L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

Le deal à ne pas rater :
Fnac : 2 jeux de société achetés = le 3ème offert (le moins cher)
Voir le deal

    Roger Dupuy, République jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire (1792-1794)

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 20685
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Roger Dupuy, 	République jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire (1792-1794) Empty Roger Dupuy, République jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire (1792-1794)

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 6 Jan - 22:39



    "Rappelons que la coupure du 9-Thermidor a été celle retenue par Michelet, qui arrête son Histoire de la Révolution à l’exécution de « l’Incorruptible », son vécu personnel enrichi de sa biographie familiale, de sa sensibilité et de sa culture d’historien l’incitant à estimer qu’avec la mort de Robespierre quelque chose d’essentiel avait profondément changé dans le cours de la Révolution. Sentiment massivement partagé dans les témoignages des contemporains de l’événement qu’il avait pu connaître ou lire et qu’il a magnifié par l’émotion profonde qui se dégage de la dernière page, fameuse, de son œuvre : « Peu de jours après Thermidor, un homme, qui vit encore et qui avait alors dix ans, fut mené par ses parents au théâtre, et à la sortie admira la longue file de voitures brillantes qui, pour la première fois, frappaient ses yeux. Des gens en veste, chapeau bas, disaient aux spectateurs sortants : “Faut-il une voiture, mon maître ?” L’enfant ne comprit pas trop ces termes nouveaux. Il se les fit expliquer, et on lui dit seulement qu’il avait eu un grand changement par la mort de Robespierre. »."

    "Le malaise économique entretient la colère populaire et pousse les militants à agir et à exiger de la Convention qu’elle proclame la terreur à l’ordre du jour, alors que dans le pays la rébellion girondine s’ajoute aux refus paysans des levées d’hommes, principalement dans l’Ouest bocager et sur les hautes terres méridionales du Massif central."

    "On ne sait trop qui incarne la souveraineté nationale. Est-ce la volonté générale mais imprévisible de la masse des électeurs des 83 départements qui vont s’exprimer lors de l’élection de la future Convention nationale ou bien sont-ce les patriotes parisiens, conscients d’avoir sauvé, une fois encore, la Révolution avec l’appui des fédérés, héroïques représentants des patriotes véritables des 82 autres départements ?

    L’Assemblée législative, et tout particulièrement les brissotins, conscients de l’urgence et de l’ambiguïté de la situation, vont réagir rapidement. À Paris, victorieux, mais où va s’affirmer l’influence de Marat, des Cordeliers et de Robespierre, ils vont leur opposer d’emblée la légitimité de la nation tout entière, celle de la totalité des départements, dont l’Assemblée, pourtant discréditée aux yeux des Parisiens, va se porter garante.

    Le 10 août, en fin de matinée, pendant que l’on se bat toujours devant les Tuileries, l’Assemblée législative vote donc un décret en douze articles, dont le premier décide que, pour élaborer une nouvelle Constitution, une convention nationale sera convoquée selon des modalités et à une date fixées ultérieurement. L’article 2 décrète que « le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions » et l’article 3 prévoit la création d’un nouveau ministère, tandis qu’il est précisé (article 9) que « la famille royale sera déférée au Luxembourg sous la garde des citoyens et de la loi ».

    Mais, désormais, l’Assemblée législative n’est plus seule à légiférer : au matin du 10 août, vers 8 heures, le comité insurrectionnel, formé de 3 représentants de chacune des 48 sections de Paris et qui siégeait à l’Hôtel de Ville depuis la veille avant minuit dans le local que Pétion1 lui avait attribué, décide de suspendre la municipalité légale et de prendre sa place, autrement dit de ne pas se borner à n’être qu’une instance insurrectionnelle disparaissant une fois la victoire obtenue. Une proclamation aussitôt rédigée rappelle le sens politique profond de l’acte insurrectionnel en cours : le peuple reprend ses droits, c’est-à-dire qu’il incarne dans sa plénitude le pouvoir constituant, dont la manifestation est rendue nécessaire par la trahison du pouvoir exécutif et la déchéance qui en est la punition nécessaire : « Le peuple, placé entre la mort et l’esclavage, vient de prévenir la ruine de la Patrie en reprenant une seconde fois ses droits. Le souverain a parlé ; des magistrats, nommés par la majorité des sections, viennent de prendre séance à la Maison commune. Cette mesure, nécessitée par les circonstances, va rompre tous les fils de l’intrigue. Elle va porter la lumière sur cette chaîne de trahisons qui a mis la liberté dans un péril si imminent. Le peuple, cette fois-ci, ne se sera pas levé en vain. »

    Allusion sans doute à l’échec de la journée du 20 juin précédent, mais aussi opinion intime du peuple, après avoir sauvé la Révolution en juillet et octobre 1789, d’avoir été berné par l’Assemblée constituante tout comme il venait de l’être par la Législative qui l’avait lanterné en refusant de prononcer la déchéance d’un roi traître et parjure. Les insurgés n’entendaient pas renoncer à imposer désormais une ligne politique exprimant le sentiment profond des classes populaires, et le comité insurrectionnel, prorogeant sa mission, agissait dans ce sens.

