https://fr.wikipedia.org/wiki/Howard_Zinn
[Chapitre 4 - La tyrannie c'est la tyrannie]
Vers 1776, certaines personnalités de premier plan des colonies anglaises
d’Amérique firent une découverte qui allait se révéler extrêmement utile au
cours des deux siècles suivants. Ils imaginèrent qu’en inventant une nation, un
symbole, une entité légale appelée « États-Unis », ils seraient en mesure de
s’emparer des terres, des privilèges et des pouvoirs politiques détenus jusque-là
par les protégés de l’Empire britannique. Du même coup, ils pourraient contenir
un certain nombre de révoltes en suspens et forger un consensus qui assurerait
un soutien populaire suffisant au nouveau gouvernement contrôlé par une
nouvelle élite privilégiée.
Il faut admettre que, sous cet angle, la Révolution américaine est bien une
idée de génie et que les Pères Fondateurs méritent l’extraordinaire dévotion dont
ils sont l’objet depuis des siècles. N’ont-ils pas, en effet, inventé le système de
contrôle national le plus efficace de l’époque moderne et révélé aux futures
générations de dirigeants les avantages d’une savante combinaison de
paternalisme et d’autorité ?
Depuis la révolte de Bacon, en 1760, les colonies avaient été le théâtre de dixhuit soulèvements destinés à en renverser les gouvernements, de six révoltes
d’esclaves (de la Caroline du Sud à New York) et d’une quarantaine d’émeutes
de toutes natures.
C’est également à cette époque, selon Jack Greene, qu’apparaissent « des
élites politiques et sociales à la fois stables, cohérentes, efficaces et reconnues
comme telles ». Ces élites locales entrevirent immédiatement la possibilité de
détourner la plus grande part de cet esprit de révolte contre l’Angleterre et son
administration locale. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une conspiration
organisée mais de la somme de divers choix tactiques. Après 1763 et la victoire
de l’Angleterre sur la France dans la guerre de Sept Ans (plus connue aux ÉtatsUnis sous le nom de « Guerre contre les Français et les Indiens »), qui eut pour
effet d’expulser cette dernière d’Amérique du Nord, les élites coloniales les plus
ambitieuses n’avaient plus rien à craindre des Français. Il ne leur restait donc
que deux rivaux sur le terrain : les Anglais et les Indiens. Afin de s’allier les
Indiens, les Britanniques leur avaient garanti que les terres indiennes situées à
l’ouest des Appalaches resteraient à l’abri de la convoitise des Blancs
(Proclamation de 1763). Sans doute serait-il possible aux Américains – une fois
les Anglais partis – de trouver eux aussi un modius vivendi avec les Indiens.
Répétons-le, on ne peut parler d’une stratégie préconçue mais plutôt d’une
certaine prise de conscience à mesure que les événements s’enchaînaient.
Après la défaite des Français, le gouvernement britannique pouvait fixer son
attention sur les moyens d’affirmer son autorité sur les colonies. En outre, il
fallait absolument trouver des fonds pour rembourser cette guerre : les colonies
étaient toutes désignées pour cela. Les échanges avec les colonies avaient
d’ailleurs pris une place de plus en plus importante dans l’économie britannique
– et se révélaient également de plus en plus rentables : de 500 000 livres en
1700, on était passé à 2 800 000 livres en 1770.
Dans une telle situation, les élites américaines ressentaient évidemment moins
le besoin de s’appuyer sur l’autorité britannique, tandis que l’Angleterre pouvait
difficilement se passer de la richesse des colonies américaines. Tout était en
place pour qu’éclate le conflit.
La guerre avait apporté la gloire aux généraux et la mort aux simples soldats,
la fortune aux négociants et le chômage aux miséreux. La colonie de New York
comptait environ vingt-cinq mille habitants (contre sept mille en 1720) lorsque
la guerre de Sept Ans prit fin. Un journaliste s’alarmait du « nombre
[grandissant] de mendiants et de vagabonds » dans les rues de la ville. Les
courriers des lecteurs accusaient la répartition des richesses : « Combien de fois
nos rues n’ont-elles pas été encombrées par les milliers de barils de farine
destinés à l’exportation tandis que nos plus proches voisins arrivent à peine à se
procurer de quoi cuisiner un vulgaire brouet pour calmer leur faim ? »
L’étude des registres fiscaux effectuée par Gary Nash indique qu’au début des
années 1770 5 % des contribuables de Boston possédaient 49 % des actifs
imposables de la ville. À Philadelphie et à New York les richesses étaient
également de plus en plus concentrées. L’examen des testaments déposés au
cours de l’année 1750 montre que les individus les plus riches, dans les villes du
moins, laissaient en moyenne 20 000 livres en héritage (c’est-à-dire quelque 2,5
millions de dollars actuels).
