https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_du_2-Mars
https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-4.htm
"De la gauche de gouvernement à la droite radicale, la « république » s’est en effet définitivement imposée comme la référence hégémonique de la politique française, au détriment des autres marqueurs historiques de l’histoire française qu’ont pu être la « démocratie », le « peuple », la « révolution », voire le « socialisme »."
"Le brouillage idéologique constitué autour d’une République solitaire et autoritaire, transformée en vigie pour monde déboussolé, est en effet passé par différents canaux intellectuels et militants, qui ont déréglé le partage des rôles entre la droite et la gauche, tout en pavant la voie au désarroi et à l’impuissance de cette dernière."
"Comme l’écrit Pierre-André Taguieff, l’un de ses principaux piliers, dans un article du Monde en date du 18 mai 1998, ce nouveau républicanisme est surtout « l’expression d’une nouvelle alliance qui ne peut être institutionnalisée politiquement mais qui va des franges du PC aux franges du RPR ». Cette nébuleuse intellectuelle possède un grand homme (De Gaulle), deux successeurs possibles (Séguin et Chevènement), deux intellectuels organiques (Régis Debray et Emmanuel Todd), un journal créé pour l’occasion en 1997 (Marianne) et une fondation, d’abord baptisée Marc Bloch, puis Fondation du 2 mars."
"L’une des chevilles ouvrières de ce courant « national-républicain » est Paul-Marie Coûteaux, énarque passé au cabinet de Chevènement quand il était ministre de la Défense, puis à celui de Séguin à la présidence de l’Assemblée nationale, avant de rejoindre Pasqua en 1999, de soutenir Chevènement lors de la campagne présidentielle de 2002, d’être élu député européen sur les listes de Philippe de Villiers de 1999 à 2009, puis de créer un micro-parti souverainiste, le SIEL, qui se voulait une passerelle vers le Front national… « La formule “nationaux-républicains” nous a été accolée par un article du Monde, explique-t-il aujourd’hui.Notre point de ralliement était la revendication de souveraineté économique et l’indépendance nationale par rapport à l’Union européenne et l’OTAN, mais aussi l’affirmation de l’autorité de l’État. Nous avons eu un vrai succès avec les Européennes de 1999. Mais il y a ensuite eu une pagaille entre Séguin, Guaino et de Villiers et les rapprochements qui étaient possibles au sein d’un club n’ont pas réussi à être convertis dans un parti. On voulait faire du gaullisme, du “ni droite ni gauche”, mais Chevènement nous a bien roulés dans la farine. Il voulait juste devenir ministre de Jospin. »."
"Une partie de cette nébuleuse, animée par un rejet de l’islam de plus en plus virulent et affolée par des banlieues prétendument devenues des « territoires perdus de la République » – titre d’un livre qui paraît en 2002 et fait florès –, rompt alors définitivement les amarres avec la gauche. « On a vu des gens de gauche modifier leur vision du monde, explique Gaël Brustier. Des personnes comme Élisabeth Lévy ou Pierre-André Taguieff basculent à ce moment-là dans le camp des néoconservateurs. Pour eux, le danger n’est plus l’extrême droite, mais l’islamisme. C’est ce qui va donner Causeur. »"
"Si le chevènementisme n’a été qu’à la marge un sas vers l’extrême droite, il a pu contribuer à un reconditionnement des idées de gauche dans une perspective plus droitière, notamment dans son rapport à l’ordre et à la nation."
"Dans Le Vieux, la Crise et le Neuf, livre que Chevènement publie en 1975, vous trouvez des chapitres sur l’école qui militent à fond pour des innovations pédagogiques diamétralement opposées aux thématiques jules-ferrystes développées par Chevènement lorsqu’il deviendra ministre de l’Éducation nationale, entre 1984 et 1986. »."
