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    Georg Lukacs, Prolégomènes à l’ontologie de l’être social + L'Ontologie de l'être social

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 15 Nov - 13:59

    https://libgen.is/book/index.php?md5=2DEF94E3F8EE05926EA6DE8B342EB664

    "
    (ppp.3-5)

    "This antinomy discloses the ontological ambiguity of the Enlightenment's concept of nature. On the one hand, nature was conceived in the sense of the great development of the natural sciences since Galileo and Newton, as purely objective, material, autonomous and law-like, thus providing a secure and firm ontological basis for a world view which radically expelled all teleological and ultimately anthropomorphic conceptions that had been introduced into the study of nature ; this managed to put theory on a solid ontological foundation, even if the image of nature was still essentially based on mechanistic principles. On the other hand, however, no ontology of social being could be directly deduc from this conception of nature. In so far as the Enlightenment, basing itself on such great forerunners as Hobbes and Spinoza, still sought at any principe to construct a unified ontology of nature and society, its concept of nature suddenly tended to get transformed from the spontaneously clear ontology of Galileo and Newton into a value concept. (This tradition of amalgamation streches right back into late antiquity). The unconscious simultaneous use of these mutually exclusive methodologies, whose contradictory character is further reinforced by the fact that the concept of nature as valeur is not just based on a subjective "ought", but rather on a similarly spontaneous objective ontology of social being, is responsible for the deepest discrepancies in the Enlightenment world view: first and foremost, the inevitable unconscious transition treatment of society and history. The fact that the rational egoisme of Enlightenment ethics seems to be a continuation of the objectively materialist (mechanically materialist) conception of nature, and that it actually does contrain elements of a materialist doctrine of society, in no way reduces this contradiction ; it even deepens it.

    It should not be forgotten in this conception that regardless of all these insoluble antinomies, the philosophy of the Enlightenment is still a continuation and extension of those tendancies that, ever since the Renaissance, set out to construct a this-sided and unified ontology to supplant the former transcendent, teleological and theological one. Behind this project is the great idea that the ontology of social being can only be constructed on the basis on an ontology of nature. The Enlightenment, like all its precursors, came to grief when it conceived the foundation of the former on the latter in too unitary, too homogenous and too dirct a manner, and did not manage to graps the ontological principle of qualitative difference within ultimate unity. The ontological gap within the concept of nature is no more than the mode of appearance of the situation that it is impossible to construct a consistent ontology without understanding this principle of distinction within unity. It is apparent that the rigid and dogmatic unity of the mechanical materialism dominant at that time is most inapposite to this differentiation. Diderot's important leads in the direction of  a real dialectic within social being arise, from the standpoint of his consciously proclaimed materialism, only per nefas, as it were, and if Rousseau discovered certain essential moments of the social dialectic, particularly the reasons for and the dynamic necessity of the departure from nature, he therewith consciously broke away from the materialist ontology of the time, in so far as nature as the central category of the social and humanist "ought" is completely cut loose from the materialist ontology of nature, and made into the focal point of an idealist philosophy of history, in a very contradictory fashion, but thus all the more effectively." (pp.5-7)

    "Hegel did not ascribe the German idealism of the time any dialectical superiority over French materialism ; this superiority he gound only in his own philosophy, and [in his youth] in that of Schelling." (p.8 )

    "
    (p.9)

    "
    (pp.9-11)

    "
    (pp.11-13)
    -Georg Lukacs, Ontology of Social Being, Volume 1. Hegel's false and his genuine ontology, London, Merlin Press, 1982 (1978 pour la première traduction britannique, ), 118 pages.

    -Georg Lukacs, Prolégomènes à l’ontologie de l’être social, Delga, 2009,



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 29 Mar - 21:31, édité 1 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 5 Jan - 13:20

    https://libgen.is/book/index.php?md5=B19E0B572C6E7903D28D95F346758704

    " [Deuxième partie.
    I. Le travail]

    "L'ouvrage de Lukâcs constitue, dans sa partie la plus intéressante, une philosophie du sujet, en accordant une place importante à l'analyse de ce qu'on pourrait appeler les niveaux phénoménologiques de la subjectivité : les actes d'objectivation, d'extériorisation, de réification et d'aliénation ou désaliénation du sujet." (p.9)

