https://fr.book4you.org/book/4121429/330d97
"Étudier l’érotisme du point de vue des femmes de l’Antiquité romaine revient à étudier la sexualité féminine dans son ensemble, sans se limiter aux actes. Ainsi, pour comprendre celle-ci, il convient de maîtriser les tenants et les aboutissants de l’érotisme romain, qu’il s’agisse de sa formation, de sa perception ou de son évolution."
"Entre l’avènement de la dynastie julio-claudienne (27 av. J.-C.-68 apr. J.-C.) et la fin des Flaviens (69-96 apr. J.-C.), la vision de la sexualité a changé. Cette période a été une charnière durant laquelle les mœurs ont subi une révolution, un élan de liberté si favorable aux femmes que certains historiens ont parlé d’émancipation féminine. Jusqu’au IIe siècle avant notre ère, la morale qui régissait la vie des femmes provenait directement du mos maiorum, la coutume des anciens. Les mythes politiques de l’histoire de Rome ont vraisemblablement créé un idéal féminin pour les femmes honnêtes. Mais, au Ier siècle avant notre ère, le changement progressif du climat social, l’arrêt des guerres civiles, l’enrichissement global de la société et l’abandon de certaines traditions matrimoniales archaïques ont permis aux femmes, dans une certaine mesure, de frayer avec d’autres sphères que la sphère domestique. Cette indépendance très relative d’un certain nombre d’entre elles parmi les plus riches et un contexte social favorable allaient entraîner un relâchement des mœurs et un vent de liberté sexuelle allait souffler sur Rome. Les sources ne parlent que de la débauche ambiante, des infidélités, des adultères, des courtisanes et des prostituées."
" [Tacite] écrit à la gloire des Antonins en général et de Trajan en particulier en obscurcissant volontiers le tableau qu’il peint des dynasties précédentes. Il était manifestement conservateur et aucune femme ne trouvait grâce à ses yeux dès lors qu’elle s’autorisait des comportements inadéquats à son sexe. Les débordements des Julio-Claudiennes sont l’un des moyens utilisés par l’historien pour stigmatiser la dépravation ambiante."
"Les philosophes du Ier siècle de notre ère ont théorisé le passage d’une sexualité archaïque glorifiant le mâle à une sexualité régie par l’amour conjugal et l’objectif reproductif. Sénèque et Musonius Rufus ont posé les jalons d’une nouvelle morale sexuelle. Plutarque, qui n’est pas considéré comme un stoïcien, prêcha à son tour en faveur de l’amour conjugal fidèle et réciproque qui s’imposa comme nouveau modèle au IIe siècle."
"Musonius Rufus était un philosophe qui semblait penser qu’une femme pouvait être aussi vertueuse qu’un homme. Certains stoïciens partageaient ce point de vue. Mais, s’il convenait également aux femmes de recevoir une éducation philosophique pour être meilleures, elles ne devaient pas pour autant se livrer à des activités masculines. Les tâches domestiques étaient leur apanage. Cela impliquait de savoir gérer le travail des esclaves mais aussi de participer à certaines tâches et principalement la plus noble entre toutes, filer la laine, comme les Sabines et Lucrèce. Même si, au Ier siècle de notre ère, les Romaines rechignaient à filer elles-mêmes la laine pour faire leurs vêtements, cela demeurait une activité louable. Ainsi, l’éloge funèbre de Turia, daté de la fin du Ier siècle avant notre ère, précise qu’elle s’adonnait à cette activité. Une épouse qui se livrait sans retenue aux travaux domestiques rendait son mari heureux, comme le souligne Horace dans une épode. De la même manière, la compagne de l’intendant d’une ferme, bien que esclave, devait être une insatiable travailleuse, car le travail était l’assurance de mœurs honnêtes.
La liste des qualités morales que devait avoir une matrone est assez longue. Elle ne devait être ni querelleuse ni dépensière, savoir maîtriser ses colères, ses passions et son langage ; mais surtout être tempérante, agréable et complaisante, à l’instar de Turia qui était aussi docile, gentille et sobre. En plus de tout cela, une femme ne devait pas boire, car le vin poussait à avoir un comportement licencieux. Par ces qualités, la matrone gagnerait l’affection de son époux. Ces caractéristiques pouvaient être acquises par l’éducation. Une femme qui les possédait toutes méritait l’épithète de pudique (pudica) qui concentrait toutes ces précieuses vertus. Toutefois, l’excès de ces vertus menait les femmes à une austérité outrancière qui pouvait être insupportable pour leur entourage.
Il est néanmoins une vertu essentielle que toutes les femmes honnêtes devaient posséder : la chasteté (castitas). Cela n’implique pas l’abstinence sexuelle. Il s’agit d’un état de pureté de mœurs, de désintéressement et d’intégrité proche de notre notion de fidélité. S’il n’existait aucune exigence de fidélité réciproque, Sénèque recommandait qu’un époux soit pareillement fidèle à son épouse. Pour Martial, l’un des paramètres du bonheur était d’avoir une épouse chaste mais pas pudibonde. Les prostituées devaient partager certaines qualités avec les matrones : on attendait d’elles qu’elles soient loyales, gentilles et dépourvues d’égoïsme. La chasteté et la fidélité étaient deux qualités féminines associées à une troisième : la fécondité. Certes, être fertile n’était pas un attribut intrinsèquement moral, mais c’était bien la plus grande qualité physique de la femme. À l’époque augustéenne, on admirait Cornélie, la mère des Gracques, pour avoir mis au monde douze enfants. On passait alors sous silence le fait qu’elle avait été une mondaine cultivée. Elle était devenue une image de propagande illustrant la matrone selon la coutume des anciens (mos maiorum)."
"La civilisation romaine était une société patriarcale dans laquelle l’honneur familial reposait en partie sur le comportement sexuel des femmes. [...] Les qualités personnelles que les Romains espéraient retrouver chez les femmes achevaient de créer un idéal féminin, un carcan social rigide qui les enfermait dans la sphère privée. Toutes les femmes, honnêtes ou non, devaient se mettre au service des hommes et, par extension, au service de la patrie, les unes en veillant sur le foyer, les autres en assurant les distractions des hommes."
"Les vestales, au nombre de six, étaient recrutées très jeunes, entre six et dix ans. Le choix d’une nouvelle vestale répondait à des critères très stricts. Elle ne devait avoir aucun défaut physique. Une difformité ou un handicap était sujet à quolibets ou, pis, à la honte, car le handicap était perçu comme le signe annonciateur d’une malédiction. La fillette ne devait avoir aucun défaut social non plus. Ses deux parents devaient être vivants, car elle devait être exempte de la souillure inhérente à la mort. Les parents de la candidate devaient ne jamais avoir exercé de professions infamantes ou avoir été esclaves. L’élue devait encore ne pas être émancipée ou avoir des parents divorcés et résider en Italie. Comment ne pas constater que le choix de la vestale était déterminé par une recherche de pureté absolue ? La désignation d’une nouvelle vestale distinguait la fillette la plus parfaite socialement et la plus pure religieusement. [...]
Une fois la fillette choisie, elle était « prise » par le grand pontife qui, juridiquement, l’extrayait de sa famille pour la faire passer sous son autorité. Cette procédure s’appelait la captio. Dès lors, elle se mettait au service de Vesta pendant au moins trente ans. Le statut de vestale était accompagné de privilèges. Elles reçurent notamment d’Auguste des places réservées dans les spectacles et le ius trium liberorum (droit des trois enfants). Il s’agissait d’un privilège offert aux mères de trois enfants qui les délivrait juridiquement de toute tutelle masculine."
"La flaminique de Jupiter (flaminica dialis) était l’épouse du flamen dialis, prêtre de Jupiter. Ce sacerdoce, rempli par un couple de patriciens, était soumis à un ensemble de règles très contraignantes. Le couple sacerdotal ne pouvait pas se séparer, ni par répudiation ni par divorce. Lorsque la prêtresse mourait, le prêtre cessait d’exercer sa fonction. Ce couple représentait une sorte d’idéal puisque seule la mort pouvait mettre un terme à leur union, il était une représentation du couple socialement parfait, la flaminique de Jupiter étant le parangon de l’épouse idéale. Celle-ci se livrait notamment à l’activité matronale par excellence : le filage de la laine. Elle seule pouvait confectionner le manteau rituel de son époux.