À Boston, les classes défavorisées commencèrent à faire des traditionnels
town meetings le lieu d’expression de leurs revendications. Le gouverneur du
Massachusetts remarquait que « les plus humbles citoyens […] assistant [aux
assemblées] avec une grande constance et formant généralement la majorité des
présents, leurs votes l’emportaient sur ceux des gentilshommes, des marchands,
des riches commerçants, bref de la meilleure part de la population de la ville ».
À Boston encore, certains avocats, hommes de presse et commerçants des
classes aisées (tels James Otis et Samuel Adams par exemple) n’appartenant pas
aux cercles dirigeants proches des Anglais mirent sur pied un « comité de
Boston » et contribuèrent à forger par leurs discours et leurs écrits « l’opinion
des classes laborieuses, à inciter la “populace” à passer à l’action et à influer sur
son comportement ». C’est du moins, si l’on en croit Gary Nash, ce que fit James
Otis, qui, « clairement conscient des difficultés grandissantes et du ressentiment
des citoyens ordinaires, reflétait autant qu’il influençait l’opinion populaire ».
Il s’agit là d’un scénario que l’on rejouera souvent tout au long de l’histoire
politique des États-Unis : la mobilisation des énergies des classes défavorisées
par les politiciens issus des classes supérieures, et ce pour le plus grand profit de
ces derniers. Il ne faut y voir aucune duplicité. Cela reflète, dans une certaine
mesure, une prise en compte réelle des revendications de la classe la plus
défavorisée ; prise en compte que son efficacité, en l’occurrence, éleva au rang
de tactique aux siècles suivants. Toujours selon Nash, « James Otis, Samuel
Adams, Royall Tyler, Oxenbridge Thacher et une foule d’autres Bostoniens, en
contact avec les artisans et les ouvriers par le biais du réseau des tavernes de
quartier, des compagnies d’incendie et du comité de Boston, partageaient une
vision politique qui intégrait l’opinion des classes laborieuses et estimaient
parfaitement légitime que les artisans et, également, les ouvriers participent au
processus politique ».
En 1762, lors d’un discours contre les dirigeants conservateurs de la colonie
du Massachusetts, présents en la personne de Thomas Hutchinson, Otis offrit un
exemple de la rhétorique dont un avocat pouvait user pour mobiliser les
ouvriers-artisans et les artisans de la ville : « Il me faut gagner ma vie avec mes
mains et à la sueur de mon front, tout comme vous, et passer par des hauts et des
bas pour gagner un pain de plus en plus amer. Et tout cela sous le regard hostile
de ceux qui n’ont pourtant reçu ni de la Nature ni de Dieu le droit de me regarder
de haut et n’ont acquis leur renommée et leur position qu’en écrasant les pauvres
de leur mépris. »
Boston semble avoir été marquée à cette époque par la colère de classe. En
1763, dans la Gazette de Boston, on pouvait lire que « certains individus haut
placés » étaient en train de concevoir un plan politique destiné à « maintenir les
gens dans la pauvreté afin de les rendre plus dociles ».
Cette accumulation de ressentiment envers les riches de Boston peut éclairer
le caractère explosif des émeutes provoquées par la loi sur le Timbre de 1765.
{La loi sur le Timbre (« Stamp Act ») imposait aux colonies américaines un
droit de timbre sur toutes les publications, livres, journaux, actes légaux,
annonces publicitaires, etc. Abrogée en 1766, elle fut suivie, dès 1767, par les
« lois Townshend », qui imposaient des taxes sur de nombreux produits (papier,
verre, peinture, thé, etc.) importés d’Angleterre} Cette loi était une façon pour
les Anglais d’imposer la population coloniale pour rembourser la guerre de Sept
Ans au cours de laquelle, pourtant, les colons avaient eu à souffrir de la soif
d’expansion des Britanniques. Cet été-là, un cordonnier nommé Ebenezer
Macintosh conduisit une émeute qui détruisit le domicile d’un riche marchand
bostonien nommé Andrex Oliver. Deux semaines plus tard, la foule se tourna
contre le domicile de Thomas Hutchinson, symbole de l’élite fortunée qui
dirigeait les colonies au nom de l’Angleterre. Ils attaquèrent sa maison à coups
de hache, vidèrent sa cave et s’emparèrent de ses meubles et autres objets. Un
rapport adressé aux autorités britanniques par l’administration coloniale prétend
qu’il existait un plan plus vaste selon lequel les domiciles de quinze autres
personnalités riches de Boston devaient être détruits ; simple étape d’une
« opération de pillage, de nivellement par le bas et d’abolition des distinctions
entre riches et pauvres ».
Il s’agit d’un de ces moments classiques au cours desquels les effets de la
colère accumulée contre les riches outrepassent les attentes des meneurs de la
trempe d’Otis. Le problème se posait alors en ces termes : la haine de classe
pouvait-elle être dirigée contre l’élite pro-anglaise et épargner l’élite
nationaliste ? À New York, l’année même où eurent lieu les saccages de Boston,
quelqu’un demandait dans la Gazette s’il était « juste que quatre-vingt-dix-neuf
– ou plutôt neuf cent quatre-vingt-dix-neuf – personnes [dussent] supporter les
extravagances ou la supériorité d’un seul, en particulier si l’on considère que les
hommes de ce type bâtissent d’ordinaire leur fortune aux dépens de leurs
voisins ». Les élites révolutionnaires firent en sorte que de tels sentiments restent
contenus dans certaines limites.