"Congrès d’Épinay en 1971. Lors de ce congrès, Jean-Pierre Chevènement et ses amis, qui représentent alors environ 10 % des militants socialistes avant de monter à près de 25 % au milieu des années 1970, permettent à François Mitterrand de prendre la tête du PS, sur une ligne d’union de la gauche avec le PCF, qui débouchera sur le Programme commun. Dès cette époque, les membres du CERES aiment à se définir comme « anti-anti-marxistes » et se perçoivent comme un axe central capable de faire la jonction entre les communistes et les socialistes afin de construire un socialisme à l’intérieur de la social-démocratie. Ils pensent leur action politique non seulement sous forme de courant politique, mais aussi comme une bataille des idées en continu et disposent pour cela d’une revue mensuelle, d’une école de formation, organisent d’incessants colloques et contribuent ainsi à former des générations de cadres et de militants.
En 1986, comme un symbole d’une nouvelle ère, le CERES se transforme en Socialisme et République. « Les thèmes républicains ont alors commencé à essaimer de manière timidement conservatrice, poursuit Philippe Corcuff, notamment sur l’école, où Chevènement a été influencé par Jean-Claude Milner ou Blandine Barret-Kriegel plutôt que par Bourdieu et Passeron. Jean-Pierre Chevènement a aussi donné une audience favorable au livre de Ferry et Renaut sur la « Pensée 68 », qui était pour moi une abomination dénonçant les pensées critiques comme les racines des décompositions intellectuelles et sociales. Il faut toutefois prendre en compte qu’il y avait un côté tactique dans ce repli sur la république comme base minimale, en forme de réponse au tournant de la rigueur de 1983, dans une période que Chevènement jugeait défavorable au socialisme. On glissait de plus en plus vers une république de citoyens abstraits, oublieux des rapports de classe ou postcoloniaux. La référence à la république était de moins en moins la république sociale à la Jaurès, et de plus en plus la république nationale et même, plus grave, la référence à la France supposée porteuse de valeurs universelles plus élevées. Et le thème de la nation et de l’exception françaises était de moins en moins connecté à l’internationalisme. »
L’autre facteur de ce glissement progressif vers la valorisation d’une nation menée par un État fort est la place prise au sein du chevènementisme par la technocratie étatique. « À la direction du CERES, on trouvait approximativement deux tiers d’énarques et un tiers de syndicalistes, eux-mêmes intégrés à l’appareil d’État après 1981 et peu à peu oublieux d’un syndicalisme “lutte des classes” », souligne Philippe Corcuff. « Le MRC était truffé de fonctionnaires issus de l’ENA », reconnaît également Jean-Yves Camus."
"Jeune énarque, il fréquente en effet le club Patrie et Progrès, un groupuscule de gaullistes de gauche, dirigé par l’énarque Philippe Rossillon, qui milite pour le maintien de l’Algérie française. Il s’y lie notamment à d’autres énarques tels Alain Gomez et Didier Motchane, avec lesquels il fondera ensuite le CERES. Sarre, Chevènement, Motchane et Gomez ont tous connu la guerre d’Algérie et mal digéré cette expérience : un verrou colonial qui a pu pousser certains d’entre eux à considérer ensuite les classes populaires issues de l’immigration musulmane comme l’une des principales menaces, banlieusarde ou islamiste, pesant sur la France."
"La droitisation de l’idéologie politique sous couvert de défense de la République et de la nation, dont le chevènementisme a été un ciment, est longtemps passée inaperçue. En effet, dans le même temps, Chevènement a été un des rares à ne pas endosser les conversions successives du socialisme français au capitalisme néolibéral, depuis le tournant de la rigueur de 1983 jusqu’au soutien mordicus à l’Europe néolibérale, lors des référendums de 1992 et 2005."
"La nation, pourquoi pas pensée d’abord comme lieu où l’on vit, vote et paye ses impôts et non comme l’expression d’une identité quelconque."
