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    Irène Pereira, Être anarchiste et féministe aujourd’hui

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Irène Pereira, Être anarchiste et féministe aujourd’hui Empty Irène Pereira, Être anarchiste et féministe aujourd’hui

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 28 Fév - 18:19

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Ir%C3%A8ne_Pereira

    "L’anarchisme étymologiquement désigne d’une part, d’un point de vue philosophique, une absence de principe premier et d’autre part, d’un point de vue politique, une absence de commandement. La définition philosophique de l’anarchisme désigne par conséquent le refus d’une fondation de l’ordre social sur un principe premier, que cela soit Dieu ou la nature. La société ne présuppose pas un ordre immuable qui serait donné une fois pour toutes et qui trouverait sa justification ultime ou son essence dans la nature ou en Dieu. [...]

    L’anarchisme en tant que pensée politique repose sur deux idées: 1) les rapports de commandement ne sont pas fondés de manière absolue ; 2) par conséquent, il est possible de construire une société qui ne repose pas sur des rapports de commandement. Cela ne signifie par pour autant que l’autorité technique d’une personne sur tel sujet ne soit pas fondée, mais que cette autorité, liée à une compétence technique, ne fonde pas un rapport de commandement et d’obéissance."

    "Les politiques queer, en particulier dans la version initiale qu’en avait donnée Judith Butler, centrée sur le fait de performer son genre, c’est-à-dire de jouer le genre de manière à en montrer le caractère construit [...] renvoient la question de la transformation des rapports de genre à une pratique individuelle, sans les articuler explicitement à la dimension politique et économique des rapports de genre."

    "J’appelle communisme libertaire tout courant anarchiste qui analyse la société en termes de lutte de classes. Le communisme libertaire se donne pour objectif de détruire le système capitaliste et l’État qui est un instrument de la classe capitaliste."

    "Le féminisme radical matérialiste proclame l’autonomie de la lutte des femmes. Tout comme les prolétaires se revendiquent des sujets politiques spécifiques qui ne veulent
    pas voir leurs revendications réduites à un discours humaniste sur la fraternité universelle, les femmes revendiquent l’autonomie de leur lutte. La lutte des femmes constitue une lutte de classe car les femmes subissent une exploitation économique du fait du mode de production domestique. Cette exploitation ne peut être réduite à celle du système capitaliste : elle consiste dans le travail gratuit fourni pour effectuer les tâches domestiques et le soin des enfants." (pp.66-67)

    "Les femmes, au même titre que les prolétaires, constituent une classe sociale opprimée autonome. Mais aucune de ces classes n’est la classe qui, seule, pourrait incarner le destin de libération universelle de l’humanité: tout comme les ouvriers et les ouvrières ne sont pas le sujet universel de l’émancipation, le patriarcat n’est pas l’ennemi principal." (p.67)

    "La lutte contre l’oppression doit être à la fois une lutte contre l’exploitation, contre la domination politique, mais aussi une lutte culturelle contre les stigmatisations et les discriminations." (p.67)

    "Les luttes LGBTI1 ne peuvent pas être des luttes autonomes des luttes antipatriarcales. En effet, le système patriarcal est ce qui produit le sexage de la société qui aboutit à la norme hétérosexuelle. En outre, l’hétéronormativité n’est pas un système autonome dans la mesure où il ne contient pas de rapports économiques d’exploitation, contrairement au
    patriarcat. C’est en tant qu’elles sont des femmes que les lesbiennes subissent une exploitation économique, non en tant qu’homosexuelles. Les transsexuels « Male to Female » subissent par exemple les mêmes pertes de salaire que celles que la société a toujours considéré comme des femmes." (p.67)

    "Les systèmes d’oppression que sont le patriarcat, l’État, le capitalisme ou le racisme sont certes relativement autonomes les uns par rapport aux autres, mais ils sont en interaction. Ainsi la place qu’une personne occupe dans un système d’oppression peut être liée à la place qu’elle occupe dans un autre système d’oppression. Par exemple, les femmes sont soumises dans le système patriarcal. Or quand elles ont commencé à être une source de main-d’œuvre dans le système capitaliste, elles ont continué à être marquées par l’infériorité dans laquelle elles sont tenues dans le système patriarcal." (p.68)

    "L’affaire dite du « voile » a déchiré non seulement la mouvance féministe, mais aussi la mouvance anarchiste : le « voile » est-il une marque sexiste patriarcale de l’oppression des femmes par une religion ou cette affaire est-elle la marque d’un racisme d’État vis-à-vis de certaines communautés immigrées ?

    Certains anarchistes, au nom du droit des femmes et de la critique de la religion, ont pris fait et cause contre le voile. D’autres, au nom de la défense des minorités racisées et de la critique de l’État raciste, ont pris fait et cause contre la loi sur les insignes religieux. Comment la conception que je propose de l’anarchisme permet-elle d’analyser ce problème et quelle position peut-elle nous amener à prendre ?