Le vêtement de la flaminique était lui aussi régi par des règles strictes. Elle portait une tunique (stola) au bas de laquelle était cousu un volant destiné à cacher ses pieds. Son corps, entièrement recouvert, ne devait pas susciter la concupiscence. Ses cheveux étaient coiffés en un chignon de forme conique entrelacé de rubans de pourpre (tutulus). Le chignon porté par les femmes mariées devait diminuer l’attraction sexuelle de leur chevelure. La prêtresse dissimulait encore ses cheveux noués sous différents voiles afin d’annihiler totalement leur pouvoir sensuel. Enfin, elle se recouvrait du flammeum, le voile de mariée couleur de feu aux vertus fécondantes."
"En 296 av. J.-C., les orgueilleuses matrones patriciennes interdirent l’accès du temple de la Pudeur à une des leurs mariée à un plébéien sous prétexte qu’elle avait commis une mésalliance. La matrone écartée entreprit de créer une chapelle dédiée à la Pudeur Plébéienne où elle réunit les plébéiennes uniuirae pour un culte tout à fait analogue à celui de la Pudeur Patricienne."
"Ovide explique ensuite que les fêtes en l’honneur de Flore (Floralia) étaient une période joyeuse durant laquelle les mœurs se relâchaient quelque peu, notamment sous l’effet du vin. Les prostituées y prenaient une part active. Elles investissaient les théâtres et se livraient à des effeuillages publicitaires au cours desquels elles annonçaient leurs tarifs en tâchant de mettre en valeur leurs spécialités, si l’on en croit le témoignage outré du chrétien Tertullien. Déjà sous la République, les Romains étaient conscients du caractère érotique de ces effeuillages. Une anecdote racontée par Valère Maxime explique comment Caton d’Utique, homme réputé pour sa grande vertu, fut prié gentiment de quitter le théâtre pendant les Floralia pour que le peuple puisse se réjouir sans culpabilité du spectacle de la nudité des prostituées."
"La Vénus sicilienne du mont Éryx fut importée en deux temps à Rome. Un premier temple lui fut dédié en même temps que l’on en dédiait un autre à l’abstraction divinisée Mens (la Raison), à la suite de la défaite du lac Trasimène. Dès lors, le culte de la déesse perdit ses caractéristiques orientales – et en particulier ses hiérodules – dans un souci d’adaptation aux coutumes romaines que la prostitution sacrée choquait profondément.
Cette Vénus était adorée comme la mère d’Énée et son culte fut totalement romanisé. En 184 av. J.-C., la Sicilienne obtint un second temple, hors de l’enceinte sacrée de Rome, le pomerium, près de la porte Colline. La Vénus du mont Éryx conserva alors son lien étroit avec le monde de la prostitution en devenant la protectrice des prostituées. La déesse avait une fête qui lui était propre, le 23 avril, que l’on appelait le jour de la prostitution (meretricum dies). C’est à cette date qu’Ovide invitait les filles publiques à honorer Vénus en lui offrant des présents en échange de la beauté et du succès. En ce jour, celles-ci défilaient au temple, se comparaient certainement les unes aux autres pour faire valoir leurs atouts et s’assurer une large publicité auprès des hommes qui venaient sans doute nombreux pour admirer le spectacle. L’ambiance érotique qui caractérisait cette fête se plaçait en opposition avec les fêtes matronales. La religion, à l’instar des autres pratiques sociales, opposait les matrones et les autres femmes en raison de leurs rôles sociaux antagonistes."
"Pour Pierre Grimal, c’est la crainte des complots politiques que pourrait mener une institution secrète trop puissante contre le pouvoir en place qui poussa les magistrats à mettre un terme aux Bacchanales, sans compter la peur d’une montée en puissance des fanatismes religieux contre le mos maiorum. Cela est perceptible dans le discours du consul qui accusa les femmes d’avoir perverti les cérémonies et de compter parmi les mystes des efféminés ivres qui n’avaient plus leur place ni dans l’armée ni dans les assemblées de citoyens.
Jean-Marie Pailler avance une autre raison : la crainte d’une société secrète matriarcale où les très jeunes hommes étaient initiés par des femmes plus âgées à qui ils étaient soumis. Ce rite se mettait donc en opposition avec la société patriarcale romaine en concurrençant les rituels familiaux et civiques traditionnels.
Le récit de la répression des Bacchanales de Tite-Live comporte un certain nombre d’aspects érotiques. La dénonciatrice de la secte est une jeune affranchie prostituée initiée malgré elle dans sa jeunesse. Une prostituée était normalement frappée d’infamie et ne méritait le respect de personne. Or Tite-Live insiste sur le fait qu’Hispala était moralement au-dessus de sa condition. Elle était, de surcroît, généreuse et fidèle envers son amant. Ces deux qualités étaient attendues d’une matrone mais non d’une prostituée. Hispala est l’archétype de la putain vertueuse. Pour avoir sauvé un citoyen et la patrie du danger des Bacchanales, elle fut remerciée en devenant officiellement une matrone lavée de l’infamie de son ancienne condition. Le fait qu’elle soit une prostituée renforce, dans le récit, l’horreur des débauches des bacchanales, car même une femme dont le métier est d’assouvir des désirs sexuels se montre choquée par ce qu’elle a vu lors de ces cérémonies.
La morale sous-jacente de cette histoire apparaît alors. Un citoyen romain ne devait en aucun cas accepter ou rechercher des rencontres sexuelles hors du cadre établi par la société. Lors des Bacchanales, les jeunes hommes pouvaient avoir des rapports actifs ou passifs avec d’autres hommes de même statut qu’eux ou avec des femmes mariées en justes noces, ce qui était rigoureusement interdit."
"Dans un premier temps, Isis s’attira d’abord les faveurs des classes populaires. Les vestiges archéologiques de Pompéi prouvent qu’une grande majorité de dévots étaient des esclaves, des affranchis ou des clients de grandes maisons. Le culte possédait une dimension eschatologique propre aux religions orientales qui offrait une sorte de renaissance après la mort vers une vie plus pure. Cela était inexistant dans la religion romaine traditionnelle et les élites allaient finalement se laisser séduire et s’emparer des prêtrises les plus importantes.
Les membres les plus nombreux du collège des Isiaques étaient les femmes et en particulier les courtisanes, car la déesse se souciait tout particulièrement des intérêts de ces dernières, y compris de leur sexualité. Le satiriste Juvénal la surnomme « Isis, la déesse-maquerelle ». Elle veillait notamment au bon déroulement des grossesses."
"Les séparations entre époux pouvaient être unilatérales à la demande du mari – on parlait alors de répudiation. Si la séparation était voulue bilatéralement, il s’agissait d’un divorce. Celui-ci n’était juridiquement possible que dans le cadre d’un mariage sine manu, c’est-à-dire d’un mariage dans lequel l’épouse restait sous la tutelle de son père ou d’un autre tuteur légal. Sous l’Empire, la procédure de divorce était très simple. L’époux n’avait qu’à dire à celle qui allait devenir son ex-femme : Tuas res tibi agito, « reprends tes affaires », devant sept témoins citoyens et celle-ci rentrait chez son père sans autre forme de procès. La prosopographie des femmes de l’ordre sénatorial au Ier siècle de notre ère montre que le phénomène du divorce était loin d’être majoritaire. L’épigraphie offre certes beaucoup d’exemples de femmes divorcées et remariées, mais il est aussi question de mariages longs et uniques. Les Romains vouaient une grande admiration aux femmes qui n’avaient connu qu’un seul homme dans leur vie, les uniuirae, qui étaient perçues comme les plus chastes, les plus pudiques, les plus dignes."
"Auguste chercha à renforcer les élites en leur imposant une certaine endogamie et en encourageant la natalité. La loi Iulia de maritandis ordinibus, promulguée en 18 av. J.-C. selon Dion Cassius, se donnait cette mission. Cette loi encourageait les citoyens à la procréation par un système de récompenses fiscales pour ceux qui avaient mis au monde au moins trois enfants. L’objectif non dissimulé était d’encourager la natalité. Au contraire, les célibataires et les couples qui demeuraient sans enfants étaient soumis à des incapacités fiscales.
Le deuxième volet de la loi fixait des interdictions matrimoniales dans l’ordre sénatorial et à l’ensemble des citoyens nés libres dans le but de maintenir la pureté du sang des élites et des citoyens en prévenant les mésalliances. La loi interdisait aux sénateurs et à leurs descendants jusqu’au troisième degré d’épouser des personnes issues des classes sociales les plus basses. Cette interdiction touchait ceux dont l’un des parents au moins pratiquait les métiers de la scène, les affranchis, les prostitués, les souteneurs et les femmes adultères. Ces métiers ou ces flétrissures étaient infamants et constituaient une souillure sociale dont devaient se protéger les élites."