Les ouvriers exigeaient une réelle démocratie politique pour les villes des
colonies : des réunions ouvertes, des assemblées représentatives, des galeries
pour le public dans les arènes législatives et la publication de l’appel des votes
afin de mieux contrôler leurs propres représentants. Ils exigeaient également que
les réunions se tiennent en plein air, là où la population pourrait participer à
l’élaboration de la politique, au rééquilibrage des impôts, au contrôle des prix et
à l’élection de travailleurs et autres citoyens ordinaires à des postes de
responsabilité gouvernementale.
À Philadelphie en particulier, nous dit Nash, la prise de conscience de la
fraction la moins aisée de la petite bourgeoisie fut telle qu’elle inquiéta non
seulement les loyalistes conservateurs, fidèles à l’Angleterre, mais aussi les
chefs de la Révolution. « Dès le milieu de l’année 1776, les ouvriers, artisans et
petits commerçants, qui agissaient illégalement lorsque les voies politiques
étaient impraticables, étaient clairement aux commandes de Philadelphie. »
Soutenus par certaines personnalités de la bourgeoisie (Thomas Paine, Thomas
Young et d’autres), ils « se lancèrent vigoureusement à l’assaut des grandes
fortunes et du principe de propriété privée illimitée ».
Durant la campagne de 1776 pour l’élection d’une convention chargée
d’élaborer une constitution pour la Pennsylvanie, un comité de soldats appela les
électeurs à s’opposer aux « intérêts des individus immensément et exagérément
riches […] qui sont tout à fait décidés à ériger des barrières entre les classes
sociales ». Ce comité de soldats rédigea, pour la convention, une Déclaration des
droits qui proclamait : « Abandonner une part excessive des richesses aux mains
d’une poignée d’individus représente un danger pour les Droits et nuit à l’intérêt
général et à l’humanité tout entière. Aussi, tout État doit-il se donner le pouvoir
légal d’empêcher l’édification de telles fortunes. »
Les campagnes, où vivaient tout de même la majorité de la population
coloniale, connaissaient un conflit similaire opposant pauvres et riches. Un
conflit que les élites politiques manipulaient pour mieux mobiliser la population
contre l’Angleterre, promettant aux pauvres en colère de maigres bénéfices
tandis qu’eux-mêmes se tailleraient la part du lion. Les émeutes des fermiers
dans le New Jersey des années 1740 et leurs soulèvements au cours des années
1750 et 1760 dans la vallée de l’Hudson (État de New York), comme ceux qui
au nord-est de l’État de New York entraînèrent la création de l’État du Vermont,
étaient bien plus que de simples émeutes sporadiques. Il s’agissait en fait de
mouvements sociaux durables, parfaitement organisés, qui établirent même de
véritables contre-gouvernements. Toute cette effervescence visait les grands
propriétaires terriens, mais, ces derniers ne résidant pas habituellement sur leurs
terres, les émeutes se retournaient contre les fermiers à qui ils les avaient louées.
De même que les rebelles du New Jersey avaient investi la prison pour libérer
leurs camarades, les émeutiers de la vallée de l’Hudson libérèrent les prisonniers
et enfermèrent le shérif lui-même derrière les barreaux. Si les fermiers étaient
considérés comme « la lie de la populace », la petite troupe que le shérif du
comté d’Albany conduisit à Bennington en 1771 se composait de la crème de la
notabilité locale.
Les fermiers révoltés considéraient leur lutte comme un affrontement entre
pauvres et riches. En 1776, à New York, un témoin comparaissant au procès de
l’un des rebelles déclara que les fermiers chassés par les propriétaires terriens
« avaient un titre de possession légal mais qu’ils ne pouvaient pas se défendre
devant une cour de justice parce qu’ils étaient pauvres […] et que les pauvres
étaient toujours opprimés par les riches ». Les acteurs de la révolte de Green
Mountain, conduits par Ethan Allen, se présentaient comme de « pauvres gens
[…] fatigués de vivre dans un pays sauvage » et regardaient leurs adversaires
comme « un mélange d’hommes de loi et autres gentilshommes avec tous leurs
accoutrements, leurs bonnes manières, et leurs petites minauderies à la
française ».
Les petits fermiers de la vallée de l’Hudson, comme les rebelles de la Green
Mountain, s’en remirent aux Anglais pour les défendre contre les grands
propriétaires américains. Les élites coloniales indépendantistes, inquiètes de voir
les fermiers pauvres se rapprocher des Anglais, adoptèrent une stratégie
politique destinée à rallier les populations rurales américaines.