    J’ai dit plus haut qu’il existe plusieurs systèmes d’oppression autonomes, mais qui sont néanmoins en interaction. Par conséquent, je propose de distinguer trois systèmes d’oppression pour analyser la situation: le système patriarcal, le système raciste et le système théologico-étatique. Ce dernier système désigne le fait que l’État moderne s’est construit par homologie avec la transcendance divine, mais aussi le fait que les religions et les États entretiennent des rapports complexes pour le monopole du pouvoir politique: rapport de rivalité ou de soutien mutuel. Les religions tendent à se présenter comme des faits sociaux totaux qui tentent d’englober tous les aspects de l’existence des individus : économique, politique, moral, sexuel, philosophique…

    De ce fait, les religions fournissent bien souvent des justifications aux rapports patriarcaux. On voit ainsi comment il peut y avoir une interaction entre le système théologico-politique et le système patriarcal. Le voile peut apparaître effectivement comme une justification religieuse au système patriarcal.

    Cependant, l’analyse de l’affaire du voile ne peut se limiter à cette question. Il s’agit de la transformation d’un fait minoritaire en affaire nationale de manière concomitante avec la première guerre du Golfe.

    Ce qui est posé à travers cette question pour l’État français, c’est son rapport à la religion. L’État en France oscille entre deux justifications de son pouvoir: il l’inscrit soit dans une histoire chrétienne de la France, soit dans des valeurs républicaines jacobines, laïques et universalistes. L’État français pose la justification de son pouvoir à travers son opposition aux autres États, aux États étrangers, mais aussi en opposition aux communautés qui pourraient former en son sein un État dans l’État ou un parti de l’étranger ; en particulier, il s’agit de s’affirmer contre les communautés religieuses.

    Or combattre les manifestations de l’Islam en France, c’est pour l’État français réaffirmer son pouvoir et le justifier face à ce qu’il présente comme une menace pour la sécurité civile. Le voile serait la marque de l’existence d’un ennemi politique intérieur.

    Par conséquent, d’un point de vue anarchiste, il me semble que l’affaire du voile ne doit pas être vue comme l’opposition entre d’un côté des anarchistes féministes et de l’autre côté des anarchistes antiracistes. Mais elle doit être l’occasion pour les anarchistes d’une dénonciation du système d’oppression théologico-politique.

    D’un côté, la religion en tant que système politique entend exprimer son emprise sur les modes de vie des individus et en particulier des femmes en justifiant le système patriarcal. D’un autre côté, l’État entend justifier son pouvoir en agitant la menace d’un parti étranger dont la marque serait l’Islam. L’affaire du voile peut alors être analysée comme la rivalité entre deux systèmes théologico-politiques dont l’un néanmoins, l’Islam, apparaît comme le système sur lequel certains opprimés essaient de s’appuyer pour faire valoir leurs revendications." (pp.70-71)

    "La libération sexuelle telle que la prônent les anarchistes consiste-t-elle en n’importe quel type de rapport sexuel ? Y a-t-il une orientation dans la conception de la sexualité qui soit à la fois libertaire et féministe ? Il me semble que c’est de faire que la sexualité soit pour la femme une activité uniquement orientée vers le plaisir, et non pas soumis au plaisir de son mari, à l’impératif de la reproduction ou au pouvoir de celui qui détient de l’argent ou qui peut la prendre de force. La position politique qui oublierait cet objectif ne pourrait être
    qualifiée à proprement parler de libertaire ou d’anarchiste.

    Par conséquent, tant que l’activité sexuelle reste un travail par lequel une femme ou un homme assure sa subsistance, on ne peut jamais être certain qu’il s’agisse d’une activité qu’il ou elle fait uniquement par plaisir. Certes on peut retirer du plaisir d’un travail, mais le travail n’a pas pour unique raison le plaisir, il permet aussi d’assurer la subsistance vitale des individus.

    Cependant, il est possible de penser qu’effectivement la prostitution, en tant qu’activité sexuelle contre rémunération, en tant que travail qui ne saurait se confondre avec le libertinage ou l’amour libre, ne peut être abolie immédiatement. Est-ce que, dans le cadre de la société capitaliste, il ne s’agit pas après tout d’un travail que certaines femmes pourraient préférer à celui de caissière ? Est-ce qu’il ne s’agit pas d’améliorer la situation des personnes prostituées immédiatement ?

    On ne peut à mon avis ne pas soutenir les prostitué-es dans leur désir de voir leur situation s’améliorer, dans la mesure où toute femme peut être à même, si sa situation matérielle décline, d’envisager cette activité comme moyen de subsistance. Mais il faut éviter de défendre des revendications qui seraient contradictoires avec notre projet de société et qui
    renforcent le système capitaliste et/ou patriarcal. Il s’agit de revendiquer des droits qui soient attachés aux individus eux-mêmes: droit à un logement, à un emploi rémunéré convenablement, à une formation… Ce n’est donc pas un statut de prostitué-e ou de travailleur/travailleuse du sexe qu’il faut défendre, mais des droits sociaux attachés à tout individu en tant qu’il est membre d’une société."
    -Irène Pereira, "Être anarchiste et féministe aujourd’hui", Réfractions, no 24, 2010: http://refractions.plusloin.org/IMG/pdf/2407_1_.pdf





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