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    Stéphane Rosière, Une géopolitique des classes ?

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Stéphane Rosière, Une géopolitique des classes ? Empty Stéphane Rosière, Une géopolitique des classes ?

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 27 Fév - 18:53

    https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Rosi%C3%A8re

    https://journals.openedition.org/espacepolitique/1770

    "C’est la notion même de classe qui, depuis les années 1970 surtout, a tendu à se dissoudre, que ce soit dans les sciences humaines ou le discours politique (Ruffin, 2008)."

    "Cette segmentation du corps social est fondée à la fois sur un niveau de vie et un rôle spécifique, des intérêts politiques et économiques distincts (sinon divergents que l’on pense par exemple aux salaires), mais aussi des codes et des symboles ainsi, bien sûr, que des localisations spatiales distinctes.

    La notion de classes en tant qu’élément constitutif de l’identité connait paradoxalement un certain regain, notamment parmi les géographes et plus largement dans les sciences sociales. Selon la géographe britannique Alison Stenning (2008, p.9), les classes seraient même « revenues d’une façon convaincante dans l’agenda de la géographie », mais cette dimension est surtout pensée en tant que vecteur d’identité — voir aussi Robyn Dowling (2009) qui insiste sur les class identities. Pourtant, la notion de classe ne saurait être réduite à un vecteur d’identification, elle doit aussi être analysée comme facteur de structuration, notamment vis-à-vis du pouvoir — notion peu associée aux récents travaux cités ici. Le jeu entre les classes est fait de luttes ou d’alliances, de ruptures ou de compromis qui doivent être pris en compte pour comprendre les dynamiques profondes qui agissent sur l’espace politique et social (Di Méo et Buléon, 2005). Dans ce jeu, une classe — ou une fraction de classe — peut s’allier ou s’opposer à d’autres catégories sociales selon les périodes et les conjonctures. Mais comment prendre en compte une « classe » en tant qu’acteur géographique ?

    Il paraît délicat d’assigner à une classe sociale le rôle d’acteur géopolitique ce qui tendrait à la considérer comme entité unique, hiérarchisée, dotée d’un leadership (re)connu et dotée d’une « conscience » indiscutable. Les classes sont constituées de l’addition de millions d’individus dont la cohérence se révèle dans des points communs ou des choix concordants (culturel, économique, ou politique). La classe sociale génère une action globale qui est le produit de l’action d’individus et de structures dont les perspectives et les choix convergent sans qu’ils soient nécessairement « coordonnés »."

    "Quelles stratégies spatiales utilisent les « classes » pour conserver/prendre le pouvoir ?

    Si nous considérons l’espace comme le produit de stratégies ou de jeux d’acteurs et si l’on admet la géopolitique comme l’étude de l’espace comme « enjeu » (Rosière, 2003, p.21) alors l’enjeu à identifier est celui du pouvoir — du pouvoir par et dans l’espace. A ce jour, une seule théorie semble avoir pensé le lien entre espace et pouvoir (ce dernier pensé en termes « classiques » mais aussi financiers et sociaux), c’est celle du système monde forgée par Fernand Braudel et Immanuel Wallerstein à laquelle on peut ajouter les théories connexes de l’échange inégal de Samir Amin et celle des classes socio-spatiales élaborée par Alain Reynaud. Ces chercheurs ont ébauché ce que nous pourrions qualifier de « géopolitique de classes », ou de géopolitique « radicale » suivant l'expression anglo-saxonne qui désigne par là toute démarche mettant l'accent sur les tensions et les clivages sociaux."

    "La périphérie comprend aussi des émissaires et des ramifications du centre : la bourgeoisie « compradore » selon la doxa marxiste."

    "La superclass bénéficie, et c'est important, du renfort ponctuel de membres de la classe moyenne intellectuelle (journalistes, essayistes, universitaires, etc.) ou favorisée (cadres supérieurs, technocrates), qui partagent les mêmes objectifs, se reconnaissent dans les mêmes valeurs, et contribuent aux décisions prises — on peut dire que la percolation de l’idéologie de la superclass est une des conditions de sa position dominante et l’une des explications du succès du capitalisme contemporain. Nous appellerons cet ensemble, plus large que la seule superclass, l’oligopole mondial ici définit comme la classe sociale transnationale et ses relais qui détiennent le pouvoir."

    "L’oligopole reste hétérogène, mais son ossature est la superclass formée des membres des conseils d’administration des firmes multinationales, des dirigeants de grandes structures financières (fonds de pension, fonds souverains) ; il fonctionne en réseau et par cooptation. Malgré son hétérogénéité, il a ses dénominateurs communs : une idéologie (« libre-échange », « libéralisme »), une langue (l’anglais), des stratégies communes ainsi que — et paradoxalement, dans une conception marxiste — une « conscience de classe » bien affirmée."

    "L'oligopole a aussi ses lieux que nous pourrons succinctement diviser en trois catégories : les lieux du pouvoir (dont les sièges des entreprises localisés dans les Central Business district des métropoles), les lieux de résidence et de villégiature (Davos, Monaco, l’île Moustique, etc.) et ce que je nommerais des lieux « techniques » dont les îlots de développement offshore nécessaires au fonctionnement de l'ensemble (comme les paradis fiscaux ou les sites de production délocalisés en périphérie)."

