménagement urbain afin de permettre une hospitalité urbaine."
"[Les dérives situationnistes comme] méthodologies d’explorations urbaines sont de véritables critiques de la société moderne et notamment du design fonctionnaliste des villes qui tend à séparer chaque type de vélocité et à effacer les espaces urbains de sociabilités."
"nocturnalité."
"Six thématiques principales nous ont permis d’engendrer cette diversité au niveau des formes de : mobilités (infrastructures de transports, potentiels de mobilités et stationnements, etc.), loisirs (commerces de convivialité, loisirs informels, etc.), travail nocturne (services urbains, « ville de garde », etc.), sûreté et prévention (sans-abrisme, délinquance, etc.), aménagement et design urbain (mobilier urbain, voiries, types d’espaces, etc.), information (signalétique, etc.). De même, la volonté était de parcourir un Paris utilisé de nuit, d’amener à la comparaison entre des quartiers aux conditions socioéconomiques variées et de traverser des formes de ruptures urbaines, interstices (dont le passage du boulevard périphérique). Il s’agissait donc d’aller à la rencontre d’ambiances et peuples variés, d’espaces-temps vides et animés."
"Quand le rythme fut accéléré, il a été noté un manque de temps pour appréhender le milieu urbain et ses ambiances, un resserrement du groupe autour d’un objectif commun de déplacement vers un certain point, ainsi que des regards vers l’autre et ses discussions. Le fait d’être en collectif encourageait à homogénéiser le rythme, les digressions de rythme et de trajectoire étant davantage notables en cas d’absence d’échanges verbaux."
-Florian Guérin & Edna Hernández González, « Les marches urbaines exploratoires de nuit : une critique socio-urbaine en situation », Sciences du Design, 2017/2 (n° 6), p. 105-127. DOI : 10.3917/sdd.006.0105. URL : https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2017-2-page-105.htm