https://fr.1lib.fr/book/11253922/0df580
"La dictature de la pensée unique est déjà en place à la mort de Lénine, avec la création d’une police politique, la Tchéka, pour en assurer le bon fonctionnement. Un changement d’échelle s’opère sous Staline, la pensée unique doit désormais régner au sein même du parti. La chasse aux opposants ne cesse d’élargir son champ, et le Goulag de s’étendre
géographiquement : assurément la parole du parti est la seule vérité et nul ne saurait ne pas la tenir pour telle. Cette situation s’exporte chez les communistes du monde entier : nulle part un militant ne saurait avoir une opinion personnelle sur un fait, moins encore sur un problème, « tant que le parti n’en a pas délibéré »."
-Marc Ferro, préface de 2017 à Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, Gallimard, 2017 (1980 pour la première édition).
"À travers l’exemple soviétique, cet ouvrage a pour but d’analyser le passage de la démocratie au communisme bureaucratique, dans une de ses variantes du moins."
"L’épreuve révolutionnaire opposa, certes, des groupes sociaux antagonistes (patrons / ouvriers, pomescki (propriétaires terriens) / moujiks, Russes / non-Russes, etc.), mais aussi, au sein du même groupe, des citoyens qui ne percevaient pas leur identité de la même façon, celle-ci ne se réduisant pas à un seul de ses attributs. En témoigne, lors de la révolution de 1917, l’exemple historique des ouvrières tatares de Kazan. Comment analyser leur attitude dans les luttes révolutionnaires et comment définir leur identité sans faire l’inventaire de tous ses attributs ? Musulmanes, ces citoyennes sont des persécutées de la Foi, l’Islam est leur Maison, leur raison d’être. En tant que citoyennes de la nation tatare, elles se sentent également atteintes dans une autre dimension de leur personnalité collective, que l’État oppresseur, la Russie, ignore ou combat aussi bien, par exemple en s’appuyant contre elle sur les Bachkirs : elles participent ainsi au mouvement national tatar. Ouvrières, certaines d’entre elles se considèrent avant tout comme des prolétaires, et elles militent dans des organisations de leur classe, syndicats ou partis socialistes, sinon les deux. Quelques-unes adhèrent au mouvement féministe, si actif dans l’Islam russe à cette époque. Il en est enfin, parmi elles, qui adhèrent à des mouvements de Jeunes, mettant en cause avant tout les contraintes que leur impose la famille traditionnelle. Ces différents traits expriment une identité sociale complexe ; ils sont indissociables les uns des autres, même s’ils ne sont pas tous également vivants et conscients. Or, chacun d’entre eux est à l’origine d’une solidarité spécifique, d’une adhésion ou d’une participation, chacune instituant son champ de certitudes et de croyances, créant ses symboles, définissant rites, règles et contraintes.
Ainsi, contrairement à la troisième légende, perpétuée par la vulgate bolchevik et antibolchevik, cette complexité ne se réduit pas à un affrontement entre classes ou entre partis représentant des classes. Il existe plusieurs systèmes de conflits que les documents qui sont présentés ici ont permis de retrouver. Ils prouvent que la genèse de la société soviétique fut un affrontement entre organisations de type différent (syndicats contre comités d’usine, partis politiques contre syndicats, institutions de démocratie directe contre institutions représentatives, etc.) autant qu’un affrontement entre partis politiques ayant une idéologie différente."
-Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, Gallimard, 2017 (1980 pour la première édition).
"La dictature de la pensée unique est déjà en place à la mort de Lénine, avec la création d’une police politique, la Tchéka, pour en assurer le bon fonctionnement. Un changement d’échelle s’opère sous Staline, la pensée unique doit désormais régner au sein même du parti. La chasse aux opposants ne cesse d’élargir son champ, et le Goulag de s’étendre
géographiquement : assurément la parole du parti est la seule vérité et nul ne saurait ne pas la tenir pour telle. Cette situation s’exporte chez les communistes du monde entier : nulle part un militant ne saurait avoir une opinion personnelle sur un fait, moins encore sur un problème, « tant que le parti n’en a pas délibéré »."
-Marc Ferro, préface de 2017 à Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, Gallimard, 2017 (1980 pour la première édition).
"À travers l’exemple soviétique, cet ouvrage a pour but d’analyser le passage de la démocratie au communisme bureaucratique, dans une de ses variantes du moins."
"L’épreuve révolutionnaire opposa, certes, des groupes sociaux antagonistes (patrons / ouvriers, pomescki (propriétaires terriens) / moujiks, Russes / non-Russes, etc.), mais aussi, au sein du même groupe, des citoyens qui ne percevaient pas leur identité de la même façon, celle-ci ne se réduisant pas à un seul de ses attributs. En témoigne, lors de la révolution de 1917, l’exemple historique des ouvrières tatares de Kazan. Comment analyser leur attitude dans les luttes révolutionnaires et comment définir leur identité sans faire l’inventaire de tous ses attributs ? Musulmanes, ces citoyennes sont des persécutées de la Foi, l’Islam est leur Maison, leur raison d’être. En tant que citoyennes de la nation tatare, elles se sentent également atteintes dans une autre dimension de leur personnalité collective, que l’État oppresseur, la Russie, ignore ou combat aussi bien, par exemple en s’appuyant contre elle sur les Bachkirs : elles participent ainsi au mouvement national tatar. Ouvrières, certaines d’entre elles se considèrent avant tout comme des prolétaires, et elles militent dans des organisations de leur classe, syndicats ou partis socialistes, sinon les deux. Quelques-unes adhèrent au mouvement féministe, si actif dans l’Islam russe à cette époque. Il en est enfin, parmi elles, qui adhèrent à des mouvements de Jeunes, mettant en cause avant tout les contraintes que leur impose la famille traditionnelle. Ces différents traits expriment une identité sociale complexe ; ils sont indissociables les uns des autres, même s’ils ne sont pas tous également vivants et conscients. Or, chacun d’entre eux est à l’origine d’une solidarité spécifique, d’une adhésion ou d’une participation, chacune instituant son champ de certitudes et de croyances, créant ses symboles, définissant rites, règles et contraintes.
Ainsi, contrairement à la troisième légende, perpétuée par la vulgate bolchevik et antibolchevik, cette complexité ne se réduit pas à un affrontement entre classes ou entre partis représentant des classes. Il existe plusieurs systèmes de conflits que les documents qui sont présentés ici ont permis de retrouver. Ils prouvent que la genèse de la société soviétique fut un affrontement entre organisations de type différent (syndicats contre comités d’usine, partis politiques contre syndicats, institutions de démocratie directe contre institutions représentatives, etc.) autant qu’un affrontement entre partis politiques ayant une idéologie différente."
-Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, Gallimard, 2017 (1980 pour la première édition).