-Joseph Confavreux & Marine Turchi, « Aux sources de la nouvelle pensée unique. Du chevènementisme au FN : l’ascension d’une république conservatrice et nationaliste », Revue du Crieur, 2015/2 (N° 2), p. 4-21. DOI : 10.3917/crieu.002.0004. URL : https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-4.htm
https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-4.htm
"De la gauche de gouvernement à la droite radicale, la « république » s’est en effet définitivement imposée comme la référence hégémonique de la politique française, au détriment des autres marqueurs historiques de l’histoire française qu’ont pu être la « démocratie », le « peuple », la « révolution », voire le « socialisme »."
"Le brouillage idéologique constitué autour d’une République solitaire et autoritaire, transformée en vigie pour monde déboussolé, est en effet passé par différents canaux intellectuels et militants, qui ont déréglé le partage des rôles entre la droite et la gauche, tout en pavant la voie au désarroi et à l’impuissance de cette dernière."
"Comme l’écrit Pierre-André Taguieff, l’un de ses principaux piliers, dans un article du Monde en date du 18 mai 1998, ce nouveau républicanisme est surtout « l’expression d’une nouvelle alliance qui ne peut être institutionnalisée politiquement mais qui va des franges du PC aux franges du RPR ». Cette nébuleuse intellectuelle possède un grand homme (De Gaulle), deux successeurs possibles (Séguin et Chevènement), deux intellectuels organiques (Régis Debray et Emmanuel Todd), un journal créé pour l’occasion en 1997 (Marianne) et une fondation, d’abord baptisée Marc Bloch, puis Fondation du 2 mars."
"L’une des chevilles ouvrières de ce courant « national-républicain » est Paul-Marie Coûteaux, énarque passé au cabinet de Chevènement quand il était ministre de la Défense, puis à celui de Séguin à la présidence de l’Assemblée nationale, avant de rejoindre Pasqua en 1999, de soutenir Chevènement lors de la campagne présidentielle de 2002, d’être élu député européen sur les listes de Philippe de Villiers de 1999 à 2009, puis de créer un micro-parti souverainiste, le SIEL, qui se voulait une passerelle vers le Front national… « La formule “nationaux-républicains” nous a été accolée par un article du Monde, explique-t-il aujourd’hui.Notre point de ralliement était la revendication de souveraineté économique et l’indépendance nationale par rapport à l’Union européenne et l’OTAN, mais aussi l’affirmation de l’autorité de l’État. Nous avons eu un vrai succès avec les Européennes de 1999. Mais il y a ensuite eu une pagaille entre Séguin, Guaino et de Villiers et les rapprochements qui étaient possibles au sein d’un club n’ont pas réussi à être convertis dans un parti. On voulait faire du gaullisme, du “ni droite ni gauche”, mais Chevènement nous a bien roulés dans la farine. Il voulait juste devenir ministre de Jospin. »."
"Une partie de cette nébuleuse, animée par un rejet de l’islam de plus en plus virulent et affolée par des banlieues prétendument devenues des « territoires perdus de la République » – titre d’un livre qui paraît en 2002 et fait florès –, rompt alors définitivement les amarres avec la gauche. « On a vu des gens de gauche modifier leur vision du monde, explique Gaël Brustier. Des personnes comme Élisabeth Lévy ou Pierre-André Taguieff basculent à ce moment-là dans le camp des néoconservateurs. Pour eux, le danger n’est plus l’extrême droite, mais l’islamisme. C’est ce qui va donner Causeur. »"
"Si le chevènementisme n’a été qu’à la marge un sas vers l’extrême droite, il a pu contribuer à un reconditionnement des idées de gauche dans une perspective plus droitière, notamment dans son rapport à l’ordre et à la nation."
"Dans Le Vieux, la Crise et le Neuf, livre que Chevènement publie en 1975, vous trouvez des chapitres sur l’école qui militent à fond pour des innovations pédagogiques diamétralement opposées aux thématiques jules-ferrystes développées par Chevènement lorsqu’il deviendra ministre de l’Éducation nationale, entre 1984 et 1986. »."
