"C’était une armée dont les origines remontaient à la révolution de la fin des années 1940 et en Indonésie, on parle bien de « la Révolution Indonésienne ». Reste à savoir, cela dit, de quelle genre de révolution on parle exactement : le mot renvoie, en l’occurrence, à la lutte contre les Néerlandais qui tentaient, à la fin des années 1940, de recoloniser les Indes néerlandaises. Ce fut une lutte armée. Les Néerlandais finirent par renoncer en 1949, quand les États-Unis décidèrent de cesser leur soutien financier à la répression de ce qui s’avérait être, selon eux, un mouvement non-communiste de nationalistes indonésiens.
C’est donc une histoire intéressante. En 1949, les États-Unis constatent que les nationalistes indonésiens sont anticommunistes parce que fin 1948, ils avaient réprimé un soulèvement communiste d’ampleur très limitée. On pouvait donc compter sur leur anticommunisme. Pour les États-Unis, pas d’objection à ce que ces gens accèdent à leur indépendance !"
"Au Vietnam, cependant, les États-Unis continuèrent d’apporter leur aide financière aux Français jusqu’à la défaite de l’armée française en 1954."
"En 1955, lors des premières élections législatives, le PKI arriva à la quatrième place, talonnant les partis arrivés en tête, et comptait donc parmi les quatre principales formations. Celles-ci se situaient tout juste au-delà des vingt pour cent et aucun parti n’avait d’avance nette sur les autres. Le PKI était donc de ceux-là et était maintenant très important. Beaucoup en furent surpris et les anticommunistes en état de choc : mais d’où sortaient donc tous ces gens ?! Beaucoup ne savaient rien de cette intervention dans les masses en cours depuis les années 1920, avec tous ces militants respectés des pauvres qui y voyaient leur soutien, leurs protecteurs, défendant leurs intérêts.
Le PKI s’édifia sur cette base alors bien en place au début des années 1950, s’appuyant sur la réputation de ses militants engagés dans la lutte pour l’indépendance. Fort de la protection de Sukarno contre la répression exercée par les diverses élites qui voulaient l’attaquer, le parti fut en mesure de se développer davantage. Cet accord avec Sukarno remonte principalement à 1959 lorsque celui-ci lança la politique de « Démocratie guidée »[5], soutenue par le PKI qui érigea alors Sukarno en dirigeant du parti hors du parti. Il fallait le suivre et le protéger. Mais en retour, il fallut modérer certaines interventions et se tourner plus vers la construction du parti, le recrutement d’un nombre toujours plus important de militants. Il leur était donc possible d’agir plus au grand jour, au cours de ces six années de la « Démocratie guidée », sans crainte de la répression. Le parti tira avantage de cette conjoncture et attira beaucoup de gens dans ses rangs (on ne sait pas bien combien exactement : le parti gonflait toujours ses chiffres pour annoncer des millions de membres, mais il demeure que ce soutien était massif). On comptait bel et bien des millions – combien précisément, on ne sait pas – de membres, de sympathisants sous une forme ou une autre, dans telles ou telles organisations de masse. Le parti en créa un grand nombre, qui lui servaient de vitrine, mais qui permettaient à toute personne de soutenir le parti sans en devenir membre à part entière. Paysans, femmes, travailleurs, artistes, et ainsi de suite (l’organisation de jeunesse étant par ailleurs celle du parti lui-même)."
"En 1965, le dirigeant national du PKI, D. N. Aidit, (c’est l’objet de mon livre de 2006, Pretext for Mass Murder), entendait utiliser cette présence clandestine du parti au sein de l’armée pour conduire une action destinée à en purger la direction. Aidit eut donc recours à cette dimension clandestine, non-officielle du parti, à ce réseau de sympathisants dans l’armée pour passer à l’action. Ce fut un échec que l’on attribua au parti tout entier dont les militants furent persécutés et assassinés."
"Lors de la création du parti en 1920, une de ses principales stratégies organisationnelles consista à prendre appui sur une organisation déjà existante et très populaire dans la province centrale de Java : l’Association islamique (Sarekat Islam). Le PKI organisait aussi des ouvriers d’industrie, des dockers et des employés des chemins de fer. Mais afin de gagner en surface, il intégra l’Association islamique et, ce faisant, reconnut dans l’islam une religion de justice sociale.
