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    Olivier Zajec, Introduction à l'analyse géopolitique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Olivier Zajec, Introduction à l'analyse géopolitique Empty Olivier Zajec, Introduction à l'analyse géopolitique

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 26 Fév - 17:21

    https://fr.book4you.org/book/12162928/55376b

    https://www.diploweb.com/_Olivier-ZAJEC_.html

    "La géopolitique, au sens propre, est une des méthodes d’approche des relations internationales. Elle ne doit donc pas être confondue avec la discipline proprement dite des RI, qui englobe elle-même des théories, approches et grilles de lecture extrêmement nombreuses, du réalisme au constructivisme en passant par la théorie des jeux, les études stratégiques ou l’économie politique internationale. Classée par certains spécialistes parmi les « théories environnementales » des RI, la géopolitique étudie plus particulièrement la spatialisation des phénomènes politiques. Traditionnellement rattachée à la sensibilité réaliste des relations internationales, elle demeure paradoxalement assez méconnue."

    "Ce sont bien les acteurs étatiques qui continuent de fonder et de justifier toute analyse des réalités internationales."

    "Pesanteurs mémorielles."

    "La géopolitique s’intéresse, selon le mot de Philippe Moreau Defarges, « […] aux rapports entre l’espace et la politique : en quoi les données spatiales affectent-elles le ou la politique ? » Pour François Thual, plus intuitif, la géopolitique « […] est éducation de l’œil, elle est repérage des carrefours entre le géographique, le politique, l’ historique et l’économique ». Yves Lacoste se recentre enfin sur la dialectique du pouvoir : « La géopolitique est l’étude des rivalités de pouvoir sur un territoire ». Quoi qu’il en soit de ces définitions plus complémentaires qu’opposées, c’est une évidence pour qui observe l’histoire, et pas seulement celle de l’Europe : invasions, occupations, cessions, reconquêtes, mises en valeur, partages, influences concernent avant tout un espace, que décrit la science géographique. [...]
    Ces facteurs matériels n’épuisent cependant pas l’intérêt et les ressorts de la géopolitique. Car la terre n’est pas seulement une étendue mesurable en kilomètres et en acres ; elle est aussi terrain « magique », signifiant, chargé de symboles et de mémoires concurrentes."

    "La géographie (et ses données physiques) demeure l’axe fondamental qui ordonne le discours géopolitique, mais aussi que ce dernier ne peut négliger les jeux des représentations mentales profondes entretenues par les peuples, et les structurations culturelles et politiques qui les fondent."

    "[La géopolitique] sollicite en permanence les autres savoirs, et correspond donc, en sa multidisciplinarité même, à une méthode d’approche plutôt qu’à une science."

    "La géopolitique nous apparaît personnellement comme une analyse dynamique des inerties que sont en premier lieu et principalement le positionnement géographique, mais aussi et secondairement l’identité, car les cultures humaines ne sont pas séparables des territoires qui les ont vu s’épanouir. Pour le meilleur et pour le pire, la rencontre de ces deux facteurs s’incarne dans le contrôle autonome d’une terre, garant principal mais pas exclusif de la sécurité, de la cohésion, et éventuellement de la puissance. Les deux « champs » de la géographie physique et humaine apparaissent donc, pour la méthode d’approche géopolitique, comme des prismes analytiques complémentaires. La géopolitique propose, en mettant en perspective ces inerties dynamiques, d’en saisir les invariants et en prévoir les mutations, lentes ou brusquées, avec la prudence qui s’impose."

    "La géopolitique est une des méthodes d’approche appartenant au champ interdisciplinaire des Relations internationales (RI). En variant les échelles d’observation des territoires, elle étudie les inerties physiques et humaines qui affectent les comportements politiques internes et externes des États. Faisant la part des coopé-rations et des oppositions entre unités politiques, elle éclaire les fondements des actions pacifiques ou guerrières qui, par l’occupation, la défense ou l’aménagement d’espaces déterminés, cherchent à assurer la pérennité d’une communauté dans l’histoire."