"Une proportion indéterminée d’esclaves, achetés dans ce but ou non, devait assouvir les désirs sexuels de leur maître, voire de leur maîtresse, sans être réellement en mesure de protester, car tout ce que voulait le maître était juste et bon comme le rappelle naïvement Trimalcion dans le Satiricon de Pétrone. Les diverses sources prouvent que les rapports sexuels entre maîtres et esclaves ont toujours existé. Les hommes libres étaient autorisés à avoir des relations sexuelles avec toutes les femmes esclaves qui leur plaisaient. La seule limite de la bienséance consistait à ne pas avoir de rapports avec les esclaves d’un autre propriétaire sans que celui-ci ne les prostitue. L’esclave étant l’objet de son maître, c’était usurper le bien d’autrui que de profiter du corps de l’esclave d’un autre. Si les relations hommes libres-esclaves étaient souvent éphémères, d’autres étaient durables et se muaient en concubinage. Les hommes étaient autorisés à affranchir une esclave pour l’épouser, encore que cela fût interdit aux sénateurs par les lois Iulia et Papia Poppaea, sauf dérogation impériale. Les filles de sénateurs pouvaient épouser un affranchi si elles avaient exercé au préalable le métier de prostituée ou d’actrice, car elles avaient déjà perdu la dignité inhérente à leur rang. Dans tous les cas de relations sexuelles entre hommes libres et esclaves, les enfants à naître héritaient du statut juridique de leur mère et étaient eux-mêmes des esclaves. La sexualité entre la maîtresse de maison et l’esclave n’était pas permise mais n’était pas inexistante pour autant. La femme mariée qui se livrait à la débauche avec un esclave tombait sous le joug de la loi sur l’adultère."
"Selon les sources, Caligula aurait eu des rapports sexuels avec ses trois sœurs. Néanmoins, il préféra Drusilla avec qui il aurait eu commerce depuis l’adolescence."
"Les relations homme-femme, qu’elles aient été fondées sur le sentiment amoureux, le désir ou la raison, ne pouvaient exister qu’au sein de deux catégories presque totalement imperméables : les justes noces ou les unions de fait. Cette dichotomie fondamentale opposait le mariage légal, dont le but était de mettre au monde des enfants légitimes, au concubinage dont les enfants ne deviendraient jamais des citoyens."
"L’existence de pueri delicati, ces enfants généralement esclaves dont les maîtres tiraient des plaisirs sexuels, est avérée."
"Pour les fillettes libres, le mariage, et donc toute sexualité, était interdit avant l’âge de douze ans."
"La morale voulait que les jeunes mariées fussent déflorées le soir de leurs noces. Ce jour-là, la jeune fille était guidée dans ses premiers pas d’épouse par une sorte de marraine, la pronuba, une femme uniuira dont l’époux était encore vivant, symbole d’un mariage unique et durable. Celle-ci lui donnait manifestement des conseils matrimoniaux dont certains devaient avoir trait à la sexualité. Avant de rejoindre la couche nuptiale, la jeune fille était parée de l’archaïque tunique droite (tunica recta) fermée par une ceinture de laine, symbole de pureté, nouée avec un nœud d’Hercule que le mari déliait sur le lit nuptial. Dans son récit de la nuit de noces, Stace invite la jeune épousée à quitter sa pudeur et à profiter des bras de son mari pour lui offrir promptement des enfants. Mais il semblerait que bien des jeunes filles appréhendaient cette première nuit en dépit des encouragements que leur fit Pétrone dans un poème qui lui est attribué. Outre la crainte provoquée par les caresses d’un homme plus âgé et parfois presque inconnu, la défloration pouvait être assez douloureuse. À ce sujet, une épigramme de Martial attire l’attention. Il semble que certains époux eussent pratiqué la sodomie le soir de leurs noces pour éviter le traumatisme de la défloration."
"Dans un couple, la stérilité était majoritairement reprochée à la femme. Elle était un motif légitime de répudiation."
"Pline et Lucrèce considéraient que certains couples étaient stériles alors que chacun pouvait avoir des enfants avec un autre partenaire."
"Parfois, lorsque le mari était impuissant et par conséquent stérile, et qu’il voulait prouver sa virilité en engrossant son épouse, il faisait lui-même appel à un client qui déflorait et fécondait sa patronne."
"Selon Juvénal, les produits abortifs ou rendant stériles étaient très usités et très efficaces. Cependant, il ajoute que les femmes pauvres étaient obligées de subir les grossesses. Il est possible que la cause de cette inégalité entre femmes riches et femmes pauvres fût d’ordre pécuniaire. Les produits anticonceptionnels et abortifs ne devaient pas tous être bon marché, ni efficaces, ni sans effets secondaires. Il n’est pas inconcevable d’imaginer que les produits les plus sûrs aient été les plus onéreux.
La limitation des naissances présentait le double intérêt de protéger le patrimoine familial de la dispersion et la vie des femmes en les préservant des dangers inhérents à la grossesse et à l’accouchement. Comme ce double intérêt était favorable aux maris, certains auraient pu autoriser leur épouse à maîtriser sa fécondité."
"Le climat de tolérance qui autorisait les femmes à maîtriser leur fécondité, peut-être parfois même avec l’accord de leur époux, s’étiola progressivement pour aller vers une interdiction de ces pratiques à la fin du monde romain avant même que l’Empire ne fût officiellement chrétien."
"La vengeance ou la jalousie pouvaient également pousser les femmes à avorter, pour priver un homme d’une descendance par exemple. Les raisons qui amenaient à l’avortement, à une époque où le risque létal inhérent à cette pratique était connu, ne pouvaient être que complexes."
"La perception que les Romains avaient de la vieillesse était quelque peu différente de la nôtre. Macrobe nous apprend à propos de Julie, la fille d’Auguste, que trente-huit ans est un âge qui tend vers la vieillesse pour une femme. La coquetterie et la compagnie des jeunes femmes étaient fortement réprouvées chez les femmes vieillissantes."
"Les femmes plus ou moins âgées qui s’offraient des jeunes hommes semblaient avoir un peu de biens, condition sine qua non pour appâter les don Juan gérontophiles. La législation du début de l’Empire favorisa l’autonomie financière des veuves. Par le jeu des successions, sans tuteur ou avec un tuteur complaisant, un certain nombre de femmes, plus forcément très jeunes, pouvaient vivre sans être soumises à un homme. Dès lors, elles avaient la possibilité d’entretenir à leur guise un amant. La sexualité pouvait être un moyen d’enrichissement certain. Le travailleur du sexe était un prestataire de services qui recevait une rétribution pour le travail accompli. La femme riche et encore jeune était toujours une proie pour les coureurs de dot ; vieille, la femme riche intéressait les coureurs d’héritage. Cette façon de s’enrichir était tout aussi réprouvée que la libido des vieilles femmes."
"Dans quasiment toutes les civilisations, la féminité est symbolisée par une longue et abondante chevelure. Les cheveux sont perçus comme un objet de séduction et même de fascination [...]
Depuis les origines de Rome, les cheveux des femmes étaient liés au désir et à la magie amoureuse."
"Les perruquiers faisaient le bonheur des femmes que la nature n’avait pas gâtées. Il semblerait que les rajouts et les perruques étaient faits de cheveux naturels, butin récolté notamment sur la tête des captives germaines dont les nuances, allant du blond au roux, faisaient les délices des coquettes. Toutefois, si certaines Romaines vieillissantes arrachaient leurs cheveux blancs ou les teignaient pour retrouver les tons bruns de leur jeunesse, les élégantes répandaient sur leur chevelure des produits plus ou moins agressifs pour en changer la couleur naturelle."
"La coiffure était alors élevée au rang d’art majeur, car « les mains de la coiffeuse donnent la beauté ou la refuse » selon Ovide. La reine de cet art était l’ornatrix, une femme de chambre en charge de l’habillement et de la coiffure. Esclave, affranchie ou même artisan, elle était la seule dont les Romaines ne savaient se passer."
"Le teint blanc, souvent comparé à la neige, au lys ou au marbre, était l’expression de la pureté et de la fragilité qui devaient définir la femme. Outre cette symbolique liée à la délicatesse féminine, la couleur du teint reposait sur une opposition sexuelle stricte. L’homme en bonne santé pouvait profiter du soleil dans l’exercice de sa citoyenneté au forum ou en faisant de la gymnastique à la palestre. Sa peau pouvait, sans lui nuire, porter les traces des caresses de l’astre du jour. La femme, en revanche, n’avait pas à subir le soleil, vivant à l’ombre des péristyles et des salons. Seule la servante flirtait innocemment avec Apollon. Il résultait de ces conventions sociales que la femme soucieuse de son apparence se devait d’être blanche (candida). Cette convention sociale devint une convention artistique. Les graffitis de Pompéi nous ont aussi appris que certaines jeunes filles au teint blanc, orgueilleuses de leur beauté, estimaient que les noiraudes étaient indignes d’être aimées. Mais le teint d’albâtre des jolies femmes devait être nuancé par des touches de rose et de rouge judicieusement placées sur les joues et les lèvres, car ces couleurs symbolisaient la vie et la bonne santé."