    "Une telle géopolitique est donc une analyse de l’impérialisme, comme la géopolitique classique, mais ce serait une analyse de l’imperium — forme de domination politique et économique dans laquelle « la puissance politique de l’État et le contrôle de la production sont liés et en interaction » (Durand & alii, p.84) — et non de l’empire. A cette échelle, la proximité (et donc la confusion) entre géopolitique des classes et géopolitique classique est manifeste. Pourtant, les deux se distinguent par la hiérarchie des facteurs explicatifs qu’elles convoquent : l’analyse militaro-diplomatique est primordiale dans l’école classique, elle est renversée dans une géopolitique des classes au profit de l’analyse socio-économique."

    "122 interventions des forces états-uniennes hors de leur territoire entre 1890 et 2009 (sans les deux guerres mondiales) allant d’opérations commandos ponctuelles (Cuba en 1961) à des occupations (Haïti en 1914-34, Saint-Domingue en 1916-1924, etc.) et des guerres de grande envergure (conquête des Philippines de 1899 à 1903, guerre du Vietnam entre 1964 et 75 ou guerres d'Irak, 1990-91 puis 2003-2010)."

    "Césures sociales et rapports de pouvoir distinguent entre le in et le out, entre individus/groupes proche du pouvoir et donc reliés et marginaux et dominés non ou mal reliés."

    "La vision au plus près du terrain révèle les clivages socio-spatiaux dans toute leur netteté. La fragmentation de l’espace social en classes distinctes se révèle notamment à l’échelle des agglomérations.

    La division entre quartiers riches et pauvres est une dimension classique de la géographie urbaine et de l’aménagement du territoire : le sujet n’est donc pas neuf, il s’agit simplement de le remettre en perspective dans une géopolitique des classes. La ville est décisive pour l'oligopole car, nous l'avons dit plus haut, c'est là que se localisent ses lieux de pouvoir (central business districts) et de résidence (symbolisés par les gated communities), ainsi qu’un certain nombre de ses lieux « techniques » (usines).

    Surtout, la ségrégation socio-spatiale est la marque de fabrique de la ville « néolibérale », par le levier de la spéculation immobilière, le jeu des classes est clairement polarisé — comme à Paris entre l’Est et l’Ouest de la capitale. La polarisation spatiale des classes vise à mettre à distance suffisante des groupes hétérogènes — l’instauration de buffer zone ne serait pas une spécificité sud-africaine mais une pratique nécessaire dans la ville néolibérale ? Tout le problème serait de générer de la « distance » tout en maintenant une circulation générale aussi efficace que possible..."

    "Malgré sa qualité « circulatoire », la ville néolibérale souffre cependant d’un manque de lien. La décomposition du lien social est son mal endémique. Une distance s’est instaurée entre les classes sociales malgré ou à cause de la situation de promiscuité. [...]
    La constitution d’edge-cities (Garreau, 1991) est, depuis les années 1970, une réponse apportée par la classe dominante à cette trop grande promiscuité – tout comme la constitution de gated communities —, elle exprime une volonté explicite de refouler les pauvres comme le montre bien, en France, les fortes résistances des édiles et des classes aisées à l’application de la loi SRU (et surtout de son article 55 instaurant le principe des 20% de logements sociaux par commune)."

    "Selon l’interprétation de Mike Davis (2006b), la ville contemporaine vit dans un état de « guerre sociale de basse intensité » perpétuelle, susceptible à tout moment d’éclater, comme lors d’émeutes interethniques, d’explosions de désarroi ou lors de manifestations sociales."

    "La « sécurisation » des flux (énergétiques ou de transport notamment à l’échelle globale), s’exprime très bien dans le contrôle croissant auquel sont soumis les voyageurs à l’échelle urbaine, nationale et internationale. La pénalisation et le refoulement sont les corollaires nécessaires à tout système générant de la précarité. Dans un contexte de diminution du nombre des conflits interétatiques, le rôle des structures de force extérieures (armée) paraît décliner (à nuancer pour les Etats-Unis) ; à l’inverse, les structures internes (police et/ou gendarmerie) paraissent prendre une importance accrue.

    Un des succès de l’ordre international contemporain est d’avoir fait diminuer le nombre des guerres, sinon de les cantonner à la périphérie (Ó Loughlin, 2005). Le facteur classe paraît jouer un rôle inversement proportionnel, et sensible, par rapport au vecteur national, statocentré, qui fonderait la rugosité des relations internationales. La transmission de la rugosité de l’international à l’intranational est certainement une dimension importante d’une géopolitique des classes dans le monde contemporain. La menace d’invasion ou de guerres interétatique « à l’ancienne » a effectivement diminué, mais les menaces n’ont pas disparu, elles se sont déplacées."

    "Le passage du soutien à la pénalisation des réfugiés et autres migrants spontanés est un aspect du refoulement global mis en place par la Triade. Ce refoulement ne concerne pas les personnes les plus aisées, la superclass et même la classe moyenne, il est d’abord un refoulement des pauvres et une manifestation concrète de la rugosité des relations entre classes socio-spatiales."

    "L’élaboration d’une géopolitique des classes paraît un objectif difficile (difficulté à considérer les classes comme des acteurs géopolitiques, estompage des classes à grande échelle, confusion entre les structures agissantes — et de pouvoir — avec les classes)."
    -Stéphane Rosière, « Une géopolitique des classes ? », L’Espace Politique [En ligne], 12 | 2010-3, mis en ligne le 11 février 2011, consulté le 27 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/espacepolitique/1770 ; DOI : https://doi.org/10.4000/espacepolitique.1770





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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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