    "Les Relations internationales, du moins en France, sont considérées comme une des sous-disciplines ou « champs » de la science politique. Ailleurs (par exemple aux États-Unis) elles ont conquis leur autonomie disciplinaire."

    "Cette appropriation militaire de l’espace stratégique se joue au niveau du compartiment de terrain tactique (quelques dizaines de km), au niveau du « théâtre » (plusieurs centaines de km) et enfin au niveau du « théâtre élargi » (le curseur de l’échelle s’établissant en milliers de km.)."

    "Trois catégories spatiales :

    1. Les espaces géopolitiques (zones géographiques étendues, complexes, et susceptibles d’une étude socio-spatiale intégrale ne s’arrêtant pas aux frontières des États). Sous cet angle, l’Eurasie peut être considérée en tant qu’espace géopolitique, comme le sont la péninsule arabique, l’Amérique centrale, la chaîne alpine, la mer de Chine méridionale, la vallée du Rhône ou l’Arctique. Cette catégorie englobe également ce que l’on pourrait appeler les espaces géo-théoriques (comme le Heartland de Mackinder, les Shatterbelts de Cohen ou le Non-connecting gap de Barnett) ;

    2. Les territoires géopolitiques (portions d’espace politiquement appropriées, représentées par un exécutif, discriminées par des frontières intra- ou interétatiques). Sous cette acception, les territoires géopolitiques peuvent être nationaux, régionaux ou urbains : la France, la Bavière, le Québec, la Bretagne ou le Tibet rentrent dans cette catégorie, tout autant que des métropoles internationales (New York), ou régionales (Bagdad ou Lyon). Pays, provinces ou grandes villes correspondent chacun à un espace approprié, borné, doté d’un exécutif et capable des relations avec d’autres territoires. Le Québec dispose ainsi en 2016 de délégations générales à Bruxelles, Londres, Mexico, Munich, New York, Paris et Tokyo. En mars 2014, le président chinois Xi Jinping inaugure un Institut franco-chinois de Lyon, qui œuvre pour la promotion spécifique de liens entre la Chine et une métropole d’Europe économiquement dynamique ;

    3. Les lieux géopolitiques (sites d’importance politique et symbolique singulière, raccordés par des trames de communication et des réseaux d’influence qui peuvent transcender les frontières). Le détroit de Bab-el-Mandeb, Gibraltar, ou le canal de Panama sont des lieux – on pourrait également parler de nœuds – géopolitiques (sous des aspects prioritairement géostratégiques ou géoéconomiques). New York (sous un aspect financier, par exemple), La Mecque, Jérusalem (aspect religieux), le sont aussi, en sus de leur dimension propre de territoires précédemment évoquée."

    "Outils d’analyse géopolitique:

    –l’ouverture et la fermeture des espaces : enclavement, frontières, barrières naturelles ;

    –la dualité terre-mer : insularité, isthmes et détroits, routes et canaux ;

    –la dialectique centre-périphérie: distances, concentration, drainage spatial."

    "Aucune puissance mondiale ni même régionale ne figure dans cette liste. La dynamique de puissance semble donc, à un degré ou un autre, devoir dépendre d’un débouché maritime, comme semblait déjà le montrer Friedrich Ratzel dans La mer comme source de puissance des peuples (1900)."

    "Bi-maritimité ou biocéanité."

    "On parle de complexe obsidional pour désigner le sentiment qu’éprouve un État d’être encerclé, contraint et menacé de toute part par ses voisins. Ce sentiment peut résulter d’une situation objective d’enclavement [...] Il peut également naître d’une psychologie nationale marquée par les invasions et les menaces.