Entre 1766 et 1771, en Caroline du Nord, un important mouvement de
fermiers blancs s’était organisé afin de s’opposer aux riches administrateurs
corrompus de la colonie, et ce au moment même où, dans les villes du Nord-Est,
l’agitation à l’encontre des Anglais croissait, repoussant les conflits de classes à
l’arrière-plan. Ce mouvement, qui prit le nom de Regulator Movement,
regroupait essentiellement, selon Marvin L. Michael Kay, spécialiste de la
question, des « fermiers blancs de l’Ouest ayant une certaine conscience de
classe et désireux de démocratiser les gouvernements locaux de leurs comtés
respectifs ». Les Régulateurs se présentaient comme des « paysans pauvres et
industrieux », des « travailleurs », de « pauvres misérables », « opprimés » par
« de riches et puissants […] monstres pernicieux ».
Les Régulateurs estimaient que l’alliance du pouvoir et de l’argent gouvernait
la Caroline du Nord et dénonçaient, en conséquence, ces administrateurs dont
« le souci le plus pressant [était] d’accroître leur fortune ». Ils condamnaient
également un système fiscal particulièrement dur pour les pauvres, ainsi que la
collusion des marchands avec les hommes de loi dans les cours de justice en vue
de contraindre les petits fermiers harcelés à payer leurs dettes. Dans les comtés
de l’Ouest où le mouvement s’était développé, seul un petit nombre de foyers
possédaient des esclaves dont – pour prendre le cas d’un comté en particulier –
41 % appartenaient à 2 % seulement des foyers. Les Régulateurs ne
représentaient pas les esclaves et les serviteurs sous contrat mais s’exprimaient
au nom des petits propriétaires, des squatters et des fermiers. {Les squatters,
installés sur les territoires « vides » de la Frontière, lutteront sans cesse contre
les propriétaires « légaux » de ces espaces – le roi d’Angleterre, les colonies, les
futurs États américains –, à ne pas confondre avec les Indiens, propriétaires
légitimes}
Un récit contemporain du mouvement régulateur dans le comté d’Orange
dresse un saisissant portrait de la situation : « Les gens d’Orange étaient
humiliés par le shérif ; volés, pillés […], méprisés et condamnés par
l’administration ; trompés par les magistrats ; contraints d’accepter des prix
dictés par la seule avarice de l’administrateur et des impôts qui, pensaient-ils, ne
servaient qu’à enrichir la poignée d’individus qui les traitaient avec une
continuelle arrogance. En outre, ils ne voyaient pas de fin à toutes ces misères
puisque les puissants et les juges étaient ceux-là mêmes dont l’intérêt était
d’opprimer et d’exploiter les travailleurs. »
Dans les années 1760, les Régulateurs du comté d’Orange s’organisèrent afin
d’empêcher la collecte des impôts ou la saisie de ceux qui ne s’en étaient pas
acquittés. L’administration déclara qu’« une insurrection totale aux visées
dangereuses [avait] éclaté dans le comté d’Orange » et envisagea une répression
militaire. Sept cents fermiers en armes avaient, un jour, imposé la libération de
deux chefs régulateurs emprisonnés. En 1768, les Régulateurs adressèrent une
pétition au gouvernement de Caroline du Nord dénonçant « l’inégalité des
chances entre le pauvre, le faible et le riche, le puissant ».
Dans un autre comté, celui d’Anson, un colonel de la milice locale se
plaignait des « troubles, insurrections et brutalités sans exemple qui frappent
actuellement ce comté ». Une autre fois, une centaine d’hommes interrompirent
un procès à la cour du comté. Ils essayèrent également de faire élire des fermiers
à l’assemblée, affirmant que « la majorité de cette assemblée [était] composée
d’hommes de loi, de clercs et autres personnalités qui [étaient] en relations
permanentes ». En 1770, il y eut une importante émeute à Hillsborough
(Caroline du Nord), au cours de laquelle un procès fut interrompu. Le juge fut
contraint de prendre la fuite ; les avocats, ainsi que deux marchands, furent roués
de coups ; et les entrepôts furent pillés.
Après tous ces événements, l’Assemblée de la colonie engagea bien quelques
réformes mais elle fit également voter un décret pour « prévenir les émeutes et
les troubles », tandis que le gouverneur s’organisait afin de mieux les réprimer
militairement. En mai 1771 eut lieu une bataille décisive au cours de laquelle
plusieurs milliers de Régulateurs furent vaincus par une armée parfaitement
disciplinée et soutenue par l’artillerie. Six Régulateurs furent pendus. Kay
prétend que dans les comtés d’Orange, d’Anson et de Rowan, où il était le plus
important, le mouvement des Régulateurs avait le soutien de six à sept mille
hommes sur une population blanche et imposable totale de huit mille individus.
L’un des effets de ce terrible conflit fut qu’une petite minorité seulement,
parmi ceux qui vivaient dans ces comtés où le mouvement des Régulateurs avait
bénéficié du soutien populaire, semble avoir répondu à la rhétorique patriotique
de la guerre d’indépendance. Les autres observèrent sans doute une parfaite
neutralité."