    Au moment où ce texte était proclamé commençait l’assaut des Tuileries, qui fut repoussé par un feu de salve des gardes suisses que l’on croyait prêts à se rendre. La place du Carrousel fut couverte de morts, la panique s’emparait des assaillants et l’on crut, à l’Hôtel de Ville, que tout était perdu. Mais une seconde vague de sans-culottes et de fédérés s’empara du château et la rage des vainqueurs ne fit pas grâce à ses défenseurs, comme l’avait ordonné le comité insurrectionnel. Le nouveau régime est donc né dans un paroxysme de violence, dans le sang des patriotes fusillés à bout portant par les gardes suisses et les aristocrates, paroxysme qui préfigurait peut-être ce qui attendait les Parisiens si Brunswick parvenait à ses fins. Ces flots de sang réclamaient une vengeance immédiate englobant le roi, les aristocrates et tous leurs complices.

    Violence terrible du contexte mais aussi ambiguïté politique de la situation. L’Assemblée législative n’était pas favorable à l’insurrection et les insurgés n’estimaient guère une assemblée qui avait protégé le roi jusqu’au dernier moment et semblait continuer à le faire. Aux yeux de beaucoup de patriotes parisiens et de fédérés, l’Assemblée était aussi coupable que le roi. Et parmi eux, Robespierre, dans la soirée du 10 août, proposa aux Jacobins d’inviter les sections à déclarer leur volonté à l’Assemblée nationale. Le 12 août, il prit la parole à l’Assemblée législative, à la tête d’une députation du Conseil de la Commune, contre le projet de l’Assemblée visant à rétablir l’administration du département que la Commune venait justement de suspendre pour aristocratisme. Ce même jour, aux Jacobins, Anthoine, maire de Metz, fit un long discours exaltant la souveraineté populaire retrouvée qui ne saurait tolérer un pouvoir concurrent, et il en déduisait les conséquences politiques : « Il faut donc que le peuple aille en force à l’Assemblée nationale qu’il a bien voulu conserver, qu’il déclare la volonté du peuple à ce sujet. »

    En fait, il ne fut pas écouté et la Commune lui préféra un compromis fragile en reconnaissant l’existence d’une Assemblée qui continuait à représenter la France des départements avec laquelle la capitale ne voulait pas paraître vouloir rompre. Mais, convaincu d’incarner la légitimité révolutionnaire et voulant, par le nombre de ses membres, devenir une assemblée presque aussi imposante que la Législative, le Conseil de la Commune doubla la représentation des sections, ce qui porta à 288 le nombre de ses membres.

    La plupart étaient d’illustres inconnus, mais parmi eux siégeaient des Jacobins prestigieux comme Robespierre, Billaud-Varenne, Fabre d’Églantine, Léonard Bourdon, Tallien, de possibles Girondins comme Choderlos de Laclos, le secrétaire du duc d’Orléans, mais aussi Hébert et quelques-uns de ses amis. Robespierre devint vite le porte-parole de ce pouvoir autoproclamé, souvent à la tête des délégations envoyées devant l’Assemblée législative pour lui imposer les décisions de ce qu’on avait fini par appeler Conseil général de la Commune de Paris.

    Le Conseil obligea ainsi l’Assemblée nationale à renoncer au Luxembourg pour y détenir le roi et sa famille et lui imposa le Temple, une prison effective et non pas un palais entouré de jardins. Pour juger au plus vite les crimes commis contre le peuple durant la matinée du 10 août, il finit par lui imposer, le 17 août, sous la menace d’une nouvelle journée insurrectionnelle, deux tribunaux criminels spéciaux avec des jurys composés de patriotes pris dans chacune des 48 sections et d’autant de fédérés au lieu de la cour martiale proposée par la Législative. Enfin, le 23 août, une députation dudit Conseil vint exiger de l’Assemblée nationale, en la menaçant encore de faire marcher les sections, qu’elle active le transfert des suspects emprisonnés à Orléans vers le nouveau Tribunal criminel de Paris. Mais cette fois, les députés refusèrent d’obtempérer, car, à Paris, une partie des sections, dont celle du Finistère, commençait à penser que la Commune allait trop loin dans sa manière de traiter la représentation nationale.

    De son côté, la Législative affectait de considérer le nouveau pouvoir comme provisoire tout en lui reconnaissant une sorte de mission particulière liée aux circonstances du moment. Ainsi, toujours le 10 août, après avoir presque éconduit une première députation du comité insurrectionnel, elle accueillit, en fin de matinée, une députation plus étoffée conduite par le président du Conseil de la Commune, Huguenin, qui annonça à l’Assemblée le maintien de Pétion, l’ancien maire de Paris ayant des relations avec les deux camps, de Manuel, dont on connaissait l’humanité comme procureur-syndic, de Danton comme officier municipal, et la nomination de Santerre au commandement de la garde nationale, en remplacement du traître Mandat, qui avait subi son châtiment. Le président de la Législative lui répondit en applaudissant au zèle du Comité et invita la délégation à publier dans Paris les décrets de l’Assemblée nationale et à rendre à Pétion, retenu chez lui, sa pleine et entière liberté. Enfin un décret confia, d’une manière spéciale, aux commissaires des sections l’honorable mission que le président venait de les inviter à remplir. C’était reconnaître officiellement l’existence de la Commune révolutionnaire tout en semblant la cantonner dans un rôle d’exécutrice privilégiée des décrets du pouvoir législatif.