"Certaines femmes augmentaient encore l’attrait sexuel de leur corps nu en s’épilant le pubis pour le rendre plus visible. Cette pratique était largement répandue chez les Athéniennes. Pour les Romains, l’érotisme accru d’un pubis glabre convenait plus aux prostituées qu’aux matrones pudiques."
"Le biographe de Marc Aurèle raconte que Faustine la Jeune, l’épouse de ce dernier, s’était amourachée d’un gladiateur. En matrone à peu près honnête, elle en avertit son mari qui demanda à des astrologues chaldéens comment la guérir de cette tocade. Le remède consistait à tuer le gladiateur en recueillant son sang dans une bassine dans laquelle Faustine prendrait un bain de siège, puis, toujours couverte du sang du gladiateur, elle coucherait avec son mari. Sur un plan médical, les symptômes amoureux ressentis par Faustine ne sont pas sans évoquer l’hystérie. Le sang du gladiateur était donc appliqué comme un remède sous forme d’ablutions gynécologiques. Toujours couverte du sang du gladiateur, Faustine devait éteindre sa passion pour lui en lui substituant son époux."
"Les femmes mariées couvraient leur corps d’une longue tunique symbolisant leur dignité, la stola. Lorsqu’elles sortaient, elles se couvraient d’un manteau, la palla, et ne laissaient à nu que leur visage. Cacher le corps des femmes indisponibles sexuellement, en gommer les formes et les attraits par des tissus longs et flottants est symptomatique des « sociétés à honneur » selon l’expression des ethnologues. Cela signifie que la vertu des femmes est le gage de l’honorabilité de tout le groupe familial et qu’elle est préservée par la dissimulation du corps féminin dans l’espace public. Grâce à ces vêtements qui la cachaient, la femme vertueuse était censée ne pas provoquer le désir masculin. Elle était ainsi protégée du déshonneur provoqué par la perte de la virginité hors du mariage ou par des relations extraconjugales."
"Outre le fait que la beauté et le luxe rendaient les femmes orgueilleuses, le faste déployé dans la parure d’une femme donnait à voir de manière un peu trop ostentatoire qu’elle était riche. Or Juvénal et Martial ont laissé entendre dans plusieurs de leurs écrits qu’une femme plus riche que son mari était en mesure de prendre le pouvoir dans le couple. La richesse émancipe et les Romains n’aimaient pas les femmes émancipées, à moins d’aimer encore plus l’argent de ces dernières."
"Sous la pression du christianisme, le corps érotique allait être de plus en plus dissimulé et dénigré pour se limiter à une dimension reproductrice. Ainsi, au début du IIIe siècle, le chrétien de Carthage Tertullien écrivait un traité, La Toilette des femmes, qui s’efforçait « de faire prendre conscience à la femme de sa condition de pécheresse et de l’origine satanique de tout ce qui est bijoux, fards et teintures »."
"L’homme véritable est un homme de condition libre qui pratique la pénétration à sa guise sur un être, homme ou femme, socialement inférieur."
" [Le Baiser érotique] était ignoré des Esquimaux, des Mongols, des Polynésiens et des habitants du Japon ancien. Les Romains, eux, connaissaient les voluptés du baiser. Dans
l’iconographie érotique, le baiser apparaît réellement comme un préliminaire amoureux. Tendre ou passionné, Ovide atteste de son existence au sein du couple légitime. La pratique du baiser dans le couple n’a rien d’étonnant puisqu’il symbolise l’union des deux personnes qui s’embrassent, union dans laquelle s’échangent les souffles vitaux, l’esprit, l’âme, avec plus ou moins de passion. Il semblerait qu’il n’y ait rien eu de particulièrement inconvenant dans le fait d’embrasser sa femme ou son amie en public lors d’un banquet."
"La pratique sexuelle la plus ignominieuse était le cunnilingus. Les représentations picturales de cette pratique sont excessivement rares. On en trouve deux dans le vestiaire des thermes suburbains de Pompéi. Les scènes de ce vestiaire illustrent des perversions sexuelles et non des scènes galantes."
"La tolérance romaine envers les amours masculines prenait fin dès lorsque le partenaire soumis ou passif était un citoyen. L’homme de naissance libre qui se laissait traiter en femme par un autre homme contractait une souillure sexuelle qui le faisait déchoir de sa condition d’homme (uir) en trahissant ses valeurs romaines. L’armée romaine veillait à réprimer avec une grande sévérité les amours entre soldats. Si un cas de pédérastie était découvert, les coupables étaient généralement condamnés à mort.
En raison du caractère extrêmement infamant de l’homophilie passive, menacer un homme de le sodomiser ou bien dire qu’il était la femme d’un autre homme étaient des injures très violentes et humiliantes."
"Le cas de la Romaine retenue en captivité par des ennemis et qui aurait subi un viol est particulier. Lorsqu’une femme ayant vécu pareille situation réintégrait enfin ses pénates, son époux pouvait l’accuser d’adultère sur la base de la loi Iulia de adulteriis. Toutefois, si l’ancienne captive arrivait à prouver qu’elle avait été violée contre son gré, elle ne pouvait pas tomber sous le coup de la loi. Ces dispositions juridiques montrent que les Romains étaient toujours prêts à considérer que la femme violée était la complice de son violeur. Celle qui n’était pas complice ne pouvait pas vivre sans réclamer la mort de celui qui l’avait outragée et sans se supprimer elle-même pour montrer sa bonne foi, à l’instar de Lucrèce. Si la femme violée tombait enceinte de son violeur, son état était la preuve irréfutable qu’elle avait trouvé du plaisir dans la perte de son honneur, elle était alors presque plus coupable que le violeur lui-même."
"Ovide est le seul poète qui prône l’égalité face au plaisir : « Pour que [le plaisir] soit vraiment agréable, il faut que la femme et l’homme y prennent part également. Je hais les étreintes qui ne comblent pas les deux amants (voilà pourquoi je trouve moins d’attraits à aimer les garçons). Je hais la femme qui se livre parce qu’elle doit se livrer et qui, n’éprouvant rien, songe à son tricot. Le plaisir qu’on m’accorde par devoir ne m’est pas agréable ; je ne veux pas de devoir chez une femme. Je veux entendre des paroles avouant la joie qu’elle éprouve ; qu’elle me demande d’aller moins vite et de me retenir. Que je voie les yeux vaincus d’une maîtresse qui se pâme et qui, abattue, ne veut plus, de longtemps, qu’on la touche. » Ce discours paraît révolutionnaire. Il est tellement en contradiction avec les autres auteurs antiques qui tolèrent à peine le plaisir et le désir féminins qu’il peut être interprété comme relativement marginal dans la pensée romaine."
"Rien n’était plus prétexte à raillerie qu’un homme éperdu d’amour pour une belle de nuit. Le poète Perse invitait ses lecteurs à quitter leurs amantes vénales avant de perdre toute dignité en dilapidant, pour leurs jolis yeux humides, tout le patrimoine familial, ou en passant la nuit à geindre devant une porte close. Pour garder son intégrité, l’homme ne devait pas devenir l’esclave de ses sentiments amoureux. La femme aimée pouvait alors dominer l’homme psychologiquement affaibli par son désir et cela était un motif de honte.
En reconnaissant les bienfaits de la prostitution pour la sauvegarde des bonnes mœurs, le gouvernement se mit également à réclamer sa part d’intérêt dans ce commerce florissant. Caligula mit en place un impôt qui devait toucher le monde de la prostitution. Cette taxe aurait été une véritable manne financière et aurait dissuadé les femmes de pratiquer la prostitution occasionnelle. Elle rendait cette profession profitable, légitime, tout en la mettant sous contrôle, car, en dehors de Rome, l’impôt était récolté par l’armée qui devait surveiller la régularité des paiements. Si le dissolu Caligula faisait verser l’impôt de la prostitution au Trésor impérial, le doux et mesuré Alexandre Sévère l’affecta, quant à lui, aux dépenses publiques pour entretenir les édifices de spectacles. L’argent de la luxure était ainsi utilisé pour la bonne cause, mais l’impôt ne fut pas aboli. D’ailleurs, le Digeste reconnut aux prostituées le droit de toucher le salaire de leur travail."
-Virginie Girod, Les Femmes et le sexe dans la Rome antique, Paris, Tallandier, 2013.