    Le cas de l’Iran est intéressant à cet égard. La tradition mythique, poétique et historique de ce très vieil État le situe « au cœur du monde » et, de fait, il est à la croisée de trois grandes aires culturelles : le monde arabe, le monde turc et le monde indien, qui l’ont influencé et qu’il a influencés. Cette dimension de « carrefour » est pourtant occultée chez les Iraniens par une mentalité de citadelle assiégée. Ce complexe obsidional de l’Iran repose sur deux éléments principaux :

    –il s’agit d’un État chiite dans une région majoritairement sunnite ; la « solidarité musulmane » est un leurre. Compétition et méfiance sont permanentes entre États islamiques, a fortiori entre ces confessions théologiquement et politiquement ennemies depuis les origines de l’islam ;

    –il s’agit d’un État longtemps considéré par les Américains comme hostile et dangereux (« axe du mal » ou « poste avancé de la tyrannie » selon leur rhétorique), tandis que ses voisins, à un degré ou un autre, ont fait partie du système d’alliance de Washington :
    « Lorsque les Iraniens considèrent […] le déploiement des forces américaines dans la région (présence navale dans le Golfe, forces terrestres en Irak et en Afghanistan, bases aériennes en Asie centrale), cela ne peut signifier pour eux qu’une seule chose : la préparation d’une intervention militaire contre l’Iran2. »

    –il est vrai, cependant, que la menace de l’État islamique, grandissante depuis 2014, a forcé les États-Unis à modifier leur stratégie vis-à-vis de l’Iran, sans que la méfiance ne disparaisse entre les deux acteurs.

    En résumé, la situation géopolitique d’enclavement, qui peut être réelle ou perçue comme telle, entraîne un certain nombre de phénomènes d’interdépendance dont la qualification – positive ou négative – dépend beaucoup des relations de voisinage dont bénéficie – ou que subit – l’État enclavé."

    "La steppe, ouverte et plate, n’est pas un obstacle comme le désert, mais un « océan terrestre », ouvert à la navigation libre des peuples nomades, cavaliers et guerriers."

    "Les montagnes et les hauts plateaux ont plusieurs fonctions géopolitiques, dont celles :

    –de refuge. Appuyées sur la fonction défensive de la montagne, de nombreuses minorités y ont souvent, au cours de l’histoire, trouvé refuge pour échapper à la pression de peuples, d’états ou de religions majoritaires. Les chrétiens maronites libanais de la montagne résistent ainsi à la pression musulmane sunnite ; le Caucase, à la confluence des grands empires, devient naturellement un conservatoire de peuples persécutés et de langues résiduelles ; les montagnes du sud-est asiatique voient les ethnies minoritaires y trouver refuge (cas de la Birmanie) [...]

    –de frontière. Pour la France, Pyrénées et Alpes peuvent sembler des frontières « naturelles » ; l’Himalaya sépare les mondes hindou et chinois. Pourtant, la montagne peut être aussi traversée : c’est la fonction des cols et des défilés, comme la célèbre passe de Khyber qui, à travers la montagne, permet le passage de l’Afghanistan à la vallée de l’Indus. Une chaîne montagneuse sera donc une barrière d’une manière générale, mais d’autant plus efficace que ses cols et voies de passage seront élevés en altitude. [...]

    –de « tour de contrôle ». Pour un État, s’assurer le contrôle d’un haut plateau permet de surveiller voire de menacer un État situé en contrebas. Pour cette raison (et pour d’autres examinées plus loin), le plateau du Golan séparant Israël de la Syrie demeure stratégique et sous contrôle de l’état hébreu depuis l’occupation de 1967 ; de même, la Chine considère le Tibet comme un verrou en surplomb de son flanc ouest qui, s’il tombait en des mains étrangères ou devenait indépendant, permettrait de menacer très directement la Chine historique des plaines et des grands fleuves : une perspective difficilement envisageable pour Pékin."

    "Les civilisations se structurent souvent historiquement autour du bassin d’un fleuve majeur : l’Égypte est associée au Nil, l’Inde au Gange et à l’Indus, l’Empire autrichien des Habsbourg au Danube."

    "L’insularité est synonyme d’opportunités géopolitiques. Elle assure en particulier :
    –une protection contre les invasions. Il est relativement difficile d’envahir une île : l’invincible Armada espagnole, Napoléon puis Hitler échouent à débarquer en Angleterre ; la Flotte chinoise de l’empereur Kubilaï Khan doit renoncer à envahir le Japon en 1274 et 1281 ;

    –une grande liberté d’action. La mer, si l’État insulaire est doté d’une Marine à la hauteur de ses ambitions et de ses besoins, devient un lien avec le monde entier : comme l’air, c’est un milieu physique relativement homogène, dépourvu d’obstacles. On songe aux nations commerçantes et insulaires façonnées par l’échange que sont l’Angleterre ou Singapour [...]

