https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernadette_Bensaude-Vincent
"Si l’on se réfère aux critères actuels d’évaluation par le nombre de publications, elle est même en très bonne « santé » puisqu’elle produit à elle seule autant de publications que toutes les autres disciplines scientifiques réunies. D’où ce paradoxe, que les philosophies de la connaissance se construisent sans un regard sur la science qui produit le plus de connaissances (si l’on s’en tient aux critères actuellement en vigueur !)." (p.13)
"La chimie manque néanmoins de prestige dans le monde des humanités. Ce statut que déplorent souvent les chimistes professionnels pourrait bien avoir partie liée avec une singularité de la chimie qu’accuse un regard sur son histoire. Voilà en effet un domaine aux frontières inassignables puisque les chimistes s’intéressent aux substances appartenant aux trois règnes qui ont historiquement structuré l’étude de la nature : le minéral, le végétal et l’animal. Voilà, en outre, un domaine qui défie les catégories qui présidèrent à la fondation des universités. La chimie est à la fois science et art, elle développe un savoir sur le monde matériel tout en visant à le transformer." (p.14)
"Le dédain des philosophes pour la chimie n’est donc pas étranger à un projet de subordination voire de réduction de la chimie à la physique. Mais il a été favorisé également par le positivisme logique porteur d’un projet d’unification des sciences par adoption de la « langue de la physique » comme langue universelle. Or ce projet, fortement critiqué par plus d’une génération de philosophes, a été abandonné. La « désunité » des sciences est même devenue une revendication philosophique majeure à la fin du XXe siècle." (p.16)
"La chimie a marqué quelques philosophes du XXe siècle, en particulier dans la tradition française : Pierre Duhem, Émile Meyerson, Gaston Bachelard et François Dagognet se sont largement nourris d’histoire de la chimie. Mais cela est généralement perçu comme un aspect plutôt marginal de leur œuvre. Quant à celle d’Hélène Metzger, tout entière centrée sur la chimie, elle fut largement oubliée dans la deuxième moitié du XXe siècle, mise à part l’influence avouée qu’elle eut sur Thomas Kuhn." (pp.16-17)
"Faire émerger des pratiques chimiques elles-mêmes un questionnement philosophique qui lui soit propre. C’est pourquoi on évitera autant que possible de passer la chimie au crible des questions traditionnelles de la philosophie. Précisément parce que la plupart des catégories utilisées par les philosophes des sciences telles que induction-déduction, réalisme-conventionalisme, ont été forgées ailleurs, sur d’autres terrains, elles font obstacle à une compréhension fine de la chimie. Il faut s’efforcer de penser la chimie sans recourir aux outils conceptuels, ni aux étiquettes habituelles qu’affectionnent les philosophes des sciences. Et tenter de dégager de cette localité du savoir les outils pour la travailler en philosophe." (p.19)
"La chimie est une science singulière qui n’a jamais séparé le connaître du faire, la production d’artifices de l’étude de la nature." (p.21)
"La démarcation entre chimique et naturel n’est pas fondée puisque « tout est chimique » dans la nature. Que la vie reposant sur des réactions chimiques, l’opposition du biologique au chimique ne se justifie pas. De même, pour un chimiste, l’association courante entre nature et pureté est un vrai scandale, puisqu’il faut beaucoup de chimie pour atteindre un état de pureté acceptable. Les produits naturels sont toujours impurs, mélangés d’ingrédients extérieurs, non contrôlés ; ils sont donc moins fiables et donc potentiellement plus dangereux que les produits de synthèse." (p.25)
"Ce qui distingue la chimie parmi toutes les sciences de la nature c’est qu’elle est un art, au sens fort, où elle produit des artifices. C’est en créant des artifices, en laboratoire, qu’elle explore la nature. Ce choix épistémologique qui oriente indéniablement la connaissance chimique vers le comment plutôt que vers le pourquoi, vers les procédés et leurs protocoles plutôt que vers l’être intime des choses, semble motivé par la conviction que nous ne pouvons connaître rationnellement que ce nous avons créé ou engendré." (p.26)
-Bernadette Bensaude-Vincent, Matière à penser. Essais d'histoire et de philosophie de la chimie, Nouvelle édition [en ligne]. Nanterre : Presses universitaires de Paris Ouest, 2008 (généré le 26 mars 2015), 255 pages. Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pupo/1281>.