"Étudier l’érotisme du point de vue des femmes de l’Antiquité romaine revient à étudier la sexualité féminine dans son ensemble, sans se limiter aux actes. Ainsi, pour comprendre celle-ci, il convient de maîtriser les tenants et les aboutissants de l’érotisme romain, qu’il s’agisse de sa formation, de sa perception ou de son évolution."
"Entre l’avènement de la dynastie julio-claudienne (27 av. J.-C.-68 apr. J.-C.) et la fin des Flaviens (69-96 apr. J.-C.), la vision de la sexualité a changé. Cette période a été une charnière durant laquelle les mœurs ont subi une révolution, un élan de liberté si favorable aux femmes que certains historiens ont parlé d’émancipation féminine. Jusqu’au IIe siècle avant notre ère, la morale qui régissait la vie des femmes provenait directement du mos maiorum, la coutume des anciens. Les mythes politiques de l’histoire de Rome ont vraisemblablement créé un idéal féminin pour les femmes honnêtes. Mais, au Ier siècle avant notre ère, le changement progressif du climat social, l’arrêt des guerres civiles, l’enrichissement global de la société et l’abandon de certaines traditions matrimoniales archaïques ont permis aux femmes, dans une certaine mesure, de frayer avec d’autres sphères que la sphère domestique. Cette indépendance très relative d’un certain nombre d’entre elles parmi les plus riches et un contexte social favorable allaient entraîner un relâchement des mœurs et un vent de liberté sexuelle allait souffler sur Rome. Les sources ne parlent que de la débauche ambiante, des infidélités, des adultères, des courtisanes et des prostituées."
" [Tacite] écrit à la gloire des Antonins en général et de Trajan en particulier en obscurcissant volontiers le tableau qu’il peint des dynasties précédentes. Il était manifestement conservateur et aucune femme ne trouvait grâce à ses yeux dès lors qu’elle s’autorisait des comportements inadéquats à son sexe. Les débordements des Julio-Claudiennes sont l’un des moyens utilisés par l’historien pour stigmatiser la dépravation ambiante."
"Les philosophes du Ier siècle de notre ère ont théorisé le passage d’une sexualité archaïque glorifiant le mâle à une sexualité régie par l’amour conjugal et l’objectif reproductif. Sénèque et Musonius Rufus ont posé les jalons d’une nouvelle morale sexuelle. Plutarque, qui n’est pas considéré comme un stoïcien, prêcha à son tour en faveur de l’amour conjugal fidèle et réciproque qui s’imposa comme nouveau modèle au IIe siècle."
"Musonius Rufus était un philosophe qui semblait penser qu’une femme pouvait être aussi vertueuse qu’un homme. Certains stoïciens partageaient ce point de vue. Mais, s’il convenait également aux femmes de recevoir une éducation philosophique pour être meilleures, elles ne devaient pas pour autant se livrer à des activités masculines. Les tâches domestiques étaient leur apanage. Cela impliquait de savoir gérer le travail des esclaves mais aussi de participer à certaines tâches et principalement la plus noble entre toutes, filer la laine, comme les Sabines et Lucrèce. Même si, au Ier siècle de notre ère, les Romaines rechignaient à filer elles-mêmes la laine pour faire leurs vêtements, cela demeurait une activité louable. Ainsi, l’éloge funèbre de Turia, daté de la fin du Ier siècle avant notre ère, précise qu’elle s’adonnait à cette activité. Une épouse qui se livrait sans retenue aux travaux domestiques rendait son mari heureux, comme le souligne Horace dans une épode. De la même manière, la compagne de l’intendant d’une ferme, bien que esclave, devait être une insatiable travailleuse, car le travail était l’assurance de mœurs honnêtes.
La liste des qualités morales que devait avoir une matrone est assez longue. Elle ne devait être ni querelleuse ni dépensière, savoir maîtriser ses colères, ses passions et son langage ; mais surtout être tempérante, agréable et complaisante, à l’instar de Turia qui était aussi docile, gentille et sobre. En plus de tout cela, une femme ne devait pas boire, car le vin poussait à avoir un comportement licencieux. Par ces qualités, la matrone gagnerait l’affection de son époux. Ces caractéristiques pouvaient être acquises par l’éducation. Une femme qui les possédait toutes méritait l’épithète de pudique (pudica) qui concentrait toutes ces précieuses vertus. Toutefois, l’excès de ces vertus menait les femmes à une austérité outrancière qui pouvait être insupportable pour leur entourage.
Il est néanmoins une vertu essentielle que toutes les femmes honnêtes devaient posséder : la chasteté (castitas). Cela n’implique pas l’abstinence sexuelle. Il s’agit d’un état de pureté de mœurs, de désintéressement et d’intégrité proche de notre notion de fidélité. S’il n’existait aucune exigence de fidélité réciproque, Sénèque recommandait qu’un époux soit pareillement fidèle à son épouse. Pour Martial, l’un des paramètres du bonheur était d’avoir une épouse chaste mais pas pudibonde. Les prostituées devaient partager certaines qualités avec les matrones : on attendait d’elles qu’elles soient loyales, gentilles et dépourvues d’égoïsme. La chasteté et la fidélité étaient deux qualités féminines associées à une troisième : la fécondité. Certes, être fertile n’était pas un attribut intrinsèquement moral, mais c’était bien la plus grande qualité physique de la femme. À l’époque augustéenne, on admirait Cornélie, la mère des Gracques, pour avoir mis au monde douze enfants. On passait alors sous silence le fait qu’elle avait été une mondaine cultivée. Elle était devenue une image de propagande illustrant la matrone selon la coutume des anciens (mos maiorum)."
"La civilisation romaine était une société patriarcale dans laquelle l’honneur familial reposait en partie sur le comportement sexuel des femmes. [...] Les qualités personnelles que les Romains espéraient retrouver chez les femmes achevaient de créer un idéal féminin, un carcan social rigide qui les enfermait dans la sphère privée. Toutes les femmes, honnêtes ou non, devaient se mettre au service des hommes et, par extension, au service de la patrie, les unes en veillant sur le foyer, les autres en assurant les distractions des hommes."
"Les vestales, au nombre de six, étaient recrutées très jeunes, entre six et dix ans. Le choix d’une nouvelle vestale répondait à des critères très stricts. Elle ne devait avoir aucun défaut physique. Une difformité ou un handicap était sujet à quolibets ou, pis, à la honte, car le handicap était perçu comme le signe annonciateur d’une malédiction. La fillette ne devait avoir aucun défaut social non plus. Ses deux parents devaient être vivants, car elle devait être exempte de la souillure inhérente à la mort. Les parents de la candidate devaient ne jamais avoir exercé de professions infamantes ou avoir été esclaves. L’élue devait encore ne pas être émancipée ou avoir des parents divorcés et résider en Italie. Comment ne pas constater que le choix de la vestale était déterminé par une recherche de pureté absolue ? La désignation d’une nouvelle vestale distinguait la fillette la plus parfaite socialement et la plus pure religieusement. [...]
Une fois la fillette choisie, elle était « prise » par le grand pontife qui, juridiquement, l’extrayait de sa famille pour la faire passer sous son autorité. Cette procédure s’appelait la captio. Dès lors, elle se mettait au service de Vesta pendant au moins trente ans. Le statut de vestale était accompagné de privilèges. Elles reçurent notamment d’Auguste des places réservées dans les spectacles et le ius trium liberorum (droit des trois enfants). Il s’agissait d’un privilège offert aux mères de trois enfants qui les délivrait juridiquement de toute tutelle masculine."
"La flaminique de Jupiter (flaminica dialis) était l’épouse du flamen dialis, prêtre de Jupiter. Ce sacerdoce, rempli par un couple de patriciens, était soumis à un ensemble de règles très contraignantes. Le couple sacerdotal ne pouvait pas se séparer, ni par répudiation ni par divorce. Lorsque la prêtresse mourait, le prêtre cessait d’exercer sa fonction. Ce couple représentait une sorte d’idéal puisque seule la mort pouvait mettre un terme à leur union, il était une représentation du couple socialement parfait, la flaminique de Jupiter étant le parangon de l’épouse idéale. Celle-ci se livrait notamment à l’activité matronale par excellence : le filage de la laine. Elle seule pouvait confectionner le manteau rituel de son époux.