    "Le destin intellectuel du penseur a été fortement marqué par son engagement, de plus de cinquante ans, dans le mouvement communiste (il est devenu membre du Parti communiste hongrois en décembre 1918, il l'est resté jusqu'à la fin de sa vie, avec une suspension de onze ans, après les événements d'octobre 1956, pendant lesquels il se trouvait du côté des insurgés en tant que ministre du gouvernement Imre Nagy). En tant que conclusion d'un long cheminement, l'Ontologie devrait permettre de décider enfin si la pensée de Lukâcs avait effectivement subi, après l'abandon de certaines positions de son livre, longtemps le plus fameux, Histoire et conscience de classe, et après la traversée de la période stalinienne, une involution comparable à un sacrifizio dell'intelletto (ainsi que l'affirmait Adorno, ainsi que l'avait affirmé avant lui, mais avec beaucoup plus de nuances, Maurice Merleau-Ponty dans les Aventures de la dialectique) ; ou si, au contraire, en mûrissant, elle est arrivée à fournir une vraie théorie universelle des catégories de l'existence, capable de prémunir la conscience contre toute forme d'aliénation." (p.11)

    "Édités en 1984 et 1986 par Luchterhand, en Allemagne Fédérale, les deux volumes de cette œuvre ont vu le jour à une distance de 13 et 15 ans après la disparition de l'auteur : il s'agit donc bel et bien d'un opus postumum." (p.12)

    "Le philosophe y entame, pour la première fois dans un
    ouvrage systématique, la critique du néo-positivisme, par exemple
    de certains écrits de Carnap, ou du Tractatus logico-philosophicus
    de Wittgenstein. Le néopositivisme lui apparaît comme la caution
    philosophique du règne de la manipulation. On peut même affirmer
    que le tournant vers l'ontologie est chez lui une réaction énergique
    contre une certaine hégémonie du néopositivisme sur la scène
    philosophique: devant les tentatives d'une homogénéisation de
    plus en plus marquée de la vie sociale, soumise aux impératifs
    du calcul et de la quantification, Y Ontologie de l'être social doit
    faire valoir l'hétérogénéité et la différenciation extrêmes du tissu
    social, en opposant une fin de non-recevoir à la mainmise sur les
    individus et à la manipulation. Heidegger et Lukâcs se rencontrent
    dans leur refus de la cybernétisation de l'existence, ainsi que dans
    leurs mises en garde contre l'emprise de la manipulation génétique
    de la vie humaine, mais les solutions qu'ils proposent sont, ainsi
    qu'on pouvait s'attendre, à l'opposé l'une de l'autre. L'ontologie
    heideggérienne est en fait la cible des critiques de Lukâcs. Tout en
    gardant l'essentiel des objections de principes formulées dans son
    ouvrage antérieur, Die Zerstôrung der Vernunft (La Destruction de
    la raison), il dénonce dans Y Ontologie la carence de l'analytique du
    Dasein sur le terrain éthique. En analysant, par exemple, la fameuse
    dualité heideggérienne entre l'existence inauthentique et l'existence
    authentique, thème central de sa propre réflexion aussi, Lukâcs
    remarque l'absence de contenu éthique positif des catégories comme
    das Gewissen (la conscience) ou die Entschlossenheit (la résolution),
    et l'abstraction sur laquelle débouche la transcendance du Dasein. A
    la profondeur énigmatique de l'Être heideggérien, véritable pendant du silence exigé par Wittgenstein devant les grands problèmes de
    l'existence (l'expression hégélienne « leere Tiefe » (profondeur
    vide) figure en exergue au chapitre sur le néopositivisme et
    l'existentialisme), il oppose une image richement articulée de l'être,
    fondée sur le principe hartmannien de la stratification progressive
    des niveaux d'existence." (pp.13-14)

    "
    (pp.20-21)

    "La thèse fondamentale est que les processus sociaux sont déclenchés exclusivement par les actes téléologiques des individus, mais que la totalisation de ces actes dans une résultante aurait un caractère éminemment causal, dépourvu de finalisme. [...]

    Pour comprendre le raisonnement de Lukâcs, il faut se rappeler sa thèse philosophique principale, qu'il partage d'ailleurs avec Nicolai Hartmann : les positions téléologiques des individus n'arrivent jamais à exercer un empire absolu, dans la mesure où elles n'existent que par la mise en mouvement des chaînes causales : le résultat des actions de
    chaque individu n'est jamais totalement coextensif à ses intentions, car le résultat de l'action de chaque sujet interfère avec le résultat des actions des autres ; la résultante finale échappe par définition aux intentions des différents sujets particuliers. Le processus social dans sa totalité apparaît comme le résultat de l'interaction des multiples chaînes causales, mises en mouvement par les différents acteurs sociaux: la résultante dépasse donc nécessairement les intentions individuelles, elle a, selon, Lukâcs, un caractère causal et non téléologique." (pp.22-23)