    –une fonction de refuge : les nationalistes chinois du parti Kuomintang, réfugiés sur l’île de Taïwan en 1949 pour fuir les troupes communistes de Mao, resteront accrochés à ce territoire, aujourd’hui encore autonome par rapport à la Chine continentale ; l’île de Bahreïn dans le golfe Persique sert de refuge à des Chiites historiquement persécutés par les Sunnites de la péninsule arabique ;

    –une forte identité : le sentiment d’exception de l’Angleterre, constamment affirmé au cours de son histoire, procède en partie de son insularité."

    "Les États insulaires, pour peu qu’ils acquièrent un niveau de puissance suffisant, peuvent se muer en thalassocraties douées de deux réflexes majeurs :

    1.une méfiance vigilante envers le continent qui les jouxte : c’est le cas de l’Angleterre, acharnée à empêcher toute émergence d’un concurrent qui unifierait l’Europe « terrestre » contre elle. De là, dans les dernières années du XIXe siècle, une politique anglaise de méfiance envers l’Empire allemand, et de soutien accordé à la France ; inversement, dans les années 20 et 30, une politique à courte vue « d’appeasement » vis-à-vis de l’Allemagne, car la France dispose de la première armée d’Europe suite à sa victoire dans la Grande Guerre ;

    2.une stratégie de contrôle d’autres îles, qui permet d’étendre au loin l’influence et les relais d’action de l’État, et de contourner et d’encercler les masses continentales. C’est le cas des États-Unis, « île-monde » protégée par deux océans, qui dès son unité terrestre acquise se projette dans l’océan : Alaska, Aléoutiennes et Midway en 1867, Guam, les Philippines, Porto Rico et Hawaï en 1898, les Samoa en 1900, Panama en 1903. Ces acquisitions permettent rapidement de sécuriser deux « lacs américains » : le Pacifique et les Caraïbes, et ce tout en continuant à critiquer officiellement la colonisation européenne…"

    "Les îles les moins étendues ne sont pas susceptibles de devenir de puissants États : manquant de superficie, elles ne peuvent compter sur des ressources suffisantes. Elles peuvent en revanche avoir une fonction de « relais insulaire ». Elles deviennent ainsi de véritables enjeux, car leur possession peut assurer à certains États :

    –une présence commode dans une zone stratégique qui ne fait pas naturellement partie de la sphère d’influence géographique immédiate de l’État ; Londres est ainsi présent en Méditerranée orientale grâce à ses bases chypriotes ;

    –une fonction de tête de pont permanente vers un continent, si l’île jouxte celui-ci. Lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, la Russie tente d’utiliser cette île dans ce but vis-à-vis des États-Unis ; les îles anglo-normandes furent en permanence des têtes de pont anglaises vers le continent ; les îles Aléoutiennes dans le Pacifique nord, qui s’étirent en un chapelet continu de l’Alaska en direction des côtes russes, accueillent très naturellement des stations d’écoute américaines ;

    –le contrôle d’un couloir maritime majeur ou d’un détroit stratégique fréquenté ; Malte en Méditerranée, Singapour dans le détroit de Malacca, les Malouines dans l’Atlantique sud remplissent ce rôle ; l’Islande, pendant la Guerre froide, permettait de surveiller tout débouché de la flotte soviétique du Nord en Atlantique, et limitait les couloirs de progression des submersibles russes ;

    –la possession d’une « Zone économique exclusive » (ZEE) et d’un domaine marin souverain, grand facteur de richesse. La Polynésie française donne ainsi à Paris le deuxième domaine maritime mondial, ainsi qu’une présence dans la zone hautement stratégique du Pacifique, ce qui irrite l’Australie et la Nouvelle-Zélande, puissances géographiquement « naturelles » de la zone. Logiquement, Camberra et Wellington ont toujours activé les revendications autonomistes océaniennes contre la présence française."