Le vêtement de la flaminique était lui aussi régi par des règles strictes. Elle portait une tunique (stola) au bas de laquelle était cousu un volant destiné à cacher ses pieds. Son corps, entièrement recouvert, ne devait pas susciter la concupiscence. Ses cheveux étaient coiffés en un chignon de forme conique entrelacé de rubans de pourpre (tutulus). Le chignon porté par les femmes mariées devait diminuer l’attraction sexuelle de leur chevelure. La prêtresse dissimulait encore ses cheveux noués sous différents voiles afin d’annihiler totalement leur pouvoir sensuel. Enfin, elle se recouvrait du flammeum, le voile de mariée couleur de feu aux vertus fécondantes."
"En 296 av. J.-C., les orgueilleuses matrones patriciennes interdirent l’accès du temple de la Pudeur à une des leurs mariée à un plébéien sous prétexte qu’elle avait commis une mésalliance. La matrone écartée entreprit de créer une chapelle dédiée à la Pudeur Plébéienne où elle réunit les plébéiennes uniuirae pour un culte tout à fait analogue à celui de la Pudeur Patricienne."
"Ovide explique ensuite que les fêtes en l’honneur de Flore (Floralia) étaient une période joyeuse durant laquelle les mœurs se relâchaient quelque peu, notamment sous l’effet du vin. Les prostituées y prenaient une part active. Elles investissaient les théâtres et se livraient à des effeuillages publicitaires au cours desquels elles annonçaient leurs tarifs en tâchant de mettre en valeur leurs spécialités, si l’on en croit le témoignage outré du chrétien Tertullien. Déjà sous la République, les Romains étaient conscients du caractère érotique de ces effeuillages. Une anecdote racontée par Valère Maxime explique comment Caton d’Utique, homme réputé pour sa grande vertu, fut prié gentiment de quitter le théâtre pendant les Floralia pour que le peuple puisse se réjouir sans culpabilité du spectacle de la nudité des prostituées."
"La Vénus sicilienne du mont Éryx fut importée en deux temps à Rome. Un premier temple lui fut dédié en même temps que l’on en dédiait un autre à l’abstraction divinisée Mens (la Raison), à la suite de la défaite du lac Trasimène. Dès lors, le culte de la déesse perdit ses caractéristiques orientales – et en particulier ses hiérodules – dans un souci d’adaptation aux coutumes romaines que la prostitution sacrée choquait profondément.
Cette Vénus était adorée comme la mère d’Énée et son culte fut totalement romanisé. En 184 av. J.-C., la Sicilienne obtint un second temple, hors de l’enceinte sacrée de Rome, le pomerium, près de la porte Colline. La Vénus du mont Éryx conserva alors son lien étroit avec le monde de la prostitution en devenant la protectrice des prostituées. La déesse avait une fête qui lui était propre, le 23 avril, que l’on appelait le jour de la prostitution (meretricum dies). C’est à cette date qu’Ovide invitait les filles publiques à honorer Vénus en lui offrant des présents en échange de la beauté et du succès. En ce jour, celles-ci défilaient au temple, se comparaient certainement les unes aux autres pour faire valoir leurs atouts et s’assurer une large publicité auprès des hommes qui venaient sans doute nombreux pour admirer le spectacle. L’ambiance érotique qui caractérisait cette fête se plaçait en opposition avec les fêtes matronales. La religion, à l’instar des autres pratiques sociales, opposait les matrones et les autres femmes en raison de leurs rôles sociaux antagonistes."
"Pour Pierre Grimal, c’est la crainte des complots politiques que pourrait mener une institution secrète trop puissante contre le pouvoir en place qui poussa les magistrats à mettre un terme aux Bacchanales, sans compter la peur d’une montée en puissance des fanatismes religieux contre le mos maiorum. Cela est perceptible dans le discours du consul qui accusa les femmes d’avoir perverti les cérémonies et de compter parmi les mystes des efféminés ivres qui n’avaient plus leur place ni dans l’armée ni dans les assemblées de citoyens.
Jean-Marie Pailler avance une autre raison : la crainte d’une société secrète matriarcale où les très jeunes hommes étaient initiés par des femmes plus âgées à qui ils étaient soumis. Ce rite se mettait donc en opposition avec la société patriarcale romaine en concurrençant les rituels familiaux et civiques traditionnels.
Le récit de la répression des Bacchanales de Tite-Live comporte un certain nombre d’aspects érotiques. La dénonciatrice de la secte est une jeune affranchie prostituée initiée malgré elle dans sa jeunesse. Une prostituée était normalement frappée d’infamie et ne méritait le respect de personne. Or Tite-Live insiste sur le fait qu’Hispala était moralement au-dessus de sa condition. Elle était, de surcroît, généreuse et fidèle envers son amant. Ces deux qualités étaient attendues d’une matrone mais non d’une prostituée. Hispala est l’archétype de la putain vertueuse. Pour avoir sauvé un citoyen et la patrie du danger des Bacchanales, elle fut remerciée en devenant officiellement une matrone lavée de l’infamie de son ancienne condition. Le fait qu’elle soit une prostituée renforce, dans le récit, l’horreur des débauches des bacchanales, car même une femme dont le métier est d’assouvir des désirs sexuels se montre choquée par ce qu’elle a vu lors de ces cérémonies.
La morale sous-jacente de cette histoire apparaît alors. Un citoyen romain ne devait en aucun cas accepter ou rechercher des rencontres sexuelles hors du cadre établi par la société. Lors des Bacchanales, les jeunes hommes pouvaient avoir des rapports actifs ou passifs avec d’autres hommes de même statut qu’eux ou avec des femmes mariées en justes noces, ce qui était rigoureusement interdit."
"Dans un premier temps, Isis s’attira d’abord les faveurs des classes populaires. Les vestiges archéologiques de Pompéi prouvent qu’une grande majorité de dévots étaient des esclaves, des affranchis ou des clients de grandes maisons. Le culte possédait une dimension eschatologique propre aux religions orientales qui offrait une sorte de renaissance après la mort vers une vie plus pure. Cela était inexistant dans la religion romaine traditionnelle et les élites allaient finalement se laisser séduire et s’emparer des prêtrises les plus importantes.
Les membres les plus nombreux du collège des Isiaques étaient les femmes et en particulier les courtisanes, car la déesse se souciait tout particulièrement des intérêts de ces dernières, y compris de leur sexualité. Le satiriste Juvénal la surnomme « Isis, la déesse-maquerelle ». Elle veillait notamment au bon déroulement des grossesses."
"Les séparations entre époux pouvaient être unilatérales à la demande du mari – on parlait alors de répudiation. Si la séparation était voulue bilatéralement, il s’agissait d’un divorce. Celui-ci n’était juridiquement possible que dans le cadre d’un mariage sine manu, c’est-à-dire d’un mariage dans lequel l’épouse restait sous la tutelle de son père ou d’un autre tuteur légal. Sous l’Empire, la procédure de divorce était très simple. L’époux n’avait qu’à dire à celle qui allait devenir son ex-femme : Tuas res tibi agito, « reprends tes affaires », devant sept témoins citoyens et celle-ci rentrait chez son père sans autre forme de procès. La prosopographie des femmes de l’ordre sénatorial au Ier siècle de notre ère montre que le phénomène du divorce était loin d’être majoritaire. L’épigraphie offre certes beaucoup d’exemples de femmes divorcées et remariées, mais il est aussi question de mariages longs et uniques. Les Romains vouaient une grande admiration aux femmes qui n’avaient connu qu’un seul homme dans leur vie, les uniuirae, qui étaient perçues comme les plus chastes, les plus pudiques, les plus dignes."
"Auguste chercha à renforcer les élites en leur imposant une certaine endogamie et en encourageant la natalité. La loi Iulia de maritandis ordinibus, promulguée en 18 av. J.-C. selon Dion Cassius, se donnait cette mission. Cette loi encourageait les citoyens à la procréation par un système de récompenses fiscales pour ceux qui avaient mis au monde au moins trois enfants. L’objectif non dissimulé était d’encourager la natalité. Au contraire, les célibataires et les couples qui demeuraient sans enfants étaient soumis à des incapacités fiscales.
Le deuxième volet de la loi fixait des interdictions matrimoniales dans l’ordre sénatorial et à l’ensemble des citoyens nés libres dans le but de maintenir la pureté du sang des élites et des citoyens en prévenant les mésalliances. La loi interdisait aux sénateurs et à leurs descendants jusqu’au troisième degré d’épouser des personnes issues des classes sociales les plus basses. Cette interdiction touchait ceux dont l’un des parents au moins pratiquait les métiers de la scène, les affranchis, les prostitués, les souteneurs et les femmes adultères. Ces métiers ou ces flétrissures étaient infamants et constituaient une souillure sociale dont devaient se protéger les élites."