    "Sans doute, des penseurs comme Nicolai Hartmann ou Roman Ingarden l'ont précédé dans la prééminence accordée à l'intentio recta (l'orientation vers la réalité dans son autonomie ontologique) par rapport à l'intentio obliqua (l'attention dirigée vers la réflexivité de la conscience), mais Lukâcs a été le premier à entreprendre une généalogie des multiples activités de la conscience et de leurs objectivations (l'économie, le droit, la politique et ses institutions, l'art ou la philosophie) à partir de la tension dialectique entre subjectivité et objectivité." (pp.26-27)

    "La critique principale adressée par Lukâcs à « l'être-dans-le-monde » heideggérien est d'avoir ignoré le rôle fondamental du travail, donc de l'échange matériel entre la société et la nature, dans la constitution du Dasein (de la réalité-humaine, nous gardons la traduction proposée par Henry Corbin). On ne peut arriver à une vraie théorie de l'intersubjectivité, de la constitution d'un Mitsein (pour utiliser la terminologie heideggérienne) sans prendre en compte la socialité consubstantielle à l'acte du travail, donc sans
    rendre justice au métabolisme entre société et nature. Gunther Anders a pu observer que le Dasein heideggérien ignore la contrainte primordiale de la faim ; il a mis en évidence l'absence du monde des besoins dans la phénoménologie du Dasein.

    L'ontologie du Dasein est pour Lukâcs comme pour Anders, comme pour Herbert Marcuse aussi, une forme de « pseudo-concrétion », car elle fait abstraction du véritable enracinement ontologique de la réalité-humaine et de la genèse dialectique de ses qualités spécifiques. Mutatis mutandis, les mêmes critiques sont adressées par Lukâcs à l'ontologie phénoménologique de Sartre. La fidélité de ce dernier au concept heideggérien de l'homme comme « être-jeté » (la fameuse Geworfenheit), plus exactement à l'idée de pure « contingence » de l'existence humaine, est vivement contestée par Lukâcs, qui fonde son anthropologie philosophique sur la synthèse entre les déterminations nécessaires et les déterminations contingentes dans la genèse de la personnalité.

    La résistance rencontrée par la pensée du dernier Lukâcs est due en grande partie à son adhésion à ce qu'il faut bel et bien appeler le « réalisme ontologique » (qui n'est qu'une autre dénomination pour le concept de « matérialisme »). La transcendance de l'être par rapport à l'activité réflexive de la conscience, donc l'autonomie ontologique de « l'être-en-soi » (das Ansichseiende, dont parlent à l'unisson Nicolai Hartmann et Lukâcs) est un postulat philosophique qui a été vivement récusé entre autres par Adomo, mais aussi par Merleau-Ponty, qui y ont vu un retour à une ontologie précritique, pré-kantienne ou pré-hégélienne." (pp.27-28)

    "Lukâcs a ressenti le besoin de remonter à la théorie aristotélicienne des catégories, à la dialectique de la dynamis et de l'energeia, de la puissance et de l'acte, afin de donner une assise ontologique solide au concept marxiste de praxis. S'il a identifié dans le travail la cellule génératrice (l'Urphänomen, le « phénomène originaire ») de la vie sociale, en analysant la façon dont les objectivations les plus complexes et les plus sophistiquées reprennent le modèle de la relation sujet-objet forgé par le travail, ce n'est pas pour réduire la vie sociale au « paradigme de travail » (comme semblait le penser Habermas et comme allait le lui reprocher clairement Agnès Heller), c'était pour démontrer comment la différenciation progressive de la vie sociale dans une multiplicité de complexes hétérogènes s'enracine dans cette activité originaire qui est le travail. Qu'est-ce qu'il y avait d'obsolète dans cette démarche qui, visant à donner des assises solides au travail de la subjectivité, à la téléologie dans la multiplicité de ses stratifications (téléologie économique, esthétique ou éthique), découvrait que l'ontologie en tant que pensée de l'être et de ses catégories (y compris les catégories modales : nécessité, possibilité, contingence) s'avérait indispensable? Ce faisant Lukâcs restait fidèle à la puissante réhabilitation du concept de totalité exposé dans son ouvrage de jeunesse Histoire et conscience de classe (donc au principe hégélien: das Ganze ist das Wahre, la totalité est la vérité, vivement récusé par la dialectique négative d'Adomo), mais il l'ancrait cette fois-ci dans une interprétation génétique-ontologique de l'être, où chaque catégorie est regardée dans son surgissement historique et dans sa fonction spécifique dans l'économie de l'être. Habermas, comme avant lui Adorno et Horkheimer, ont fait un abcès de fixation sur le concept de « réification » ( Verdinglichung), en réservant leur admiration pour le Lukâcs d'Histoire et conscience de classe. L'Ontologie de l'être social accorde toujours une place de choix au concept de réification, et surtout au concept plus vaste d'aliénation (Entfremdung), objet du dernier grand chapitre de l'ouvrage, mais là il se trouve articulé dans une phénoménologie de la subjectivité infiniment plus vaste et plus complexe, qui rend justice aussi aux activités d'objectivation (Vergegenstàndlichung) et d'extériorisation (Entâufîerung), complètement absents dans Histoire et conscience de classe (les quatre catégories, bien distinctes, sont d'ailleurs tout à fait occultées, et pour cause, par le marxisme althussérien, aveugle au travail de la subjectivité." (pp.33-34)