-Howard Zinn, Une Histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2002, 810 pages.
[Chapitre 4 - La tyrannie c'est la tyrannie]
Vers 1776, certaines personnalités de premier plan des colonies anglaises
d’Amérique firent une découverte qui allait se révéler extrêmement utile au
cours des deux siècles suivants. Ils imaginèrent qu’en inventant une nation, un
symbole, une entité légale appelée « États-Unis », ils seraient en mesure de
s’emparer des terres, des privilèges et des pouvoirs politiques détenus jusque-là
par les protégés de l’Empire britannique. Du même coup, ils pourraient contenir
un certain nombre de révoltes en suspens et forger un consensus qui assurerait
un soutien populaire suffisant au nouveau gouvernement contrôlé par une
nouvelle élite privilégiée.
Il faut admettre que, sous cet angle, la Révolution américaine est bien une
idée de génie et que les Pères Fondateurs méritent l’extraordinaire dévotion dont
ils sont l’objet depuis des siècles. N’ont-ils pas, en effet, inventé le système de
contrôle national le plus efficace de l’époque moderne et révélé aux futures
générations de dirigeants les avantages d’une savante combinaison de
paternalisme et d’autorité ?
Depuis la révolte de Bacon, en 1760, les colonies avaient été le théâtre de dixhuit soulèvements destinés à en renverser les gouvernements, de six révoltes
d’esclaves (de la Caroline du Sud à New York) et d’une quarantaine d’émeutes
de toutes natures.
C’est également à cette époque, selon Jack Greene, qu’apparaissent « des
élites politiques et sociales à la fois stables, cohérentes, efficaces et reconnues
comme telles ». Ces élites locales entrevirent immédiatement la possibilité de
détourner la plus grande part de cet esprit de révolte contre l’Angleterre et son
administration locale. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une conspiration
organisée mais de la somme de divers choix tactiques. Après 1763 et la victoire
de l’Angleterre sur la France dans la guerre de Sept Ans (plus connue aux ÉtatsUnis sous le nom de « Guerre contre les Français et les Indiens »), qui eut pour
effet d’expulser cette dernière d’Amérique du Nord, les élites coloniales les plus
ambitieuses n’avaient plus rien à craindre des Français. Il ne leur restait donc
que deux rivaux sur le terrain : les Anglais et les Indiens. Afin de s’allier les
Indiens, les Britanniques leur avaient garanti que les terres indiennes situées à
l’ouest des Appalaches resteraient à l’abri de la convoitise des Blancs
(Proclamation de 1763). Sans doute serait-il possible aux Américains – une fois
les Anglais partis – de trouver eux aussi un modius vivendi avec les Indiens.
Répétons-le, on ne peut parler d’une stratégie préconçue mais plutôt d’une
certaine prise de conscience à mesure que les événements s’enchaînaient.
Après la défaite des Français, le gouvernement britannique pouvait fixer son
attention sur les moyens d’affirmer son autorité sur les colonies. En outre, il
fallait absolument trouver des fonds pour rembourser cette guerre : les colonies
étaient toutes désignées pour cela. Les échanges avec les colonies avaient
d’ailleurs pris une place de plus en plus importante dans l’économie britannique
– et se révélaient également de plus en plus rentables : de 500 000 livres en
1700, on était passé à 2 800 000 livres en 1770.
Dans une telle situation, les élites américaines ressentaient évidemment moins
le besoin de s’appuyer sur l’autorité britannique, tandis que l’Angleterre pouvait
difficilement se passer de la richesse des colonies américaines. Tout était en
place pour qu’éclate le conflit.
La guerre avait apporté la gloire aux généraux et la mort aux simples soldats,
la fortune aux négociants et le chômage aux miséreux. La colonie de New York
comptait environ vingt-cinq mille habitants (contre sept mille en 1720) lorsque
la guerre de Sept Ans prit fin. Un journaliste s’alarmait du « nombre
[grandissant] de mendiants et de vagabonds » dans les rues de la ville. Les
courriers des lecteurs accusaient la répartition des richesses : « Combien de fois
nos rues n’ont-elles pas été encombrées par les milliers de barils de farine
destinés à l’exportation tandis que nos plus proches voisins arrivent à peine à se
procurer de quoi cuisiner un vulgaire brouet pour calmer leur faim ? »
L’étude des registres fiscaux effectuée par Gary Nash indique qu’au début des
années 1770 5 % des contribuables de Boston possédaient 49 % des actifs
imposables de la ville. À Philadelphie et à New York les richesses étaient
également de plus en plus concentrées. L’examen des testaments déposés au
cours de l’année 1750 montre que les individus les plus riches, dans les villes du
moins, laissaient en moyenne 20 000 livres en héritage (c’est-à-dire quelque 2,5
millions de dollars actuels).
À Boston, les classes défavorisées commencèrent à faire des traditionnels
town meetings le lieu d’expression de leurs revendications. Le gouverneur du
Massachusetts remarquait que « les plus humbles citoyens […] assistant [aux
assemblées] avec une grande constance et formant généralement la majorité des
présents, leurs votes l’emportaient sur ceux des gentilshommes, des marchands,
des riches commerçants, bref de la meilleure part de la population de la ville ».
