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    Brigitte Gaïti, L'érosion discrète de l'État-providence dans la France des années 1960. Retour sur les temporalités d'un « tournant néo-libéral »

    Johnathan R. Razorback
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    Brigitte Gaïti, L'érosion discrète de l'État-providence dans la France des années 1960. Retour sur les temporalités d'un « tournant néo-libéral » Empty Brigitte Gaïti, L'érosion discrète de l'État-providence dans la France des années 1960. Retour sur les temporalités d'un « tournant néo-libéral »

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 28 Déc - 0:23

    https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2014-1-page-58.htm

    "Vincent Spenlehauer, qui a écrit une histoire de l’évaluation adossée à l’entreprise de planification française, adhère à ce découpage chronologique et, dans le prolongement de travaux d’historiens, situe le délitement de la communauté des planificateurs au début des années 1960 – la scission entre la direction de la Prévision et l’Insee et le découplage entre le Plan et les Finances, entamé en 1961 sont analysés comme des événements décisifs. Les comptes de la puissance ressortissent désormais et, selon une tradition bien établie, du seul ministère des Finances. Les planificateurs, autour de Pierre Massé, entreprennent de reconvertir leurs ambitions d’ordonnateurs de la politique économique du pays, et se résignent à prétendre à une fonction de coordination des relations entre ministères intersectoriels, devenus des opérateurs de la croissance. Voilà donc la période d’influence de l’administration modernisatrice réduite ici à celle de la décennie 1950."

    "En 1964, Jean Saint-Geours membre du SEEF depuis 1962 et qui sera nommé directeur de la Prévision en 1965, écrivait une note pour le compte du club Jean Moulin intitulée « Néo-libéralisme et développement politique » ; sans s’inclure à proprement parler dans ce développement des postures libérales au sein d’un appareil d’État jusque-là apparemment dévoué à l’interventionnisme, cet inspecteur des Finances, qui se reconvertit alors dans la microéconomie et le souci de l’optimisation de la dépense publique, note la recomposition du dicible chez les hauts fonctionnaires en position dans le secteur économique et financier. On y parle dit-il, de « limiter ou restreindre les interventions de l’État, de la nécessité d’une rénovation financière et, corrélativement, d’une neutralité du budget de l’État ou encore l’urgence de la liberté complète des mouvements de capitaux ». La mise sur agenda d’un État inefficace parce que dépensant mal, semble ainsi d’actualité au milieu des années 1960  et ce, en dehors de toute contrainte économique mais sous l’effet de mobilisations de certains segments de la haute administration."

    "Benjamin Lemoine montre comment la formation de la dette publique et sa financiarisation renvoient à des mesures discrètes, techniques, prises dans le cours des années 1960. Il décrit la mise à mort progressive du « circuit du Trésor », qui faisait du Trésor le dépositaire obligé des institutions bancaires ou de crédit par le mécanisme dit du « plancher de bons du Trésor » que devaient posséder les banques à hauteur de 20 % de leurs ressources. Le système est à l’époque dénoncé comme inflationniste par beaucoup des hauts fonctionnaires des Finances dans la mesure où l’augmentation de la masse monétaire, abonde une trésorerie gratuite de l’État. Jean-Yves Haberer, conseiller technique de Michel Debré en 1967, et futur directeur du Trésor, expose dans le cours qu’il donne à Sciences Po au milieu des années 1970 le point de vue qui est alors celui de l’encadrement du ministère des Finances « […] le plancher apportait une sécurité qui favorisait une mauvaise gestion des finances publiques, laquelle était génératrice d’inflation. Jean-Yves Haberer, que Benjamin Lemoine interviewe en 2011 pour son rôle dans les réformes du circuit du Trésor, rappelle qu’il revenait alors des États-Unis et qu’il voulait « introduire un peu de libéralisme » dans le système financier français. Ces tenants du libéralisme insèrent progressivement des contraintes nouvelles au sein de ce circuit en remettant en cause le système du plancher. Une série de réformes est amorcée d’abord lorsque Valéry Giscard d’Estaing est aux Finances avec Jacques Rueff comme inspirateur, puis de nouveau en 1966-1967 sous la direction de Michel Debré  : en 1960, les banques retrouvent une possibilité de choisir la composition de leur portefeuille ; en 1963, sous la houlette de Valéry Giscard d’Estaing qui entend renforcer une place financière parisienne émergente, une expérimentation est lancée en matière de mise en adjudication de bons du Trésor ; en 1964, les bons du Trésor émis par adjudication sont séparés des autres ; en 1967, le plancher des bons du Trésor est supprimé ; en 1973, le dernier pan du circuit du Trésor tombe quand la pratique de l’escompte direct auprès de la Banque de France est interdite. Benjamin Lemoine fait apparaître très clairement ce que peut être le verrouillage d’une action publique : cette réforme de 1973 ouvre en effet la véritable mise en marché de la dette publique, proscrit une politique de financement de l’expansion qui procéderait à coup de création monétaire et tolérerait une part d’inflation. L’État devient ici monétairement neutre et les banques gagnent une large part d’autonomie."