    Dans les jours suivants, le conflit s’exaspéra au lieu de s’atténuer parce qu’il fut alimenté par l’hostilité haineuse qui continuait d’opposer les Girondins aux Jacobins partisans de Marat, de Robespierre et de Danton. Or Brissot et ses amis girondins et méridionaux dominaient toujours la Législative et occupaient les ministères élus dans la nuit du 10 au 11, notamment celui de l’Intérieur, attribué à Roland, mais excepté celui de la Justice, confié habilement à Danton, dont la popularité devait permettre de limiter les désordres de la rue tout en se laissant la possibilité de l’accabler s’il était débordé."

    "L’armée prussienne, commandée par le duc de Brunswick, avait franchi la frontière le 19 août. Elle regroupait 40 000 Prussiens, 29 000 Autrichiens et un contingent de quelque 5 000 émigrés. Rappelons que l’armée prussienne passait pour la meilleure d’Europe et le duc pour un des meilleurs capitaines du moment. Les contre-révolutionnaires jubilaient. L’armée du roi de Prusse, ralentie par ses charrois d’approvisionnement, avançait lentement mais sûrement. Longwy, attaqué le 22 août, capitulait le 23. Un seul bombardement avait suffi à démoraliser la population, qui exigea la reddition et fit pression sur la garnison, dont le commandant avait rejoint les émigrés tandis que les royalistes de la ville accueillaient les Prussiens en libérateurs. La nouvelle fut connue à Paris le 25 au soir, alors qu’on avait commencé à guillotiner les premières victimes du nouveau Tribunal criminel et qu’on préparait une grande cérémonie funèbre en l’honneur des victimes du 10 août. La Commune décida immédiatement la levée dans Paris et les départements voisins de 30 000 hommes et proclama que tout citoyen qui, dans une place assiégée, parlerait de se rendre, serait immédiatement mis à mort. La cérémonie se déroula comme prévu, le dimanche 27 août, mais, ajoute Michelet, « cette fête des morts, pour un peuple qui se sentait vendu et trahi, se trouva en réalité la fête de la vengeance ».

    Et de nous décrire cette mise en scène orchestrée par Sergent, un des administrateurs de la Commune, dessinateur et graveur de son état, patriote ardent, qui sut créer une atmosphère tragique au diapason de ce que ressentaient les parents des victimes et le peuple tout entier. Une immense pyramide de serge noire recouvrait le grand bassin situé devant les Tuileries, on pouvait y lire les noms de tous les massacres perpétrés par la contre-révolution, depuis ceux de Nîmes et de Nancy jusqu’à ceux du Champ-de-Mars, de Provence et de Marseille. Les veuves et les orphelines en robe blanche et ceinture noire mêlée de tricolore ouvraient la procession, suivies d’immenses sarcophages représentant les morts du 10 août, accompagnés de bannières aux inscriptions vengeresses et d’un détachement de fédérés, sabre nu au poing, puis venaient les deux statues colossales de la Loi et de la Liberté, les membres du Tribunal criminel du 17 août suivis des 288 membres de la Commune de Paris, enfin les députés de l’Assemblée nationale, des couronnes civiques à la main. Le tout animé par la musique solennelle de Gossec accompagnant les strophes funèbres composées par M.-J. Chénier, l’un et l’autre pourtant considérés comme des modérés mais réhabilités pour l’occasion. Enfin, la métaphore funèbre se prolongeait avec la guillotine, dressée en face, sur la place du Carrousel, promesse de la mort réservée à ceux qui voulaient entraver la marche d’une Révolution rendue encore plus sacrée par tous ceux qui venaient de périr pour elle.

    Paris vivait donc sous la double emprise de la peur des troupes de Brunswick et d’une volonté de vengeance encore inassouvie. Pour équiper les 30 000 volontaires qui devaient couvrir la capitale, la Commune réquisitionna toutes les armes disponibles et décida, le 28 août, de multiplier les visites domiciliaires chez les citoyens suspects pour les désarmer et les arrêter s’ils abritaient des ennemis de la nation ou entretenaient des correspondances douteuses. À partir du 29, à 22 heures, les portes de la ville furent fermées et, avec l’accord de Danton, les visites et les fouilles commencèrent. Durant deux jours, les prisons se remplirent, renforçant encore la hantise du complot universel. Et l’opinion s’exaspérait de l’impuissance d’un tribunal de vengeance, celui du 17 août, qui ne tuait qu’au compte-gouttes et en venait même à innocenter des prévenus faute de preuves, comme si les traîtres ne faisaient pas tout pour les faire disparaître.