    "Lukács était persuadé que le marxisme canonisé par la vulgate de la IIe et la IIIe Internationale était marqué jusqu'à la racine par ces deux graves malformations ontologiques (d'où par exemple l'interprétation téléologique ou déterministe de la « nécessité du socialisme », vivement contestée dans V Ontologie). Hartmann se présentait donc comme un allié précieux dans un combat très rude pour débarrasser la pensée de Marx des scories du téléologisme et du déterminisme, et pour rendre à l'histoire sa complexité et son caractère ouvert. Nicolai Hartmann a défendu avec énergie la thèse de l'autonomie ontologique de la nature, avec ses innombrables chaînes causales, par rapport aux nombreuses activités téléologiques de l'homme.

    Lukács s'est retrouvé pleinement dans la Philosophie de la nature de Hartmann, ouvrage qui est resté comme un bloc erratique dans le paysage philosophique de son époque (tellement il va à l'encontre de la phénoménologie et des philosophies de l'existence, qui se désintéressaient souverainement de l'ontologie de la nature). Un autre ouvrage de Hartmann, le petit livre intitulé Teleologisches Denken (publié à titre posthume en 1951), l'a aussi beaucoup marqué, le confortant dans l'idée qu'une Ontologie de l'être social doit se fonder sur une ontologie de la nature, en tant que préalable nécessaire, non pour identifier les lois de la société avec celles de la nature (entreprise impossible), mais pour circonscrire de façon rigoureuse leur hétérogénéité qualitative. Le « sociocentrisme » d'Histoire et conscience de classe, qui dans un passage célèbre avait contesté l'existence d'une dialectique de la nature, se trouvait ainsi dépassé." (p.36)

    "La méthode ontologique-génétique pratiquée par Lukács dans ses deux ouvrages de synthèse, l'Esthétique et l'Ontologie de l'être social, se propose de cerner les transitions capillaires d'un niveau ontologique plus simple à un niveau ontologique plus complexe, en fixant avec précision les maillons intermédiaires. La question de la genèse occupe une place prépondérante, car le surgissement des différents niveaux avec leurs catégories spécifiques intervient à partir de la dialectique interne des niveaux antérieurs. Il ne s'agit pas seulement de déceler la transition de l'animalité à l'humanité (ayant l'action par le travail comme maillon décisif), mais aussi et surtout du passage des formes élémentaires d'échange matériel entre la société et la nature (le travail) à des formes d'intersubjectivité de plus en plus complexes, où surgissent par exemple « la voix de la conscience » (das Gewissen), donc la conscience morale, ou des représentations imaginaires des conflits sociaux (les idéologies dans la multiplicité de leur stratification)." (p.37)

    "La méthode heideggérienne n'a rien à voir avec une méthode génétique-ontologique fondée sur la tension dialectique entre subjectivité et objectivité (son ambition déclarée étant d'ailleurs d'abolir la dualité sujet-objet), car elle se réclame de l'apriorisme phénoménologique." (pp.41-42)

    "La catégorie de causalité est tout simplement rayée de la carte dans Etre et Temps." (p.41)

    "Lukács poursuit le combat sur deux fronts : d'un côté il oppose une fin de non-recevoir à toute forme de réductionnisme, donc au sacrifice de l'hétérogénéité des différents complexes sociaux à une causalité économique conçue comme un monolithe, de l'autre il refuse l'interprétation logiciste-téléologique de la vie sociale, qui néglige le rôle des transitions dans le passage d'un complexe à l'autre, en abolissant la question de la genèse. Son projet est celui d'une détranscendantalisation de l'esprit, en montrant comment même les activités les plus subtiles et les plus raffinées de la conscience (l'activité esthétique ou l'activité morale) ne deviennent pleinement intelligibles qu'à partir de l'ensemble du processus de production et de reproduction de l'existence humaine.

