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"La vie humaine s'inscrit dans un monde d'objets, c'est-à-dire de choses artificielles, qui se distinguent des étants naturels en ce qu'elles sont l'effet d'une intervention humaine. [...]
Ces objets faits de main humaine sont le produit d'un ensemble de gestes et plus généralement de pratiques que l'on nomme "techniques": le soufflage du verre, comme l'imprimerie, la menuiserie ou le tissage, est une technique, c'est-à-dire une "disposition à produire accompagnée de règle exacte" (Aristote, Éthique à Nicomaque, VI) [...] Maîtriser une technique, c'est posséder un savoir-faire et l'exercer sur une matière extérieure. Contrairement au mouvement instinctif ou aléatoire, elle implique l'apprentissage et le travail: l'activité productive suppose l'imagination d'un résultat et son élection comme but. [...] Les œuvres humaines témoignent de la capacité de prévoir et de viser, de soumettre l'effort de son corps et de sa volonté à un but ; la technique apparaît alors comme notre différence spécifique (Marx, Le Capital) [...]
Contrairement aux activités humaines qui sont à elles-mêmes leur propre fin (danser, se promener, etc.), les techniques ont leur fin hors d'elles-mêmes: elles visent l'existence d'un produit, d'une œuvre, et relèvent ainsi de la poesis et non de la praxis." (pp.14-15)
"Les objets techniques, qui résultent d'une production, sont destinés à une utilisation ; de sorte que la technique pourrait être définie comme un ensemble de moyens mis au service d'une fin. C'est pourquoi nous identifions souvent les objets techniques aux outils, et les distinguons des œuvres d'art: les outils sont définis par leur utilité, tandis que les œuvres d'art ne sont pas destinées à servir à quoi que ce soit. Comme le développe Arendt [...] les œuvres d'art sont autotéliques, ce qui signifient qu'elles sont à elles-mêmes leur propre fin." (p.15)
"L'usage de notre corps lui-même implique l'apprentissage d'un certain nombre de techniques, outillées ou non : même si nous l'oublions avec le temps, marcher, courir, nager ne sont pas des mouvements instinctifs, mais supposent une maîtrise progressivement acquise." (p.16)
"En inventant des techniques, les êtres humains se rendent capables de faire davantage de choses, et semblent accroître leur puissance." (p.17)
"|La concrétisation, résolution de problèmes techniques] Le fonctionnement d'un moteur produit une chaleur qui tend à le détruire ; pour fabriquer une voiture, il faut alors lui joindre un circuit de refroidissement, à air, à huile ou encore à eau comme dans la plupart des automobiles aujourd'hui. En outre, dans un deuxième temps, ce même circuit rend possible de chauffer l'intérieur du véhicule par détournement de cette eau. La mise en place du circuit est finalement une solution à deux problèmes, puisqu'il permet à la fois le refroidissement du moteur et le chauffage de l'air." (pp.18-19)
"Un objet dépend d'autres objets, et notamment de techniques architectoniques, comme le feu, l'électricité ou l'informatique. L'invention de l'ascenseur, par exemple, implique non seulement la maîtrise de techniques d'élévation mais encore celle du freinage de sécurité, qui empêche la chute de l'appareil (mis au point par Elisha Graves Otis en 1852). C'est cette dernière invention qui a rendu possible l'érection de hautes tours à des fins d'habitation -ce qu'on appelle les "gratte-ciels": auparavant, la taille des immeubles était limitée par la nécessité de monter à pied les étages. Les techniques s'articulent ainsi en un système complexe: le gratte-ciel suppose l'ascenseur, et ce dernier requiert, pour fonctionner, l'existence de tout un réseau électrique." (p.19)
"A l'horizon des pratiques techniques se dessine une tâche universelle, celle de participer à ce progrès de l'humanité: inventer, c'est améliorer son sort, celui de ses contemporains et celui des générations futures." (p.20)
"
(p.23)
"L'expérience d'une plus grande rapidité n'est pas seulement une transformation quantitative, une augmentation de performance: elle bouleverse notre rapport au temps et à l'espace, et renforce nos attentes au point que l'attente elle-même nous devient insoutenable." (p.24)
"Contrairement à ce qu'affirme le déterminisme technologique, d'après lequel les techniques suivent une évolution autonome et transforment la société sans être affectées par elle, la causalité qui lie technique et société n'est pas univoque. Si l'apparition d'une innovation technique entraîne une transformation sociale, la réciproque est vraie: l'adoption et la diffusion d'une technique ne résulte pas d'un processus impersonnel, abstrait des pratiques et des choix humains." (pp.26-27)
"
(pp.32-33)
"Il semble que tout objet technique soit susceptible d'avoir un comportement imprévisible, de sorte que la technique apparaît moins comme une médiation que comme l'initiation d'une nouvelle série causale." (p.36)
"Si les techniques sont des moyens, ce n'est pas en un sens purement instrumental.