À Boston encore, certains avocats, hommes de presse et commerçants des
classes aisées (tels James Otis et Samuel Adams par exemple) n’appartenant pas
aux cercles dirigeants proches des Anglais mirent sur pied un « comité de
Boston » et contribuèrent à forger par leurs discours et leurs écrits « l’opinion
des classes laborieuses, à inciter la “populace” à passer à l’action et à influer sur
son comportement ». C’est du moins, si l’on en croit Gary Nash, ce que fit James
Otis, qui, « clairement conscient des difficultés grandissantes et du ressentiment
des citoyens ordinaires, reflétait autant qu’il influençait l’opinion populaire ».
Il s’agit là d’un scénario que l’on rejouera souvent tout au long de l’histoire
politique des États-Unis : la mobilisation des énergies des classes défavorisées
par les politiciens issus des classes supérieures, et ce pour le plus grand profit de
ces derniers. Il ne faut y voir aucune duplicité. Cela reflète, dans une certaine
mesure, une prise en compte réelle des revendications de la classe la plus
défavorisée ; prise en compte que son efficacité, en l’occurrence, éleva au rang
de tactique aux siècles suivants. Toujours selon Nash, « James Otis, Samuel
Adams, Royall Tyler, Oxenbridge Thacher et une foule d’autres Bostoniens, en
contact avec les artisans et les ouvriers par le biais du réseau des tavernes de
quartier, des compagnies d’incendie et du comité de Boston, partageaient une
vision politique qui intégrait l’opinion des classes laborieuses et estimaient
parfaitement légitime que les artisans et, également, les ouvriers participent au
processus politique ».
En 1762, lors d’un discours contre les dirigeants conservateurs de la colonie
du Massachusetts, présents en la personne de Thomas Hutchinson, Otis offrit un
exemple de la rhétorique dont un avocat pouvait user pour mobiliser les
ouvriers-artisans et les artisans de la ville : « Il me faut gagner ma vie avec mes
mains et à la sueur de mon front, tout comme vous, et passer par des hauts et des
bas pour gagner un pain de plus en plus amer. Et tout cela sous le regard hostile
de ceux qui n’ont pourtant reçu ni de la Nature ni de Dieu le droit de me regarder
de haut et n’ont acquis leur renommée et leur position qu’en écrasant les pauvres
de leur mépris. »
Boston semble avoir été marquée à cette époque par la colère de classe. En
1763, dans la Gazette de Boston, on pouvait lire que « certains individus haut
placés » étaient en train de concevoir un plan politique destiné à « maintenir les
gens dans la pauvreté afin de les rendre plus dociles ».
Cette accumulation de ressentiment envers les riches de Boston peut éclairer
le caractère explosif des émeutes provoquées par la loi sur le Timbre de 1765.
{La loi sur le Timbre (« Stamp Act ») imposait aux colonies américaines un
droit de timbre sur toutes les publications, livres, journaux, actes légaux,
annonces publicitaires, etc. Abrogée en 1766, elle fut suivie, dès 1767, par les
« lois Townshend », qui imposaient des taxes sur de nombreux produits (papier,
verre, peinture, thé, etc.) importés d’Angleterre} Cette loi était une façon pour
les Anglais d’imposer la population coloniale pour rembourser la guerre de Sept
Ans au cours de laquelle, pourtant, les colons avaient eu à souffrir de la soif
d’expansion des Britanniques. Cet été-là, un cordonnier nommé Ebenezer
Macintosh conduisit une émeute qui détruisit le domicile d’un riche marchand
bostonien nommé Andrex Oliver. Deux semaines plus tard, la foule se tourna
contre le domicile de Thomas Hutchinson, symbole de l’élite fortunée qui
dirigeait les colonies au nom de l’Angleterre. Ils attaquèrent sa maison à coups
de hache, vidèrent sa cave et s’emparèrent de ses meubles et autres objets. Un
rapport adressé aux autorités britanniques par l’administration coloniale prétend
qu’il existait un plan plus vaste selon lequel les domiciles de quinze autres
personnalités riches de Boston devaient être détruits ; simple étape d’une
« opération de pillage, de nivellement par le bas et d’abolition des distinctions
entre riches et pauvres ».
Il s’agit d’un de ces moments classiques au cours desquels les effets de la
colère accumulée contre les riches outrepassent les attentes des meneurs de la
trempe d’Otis. Le problème se posait alors en ces termes : la haine de classe
pouvait-elle être dirigée contre l’élite pro-anglaise et épargner l’élite
nationaliste ? À New York, l’année même où eurent lieu les saccages de Boston,
quelqu’un demandait dans la Gazette s’il était « juste que quatre-vingt-dix-neuf
– ou plutôt neuf cent quatre-vingt-dix-neuf – personnes [dussent] supporter les
extravagances ou la supériorité d’un seul, en particulier si l’on considère que les
hommes de ce type bâtissent d’ordinaire leur fortune aux dépens de leurs
voisins ». Les élites révolutionnaires firent en sorte que de tels sentiments restent
contenus dans certaines limites.