    "Collier de perles: cette expression désigne la constitution par Pékin, des ports chinois jusqu’au détroit d’Ormuz et aux côtes orientales de l’Afrique, via les rives de l’Océan Indien, d’un réseau de bases navales et aériennes destinées à ponctuer et sécuriser les grandes lignes maritimes d’approvisionnement en hydrocarbures de la mère-patrie."

    "Bretagne, Danemark, Italie, Arabie, Corée : les péninsules, « bouts du monde » s’avançant dans la mer, sont à la fois réduits terrestres et tremplins maritimes. Également dénommés presqu’îles, ces ensembles géographiques sont définis comme des promontoires reliés au continent par une bande de terre plus ou moins étroite."

    "Le détroit est un passage navigable resserré entre deux bassins maritimes : détroit de Malacca entre l’océan indien et la mer de Chine méridionale, détroit de Gibraltar entre Atlantique et Méditerranée, détroit d’Ormuz entre le golfe Persique et l’océan Indien, détroits des Dardanelles et du Bosphore entre Mer Noire et Mer Egée.

    L’isthme est une bande de terre reliant deux masses terrestres : isthme de Suez reliant l’Afrique et l’Asie, isthme de Panama entre Amériques du nord et du sud, isthme pyrénéen entre France et péninsule ibérique, isthme de Corinthe reliant la Grèce balkanique au Péloponnèse.

    Cette fonction géopolitique de passage est peut-être une des plus signifiantes. Voies liquide ou terrestre, le détroit et l’isthme apparaissent géographiquement et politiquement comme un resserrement des possibles : il en découle une densité stratégique très particulière, puisque contrôler un détroit ou un isthme, ou simplement être présent à sa proximité, confère une possibilité supplémentaire de peser sur les équilibres géopolitiques, en interdisant ou en permettant l’accès à un espace fondamental (mer ou continent)."

    "Le géopoliticien français Jacques Ancel [...] parlait de « dromocratie » (de dromos, vitesse en grec) concernant les pays structurés autour de routes commerciales ou militaires. Ancel appliquait ce terme à la Serbie ancienne. On peut en dire autant, aujourd’hui, de Singapour ou de Panama, qui ne doivent leur importance qu’à leur positionnement géopolitique à un carrefour de routes mondiales."

    "Le centre est ainsi désigné, indépendamment de sa localisation géographique, parce qu’il agglomère, contrôle et attire à lui les activités de production, de décision et de transformation. Géopolitiquement, sa fonction peut être assimilée à un pouvoir de drainage des espaces qui l’entourent et qui lui sont – volontairement ou non – subordonnés."

    " [Facteurs à prendre en compte pour l'étude des populations] :
    –les ethnies, une réalité incontournable sur tous les continents. À travers la notion d’altérité, le prisme ethnique (fondé sur la conscience d’appartenir à un groupe humain déterminé) structure la vision du monde de la très grande majorité de l’humanité, et entraîne solidarités transfrontalières, tentations sécessionnistes, hostilités « héréditaires » ou alliances « naturelles » ;

    –les langues, qui mettent en forme et « disent » la culture des différentes ethnies ; elles révèlent l’âme d’un peuple, son rapport au mythe comme à la réalité. Une langue peut avoir une influence mondiale, héritage des conquêtes de certaines métropoles ; elle est aussi souvent le dernier recours d’une ethnie privée de territoire pour préserver sa conscience d’elle-même. Dans un cas comme dans l’autre, vecteur d’influence ou recours, elle comporte une dimension géopolitique évidente ;

    –les religions, ordonnatrices des valeurs, qui expliquent et « totalisent » le monde. Elles catalysent la ferveur et l’espérance de milliards d’hommes et tendent souvent à se confondre en partie, au travers des vicissitudes de l’histoire, avec l’identité des peuples ;

    –les dynamiques démographiques, qui confèrent aux peuples, aux ethnies, aux langues et aux religions leur puissance relative."

    "Entre 1945 et 2015, on peut ainsi recenser ainsi plus de 80 conflits d’autodétermination d’ethnies ou de nations qui mettent en avant leur spécificité culturelle pour sortir d’États qu’elles ne reconnaissent pas."