(p.39)
"
(p.46)
"La méthode des sciences expérimentales invite [...] à contester la distinction ontologique entre nature et artifice.
(p.21)
"Pour Kant, une production est libre quand la raison décide de fabriquer un objet en se le représentant par avance, en se proposant cette représentation pour fin de son activité." (p.48)
"Pour Kant, le génie se manifeste exclusivement dans le champ des beaux-arts. Par différence avec la création géniale, la production technique repose sur des règles ; même l'invention technique ne peut être dite "géniale", car on peut identifier une règle de production du nouvel objet utile et ainsi le reproduire." (p.50)
-Jeanne Guien et Hélène Vuillermet, La technique, Paris, GF-Flammarion, coll. Corpus, 2018, 228 pages.
confusion techniques / savoirs-faire.
p.26: contradiction entre les alternatives d'emploi d'une technique et le déterminisme technologique formule "le moulin à vent donne la société féodale". Invalide la thèse qu'une formation sociale éclate lorsque les forces productives ont atteint un point d'ébullition suffisant.
"L'art se distingue aussi de l'artisanat ; le premier est dit libéral, le second peut être nommé aussi art mercantile. On regarde le premier comme s'il ne pouvait répondre à une finalité (réussir) qu'en tant que jeu, c'est-à-dire comme une activité qui soit en elle-même agréable ; on regarde le second comme constituant un travail, c'est-à-dire une activité qui est en elle-même désagréable (pénible) et qui n'est attirante que par son effet (par exemple, à travers son salaire)."
-Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, paragraphe 43, trad A. Renaut, GF-Flammarion, 2015, p.289.
Ces objets faits de main humaine sont le produit d'un ensemble de gestes et plus généralement de pratiques que l'on nomme "techniques": le soufflage du verre, comme l'imprimerie, la menuiserie ou le tissage, est une technique, c'est-à-dire une "disposition à produire accompagnée de règle exacte" (Aristote, Éthique à Nicomaque, VI) [...] Maîtriser une technique, c'est posséder un savoir-faire et l'exercer sur une matière extérieure. Contrairement au mouvement instinctif ou aléatoire, elle implique l'apprentissage et le travail: l'activité productive suppose l'imagination d'un résultat et son élection comme but. [...] Les œuvres humaines témoignent de la capacité de prévoir et de viser, de soumettre l'effort de son corps et de sa volonté à un but ; la technique apparaît alors comme notre différence spécifique (Marx, Le Capital) [...]