Il y avait de nombreux savants de l’islam dans les années 1920 à Java (des Kyais), qui appréciaient le parti communiste et voyaient dans son idéal de justice sociale l’objet même de l’islam. Le principe directeur pour tout bon musulman était de se battre pour la justice sociale. Pour cette génération des années 1920-1930, l’alliance entre communisme et islam avait une grande importance. Les choses changèrent dans les années 1940 avec la montée du nationalisme, après 1945, lorsque la nature de la mobilisation politique se diversifia ; les organisations islamiques n’étaient pas les seules à lutter pour l’indépendance indonésienne et le parti perdit ce lien fort avec ce type de théologie de la libération propre à l’Islam. Il en restait néanmoins quelque chose après 1945 et encore nombreux étaient ceux pour qui cette relation avait toujours cours.
À l’indépendance et après 1950, le choix du parti fut simplement d’éviter la question religieuse. La religion est l’affaire personnelle de chacun : « nous ne sommes pas anti-religieux, c’est une question privée, un droit que chacun a de choisir la religion qu’il veut, ou de ne pas avoir de religion du tout. » Nombre de sympathisants du PKI étaient musulmans et le restèrent. Les dirigeants nationaux du parti étaient souvent présentés comme athées mais ceux-ci n’essayaient pas de promouvoir l’athéisme chez les militants de base du parti. Encore une fois, il revenait à chacun de déterminer la religion qu’il ou elle voulait suivre, que ce soit le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme… Ça ne concernait pas le parti. En 1965, on trouvait encore un certain nombre de gens dans le parti pour qui cette question restait importante, qui écrivaient sur le sujet, estimaient que selon « l’interprétation correcte de l’islam », la priorité allait à la justice sociale."
" [Les nationalistes] allaient s’emparer du pouvoir d’État en 1965 et il leur fallait beaucoup d’investissements étrangers, des aides étrangères, des aides militaires, et tous ces communistes morts servaient à l’armée indonésienne à faire passer le message aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et au reste du monde : « Nous sommes anticommunistes et nous avons éliminé le parti communiste. C’est ce que vous vouliez. Où sont les sous ? » C’était de ce niveau !"
"L’École militaire des Amériques fut créée en 1946 dans la région du canal de Panama (sous le nom de « Centre d’information d’Amérique latine avant de devenir l’École des Amériques en 1963). Elle fut relocalisée aux États-Unis en Géorgie dans les années 1980. Elle forma plusieurs dizaines de milliers des militaires, policiers et civils venus de toute l’Amérique latine qui organisèrent la torture, les assassinats, les disparitions et la répression de tous les mouvements populaires au titre de la lutte « contre-insurrectionnelle » et « anticommuniste »."
-Le Parti communiste indonésien : l’extermination oubliée. Entretien avec John Roosa, Contretemps, 2 novembre 2021: https://www.contretemps.eu/parti-communiste-indonesie-extermination-entretien-roosa/
C’est donc une histoire intéressante. En 1949, les États-Unis constatent que les nationalistes indonésiens sont anticommunistes parce que fin 1948, ils avaient réprimé un soulèvement communiste d’ampleur très limitée. On pouvait donc compter sur leur anticommunisme. Pour les États-Unis, pas d’objection à ce que ces gens accèdent à leur indépendance !"
"Au Vietnam, cependant, les États-Unis continuèrent d’apporter leur aide financière aux Français jusqu’à la défaite de l’armée française en 1954."
"En 1955, lors des premières élections législatives, le PKI arriva à la quatrième place, talonnant les partis arrivés en tête, et comptait donc parmi les quatre principales formations. Celles-ci se situaient tout juste au-delà des vingt pour cent et aucun parti n’avait d’avance nette sur les autres. Le PKI était donc de ceux-là et était maintenant très important. Beaucoup en furent surpris et les anticommunistes en état de choc : mais d’où sortaient donc tous ces gens ?! Beaucoup ne savaient rien de cette intervention dans les masses en cours depuis les années 1920, avec tous ces militants respectés des pauvres qui y voyaient leur soutien, leurs protecteurs, défendant leurs intérêts.
Le PKI s’édifia sur cette base alors bien en place au début des années 1950, s’appuyant sur la réputation de ses militants engagés dans la lutte pour l’indépendance. Fort de la protection de Sukarno contre la répression exercée par les diverses élites qui voulaient l’attaquer, le parti fut en mesure de se développer davantage. Cet accord avec Sukarno remonte principalement à 1959 lorsque celui-ci lança la politique de « Démocratie guidée »[5], soutenue par le PKI qui érigea alors Sukarno en dirigeant du parti hors du parti. Il fallait le suivre et le protéger. Mais en retour, il fallut modérer certaines interventions et se tourner plus vers la construction du parti, le recrutement d’un nombre toujours plus important de militants. Il leur était donc possible d’agir plus au grand jour, au cours de ces six années de la « Démocratie guidée », sans crainte de la répression. Le parti tira avantage de cette conjoncture et attira beaucoup de gens dans ses rangs (on ne sait pas bien combien exactement : le parti gonflait toujours ses chiffres pour annoncer des millions de membres, mais il demeure que ce soutien était massif). On comptait bel et bien des millions – combien précisément, on ne sait pas – de membres, de sympathisants sous une forme ou une autre, dans telles ou telles organisations de masse. Le parti en créa un grand nombre, qui lui servaient de vitrine, mais qui permettaient à toute personne de soutenir le parti sans en devenir membre à part entière. Paysans, femmes, travailleurs, artistes, et ainsi de suite (l’organisation de jeunesse étant par ailleurs celle du parti lui-même)."