    "La géopolitique s’intéresse aux fractures identitaires et territoriales induites par la fonction linguistique. La langue permet en effet à un État de consolider son homogénéité, en l’imposant à ses minorités nationales. À cette fonction interne s’ajoute une fonction externe, qui est d’influencer les relations internationales, dans le cas de langues bénéficiant d’une résonance mondiale : francophonie, anglophonie, hispanidad."

    "Le grandisme souhaite réunir au bénéfice d’un État l’ensemble des terres qui lui ont un jour appartenues, même fugitivement. Cette vision est enracinée dans l’histoire, mais s’aveugle volontairement sur son irréalisme. En guise d’exemple, un apogée territorial atteint au XIVe siècle, et en reflux constant depuis au gré des rapports de force démographiques et géographiques, a peu de chance d’être ressuscité au forceps, à moins de bouleversements sanglants de l’ordre interétatique. Le grandisme est d’autant plus irréel qu’il ne tient pas compte des strates ethniques ou culturelles accumulées au cours des siècles, mais bien seulement d’une sublimation de réalisations politiques anciennes, dont le caractère artificiel ou évanescent est occulté."

    "Le prisme apophatique en géopolitique.

    La question des uchronies, qui vient d’être examinée, ouvre sur une autre dimension interprétative ayant trait aux perceptions et représentations des acteurs de l’échiquier mondial : la géopolitique apophatique.

    L’apophatisme (du substantif grec – apophasis, issu du verbe – apophēmi, « nier ») est une approche philosophique et théologique fondée sur la négation : ainsi, on tentera de définir Dieu non pas par ce qu’il est – ou pourrait être – mais par ce qu’il n’est pas, ou ne saurait être. Il est possible de transposer cette approche en étudiant de manière comparée les traumatismes originels qui marquent la mémoire collective des États. Le traumatisme désigne ici:

    « […] les conséquences d’un événement dont la soudaineté, l’intensité et la brutalité peuvent non seulement entraîner un choc psychique, mais aussi laisser des traces durables sur le psychisme d’un sujet, qui s’en trouve alors altéré ».

    De certains chocs historiques particulièrement signifiants pour quelques États dérive dès lors une géopolitique fondée sur des configurations stratégiques à éviter absolument:

    –le traumatisme de mai 1940 – et aussi l’humiliation de Suez en 1956 – pour la France, abandonnée ou mal soutenue par ses alliés ;

    –l’unification continentale de l’Europe pour Londres (menaces des empires de Napoléon, d’Hitler) ;

    –la mise sous tutelle consécutive aux Guerres de l’opium (1839-1842 puis 1856-1860) pour la Chine ;

    –le viol du sanctuaire national pour les États-Unis (Incendie du Capitole par les Anglais en 1812, Pearl Harbour en 1941, destruction des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001).

    La traduction géopolitique de ces matrices stratégiques et diplomatiques négatives est intéressante à modéliser. Peuvent ainsi être expliqués selon cet angle d’interprétation – qui ne doit pas, bien entendu, être exclusif :

    –la politique d’indépendance et de sanctuarisation nucléaire de la France, ainsi que son autonomie vis-à-vis de l’OTAN en termes d’anticipation stratégique et d’interventions extérieures ;

    –l’obsession de Londres pour la balance of power et sa méfiance envers toute unification politique de l’UE ;

    –les ambitions chinoises de désenclavement terrestre et maritime (New Silkroad, revendications en mer de Chine méridionale, construction d’une flotte de haute mer) ;

    –l’offshore balancing américain, destiné à traiter les menaces au plus loin du continent américain, que ce soit par la mise sous tutelle de ses partenaires ou par des moyens techniques (Défense anti-missile)."