Contrairement aux activités humaines qui sont à elles-mêmes leur propre fin (danser, se promener, etc.), les techniques ont leur fin hors d'elles-mêmes: elles visent l'existence d'un produit, d'une œuvre, et relèvent ainsi de la poesis et non de la praxis." (pp.14-15)
"Les objets techniques, qui résultent d'une production, sont destinés à une utilisation ; de sorte que la technique pourrait être définie comme un ensemble de moyens mis au service d'une fin. C'est pourquoi nous identifions souvent les objets techniques aux outils, et les distinguons des œuvres d'art: les outils sont définis par leur utilité, tandis que les œuvres d'art ne sont pas destinées à servir à quoi que ce soit. Comme le développe Arendt [...] les œuvres d'art sont autotéliques, ce qui signifient qu'elles sont à elles-mêmes leur propre fin." (p.15)
"L'usage de notre corps lui-même implique l'apprentissage d'un certain nombre de techniques, outillées ou non : même si nous l'oublions avec le temps, marcher, courir, nager ne sont pas des mouvements instinctifs, mais supposent une maîtrise progressivement acquise." (p.16)
"En inventant des techniques, les êtres humains se rendent capables de faire davantage de choses, et semblent accroître leur puissance." (p.17)
"|La concrétisation, résolution de problèmes techniques] Le fonctionnement d'un moteur produit une chaleur qui tend à le détruire ; pour fabriquer une voiture, il faut alors lui joindre un circuit de refroidissement, à air, à huile ou encore à eau comme dans la plupart des automobiles aujourd'hui. En outre, dans un deuxième temps, ce même circuit rend possible de chauffer l'intérieur du véhicule par détournement de cette eau. La mise en place du circuit est finalement une solution à deux problèmes, puisqu'il permet à la fois le refroidissement du moteur et le chauffage de l'air." (pp.18-19)
"Un objet dépend d'autres objets, et notamment de techniques architectoniques, comme le feu, l'électricité ou l'informatique. L'invention de l'ascenseur, par exemple, implique non seulement la maîtrise de techniques d'élévation mais encore celle du freinage de sécurité, qui empêche la chute de l'appareil (mis au point par Elisha Graves Otis en 1852). C'est cette dernière invention qui a rendu possible l'érection de hautes tours à des fins d'habitation -ce qu'on appelle les "gratte-ciels": auparavant, la taille des immeubles était limitée par la nécessité de monter à pied les étages. Les techniques s'articulent ainsi en un système complexe: le gratte-ciel suppose l'ascenseur, et ce dernier requiert, pour fonctionner, l'existence de tout un réseau électrique." (p.19)
"A l'horizon des pratiques techniques se dessine une tâche universelle, celle de participer à ce progrès de l'humanité: inventer, c'est améliorer son sort, celui de ses contemporains et celui des générations futures." (p.20)
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(p.23)
"L'expérience d'une plus grande rapidité n'est pas seulement une transformation quantitative, une augmentation de performance: elle bouleverse notre rapport au temps et à l'espace, et renforce nos attentes au point que l'attente elle-même nous devient insoutenable." (p.24)
"Contrairement à ce qu'affirme le déterminisme technologique, d'après lequel les techniques suivent une évolution autonome et transforment la société sans être affectées par elle, la causalité qui lie technique et société n'est pas univoque. Si l'apparition d'une innovation technique entraîne une transformation sociale, la réciproque est vraie: l'adoption et la diffusion d'une technique ne résulte pas d'un processus impersonnel, abstrait des pratiques et des choix humains." (pp.26-27)
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(pp.32-33)
"Il semble que tout objet technique soit susceptible d'avoir un comportement imprévisible, de sorte que la technique apparaît moins comme une médiation que comme l'initiation d'une nouvelle série causale." (p.36)
"Si les techniques sont des moyens, ce n'est pas en un sens purement instrumental.
(p.39)
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(p.46)
"La méthode des sciences expérimentales invite [...] à contester la distinction ontologique entre nature et artifice.
(p.21)
"Pour Kant, une production est libre quand la raison décide de fabriquer un objet en se le représentant par avance, en se proposant cette représentation pour fin de son activité." (p.48)
"Pour Kant, le génie se manifeste exclusivement dans le champ des beaux-arts. Par différence avec la création géniale, la production technique repose sur des règles ; même l'invention technique ne peut être dite "géniale", car on peut identifier une règle de production du nouvel objet utile et ainsi le reproduire." (p.50)
-Jeanne Guien et Hélène Vuillermet, La technique, Paris, GF-Flammarion, coll. Corpus, 2018, 228 pages.
confusion techniques / savoirs-faire.
p.26: contradiction entre les alternatives d'emploi d'une technique et le déterminisme technologique formule "le moulin à vent donne la société féodale". Invalide la thèse qu'une formation sociale éclate lorsque les forces productives ont atteint un point d'ébullition suffisant.
"L'art se distingue aussi de l'artisanat ; le premier est dit libéral, le second peut être nommé aussi art mercantile. On regarde le premier comme s'il ne pouvait répondre à une finalité (réussir) qu'en tant que jeu, c'est-à-dire comme une activité qui soit en elle-même agréable ; on regarde le second comme constituant un travail, c'est-à-dire une activité qui est en elle-même désagréable (pénible) et qui n'est attirante que par son effet (par exemple, à travers son salaire)."
-Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, paragraphe 43, trad A. Renaut, GF-Flammarion, 2015, p.289.