    C’est donc au moment où la Commune de Paris, siégeant en permanence, cherchait, par tous les moyens, à mobiliser l’énergie patriotique de la population que l’Assemblée nationale, sous la pression de la Gironde, se proposa de se débarrasser de sa rivale tout en concluant son décret par cette formule, plutôt surprenante, adoptée sous la pression de son aile gauche : « L’Assemblée décrète que les représentants provisoires de la Commune, les citoyens de Paris et les fédérés qui étaient à la journée du 10 ont bien mérité de la patrie. »

    Prévoyant l’offensive girondine, la Commune, dès le 29 août, s’était déclarée inviolable : nul ne pouvait priver, dans les circonstances terribles que l’on traversait, les sections de Paris du dévouement patriotique de leurs élus, à moins que ces dernières n’imposent elles-mêmes leur retrait. L’annonce, le lendemain soir, du décret de l’Assemblée nationale entraîna une double démarche de la Commune : elle rétablit l’ancien Conseil général, supprimé le 10 août, tout en restant en place pour contrôler la légitimité patriotique des décisions des édiles rétablis. Le corps législatif remit sa réponse au lendemain, n’osant plus imposer sa volonté dans le contexte tendu des nouvelles venues de Champagne, d’autant qu’il savait les sections partagées sur l’attitude à adopter en cas de conflit entre les deux assemblées, et que la plupart regrettaient que l’on se déchirât devant l’ennemi au lieu de s’unir contre lui.

    La nouvelle du siège de Verdun amena une trêve tacite entre les partis rivaux. La Commune adopta un arrêté portant la création immédiate d’une armée supplémentaire de 60 000 hommes et imposant, par section, un inventaire des hommes et des armes disponibles dans l’immédiat. Convaincue de la nécessaire dramatisation du moment pour obtenir une mobilisation massive de la population, elle décida que le canon d’alarme serait tiré en permanence, le tocsin sonné et la générale battue. De son côté, l’Assemblée nationale, ayant du mal à renoncer à son projet de liquider la Commune, commença par se prononcer sur les conditions de fonctionnement du Conseil général de la Commune de Paris amalgamant les anciens et les nouveaux élus. Mais devant l’activisme patriotique de la Commune, elle décida, le 1er septembre, de rapporter son décret de suspension de la Commune du 10 août.

    L’inquiétude collective liée à l’avance, apparemment inéluctable, des Prussiens et de leurs alliés avait protégé la Commune contre l’attaque des Girondins, mais l’unanimité politique n’allait pas de soi et, pour tenter de l’imposer par en bas, maratistes et robespierristes s’efforçaient d’entretenir et d’amplifier l’exaspération patriotique dans les couches populaires parisiennes. Autrement dit, la violence punitive et préventive semblait un moyen efficace pour, à la fois, épouvanter les royalistes et leurs alliés et imposer une ligne politique cohérente avec la réalité multiforme, changeante, et donc difficile à maîtriser, du patriotisme des sectionnaires parisiens et des fédérés."

    "Ce 2 septembre, des délégations de fédérés, de volontaires parisiens ou venus des communes proches de la capitale se succédèrent dans la salle du Conseil de la Commune et dans celle du Corps législatif pour proclamer qu’ils ne partiraient qu’une fois les ennemis de la nation exterminés, car le complot des prisons était une réalité et l’on savait déjà qu’on y fabriquait de faux assignats avec la complicité de certains concierges.

    C’est la section Poissonnière qui la première adopta un arrêté, dans l’après-midi du 2 septembre, stipulant qu’il fallait faire prompte justice de « tous les malfaiteurs et conspirateurs détenus dans les prisons » et obliger à marcher devant les colonnes patriotes, pour leur servir de rempart, les prêtres réfractaires, les femmes et les enfants des émigrés. Quatre autres sections adoptèrent, en fin d’après-midi, des arrêtés analogues. D’autres, mais cela allait dans le même sens, se bornèrent à protester contre les lenteurs et la faiblesse du nouveau Tribunal criminel, exigeant une justice plus expéditive.

    Vers 15 heures, la Commune s’accorda une pause, laissant son Comité de surveillance – qui ce jour-là venait de doubler ses effectifs pour faire face à la situation et où siégeaient Sergent, Billaud-Varenne, Panis, mais également Marat – prendre une initiative qui, délibérément, amorça la tuerie. On décida de transférer à la prison de l’Abbaye, où l’on savait qu’il y avait des rassemblements réclamant vengeance, vingt-quatre prêtres réfractaires emprisonnés provisoirement dans les combles de l’Hôtel de Ville. On les entassa dans quatre fiacres mal fermés et on les fit escorter par des fédérés qui les abreuvèrent d’injures tout au long du parcours en cherchant à exciter la foule contre ces calotins fanatiques. Aux abords de l’Abbaye, la densité de la foule avait ralenti le convoi, et les coups pleuvaient sur les voitures tout comme les insultes au point qu’un prêtre frappa de sa canne des fédérés, entraînant leur riposte immédiate, sabre à la main, et le massacre des prêtres. Un seul en réchappa, l’abbé Sicard, l’instituteur des sourds-muets, reconnu et mis à l’abri par certains spectateurs et acteurs du carnage.