"Une proportion indéterminée d’esclaves, achetés dans ce but ou non, devait assouvir les désirs sexuels de leur maître, voire de leur maîtresse, sans être réellement en mesure de protester, car tout ce que voulait le maître était juste et bon comme le rappelle naïvement Trimalcion dans le Satiricon de Pétrone. Les diverses sources prouvent que les rapports sexuels entre maîtres et esclaves ont toujours existé. Les hommes libres étaient autorisés à avoir des relations sexuelles avec toutes les femmes esclaves qui leur plaisaient. La seule limite de la bienséance consistait à ne pas avoir de rapports avec les esclaves d’un autre propriétaire sans que celui-ci ne les prostitue. L’esclave étant l’objet de son maître, c’était usurper le bien d’autrui que de profiter du corps de l’esclave d’un autre. Si les relations hommes libres-esclaves étaient souvent éphémères, d’autres étaient durables et se muaient en concubinage. Les hommes étaient autorisés à affranchir une esclave pour l’épouser, encore que cela fût interdit aux sénateurs par les lois Iulia et Papia Poppaea, sauf dérogation impériale. Les filles de sénateurs pouvaient épouser un affranchi si elles avaient exercé au préalable le métier de prostituée ou d’actrice, car elles avaient déjà perdu la dignité inhérente à leur rang. Dans tous les cas de relations sexuelles entre hommes libres et esclaves, les enfants à naître héritaient du statut juridique de leur mère et étaient eux-mêmes des esclaves. La sexualité entre la maîtresse de maison et l’esclave n’était pas permise mais n’était pas inexistante pour autant. La femme mariée qui se livrait à la débauche avec un esclave tombait sous le joug de la loi sur l’adultère."
"Selon les sources, Caligula aurait eu des rapports sexuels avec ses trois sœurs. Néanmoins, il préféra Drusilla avec qui il aurait eu commerce depuis l’adolescence."
"Les relations homme-femme, qu’elles aient été fondées sur le sentiment amoureux, le désir ou la raison, ne pouvaient exister qu’au sein de deux catégories presque totalement imperméables : les justes noces ou les unions de fait. Cette dichotomie fondamentale opposait le mariage légal, dont le but était de mettre au monde des enfants légitimes, au concubinage dont les enfants ne deviendraient jamais des citoyens."
"L’existence de pueri delicati, ces enfants généralement esclaves dont les maîtres tiraient des plaisirs sexuels, est avérée."
"Pour les fillettes libres, le mariage, et donc toute sexualité, était interdit avant l’âge de douze ans."
"La morale voulait que les jeunes mariées fussent déflorées le soir de leurs noces. Ce jour-là, la jeune fille était guidée dans ses premiers pas d’épouse par une sorte de marraine, la pronuba, une femme uniuira dont l’époux était encore vivant, symbole d’un mariage unique et durable. Celle-ci lui donnait manifestement des conseils matrimoniaux dont certains devaient avoir trait à la sexualité. Avant de rejoindre la couche nuptiale, la jeune fille était parée de l’archaïque tunique droite (tunica recta) fermée par une ceinture de laine, symbole de pureté, nouée avec un nœud d’Hercule que le mari déliait sur le lit nuptial. Dans son récit de la nuit de noces, Stace invite la jeune épousée à quitter sa pudeur et à profiter des bras de son mari pour lui offrir promptement des enfants. Mais il semblerait que bien des jeunes filles appréhendaient cette première nuit en dépit des encouragements que leur fit Pétrone dans un poème qui lui est attribué. Outre la crainte provoquée par les caresses d’un homme plus âgé et parfois presque inconnu, la défloration pouvait être assez douloureuse. À ce sujet, une épigramme de Martial attire l’attention. Il semble que certains époux eussent pratiqué la sodomie le soir de leurs noces pour éviter le traumatisme de la défloration."
"Dans un couple, la stérilité était majoritairement reprochée à la femme. Elle était un motif légitime de répudiation."
"Pline et Lucrèce considéraient que certains couples étaient stériles alors que chacun pouvait avoir des enfants avec un autre partenaire."
"Parfois, lorsque le mari était impuissant et par conséquent stérile, et qu’il voulait prouver sa virilité en engrossant son épouse, il faisait lui-même appel à un client qui déflorait et fécondait sa patronne."
"Selon Juvénal, les produits abortifs ou rendant stériles étaient très usités et très efficaces. Cependant, il ajoute que les femmes pauvres étaient obligées de subir les grossesses. Il est possible que la cause de cette inégalité entre femmes riches et femmes pauvres fût d’ordre pécuniaire. Les produits anticonceptionnels et abortifs ne devaient pas tous être bon marché, ni efficaces, ni sans effets secondaires. Il n’est pas inconcevable d’imaginer que les produits les plus sûrs aient été les plus onéreux.
La limitation des naissances présentait le double intérêt de protéger le patrimoine familial de la dispersion et la vie des femmes en les préservant des dangers inhérents à la grossesse et à l’accouchement. Comme ce double intérêt était favorable aux maris, certains auraient pu autoriser leur épouse à maîtriser sa fécondité."
"Le climat de tolérance qui autorisait les femmes à maîtriser leur fécondité, peut-être parfois même avec l’accord de leur époux, s’étiola progressivement pour aller vers une interdiction de ces pratiques à la fin du monde romain avant même que l’Empire ne fût officiellement chrétien."
"La vengeance ou la jalousie pouvaient également pousser les femmes à avorter, pour priver un homme d’une descendance par exemple. Les raisons qui amenaient à l’avortement, à une époque où le risque létal inhérent à cette pratique était connu, ne pouvaient être que complexes."
"La perception que les Romains avaient de la vieillesse était quelque peu différente de la nôtre. Macrobe nous apprend à propos de Julie, la fille d’Auguste, que trente-huit ans est un âge qui tend vers la vieillesse pour une femme. La coquetterie et la compagnie des jeunes femmes étaient fortement réprouvées chez les femmes vieillissantes."
"Les femmes plus ou moins âgées qui s’offraient des jeunes hommes semblaient avoir un peu de biens, condition sine qua non pour appâter les don Juan gérontophiles. La législation du début de l’Empire favorisa l’autonomie financière des veuves. Par le jeu des successions, sans tuteur ou avec un tuteur complaisant, un certain nombre de femmes, plus forcément très jeunes, pouvaient vivre sans être soumises à un homme. Dès lors, elles avaient la possibilité d’entretenir à leur guise un amant. La sexualité pouvait être un moyen d’enrichissement certain. Le travailleur du sexe était un prestataire de services qui recevait une rétribution pour le travail accompli. La femme riche et encore jeune était toujours une proie pour les coureurs de dot ; vieille, la femme riche intéressait les coureurs d’héritage. Cette façon de s’enrichir était tout aussi réprouvée que la libido des vieilles femmes."
"Dans quasiment toutes les civilisations, la féminité est symbolisée par une longue et abondante chevelure. Les cheveux sont perçus comme un objet de séduction et même de fascination [...]
Depuis les origines de Rome, les cheveux des femmes étaient liés au désir et à la magie amoureuse."
"Les perruquiers faisaient le bonheur des femmes que la nature n’avait pas gâtées. Il semblerait que les rajouts et les perruques étaient faits de cheveux naturels, butin récolté notamment sur la tête des captives germaines dont les nuances, allant du blond au roux, faisaient les délices des coquettes. Toutefois, si certaines Romaines vieillissantes arrachaient leurs cheveux blancs ou les teignaient pour retrouver les tons bruns de leur jeunesse, les élégantes répandaient sur leur chevelure des produits plus ou moins agressifs pour en changer la couleur naturelle."
"La coiffure était alors élevée au rang d’art majeur, car « les mains de la coiffeuse donnent la beauté ou la refuse » selon Ovide. La reine de cet art était l’ornatrix, une femme de chambre en charge de l’habillement et de la coiffure. Esclave, affranchie ou même artisan, elle était la seule dont les Romaines ne savaient se passer."
"Le teint blanc, souvent comparé à la neige, au lys ou au marbre, était l’expression de la pureté et de la fragilité qui devaient définir la femme. Outre cette symbolique liée à la délicatesse féminine, la couleur du teint reposait sur une opposition sexuelle stricte. L’homme en bonne santé pouvait profiter du soleil dans l’exercice de sa citoyenneté au forum ou en faisant de la gymnastique à la palestre. Sa peau pouvait, sans lui nuire, porter les traces des caresses de l’astre du jour. La femme, en revanche, n’avait pas à subir le soleil, vivant à l’ombre des péristyles et des salons. Seule la servante flirtait innocemment avec Apollon. Il résultait de ces conventions sociales que la femme soucieuse de son apparence se devait d’être blanche (candida). Cette convention sociale devint une convention artistique. Les graffitis de Pompéi nous ont aussi appris que certaines jeunes filles au teint blanc, orgueilleuses de leur beauté, estimaient que les noiraudes étaient indignes d’être aimées. Mais le teint d’albâtre des jolies femmes devait être nuancé par des touches de rose et de rouge judicieusement placées sur les joues et les lèvres, car ces couleurs symbolisaient la vie et la bonne santé."