"Congrès d’Épinay en 1971. Lors de ce congrès, Jean-Pierre Chevènement et ses amis, qui représentent alors environ 10 % des militants socialistes avant de monter à près de 25 % au milieu des années 1970, permettent à François Mitterrand de prendre la tête du PS, sur une ligne d’union de la gauche avec le PCF, qui débouchera sur le Programme commun. Dès cette époque, les membres du CERES aiment à se définir comme « anti-anti-marxistes » et se perçoivent comme un axe central capable de faire la jonction entre les communistes et les socialistes afin de construire un socialisme à l’intérieur de la social-démocratie. Ils pensent leur action politique non seulement sous forme de courant politique, mais aussi comme une bataille des idées en continu et disposent pour cela d’une revue mensuelle, d’une école de formation, organisent d’incessants colloques et contribuent ainsi à former des générations de cadres et de militants.
En 1986, comme un symbole d’une nouvelle ère, le CERES se transforme en Socialisme et République. « Les thèmes républicains ont alors commencé à essaimer de manière timidement conservatrice, poursuit Philippe Corcuff, notamment sur l’école, où Chevènement a été influencé par Jean-Claude Milner ou Blandine Barret-Kriegel plutôt que par Bourdieu et Passeron. Jean-Pierre Chevènement a aussi donné une audience favorable au livre de Ferry et Renaut sur la « Pensée 68 », qui était pour moi une abomination dénonçant les pensées critiques comme les racines des décompositions intellectuelles et sociales. Il faut toutefois prendre en compte qu’il y avait un côté tactique dans ce repli sur la république comme base minimale, en forme de réponse au tournant de la rigueur de 1983, dans une période que Chevènement jugeait défavorable au socialisme. On glissait de plus en plus vers une république de citoyens abstraits, oublieux des rapports de classe ou postcoloniaux. La référence à la république était de moins en moins la république sociale à la Jaurès, et de plus en plus la république nationale et même, plus grave, la référence à la France supposée porteuse de valeurs universelles plus élevées. Et le thème de la nation et de l’exception françaises était de moins en moins connecté à l’internationalisme. »
L’autre facteur de ce glissement progressif vers la valorisation d’une nation menée par un État fort est la place prise au sein du chevènementisme par la technocratie étatique. « À la direction du CERES, on trouvait approximativement deux tiers d’énarques et un tiers de syndicalistes, eux-mêmes intégrés à l’appareil d’État après 1981 et peu à peu oublieux d’un syndicalisme “lutte des classes” », souligne Philippe Corcuff. « Le MRC était truffé de fonctionnaires issus de l’ENA », reconnaît également Jean-Yves Camus."
"Jeune énarque, il fréquente en effet le club Patrie et Progrès, un groupuscule de gaullistes de gauche, dirigé par l’énarque Philippe Rossillon, qui milite pour le maintien de l’Algérie française. Il s’y lie notamment à d’autres énarques tels Alain Gomez et Didier Motchane, avec lesquels il fondera ensuite le CERES. Sarre, Chevènement, Motchane et Gomez ont tous connu la guerre d’Algérie et mal digéré cette expérience : un verrou colonial qui a pu pousser certains d’entre eux à considérer ensuite les classes populaires issues de l’immigration musulmane comme l’une des principales menaces, banlieusarde ou islamiste, pesant sur la France."
"La droitisation de l’idéologie politique sous couvert de défense de la République et de la nation, dont le chevènementisme a été un ciment, est longtemps passée inaperçue. En effet, dans le même temps, Chevènement a été un des rares à ne pas endosser les conversions successives du socialisme français au capitalisme néolibéral, depuis le tournant de la rigueur de 1983 jusqu’au soutien mordicus à l’Europe néolibérale, lors des référendums de 1992 et 2005."
"La nation, pourquoi pas pensée d’abord comme lieu où l’on vit, vote et paye ses impôts et non comme l’expression d’une identité quelconque."
-Joseph Confavreux & Marine Turchi, « Aux sources de la nouvelle pensée unique. Du chevènementisme au FN : l’ascension d’une république conservatrice et nationaliste », Revue du Crieur, 2015/2 (N° 2), p. 4-21. DOI : 10.3917/crieu.002.0004. URL : https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-4.htm