    Il tient à consacrer, par exemple, dans son Esthétique un chapitre au problème de l'agréable (das Angenehme), donc à l'activité hédoniste, car pour marquer la différence spécifique de l'activité esthétique on ne peut ignorer le rôle intermédiaire de l'activité euphorique des sens entre le monde de la pure utilité (das Niitzliche) et l'activité esthétique proprement dite. Le fameux clivage établi par Kant dans l'Analytique du beau de la Critique du Jugement entre « l'agréable » et le « beau » lui semble trop abrupt, car sans nier leur hétérogénéité qualitative (au contraire, en la soulignant), il entend mettre en évidence les transitions génétiques d'un niveau à l'autre. La conscience morale, à son tour, ne se laisserait pas isoler dans la pure autarcie des « impératifs catégoriques » et du mundus noumenon.

    Dans l'Ontologie, il réfute le transcendantalisme absolu de la raison pratique kantienne, en montrant que les impératifs moraux ne sont compréhensibles qu'en prenant en compte la multiplicité des exigences humaines, donc aussi les zones intermédiaires entre la pure activité économique et la pure activité éthique (la politique et le droit, par exemple). Lukács prend appui ici, comme il l'a fait dans son livre Le jeune Hegel, sur la critique adressée par Hegel au formalisme de l'éthique kantienne: l'exemple kantien du dépôt (on ne peut toucher à un dépôt qui vous a été confié) était utilisé par Hegel pour montrer qu'on ne peut déduire les impératifs moraux du pur formalisme de la conscience transcendantale, mais qu'il faut les replacer dans le contexte de la vie réelle. Plus globalement, Lukács faisait référence, pour appuyer sa démarche ontologique, aux sévères critiques de Hegel, qui trouvait trop brutale la coupure pratiquée par Kant entre Sollen (devoir-être) et Sein (être) : on ne pourrait pas comprendre le Sollen en faisant abstraction de sa genèse dans le processus de production et de reproduction de la vie. La genèse des multiples intentionnalités de la conscience, jusqu'à ses formes les plus subtiles, est au centre de l'Ontologie de l'être social. Si Hegel restait pour son auteur une référence centrale, il lui arrivait de s'en séparer là où l'hégélianisme lui semblait ne pas rendre justice aux exigences imprescriptibles de la conscience individuelle: si Kant n'avait pas distingué la moralité (die Moralitàt) de Yéthique (die Sittlichkeit), Hegel aurait trop sacrifié la première à la deuxième, en occultant ainsi l'irréductibilité de la praxis morale.

    Une des contributions majeures de Lukács au renouvellement du matérialisme historique est l'accent mis sur l'asymétrie et l'hétérogénéité qui se manifestent dans le développement des différents complexes sociaux." (pp.43-44)

    "Lukács lui aussi parlait, déjà dans l'Esthétique, de « l'homogénéisation dogmatique » du réel dans la doctrine platonicienne des Idées. Il s'agissait aussi bien chez l'un que chez l'autre de combattre l'assujettissement du réel au travail homogénéisant de la pensée logique, en montrant que l'émergence des catégories obéit à une logique immanente, qui ne doit rien à la transcendance de la Raison ou à celle des Idées. L'hétérogénéité est l'expression conceptuelle de cette diversité irréductible des catégories du réel. La célèbre loi dialectique formulée par Hegel: identité de l'identité et de la non-identité, considérée par Lukács comme l'acquis le plus important de la dialectique hégélienne, exprime la même réalité. Hartmann a combattu non seulement « l'erreur de l'homogénéité », mais aussi « l'erreur de la rationalité », afin de souligner l'hétérogénéité du réel par rapport au schématisme logique (l'erreur d'Aristote aurait été d'identifier la forme des phénomènes, la forma substantialis, avec l'essence logique, qui n'est que leur abstraction, leur condensé idéal)." (p.45)
    -Nicolas Tertulian, préface à György Lukács, Ontologie de l’être social : le travail, la reproduction (chapitre 1 et 2 du deuxième volume), Paris, Delga, 2011 (1984-1986 pour la première édition allemande), 483 pages.


    -György Lukács, Ontologie de l’être social : le travail, la reproduction (chapitre 1 et 2 du deuxième volume), Paris, Delga, 2011 (1984-1986 pour la première édition allemande), 483 pages.




    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 10 Jan - 19:53, édité 9 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 10 Jan - 17:02

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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 10 Jan - 17:02

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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 10 Jan - 17:02

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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 10 Jan - 17:03



    "
    -György Lukács, Ontologie de l’être social : l’idéologie, l’aliénation (chapitre 3 et 4 du deuxième volume), Paris, Delga, 2012 (1984-1986 pour la première édition allemande), 483 pages.




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