    "Zones « utiles » de la planète : les plus fortes concentrations se retrouvent dans les plaines fertiles, le bassin des grands fleuves, et de plus en plus sur les côtes (littoralisation) et dans les grandes agglomérations. Un habitant sur quatre vit à présent à moins de 50 kilomètres des côtes, et le taux d’urbanisation ne cesse de grimper : 50% aujourd’hui, avec des projection à 75% en 2025. Ce double mouvement de littoralisation et d’urbanisation advient tandis que les phénomènes climatiques, la désertification de certaines régions, la pauvreté et les tensions alimentaires se combinent pour rendre extrêmement attirantes les contrées les mieux partagées par la nature. Le monde peut aussi être partagé entre zones de croissance et zones de stagnation démographique. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la population mondiale a plus que doublé, mais on constate que 90% de cette augmentation a concerné les pays en voie de développement, où la mortalité a baissé tandis que la natalité restait élevée. Les pays développés (Europe, Japon) ont quant à eux depuis longtemps achevé leur transition démographique, et sont en situation d’implosion démographique, le taux de renouvellement des populations étant insuffisant. On considère par exemple qu’en Italie et au Japon, les plus de 65 ans représenteront le quart de la population à l’horizon 2025. En France, à la même date, ils auront dépassé les 20%. Ce vieillissement a des conséquences en termes de puissance et de dynamisme des nations."

    "Exemple de tension géopolitique liée à la différence de pression démographique.

    La Sibérie orientale:

    De part et d’autre du fleuve Amour, la différence actuelle entre le territoire russe, très peu peuplé et vidé par un exode continu à part la ville de Vladivostok, et le territoire chinois extrêmement peuplé, fait craindre aux Russes un transfert de population chinoise massif dans les années à venir. La république autonome russe de Iakoutie, grande comme 5 fois la France pour seulement 1 million d’habitants, dispose d’or, d’hydrocarbures, de diamants, de bois, et d’autres ressources naturelles à la mesure de son immensité. Plusieurs centaines de millions d’individus d’un côté, quelques millions de l’autre : une telle échelle fragilise la frontière, et le vide démographique sibérien, dans une région riche en ressources naturelles, appelle le peuplement."

    "Depuis 40 ans, le nombre de migrants internationaux a doublé. Ce flux est dû à la pauvreté, et à des conflits et des situations politiques bloquées dans nombre de pays du Sud."

    "Une communauté installée dans un pays étranger et conservant ses particularités culturelles peut devenir un relais d’influence à géométrie variable pour les États d’origine, comme le montre le regard que porte par exemple la Turquie sur ses émigrés."

    "La géoéconomie, dont on trouvait déjà la dénomination dans les cours que Nicholas Spykman donnait à Yale dans les années 1930, a été popularisée par le stratégiste américain Edward Luttwak dans un article de 1993. Pour Luttwak, les acteurs les plus puissants ne sont plus les mieux armés militairement, mais les mieux dotés économiquement. L’économie elle-même devient une arme."

    "Les entités interétatiques régionalisées les plus intégrées, comme l’Union européenne, ne font disparaître leurs frontières intérieures que pour renforcer leur frontière commune extérieure. On peut aussi ajouter que ces ensembles régionaux se constituent souvent autour d’un noyau dur d’un ou de plusieurs pays dominants qui conservent leurs stratégies particulières et une conscience aigüe d’eux-mêmes. Encore une fois, l’Allemagne en est un bon exemple : depuis la situation qui était la sienne lors de la naissance de l’Union européenne, elle ne s’est pas effacée mais bien au contraire affirmée en tant qu’État singulier au sein de l’Union, jusqu’à dominer très clairement cette dernière : elle le manifeste par le relatif unilatéralisme de ses décisions au cours de la crise financière de 2008, de la crise de la dette grecque de 2014-2015, et la crise des migrants de 2015."

    "Comprendre pour agir selon les canons de la tempérance (phronèsis) et de la décision réfléchie (proairesis) qu’Aristote recommandait aux hommes d’État il y 2400 ans."
    -Olivier Zajec, Introduction à l'analyse géopolitique, Editions du Rocher, 2016.

    "Trois géographies : une macrogéographie qui privilégie les vastes ensembles, y compris la planète entière, et les structures générales ; une mésogéographie qui prend en compte des agrégats de niveau intermédiaire (villes, régions) ; une microgéographie qui s’intéresse à de petites portions d’espace."
    -Jean-Jacques Bavoux, Introduction à l’analyse spatiale, Paris, Armand Colin, 2010, p. 16.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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