    Dans la soirée, les violences gagnèrent toute la ville de Paris. Après l’Abbaye, la foule envahit la plupart des prisons, le Châtelet, les Carmes, la Force, la Conciergerie, puis, le 3 septembre, Bicêtre, le couvent des Bernardins et la Salpêtrière. Dans la majorité des cas, on institua des tribunaux populaires qui décidèrent de façon expéditive de la vie ou du trépas des prisonniers que leurs bourreaux attendaient pour les assommer ou les égorger de l’autre côté de la porte du tribunal improvisé. Maillard, vainqueur de la Bastille, présida celui de l’Abbaye, qui siégea sans désemparer pendant quatre jours. Sur 357 prisonniers qui comparurent, 307 furent massacrés.

    Dans la nuit du 2 au 3 septembre, après avoir envoyé 6 commissaires, mais seulement pour protéger de la fureur populaire les prisonniers pour dettes et autres causes civiles, la Commune se décida à en envoyer 4 autres à l’Assemblée nationale, en l’invitant à agir afin de sauvegarder les prisonniers. L’Assemblée désigna aussitôt 12 députés chargés d’imposer le retour au calme, mais on ne les écouta pas et, le 3 septembre, la sanglante purge continua. Ce jour-là, les relations entre les deux assemblées se tendirent à nouveau quand on apprit que, la veille au soir, aux Jacobins, Robespierre avait ouvertement accusé les brissotins d’être soudoyés par Brunswick et de préparer le retour de la monarchie. C’était les livrer à l’exécration populaire et à une possible exécution sommaire. L’Assemblée nationale proclama aussitôt l’innocence des Girondins en fustigeant les accusations de Robespierre, mais ce ne fut que dans la soirée qu’un décret, solennellement proclamé dans toutes les sections, somma la garde nationale d’intervenir pour rétablir l’ordre dans les prisons. Pourtant, il y eut encore des exécutions à la Force et à la Conciergerie jusqu’au 6 septembre.

    Alors que l’historiographie légitimiste avançait des chiffres oscillant entre 5 000 et plus de 10 000 victimes, les décomptes méticuleux de Fernand Braesch ou de Pierre Caron ramènent ce nombre à une fourchette plus réduite, entre 1 090 et 1 395 victimes, comme le rappelle M. Dorigny dans son précieux article du Dictionnaire historique de la Révolution française, soit, néanmoins, la moitié des détenus des prisons parisiennes à ce moment-là ! Quant à la responsabilité des massacres, elle fut, du moins les deux premiers jours, indéniablement collective et traduisit une volonté punitive générale : c’est la foule qui se précipita dans les prisons pour accomplir ces meurtres désormais attendus. Marat, Billaud-Varenne et bien d’autres avaient alimenté par leurs articles ou leurs discours le désir de vengeance d’une large majorité de la population, mais seuls ils ne pouvaient rien. Danton ne risqua pas sa popularité en s’opposant au déferlement, pas plus que Roland, qui se borna à jeter un voile sur une violence inévitable et nécessaire pour affronter la peur de l’invasion. Quant à Robespierre, il a surtout tenté d’attiser, en vain, la fureur populaire contre la Gironde. Restent les agissements du comité de surveillance de la Commune et surtout sa fameuse circulaire du 3 septembre par laquelle il rappelait que la Législative, après avoir voulu destituer l’assemblée parisienne, avait dû reconnaître son patriotisme brûlant, celui-là même qui l’incitait à informer « ses frères de tous les départements qu’une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple ; actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir, par la terreur, ces légions de traîtres cachés dans ses murs », et les invitait à imiter « ce moyen si nécessaire de salut public ».

    Cette invite n’eut guère de suites, néanmoins il y eut quelques massacres sur la route suivie par les volontaires et les fédérés de Paris aux frontières. 8 morts à Reims, 14 à Meaux, seulement 11 à Lyon malgré les listes dressées, mais la garde nationale était sous les armes et empêcha tout débordement. Le seul massacre d’importance fut celui de Versailles le 9 septembre : sur la cinquantaine de prisonniers ramenés d’Orléans pour être jugés à Paris, à la demande de la Commune, 42 furent massacrés, puis leur escorte se porta sur les prisons de la ville, où l’on tua encore 23 prisonniers, essentiellement de droit commun.