Les ouvriers exigeaient une réelle démocratie politique pour les villes des
colonies : des réunions ouvertes, des assemblées représentatives, des galeries
pour le public dans les arènes législatives et la publication de l’appel des votes
afin de mieux contrôler leurs propres représentants. Ils exigeaient également que
les réunions se tiennent en plein air, là où la population pourrait participer à
l’élaboration de la politique, au rééquilibrage des impôts, au contrôle des prix et
à l’élection de travailleurs et autres citoyens ordinaires à des postes de
responsabilité gouvernementale.
À Philadelphie en particulier, nous dit Nash, la prise de conscience de la
fraction la moins aisée de la petite bourgeoisie fut telle qu’elle inquiéta non
seulement les loyalistes conservateurs, fidèles à l’Angleterre, mais aussi les
chefs de la Révolution. « Dès le milieu de l’année 1776, les ouvriers, artisans et
petits commerçants, qui agissaient illégalement lorsque les voies politiques
étaient impraticables, étaient clairement aux commandes de Philadelphie. »
Soutenus par certaines personnalités de la bourgeoisie (Thomas Paine, Thomas
Young et d’autres), ils « se lancèrent vigoureusement à l’assaut des grandes
fortunes et du principe de propriété privée illimitée ».
Durant la campagne de 1776 pour l’élection d’une convention chargée
d’élaborer une constitution pour la Pennsylvanie, un comité de soldats appela les
électeurs à s’opposer aux « intérêts des individus immensément et exagérément
riches […] qui sont tout à fait décidés à ériger des barrières entre les classes
sociales ». Ce comité de soldats rédigea, pour la convention, une Déclaration des
droits qui proclamait : « Abandonner une part excessive des richesses aux mains
d’une poignée d’individus représente un danger pour les Droits et nuit à l’intérêt
général et à l’humanité tout entière. Aussi, tout État doit-il se donner le pouvoir
légal d’empêcher l’édification de telles fortunes. »
Les campagnes, où vivaient tout de même la majorité de la population
coloniale, connaissaient un conflit similaire opposant pauvres et riches. Un
conflit que les élites politiques manipulaient pour mieux mobiliser la population
contre l’Angleterre, promettant aux pauvres en colère de maigres bénéfices
tandis qu’eux-mêmes se tailleraient la part du lion. Les émeutes des fermiers
dans le New Jersey des années 1740 et leurs soulèvements au cours des années
1750 et 1760 dans la vallée de l’Hudson (État de New York), comme ceux qui
au nord-est de l’État de New York entraînèrent la création de l’État du Vermont,
étaient bien plus que de simples émeutes sporadiques. Il s’agissait en fait de
mouvements sociaux durables, parfaitement organisés, qui établirent même de
véritables contre-gouvernements. Toute cette effervescence visait les grands
propriétaires terriens, mais, ces derniers ne résidant pas habituellement sur leurs
terres, les émeutes se retournaient contre les fermiers à qui ils les avaient louées.
De même que les rebelles du New Jersey avaient investi la prison pour libérer
leurs camarades, les émeutiers de la vallée de l’Hudson libérèrent les prisonniers
et enfermèrent le shérif lui-même derrière les barreaux. Si les fermiers étaient
considérés comme « la lie de la populace », la petite troupe que le shérif du
comté d’Albany conduisit à Bennington en 1771 se composait de la crème de la
notabilité locale.
Les fermiers révoltés considéraient leur lutte comme un affrontement entre
pauvres et riches. En 1776, à New York, un témoin comparaissant au procès de
l’un des rebelles déclara que les fermiers chassés par les propriétaires terriens
« avaient un titre de possession légal mais qu’ils ne pouvaient pas se défendre
devant une cour de justice parce qu’ils étaient pauvres […] et que les pauvres
étaient toujours opprimés par les riches ». Les acteurs de la révolte de Green
Mountain, conduits par Ethan Allen, se présentaient comme de « pauvres gens
[…] fatigués de vivre dans un pays sauvage » et regardaient leurs adversaires
comme « un mélange d’hommes de loi et autres gentilshommes avec tous leurs
accoutrements, leurs bonnes manières, et leurs petites minauderies à la
française ».
Les petits fermiers de la vallée de l’Hudson, comme les rebelles de la Green
Mountain, s’en remirent aux Anglais pour les défendre contre les grands
propriétaires américains. Les élites coloniales indépendantistes, inquiètes de voir
les fermiers pauvres se rapprocher des Anglais, adoptèrent une stratégie
politique destinée à rallier les populations rurales américaines.