    "Faire de la période 1962-1968 une période de libéralisation tous azimuts alors que le général de Gaulle est à la tête de l’État et que sa présidence abonde de discours planificateurs et étatistes, peu favorables à l’Europe, implique qu’il faut effectivement repenser les rapports entre le discours politique et l’action publique et, surtout, qu’il faut repenser bien plus largement le poids des convictions dans l’action. Ce n’est pas dire que dans ces offensives libérales, il n’y ait pas de libéraux à la barre (l’activisme et l’influence de Jacques Rueff nous le rappellent) mais on le voit, les concurrences affrontées (entre ingénieurs-économistes et comptables macro-économiques, entre financiers et dépensiers, entre énarques et polytechniciens, entre fonctionnaires et universitaires), les compromis et les alliances nouées (entre Plan et Finances, entre direction de la Prévision et direction du Budget), le jeu des dispositifs adoptés (suppression du plancher des bons du Trésor, nouveau mode de calcul de la masse salariale au sein de la fonction publique, etc.), sont au principe de bien des amendements aux politiques de modernisation. En ouvrant sur une histoire plus longue, on pourrait faire l’hypothèse que le keynésianisme n’a jamais réellement « pris » dans des univers dominants marqués par des pratiques, des représentations et des intérêts liées au jeu d’un marché faiblement régulé.

    De ce point de vue, la séquence 1974-1981 offre un profil inattendu au premier abord ; des libéraux plus « décomplexés » sont au pouvoir derrière Valéry Giscard d’Estaing mais ils sont « tenus » en quelque sorte du fait de la crise économique et des déchirements politiques internes à la majorité présidentielle qui restreignent leurs marges de manœuvre. On pourrait alors construire cette séquence temporelle, autour de l’hypothèse d’une libéralisation contrariée durant laquelle les gouvernements se voient en quelque sorte contraints d’intervenir pour « colmater les dégâts de la crise » ; le programme de relance d’inspiration keynésienne lancé par le Premier ministre Jacques Chirac en 1975 en est une des illustrations. Quant aux plans d’austérité successifs présentés par les gouvernements dirigés par Raymond Barre, ils sont d’une portée limitée pour des raisons politiques : les menaces de défection du groupe gaulliste à l’Assemblée, les incertitudes des législatives de 1978 puis de la présidentielle de 1981. Le tournant de la rigueur de 1983, si on veut bien revenir à cette autre date de naissance souvent donnée au virage libéral, ne serait alors que la manifestation de la faible puissance du gouvernement socialiste face à un État déjà profondément transformé et à des élites depuis longtemps libéralisées."
    -Brigitte Gaïti, « L'érosion discrète de l'État-providence dans la France des années 1960. Retour sur les temporalités d'un « tournant néo-libéral » », Actes de la recherche en sciences sociales, 2014/1-2 (N° 201-202), p. 58-71. DOI : 10.3917/arss.201.0058. URL : https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2014-1-page-58.htm




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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