    Une fois la machine à massacrer lancée, il fallut un certain temps pour l’arrêter, mais dès le 4 septembre, trois sections crurent bon de rappeler leur identité de principes avec Pétion et Roland, souhaitant que la Commune agisse de concert avec le corps législatif. Le lendemain, 5 septembre, d’autres sections prirent des arrêtés allant dans le même sens. Puis on accusa la Commune d’abus de pouvoir répétés, d’avoir laissé piller des hôtels particuliers, d’avoir organisé des expéditions punitives et lucratives dans les banlieues, de tolérer de véritables actes de brigandage dans les rues de Paris sous prétexte d’obliger les riches à contribuer à l’équipement des volontaires. Dans la seconde quinzaine de septembre, on annonça même, pour le 20, de nouveaux massacres dans les prisons. Dans la nuit du 16 au 17 septembre, une quarantaine d’individus entrèrent par effraction dans le Garde-Meuble royal, place Louis-XV, où des diamants furent dérobés. Pour couper court à toutes les accusations des modérés, la Commune se décida, à la veille de la réunion de la Convention, à sacrifier son comité de surveillance et à demander son propre renouvellement par moitié (18 septembre). L’Assemblée législative exigea la réélection complète de la Commune et vota, la veille même de son propre remplacement, une série de décrets pour rétablir l’ordre dans Paris."

    "Vienne et Berlin constituèrent péniblement, faute d’hommes et d’argent, une armée d’invasion moins importante que prévue initialement, chacun des deux partenaires voulant conserver des forces pour empêcher la Russie d’imposer unilatéralement sa solution. Catherine II, en effet, le jour même où la France déclarait la guerre, avait envahi le territoire polonais avec 100 000 hommes. Le duc de Brunswick, généralissime des coalisés, estimait que la campagne commençait trop tard, qu’il fallait se borner, en cette fin d’année 1792, à occuper les places frontières françaises pour se préparer à marcher sur Paris au printemps. Mais le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II, croyait ce que disaient les émigrés sur l’impuissance d’une armée de pseudo-volontaires, et il en irait de la France comme de la Hollande en 1787. Il fallait donc avancer pour être à Paris dès la fin de l’été et l’on se dit qu’un bon manifeste, suffisamment menaçant, ne pourrait que faciliter les choses. Les diplomates choisirent celui que le marquis de Limon, un émigré, leur proposa et qui avait l’aval de Fersen14 et donc devait convenir à la cour de France. Le 25 juillet, Brunswick en endossa la paternité et, nous dit Georges Lefebvre, « il s’en repentit toute sa vie ».

    Quand l’armée prussienne passa la frontière, à proximité de Longwy, le 19 août 1792, le pouvoir exécutif pouvait lui opposer deux armées composées de régiments de ligne et de bataillons de volontaires recrutés en 1791 et qui venaient donc de subir une formation militaire non négligeable. Celle des Ardennes, regroupée autour de Sedan, et dont Dumouriez avait pris le commandement depuis quatre jours du fait de la désertion de La Fayette, et celle du Centre ou de Metz, dont on venait d’attribuer le commandement à Kellermann en remplacement de Luckner, jugé incapable. Dumouriez obtint, à 53 ans, ce grand commandement dont il rêvait et qui devait lui permettre de faire la conquête de la Belgique et donc de réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué. Il commandait, depuis son départ du ministère, le camp de Maulde, où il avait peaufiné son plan et repris en main les soldats en leur insufflant la vitalité, la confiance et la gaieté dont lui-même débordait. L’arrivée des Prussiens le conforta dans ses certitudes : conquérir la Belgique lui permettrait de lever des hommes, d’obtenir des subsides et d’obliger les Prussiens à venir au secours des Autrichiens, lui donnant l’occasion de les vaincre successivement.

    Après la chute de Longwy, tombé aux mains du duc de Brunswick, Servan, ministre de la Guerre, était persuadé que les Prussiens allaient poursuivre leur progression vers Paris et adjura Dumouriez de renoncer à la Belgique pour couvrir la capitale. Aller en Belgique serait considéré par la population parisienne et les fédérés comme une véritable trahison et provoquerait de nouveaux désordres. Quand il apprit que Brunswick assiégeait Verdun, Dumouriez comprit que l’objectif suivant de son adversaire serait la Champagne pour s’ouvrir la route de Paris. Abandonnant son projet, il se dirigea, à marche forcée et malgré une pluie diluvienne, vers l’Argonne, dont il voulait verrouiller tous les défilés pour stopper l’avance des Prussiens. Il demanda à ses subordonnés de lui amener du Nord et de Châlons les meilleures troupes disponibles, et donna rendez-vous à Kellermann du côté de Grand-Pré et de Sainte-Menehould pour regrouper l’ensemble de leurs forces.

    Brunswick, après la chute de Verdun, s’interrogea sur la suite des opérations, car les pluies incessantes et la dysenterie affaiblissaient son armée. Mais l’arrivée prochaine de Kellermann, dont il connaissait l’itinéraire prévisible, l’incita à risquer une bataille qui lui permettrait d’écraser d’un seul coup les deux armées ennemies. Il trompa Dumouriez par d’incessantes marches et contre-marches et finit par s’emparer d’un des défilés, au nord du massif, provoquant un début de panique dans les troupes de Dumouriez. Celui-ci décida d’abandonner le défilé de Grand-Pré, situé dans la partie centrale du massif, sans attendre d’être cerné par l’armée de Brunswick qui se dirigeait vers Châlons en passant par la route qu’elle venait de s’ouvrir au nord du massif, puis par la trouée de Grand-Pré que venait d’abandonner Dumouriez. Brunswick croyait que les deux généraux français allaient franchir la Marne pour lui barrer la route de Paris. Mais Dumouriez décida de profiter de sa position pour livrer bataille aux Prussiens car il redoutait de les affronter en terrain plat. Kellermann arriva le 18 septembre avec 22 000 hommes.