Entre 1766 et 1771, en Caroline du Nord, un important mouvement de
fermiers blancs s’était organisé afin de s’opposer aux riches administrateurs
corrompus de la colonie, et ce au moment même où, dans les villes du Nord-Est,
l’agitation à l’encontre des Anglais croissait, repoussant les conflits de classes à
l’arrière-plan. Ce mouvement, qui prit le nom de Regulator Movement,
regroupait essentiellement, selon Marvin L. Michael Kay, spécialiste de la
question, des « fermiers blancs de l’Ouest ayant une certaine conscience de
classe et désireux de démocratiser les gouvernements locaux de leurs comtés
respectifs ». Les Régulateurs se présentaient comme des « paysans pauvres et
industrieux », des « travailleurs », de « pauvres misérables », « opprimés » par
« de riches et puissants […] monstres pernicieux ».
Les Régulateurs estimaient que l’alliance du pouvoir et de l’argent gouvernait
la Caroline du Nord et dénonçaient, en conséquence, ces administrateurs dont
« le souci le plus pressant [était] d’accroître leur fortune ». Ils condamnaient
également un système fiscal particulièrement dur pour les pauvres, ainsi que la
collusion des marchands avec les hommes de loi dans les cours de justice en vue
de contraindre les petits fermiers harcelés à payer leurs dettes. Dans les comtés
de l’Ouest où le mouvement s’était développé, seul un petit nombre de foyers
possédaient des esclaves dont – pour prendre le cas d’un comté en particulier –
41 % appartenaient à 2 % seulement des foyers. Les Régulateurs ne
représentaient pas les esclaves et les serviteurs sous contrat mais s’exprimaient
au nom des petits propriétaires, des squatters et des fermiers. {Les squatters,
installés sur les territoires « vides » de la Frontière, lutteront sans cesse contre
les propriétaires « légaux » de ces espaces – le roi d’Angleterre, les colonies, les
futurs États américains –, à ne pas confondre avec les Indiens, propriétaires
légitimes}
Un récit contemporain du mouvement régulateur dans le comté d’Orange
dresse un saisissant portrait de la situation : « Les gens d’Orange étaient
humiliés par le shérif ; volés, pillés […], méprisés et condamnés par
l’administration ; trompés par les magistrats ; contraints d’accepter des prix
dictés par la seule avarice de l’administrateur et des impôts qui, pensaient-ils, ne
servaient qu’à enrichir la poignée d’individus qui les traitaient avec une
continuelle arrogance. En outre, ils ne voyaient pas de fin à toutes ces misères
puisque les puissants et les juges étaient ceux-là mêmes dont l’intérêt était
d’opprimer et d’exploiter les travailleurs. »
Dans les années 1760, les Régulateurs du comté d’Orange s’organisèrent afin
d’empêcher la collecte des impôts ou la saisie de ceux qui ne s’en étaient pas
acquittés. L’administration déclara qu’« une insurrection totale aux visées
dangereuses [avait] éclaté dans le comté d’Orange » et envisagea une répression
militaire. Sept cents fermiers en armes avaient, un jour, imposé la libération de
deux chefs régulateurs emprisonnés. En 1768, les Régulateurs adressèrent une
pétition au gouvernement de Caroline du Nord dénonçant « l’inégalité des
chances entre le pauvre, le faible et le riche, le puissant ».
Dans un autre comté, celui d’Anson, un colonel de la milice locale se
plaignait des « troubles, insurrections et brutalités sans exemple qui frappent
actuellement ce comté ». Une autre fois, une centaine d’hommes interrompirent
un procès à la cour du comté. Ils essayèrent également de faire élire des fermiers
à l’assemblée, affirmant que « la majorité de cette assemblée [était] composée
d’hommes de loi, de clercs et autres personnalités qui [étaient] en relations
permanentes ». En 1770, il y eut une importante émeute à Hillsborough
(Caroline du Nord), au cours de laquelle un procès fut interrompu. Le juge fut
contraint de prendre la fuite ; les avocats, ainsi que deux marchands, furent roués
de coups ; et les entrepôts furent pillés.
Après tous ces événements, l’Assemblée de la colonie engagea bien quelques
réformes mais elle fit également voter un décret pour « prévenir les émeutes et
les troubles », tandis que le gouverneur s’organisait afin de mieux les réprimer
militairement. En mai 1771 eut lieu une bataille décisive au cours de laquelle
plusieurs milliers de Régulateurs furent vaincus par une armée parfaitement
disciplinée et soutenue par l’artillerie. Six Régulateurs furent pendus. Kay
prétend que dans les comtés d’Orange, d’Anson et de Rowan, où il était le plus
important, le mouvement des Régulateurs avait le soutien de six à sept mille
hommes sur une population blanche et imposable totale de huit mille individus.
L’un des effets de ce terrible conflit fut qu’une petite minorité seulement,
parmi ceux qui vivaient dans ces comtés où le mouvement des Régulateurs avait
bénéficié du soutien populaire, semble avoir répondu à la rhétorique patriotique
de la guerre d’indépendance. Les autres observèrent sans doute une parfaite
neutralité."
-Howard Zinn, Une Histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2002, 810 pages.