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    1797 : Babeuf, premier révolutionnaire communiste ?

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    1797 : Babeuf, premier révolutionnaire communiste ? Empty 1797 : Babeuf, premier révolutionnaire communiste ?

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 29 Nov - 22:42

    https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1797-Babeuf-premier-revolutionnaire-communiste

    "Le 8 prairial an V de la révolution (27 mai 1797), François-Noël « Gracchus » Babeuf et son acolyte Augustin Darthé sont guillotinés à Vendôme (Loir-et-Cher) après un long procès qui démontrait la volonté de la République bourgeoise de mettre un terme à la Révolution.

    Continuer la Révolution française, en allant jusqu’au bout de la revendication d’égalité affirmée en 1789 : c’est bien l’objectif de la « Conjuration des Égaux », qui se trame dans les dernières années de la Ire République, en 1796. Une République bourgeoise, gouvernée par le régime du Directoire, qui veut à tout prix refermer la parenthèse révolutionnaire pour garantir le pouvoir des classes possédantes.

    Au plus fort des événements, entre 1792 et 1793, les sections de sans-culottes, qui formaient la base populaire mais aussi l’aile gauche de la révolution, ont quasi imposé un double pouvoir aux parlementaires bourgeois, jugés timorés, qui siégeaient à la Convention. La Conjuration des Égaux de 1796-1797 est en fait l’ultime sursaut de cette aile gauche, populaire et agissante, qui refuse de se voir voler 1789 par les parlementaires bourgeois.

    À la recherche de l’égalité
    Après 1789, le peuple révolutionnaire s’était organisé de façon autonome en créant des sociétés populaires [1], fortement réprimées pendant la Terreur. Après le coup d’État du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) s’ouvre une période de réaction visant à maintenir une domination des riches sur le peuple. Le gouvernement du Directoire instaure une « république des propriétaires », basée sur un suffrage censitaire étroitement contrôlé. C’est cette réaction thermidorienne qu’entendent combattre les Égaux regroupés autour de Gracchus Babeuf.

    François-Noël Babeuf – qui se fait appeler Gracchus en référence à des réformateurs sociaux de la Rome antique – est un « bras-nus » d’origine picarde, qui a participé à la révolution dès ses débuts à Paris, dans le mouvement sans-culotte. Lors de la réaction de 1794, il a 34 ans, et tire les leçons d’une révolution inachevée. Constatant que l’égalité proclamée dès 1789 n’a abouti qu’à remplacer une aristocratie (la noblesse) par une autre (la bourgeoisie) sans améliorer le sort du peuple, il s’interroge sur les moyens d’assurer la subsistance pour tous. Sa conclusion est qu’il faut prendre le problème à la source : la production et la répartition des richesses. Il lance le slogan « les fruits sont à tout le monde, la terre à personne ».

    Trois mois après le coup d’État de thermidor, il crée un journal d’opposition, Le Tribun du peuple, et impulse une coalition des « républicains plébéiens ». Les partisans de Babeuf – ou « babouvistes » pour la postérité – sont d’anciens robespierristes (comme Filippo Buonarroti), des partisans d’une Terreur extrême (Augustin Darthé) ou des personnalités inclassables comme le poète Sylvain Maréchal, militant de l’athéisme et vu comme un des précurseurs de l’anarchisme par l’historien Max Nettlau [2].


    En octobre 1794, trois mois après Thermidor, Babeuf lance un journal d’opposition, Le Tribun du peuple.
    Maréchal rédige un Manifeste des Égaux qui exige la fin des « révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés » et l’égalité totale basée sur « la communauté des biens ». Les Égaux imaginent une sorte de communisme [3] basé sur la propriété nationale de la terre, la redistribution des profits et la transformation des citoyennes et des citoyens en producteurs associés dans des communautés. Mais ce manifeste est jugé trop radical par certains des républicains plébéiens, et Babeuf refuse sa diffusion pour préserver ses alliances.

    La conjuration
    Face la répression thermidorienne qui s’accroît, le mouvement des républicains plébéiens se mue en une société secrète qui prend le nom de « Conjuration des Égaux », pour préparer une insurrection et le rétablissement de la constitution de 1793 [4]. La question de la propriété y est aussi discutée mais ne fait pas l’unanimité. Toutefois, le projet de la conjuration prévoit la suppression de l’héritage et, formule consensuelle, « la jouissance collective immédiate des biens communaux ».

    Le réseau de conjurés s’étend sur tous les arrondissements parisiens et dans quelques grandes villes de France. Il est dirigé par un « directoire secret de salut public ». La conjuration n’aura cependant pas le temps de mettre ses plans à exécution.

    Le 10 mai 1796, les meneurs sont arrêtés – à l’exception de Sylvain Maréchal – et 65 personnes sont traduites en justice. Si 56 sont acquittés, 7 (dont Buonarroti) sont condamnés à la déportation, la peine capitale étant réservée aux deux principaux responsables, Babeuf et Darthé. La répression contraint la plupart des babouvistes au silence et à la fuite, mais certains réapparaîtront dans les insurrections des années 1830 et 1840, auréolés de la légende de Babeuf. Les révolutionnaires du XIXe siècle auront tendance à voir dans Babeuf un précurseur du communisme.