    Les deux armées se regroupèrent en avant de Sainte-Menehould, en s’appuyant sur un système de collines, ultime ressaut du massif avec la butte de Valmy, sur le versant occidental de l’Argonne. Français et Prussiens se trouvaient à front renversé, Dumouriez faisant face à la route de Paris, alors que Brunswick tournait le dos à la capitale. Il fit demi-tour, décidé à affronter les Français pour en finir avec leurs deux armées et pour préserver ses approvisionnements en vivres et munitions afin de continuer son avance vers Paris. Ajoutons que le roi de Prusse, persuadé de la victoire, malgré les inquiétudes de son général en chef, voulait en découdre au plus vite avec cette armée improvisée qui faisait ricaner les émigrés mais qu’il fallait disperser pour libérer Louis XVI et sa famille.

    Le 20 septembre, entre 6 et 7 heures du matin, les troupes prussiennes prirent progressivement position face aux bataillons français que l’on devinait répartis sur les buttes du mont Yvron et de Valmy. L’affrontement commença par une canonnade opposant les avant-postes français à la cavalerie prussienne, qui allait, dans le brouillard, à la découverte des positions françaises. Les Prussiens furent arrêtés pendant près d’une heure, ce qui permit à Kellermann de disposer le gros de ses troupes sur la butte de Valmy, sous la protection de 36 canons. Regroupement d’autant plus dangereux que sa cavalerie se retrouva au sommet de la colline sans possibilité de bien manœuvrer. Dumouriez, de son côté, se préoccupait de renforcer les ailes du dispositif de Kellermann et d’étoffer une seconde ligne pour éviter d’être attaqué par derrière, depuis Clermont-en-Argonne. Enfin, il envoya deux colonnes pour passer l’Aisne au nord et au sud du champ de bataille, et prendre les Prussiens à revers. Mais ces derniers, de leur côté, avaient empêché les Français d’occuper les hauteurs de la Lune, face aux positions de Kellermann, et y installèrent des batteries d’autant plus dangereuses qu’elles dominaient les pentes de Valmy et du mont Yvron.

    L’armée prussienne arrivée sur le plateau, face aux positions françaises, on l’arrêta pour délibérer. Brunswick et le roi de Prusse étaient perplexes devant les dispositions de Kellermann, et s’interrogeaient sur les effectifs dont ce dernier disposait, d’autant que les replis du terrain masquaient les forces de Dumouriez. En tout, 54 pièces d’artillerie furent disposées face aux deux positions françaises et les canonnèrent sans interruption trois heures durant, entraînant une riposte des batteries de Kellermann. Les deux armées subirent des pertes relativement limitées du fait de la boue qui ne permettait pas aux boulets de ricocher. Finalement, vers 13 heures, le roi de Prusse se décida à attaquer. Comme à la parade, les colonnes d’assaut se mirent en place au son du tambour. On sentit les Français impressionnés par cette force apparemment sûre d’elle-même, et leurs officiers durent les rassurer, tout en leur ordonnant de ne pas tirer mais de se préparer à repousser l’ennemi à la baïonnette. Kellermann, soudain inspiré, mit son chapeau surmonté d’un panache tricolore sur son épée et la brandit en criant « Vive la Nation ! », et l’armée entière lui répondit à plusieurs reprises en clamant « Vive la Nation ! Vive la France ! Vive notre général ! », et en brandissant armes et coiffures tandis que les musiques jouaient le Ça ira !. Les canons allemands se remirent à tirer pour accompagner l’assaut sans pouvoir empêcher les Français de prendre de nouvelles positions pour mieux contrer les colonnes des assaillants.

    En avançant, les régiments prussiens devenaient vulnérables, d’autant que les artilleurs français, tout en conservant la fréquence de leurs tirs, pointaient leurs pièces avec une efficacité redoutable qui multiplia brutalement les pertes prussiennes. Brunswick, inquiet, ordonna aux colonnes de s’arrêter et d’intensifier les tirs d’artillerie, notamment depuis les hauteurs de la Lune, pour ébranler les Français sur leurs nouvelles positions. Des deux côtés, généraux et officiers exhortaient leurs hommes à serrer les rangs, quand, vers 15 heures, un obus prussien fit sauter trois caissons de munitions au pied du moulin et au milieu du dispositif de Kellermann. L’explosion fut terrible, les canons s’arrêtèrent de tirer pendant une dizaine de minutes, un début de panique ébranla deux régiments, les conducteurs des trains d’artillerie s’enfuirent éperdus. Beaucoup, du côté prussien, crurent à la victoire. Mais Kellermann, par sa présence, rassura les troupes, tandis que deux nouvelles batteries françaises vinrent tenter de neutraliser celles de la Lune. La canonnade atteignit alors, de part et d’autre, son maximum d’intensité. Devant la contenance des Français lors de l’amorce d’un second assaut, Brunswick parvint à convaincre le roi de Prusse de remettre à plus tard une bataille si mal engagée, et il commença à disposer ses troupes pour bloquer la route de Châlons, tandis que les canons, qui commençaient à manquer de munitions, se turent progressivement de part et d’autre, vers 18 heures.