"Certaines femmes augmentaient encore l’attrait sexuel de leur corps nu en s’épilant le pubis pour le rendre plus visible. Cette pratique était largement répandue chez les Athéniennes. Pour les Romains, l’érotisme accru d’un pubis glabre convenait plus aux prostituées qu’aux matrones pudiques."
"Le biographe de Marc Aurèle raconte que Faustine la Jeune, l’épouse de ce dernier, s’était amourachée d’un gladiateur. En matrone à peu près honnête, elle en avertit son mari qui demanda à des astrologues chaldéens comment la guérir de cette tocade. Le remède consistait à tuer le gladiateur en recueillant son sang dans une bassine dans laquelle Faustine prendrait un bain de siège, puis, toujours couverte du sang du gladiateur, elle coucherait avec son mari. Sur un plan médical, les symptômes amoureux ressentis par Faustine ne sont pas sans évoquer l’hystérie. Le sang du gladiateur était donc appliqué comme un remède sous forme d’ablutions gynécologiques. Toujours couverte du sang du gladiateur, Faustine devait éteindre sa passion pour lui en lui substituant son époux."
"Les femmes mariées couvraient leur corps d’une longue tunique symbolisant leur dignité, la stola. Lorsqu’elles sortaient, elles se couvraient d’un manteau, la palla, et ne laissaient à nu que leur visage. Cacher le corps des femmes indisponibles sexuellement, en gommer les formes et les attraits par des tissus longs et flottants est symptomatique des « sociétés à honneur » selon l’expression des ethnologues. Cela signifie que la vertu des femmes est le gage de l’honorabilité de tout le groupe familial et qu’elle est préservée par la dissimulation du corps féminin dans l’espace public. Grâce à ces vêtements qui la cachaient, la femme vertueuse était censée ne pas provoquer le désir masculin. Elle était ainsi protégée du déshonneur provoqué par la perte de la virginité hors du mariage ou par des relations extraconjugales."
"Outre le fait que la beauté et le luxe rendaient les femmes orgueilleuses, le faste déployé dans la parure d’une femme donnait à voir de manière un peu trop ostentatoire qu’elle était riche. Or Juvénal et Martial ont laissé entendre dans plusieurs de leurs écrits qu’une femme plus riche que son mari était en mesure de prendre le pouvoir dans le couple. La richesse émancipe et les Romains n’aimaient pas les femmes émancipées, à moins d’aimer encore plus l’argent de ces dernières."
"Sous la pression du christianisme, le corps érotique allait être de plus en plus dissimulé et dénigré pour se limiter à une dimension reproductrice. Ainsi, au début du IIIe siècle, le chrétien de Carthage Tertullien écrivait un traité, La Toilette des femmes, qui s’efforçait « de faire prendre conscience à la femme de sa condition de pécheresse et de l’origine satanique de tout ce qui est bijoux, fards et teintures »."
"L’homme véritable est un homme de condition libre qui pratique la pénétration à sa guise sur un être, homme ou femme, socialement inférieur."
" [Le Baiser érotique] était ignoré des Esquimaux, des Mongols, des Polynésiens et des habitants du Japon ancien. Les Romains, eux, connaissaient les voluptés du baiser. Dans
l’iconographie érotique, le baiser apparaît réellement comme un préliminaire amoureux. Tendre ou passionné, Ovide atteste de son existence au sein du couple légitime. La pratique du baiser dans le couple n’a rien d’étonnant puisqu’il symbolise l’union des deux personnes qui s’embrassent, union dans laquelle s’échangent les souffles vitaux, l’esprit, l’âme, avec plus ou moins de passion. Il semblerait qu’il n’y ait rien eu de particulièrement inconvenant dans le fait d’embrasser sa femme ou son amie en public lors d’un banquet."
"La pratique sexuelle la plus ignominieuse était le cunnilingus. Les représentations picturales de cette pratique sont excessivement rares. On en trouve deux dans le vestiaire des thermes suburbains de Pompéi. Les scènes de ce vestiaire illustrent des perversions sexuelles et non des scènes galantes."
"La tolérance romaine envers les amours masculines prenait fin dès lorsque le partenaire soumis ou passif était un citoyen. L’homme de naissance libre qui se laissait traiter en femme par un autre homme contractait une souillure sexuelle qui le faisait déchoir de sa condition d’homme (uir) en trahissant ses valeurs romaines. L’armée romaine veillait à réprimer avec une grande sévérité les amours entre soldats. Si un cas de pédérastie était découvert, les coupables étaient généralement condamnés à mort.
En raison du caractère extrêmement infamant de l’homophilie passive, menacer un homme de le sodomiser ou bien dire qu’il était la femme d’un autre homme étaient des injures très violentes et humiliantes."
"Le cas de la Romaine retenue en captivité par des ennemis et qui aurait subi un viol est particulier. Lorsqu’une femme ayant vécu pareille situation réintégrait enfin ses pénates, son époux pouvait l’accuser d’adultère sur la base de la loi Iulia de adulteriis. Toutefois, si l’ancienne captive arrivait à prouver qu’elle avait été violée contre son gré, elle ne pouvait pas tomber sous le coup de la loi. Ces dispositions juridiques montrent que les Romains étaient toujours prêts à considérer que la femme violée était la complice de son violeur. Celle qui n’était pas complice ne pouvait pas vivre sans réclamer la mort de celui qui l’avait outragée et sans se supprimer elle-même pour montrer sa bonne foi, à l’instar de Lucrèce. Si la femme violée tombait enceinte de son violeur, son état était la preuve irréfutable qu’elle avait trouvé du plaisir dans la perte de son honneur, elle était alors presque plus coupable que le violeur lui-même."
"Ovide est le seul poète qui prône l’égalité face au plaisir : « Pour que [le plaisir] soit vraiment agréable, il faut que la femme et l’homme y prennent part également. Je hais les étreintes qui ne comblent pas les deux amants (voilà pourquoi je trouve moins d’attraits à aimer les garçons). Je hais la femme qui se livre parce qu’elle doit se livrer et qui, n’éprouvant rien, songe à son tricot. Le plaisir qu’on m’accorde par devoir ne m’est pas agréable ; je ne veux pas de devoir chez une femme. Je veux entendre des paroles avouant la joie qu’elle éprouve ; qu’elle me demande d’aller moins vite et de me retenir. Que je voie les yeux vaincus d’une maîtresse qui se pâme et qui, abattue, ne veut plus, de longtemps, qu’on la touche. » Ce discours paraît révolutionnaire. Il est tellement en contradiction avec les autres auteurs antiques qui tolèrent à peine le plaisir et le désir féminins qu’il peut être interprété comme relativement marginal dans la pensée romaine."
"Rien n’était plus prétexte à raillerie qu’un homme éperdu d’amour pour une belle de nuit. Le poète Perse invitait ses lecteurs à quitter leurs amantes vénales avant de perdre toute dignité en dilapidant, pour leurs jolis yeux humides, tout le patrimoine familial, ou en passant la nuit à geindre devant une porte close. Pour garder son intégrité, l’homme ne devait pas devenir l’esclave de ses sentiments amoureux. La femme aimée pouvait alors dominer l’homme psychologiquement affaibli par son désir et cela était un motif de honte.
En reconnaissant les bienfaits de la prostitution pour la sauvegarde des bonnes mœurs, le gouvernement se mit également à réclamer sa part d’intérêt dans ce commerce florissant. Caligula mit en place un impôt qui devait toucher le monde de la prostitution. Cette taxe aurait été une véritable manne financière et aurait dissuadé les femmes de pratiquer la prostitution occasionnelle. Elle rendait cette profession profitable, légitime, tout en la mettant sous contrôle, car, en dehors de Rome, l’impôt était récolté par l’armée qui devait surveiller la régularité des paiements. Si le dissolu Caligula faisait verser l’impôt de la prostitution au Trésor impérial, le doux et mesuré Alexandre Sévère l’affecta, quant à lui, aux dépenses publiques pour entretenir les édifices de spectacles. L’argent de la luxure était ainsi utilisé pour la bonne cause, mais l’impôt ne fut pas aboli. D’ailleurs, le Digeste reconnut aux prostituées le droit de toucher le salaire de leur travail."
-Virginie Girod, Les Femmes et le sexe dans la Rome antique, Paris, Tallandier, 2013.