"Si l’on se réfère aux critères actuels d’évaluation par le nombre de publications, elle est même en très bonne « santé » puisqu’elle produit à elle seule autant de publications que toutes les autres disciplines scientifiques réunies. D’où ce paradoxe, que les philosophies de la connaissance se construisent sans un regard sur la science qui produit le plus de connaissances (si l’on s’en tient aux critères actuellement en vigueur !)." (p.13)
"La chimie manque néanmoins de prestige dans le monde des humanités. Ce statut que déplorent souvent les chimistes professionnels pourrait bien avoir partie liée avec une singularité de la chimie qu’accuse un regard sur son histoire. Voilà en effet un domaine aux frontières inassignables puisque les chimistes s’intéressent aux substances appartenant aux trois règnes qui ont historiquement structuré l’étude de la nature : le minéral, le végétal et l’animal. Voilà, en outre, un domaine qui défie les catégories qui présidèrent à la fondation des universités. La chimie est à la fois science et art, elle développe un savoir sur le monde matériel tout en visant à le transformer." (p.14)
"Le dédain des philosophes pour la chimie n’est donc pas étranger à un projet de subordination voire de réduction de la chimie à la physique. Mais il a été favorisé également par le positivisme logique porteur d’un projet d’unification des sciences par adoption de la « langue de la physique » comme langue universelle. Or ce projet, fortement critiqué par plus d’une génération de philosophes, a été abandonné. La « désunité » des sciences est même devenue une revendication philosophique majeure à la fin du XXe siècle." (p.16)
"La chimie a marqué quelques philosophes du XXe siècle, en particulier dans la tradition française : Pierre Duhem, Émile Meyerson, Gaston Bachelard et François Dagognet se sont largement nourris d’histoire de la chimie. Mais cela est généralement perçu comme un aspect plutôt marginal de leur œuvre. Quant à celle d’Hélène Metzger, tout entière centrée sur la chimie, elle fut largement oubliée dans la deuxième moitié du XXe siècle, mise à part l’influence avouée qu’elle eut sur Thomas Kuhn." (pp.16-17)
"Faire émerger des pratiques chimiques elles-mêmes un questionnement philosophique qui lui soit propre. C’est pourquoi on évitera autant que possible de passer la chimie au crible des questions traditionnelles de la philosophie. Précisément parce que la plupart des catégories utilisées par les philosophes des sciences telles que induction-déduction, réalisme-conventionalisme, ont été forgées ailleurs, sur d’autres terrains, elles font obstacle à une compréhension fine de la chimie. Il faut s’efforcer de penser la chimie sans recourir aux outils conceptuels, ni aux étiquettes habituelles qu’affectionnent les philosophes des sciences. Et tenter de dégager de cette localité du savoir les outils pour la travailler en philosophe." (p.19)
"La chimie est une science singulière qui n’a jamais séparé le connaître du faire, la production d’artifices de l’étude de la nature." (p.21)
"La démarcation entre chimique et naturel n’est pas fondée puisque « tout est chimique » dans la nature. Que la vie reposant sur des réactions chimiques, l’opposition du biologique au chimique ne se justifie pas. De même, pour un chimiste, l’association courante entre nature et pureté est un vrai scandale, puisqu’il faut beaucoup de chimie pour atteindre un état de pureté acceptable. Les produits naturels sont toujours impurs, mélangés d’ingrédients extérieurs, non contrôlés ; ils sont donc moins fiables et donc potentiellement plus dangereux que les produits de synthèse." (p.25)
"Ce qui distingue la chimie parmi toutes les sciences de la nature c’est qu’elle est un art, au sens fort, où elle produit des artifices. C’est en créant des artifices, en laboratoire, qu’elle explore la nature. Ce choix épistémologique qui oriente indéniablement la connaissance chimique vers le comment plutôt que vers le pourquoi, vers les procédés et leurs protocoles plutôt que vers l’être intime des choses, semble motivé par la conviction que nous ne pouvons connaître rationnellement que ce nous avons créé ou engendré." (p.26)
-Bernadette Bensaude-Vincent, Matière à penser. Essais d'histoire et de philosophie de la chimie, Nouvelle édition [en ligne]. Nanterre : Presses universitaires de Paris Ouest, 2008 (généré le 26 mars 2015), 255 pages. Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pupo/1281>.