    Un premier projet communiste ?
    Gracchus Babeuf est en fait devenu un précurseur « officiel » du marxisme, enseigné dans les écoles soviétiques, parce que les staliniens ont eu besoin d’un père fondateur que l’on puisse rattacher à des événements et à des principes consensuels : la Révolution française et la revendication de l’égalité. Mais on a aussi voulu voir chez Babeuf l’esquisse de la « dictature du prolétariat » et de la conception léniniste du « parti de révolutionnaires professionnels ».

    Il est vrai que la conjuration des Égaux était dirigée par un comité secret, chargé de diriger les opérations révolutionnaires et de constituer une autorité révolutionnaire provisoire. Cette organisation secrète centralisée se donnait comme but de prendre le pouvoir d’État avant tout, ce qui suscitera, à la fin du XIXe siècle, les critiques de l’anarchiste Kropotkine, jugeant que Babeuf faisait trop confiance à la Constitution de 1793 et donc au jeu institutionnel, ainsi qu’à l’autorité des chefs conspirateurs [5].

    C’est oublier un peu vite que le passage à la clandestinité des Égaux n’intervient qu’en 1797, dans le contexte d’une montée de la répression contre les « jusqu’au-boutistes » révolutionnaires. D’autre part, même dans ces conditions, la stratégie adoptée pour préparer l’insurrection a fait l’objet de négociations entre les différents partenaires. Babeuf avait demandé que, dès le succès de l’insurrection, le comité secret soit responsable de ses actes devant le peuple de Paris, réuni en assemblée, qui choisirait aussitôt la nouvelle forme d’autorité publique. Il avait aussi été convenu de la mise sur pied d’une armée populaire, contrôlée par la base, et une éducation populaire permettant à chaque citoyen de jouer pleinement son rôle dans le nouveau système.

    De plus, Buonarroti avait déjà analysé le danger de la concentration des pouvoirs entre les mains d’une « classe exclusivement au fait des principes de l’art social, des lois et de l’administration [qui] trouverait bientôt le secret de se créer des distinctions et des privilèges » mettant en place une « nouvelle servitude d’autant plus dure, qu’elle paraîtrait légale et volontaire ».

    Le supposé autoritarisme de la Conjuration des Égaux, largement exagérée par Buonarroti dans ses mémoires [6], est contredit par le projet révolutionnaire de Babeuf, qui imaginait un pouvoir issu des « assemblées de souveraineté » du peuple.

    Les débats des babouvistes sur le projet de société ont en fait surtout eu lieu en 1795. Par la suite, ils sont passés au second plan de leurs préoccupations, les Égaux se concentrant surtout sur les moyens à mettre en œuvre et les alliances à tisser pour renverser le Directoire et éviter une restauration monarchique...

    Un premier parti communiste ?
    La Conjuration des Égaux a aussi été considérée comme un premier parti communiste, « précurseur des soulèvements populaires » selon Rosa Luxembourg. Les babouvistes se fixaient comme objectif de combattre le royalisme qui regagnait en influence à mesure que la République s’éloignait des plus pauvres et d’amener le peuple à s’organiser de façon autonome, sur des bases de « classe ». Pour toucher le peuple, les Égaux avaient imaginé divers moyens : les journaux et affiches naturellement, mais aussi des réunions publiques ou des chansons révolutionnaires.

    Selon Buonarroti, les babouvistes avaient compris que « le droit d’abattre le pouvoir tyrannique étant par la nature des choses délégué à la section du peuple qui l’avoisine, c’est à elle qu’est aussi délégué le droit de le remplacer d’une manière provisoire ». Ainsi, c’est bien au peuple qui souffre de l’oppression de s’organiser pour la détruire et créer de nouvelles institutions faites pour lui et par lui, le temps d’éliminer les révoltantes distinctions sociales. Ces conceptions, qui paraissent étonnamment modernes, sont issues d’une observation raisonnée du problème social et leur permet de comprendre la place que doit occuper le peuple dans la transformation politique.

    Gracchus Babeuf avait compris l’évolution du monde et le sens de la Révolution française, et perçu l’avènement du capitalisme, un système « à l’aide duquel on parvient à faire remuer une multitude de bras sans que ceux qui les remuent en retirent le fruit ». Sylvain Maréchal, lui, était convaincu qu’on ne transformerait pas la société par la voie parlementaire tant qu’une « muraille d’airain s’élève encore entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas assez ». Il ne pouvait rien attendre de cette « démocratie » qui veut donner l’illusion qu’une population est unie et collabore dans un but commun, alors qu’elle est coupée par une fracture de classes entre exploités et exploiteurs."

    -Renaud (AL Alsace)



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