    On crut d’abord que ce n’était que partie remise, car, compte tenu de l’état sanitaire de ses troupes, le duc de Brunswick, tout comme Dumouriez, cherchait à gagner du temps. Sous prétexte d’échanger des prisonniers, des officiers généraux des deux armées eurent des entrevues et l’on dîna ensemble. Les Prussiens croyaient que Dumouriez, comme La Fayette, voulait marcher sur Paris pour libérer le roi et rétablir la Constitution de 1791, mais quand il annonça à Frédéric-Guillaume la proclamation de la république, ils rompirent les négociations pour les reprendre aussitôt, car leur situation empirait de jour en jour, les Français interceptant une partie des approvisionnements prussiens. En ménageant les Prussiens, Dumouriez conservait son armée intacte pour envahir la Belgique tout en escomptant, compte tenu de la remise en cause du statut territorial de la Pologne, une possible rupture de l’alliance entre Vienne et Berlin. Sa politique recoupait celle préconisée par Danton, qui avait envoyé le général Westermann sonder les intentions du roi de Prusse. Finalement, Frédéric-Guillaume, toujours favorable à un nouvel affrontement qu’il avait fixé au 29 septembre, céda aux objurgations de Brunswick et se résolut, pour ce même jour, à ordonner la retraite, avec la promesse implicite de Dumouriez de ne pas le poursuivre. Aux yeux du général, c’était un grand pas vers la rupture de la coalition. Mais à Paris, Marat et le parti populaire s’interrogeaient sur la suspension des hostilités, et l’on parlait à nouveau de trahison.

    La bataille, a-t-on dit, n’avait pas vraiment eu lieu, se réduisant à une simple canonnade. Il n’y eut que 184 morts et blessés du côté des Prussiens et le double du côté français. Pourtant la prétendue supériorité de l’armée prussienne fit les frais de cette affaire, car ce fut Brunswick qui refusa de poursuivre l’affrontement. Victoire de l’ancienne armée royale, a-t-on prétendu, parce qu’il n’y eut pas de volontaires de 1792 engagés dans la bataille, et que les canons Gribeauval, qui avaient fait merveille, équipaient l’artillerie française depuis 1780. Mais l’armée de ligne avait massivement recruté à partir de 1789, et les conflits s’étaient multipliés entre soldats « patriotes » et officiers nobles, poussant ces derniers à l’émigration. De plus, l’assaut prussien avait été accueilli par une acclamation unanime de toute l’armée en faveur de la nation et non plus du roi. En faveur de la nation et non pas du peuple, que l’on considérait, au même moment, à Paris, comme l’unique dépositaire de la légitimité révolutionnaire. Ce qui frappe, en effet, c’est la différence d’atmosphère entre le Paris des massacres punitifs et préventifs, voulus par les couches populaires et entretenant dans une partie de la ville un patriotisme véhément, et les camps des armées de Dumouriez et Kellermann, où, apparemment, il n’était pas question de suspecter le patriotisme des généraux ni d’exalter la Commune de Paris. Michelet, citant les Mémoires de Dumouriez, fait état d’un bataillon parisien qui avait mis à mort, dans une prison de Châlons, un prétendu espion prussien, et qui fut durement semoncé par le général en chef et mis à l’index par le reste de l’armée."

    "Le 24 septembre, les Autrichiens entreprenaient le siège de Lille et, le 29, le bombardement de la ville par 24 pièces de gros calibre tirant à boulets rouges commença. Au même moment Custine, commandant des troupes de la Lauter, avec 20 000 hommes, répondait à l’appel de « patriotes » allemands, s’emparant de Spire le 30 septembre, puis de Worms le 5 octobre, enfin de Mayence et de Francfort, les 21 et 22 octobre.

    Plus au sud, Victor-Amédée III de Savoie avait multiplié les marques d’hostilité à la Révolution : accueil des émigrés, projets d’invasion du Dauphiné, déclarations provocatrices. Pour y répliquer, le 22 septembre, les forces du général Montesquiou avaient pénétré en Savoie sans rencontrer de résistance et, dès le 25, la population de Chambéry leur faisait un accueil enthousiaste. Quant au général Anselme, il traversait le Var et entrait à Nice sans coup férir, le 29 septembre au soir, puis s’emparait de la citadelle et du port de Villefranche tandis que l’armée piémontaise se retirait vers Coni et la Riviera ligure.

    L’arrivée de Dumouriez en Belgique obligea les Autrichiens à lever le siège de Lille, le 8 octobre."
    -Roger Dupuy, République jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire (1792-1794), Seuil, 2005.




    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Mar 5 Nov - 19:54