"En 1965, le dirigeant national du PKI, D. N. Aidit, (c’est l’objet de mon livre de 2006, Pretext for Mass Murder), entendait utiliser cette présence clandestine du parti au sein de l’armée pour conduire une action destinée à en purger la direction. Aidit eut donc recours à cette dimension clandestine, non-officielle du parti, à ce réseau de sympathisants dans l’armée pour passer à l’action. Ce fut un échec que l’on attribua au parti tout entier dont les militants furent persécutés et assassinés."
"Lors de la création du parti en 1920, une de ses principales stratégies organisationnelles consista à prendre appui sur une organisation déjà existante et très populaire dans la province centrale de Java : l’Association islamique (Sarekat Islam). Le PKI organisait aussi des ouvriers d’industrie, des dockers et des employés des chemins de fer. Mais afin de gagner en surface, il intégra l’Association islamique et, ce faisant, reconnut dans l’islam une religion de justice sociale.
Il y avait de nombreux savants de l’islam dans les années 1920 à Java (des Kyais), qui appréciaient le parti communiste et voyaient dans son idéal de justice sociale l’objet même de l’islam. Le principe directeur pour tout bon musulman était de se battre pour la justice sociale. Pour cette génération des années 1920-1930, l’alliance entre communisme et islam avait une grande importance. Les choses changèrent dans les années 1940 avec la montée du nationalisme, après 1945, lorsque la nature de la mobilisation politique se diversifia ; les organisations islamiques n’étaient pas les seules à lutter pour l’indépendance indonésienne et le parti perdit ce lien fort avec ce type de théologie de la libération propre à l’Islam. Il en restait néanmoins quelque chose après 1945 et encore nombreux étaient ceux pour qui cette relation avait toujours cours.
À l’indépendance et après 1950, le choix du parti fut simplement d’éviter la question religieuse. La religion est l’affaire personnelle de chacun : « nous ne sommes pas anti-religieux, c’est une question privée, un droit que chacun a de choisir la religion qu’il veut, ou de ne pas avoir de religion du tout. » Nombre de sympathisants du PKI étaient musulmans et le restèrent. Les dirigeants nationaux du parti étaient souvent présentés comme athées mais ceux-ci n’essayaient pas de promouvoir l’athéisme chez les militants de base du parti. Encore une fois, il revenait à chacun de déterminer la religion qu’il ou elle voulait suivre, que ce soit le bouddhisme, l’hindouisme, le christianisme… Ça ne concernait pas le parti. En 1965, on trouvait encore un certain nombre de gens dans le parti pour qui cette question restait importante, qui écrivaient sur le sujet, estimaient que selon « l’interprétation correcte de l’islam », la priorité allait à la justice sociale."
" [Les nationalistes] allaient s’emparer du pouvoir d’État en 1965 et il leur fallait beaucoup d’investissements étrangers, des aides étrangères, des aides militaires, et tous ces communistes morts servaient à l’armée indonésienne à faire passer le message aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et au reste du monde : « Nous sommes anticommunistes et nous avons éliminé le parti communiste. C’est ce que vous vouliez. Où sont les sous ? » C’était de ce niveau !"
"L’École militaire des Amériques fut créée en 1946 dans la région du canal de Panama (sous le nom de « Centre d’information d’Amérique latine avant de devenir l’École des Amériques en 1963). Elle fut relocalisée aux États-Unis en Géorgie dans les années 1980. Elle forma plusieurs dizaines de milliers des militaires, policiers et civils venus de toute l’Amérique latine qui organisèrent la torture, les assassinats, les disparitions et la répression de tous les mouvements populaires au titre de la lutte « contre-insurrectionnelle » et « anticommuniste »."
-Le Parti communiste indonésien : l’extermination oubliée. Entretien avec John Roosa, Contretemps, 2 novembre 2021: https://www.contretemps.eu/parti-communiste-indonesie-extermination-entretien-roosa/