https://www.unioncommunistelibertaire.org/En-1794-La-Terreur-contre-la-revolution-populaire
"Au printemps 1794, alors que la jeune république française est menacée par la contre-révolution, le Comité de salut public qui détient l’essentiel du pouvoir depuis septembre 1793, accentue la répression des mouvements populaires pour se débarrasser méthodiquement de tous les courants politiques radicaux qui l’avait soutenu. Ce régime de Terreur, initialement souhaité par les classes populaires pour abattre les contre-révolutionnaires, se retourne contre elles.
Depuis, le 10 août 1792, ce qui avait commencé comme une révolution bourgeoise limitée, avec pour objectif d’établir une monarchie constitutionnelle, s’était emballé. Une journée insurrectionnelle abat la monarchie et met en place la République. Une nouvelle Assemblée constituante, la Convention est élue dès le mois de septembre 1792. Dans un contexte économique et politique difficile, alors qu’une bonne partie du territoire français se soulève contre la République après l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, et que la plupart des pays européens attaquent la France, le peuple parisien décide d’imposer ses revendications, et d’influer sur le pouvoir en place, voire de le prendre.
Sans-culotte et bourgeois
Les travailleurs des villes, alliés à la bourgeoisie radicale, sont nommés sans-culottes, en référence au fait que ceux-ci portaient des pantalons, symbole de leur pauvreté. Ils sont surtout présents à Paris, mais sont aussi actifs dans d’autres grandes villes. La plupart sont ouvriers ou travailleurs indépendants et ont été très impliqués dans la révolution depuis ses débuts. A Paris, ils sont organisés au travers de la Commune insurrectionnelle de Paris et de ses sections, qui sont des assemblées populaires de base [1]. Leurs revendications principales sont le gouvernement direct, c’est-à-dire une forme de démocratie directe, et l’égalité des jouissances, c’est-à-dire capacité pour tous d’avoir accès aux mêmes biens.
Mais le mouvement des sans-culottes est traversé par divers courants politiques plus ou moins organisés (Enragés, hébertistes pour les plus radicaux). Pour faire entendre leur voix dans les institutions, les sans-culottes comptent sur leurs alliés jacobins, qui dominent la Convention à partir de juin 1793. Cette tendance, grâce à divers clubs jacobins, possède un très fort maillage territorial. La plupart des Jacobins sont issus de la petite bourgeoisie (négociants, magistrats, artisans…). Sans être en faveur de mesures de redistribution, ils représentent l’aile radicale de la bourgeoisie.
Cette alliance de l’aile radicale se fait dans le contexte d’une importante crise alimentaire. Des mauvaises récoltes, la guerre et des problèmes d’approvisionnement font que la famine n’est pas très loin, et les prix atteints par le pain en ville peuvent être très élevés. Face à cette situation, une des revendications des sans-culotte est le maximum, c’est-à-dire le fait de fixer un prix maximum aux biens de première nécessité. Marchands de grains, et commerçants ne l’entendent pas de cette oreille.
Entre cette crise de subsistance, les soulèvements contre la République, notamment en Vendée, et l’avancée des armées ennemies, la révolution paraît bien menacée. A l’intérieur du camp révolutionnaire, une lutte sans pitié oppose les Girondins, qui représentent la bourgeoisie libérale, aux radicaux.
Sauver la révolution
Les Girondins ouvrent les hostilités en tentant de purger les radicaux. Le 15 avril 1793, ils mettent en cause Marat, l’accusant de complicités avec l’étranger. Suite à une pétition menaçante de 35 sections parisiennes et d’une forte pression populaire, celui-ci est relaxé. La pétition des sans-culottes, soutenue par les Jacobins, en plus de défendre Marat, accuse 22 députés girondins qui sont les dirigeants de ce courant. Le 24 mai, une commission de répression politique de la Convention (la commission des 12) veut ficher intégralement les militants de la commune de Paris en leur demandant d’apporter leurs registres. De plus, Hébert et Varlet, militants radicaux, sont emprisonnés. A Lyon, les Girondins répriment le mouvement sans-culotte et font guillotiner Chalier, du courant des Enragés le 10 juillet 1793.
Face à ce début de répression étatique, les révolutionnaires radicaux s’organisent. Le 31 mai a lieu une première journée d’insurrection. Les sections parisiennes, en armes, entourent la Convention et demandent l’arrestation des 22, ainsi que de la commission des 12. Suite à des manœuvres bureaucratiques, la mesure promise n’est pas appliquée. Le 2 juin, une nouvelle insurrection parvient à faire arrêter ou mettre en fuite les députés mis en cause. Le danger girondin semble écarté à Paris, mais les défaites s’accumulent aux frontières, alors que les insurrections royalistes et girondines concernent de larges parties du territoire. A cela s’ajoute le problème de la crise des subsistances. Bien que le maximum ait été voté le 4 mai, la spéculation sur le pain continue et la famine ne s’atténue pas. La livre de pain (500g) coûte toujours aussi cher : son prix est souvent plus élevé que le salaire journalier d’un ouvrier [2]. A cela s’ajoute l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, partisane des Girondins, le 13 juillet 1793, qui a un énorme retentissement.
Pendant tout l’été 1793, l’agitation des sans-culotte est à son comble : assemblées, pétitions, réquisitions, émeutes, pillages. En effet, pour la plupart des révolutionnaires radicaux, jacobins, comme sans-culottes, la solution est de frapper avec énergie les ennemis de la Révolution, qu’ils soient royalistes, agioteurs ou girondins.
La Terreur contre la révolution
Le 5 septembre 1793, une nouvelle journée insurrectionnelle menée par les éléments les plus radicaux, vise à imposer la Terreur d’État. Cette solution miracle pour les insurgés permettrait d’abattre ou de terroriser les ennemis de la révolution, au premier rang desquels figurent les spéculateurs. La Terreur décrétée ce jour-là par la Convention est mise en place progressivement par diverses mesures qui renforcent le pouvoir du comité de salut public, initialement chargé de contrôler le travail des ministres. Cette Terreur a longtemps été interprétée par certains historiens [3] comme le paroxysme de la révolution, démontrant le caractère nécessairement sanguinaire et cruel de tout processus révolutionnaire, et spécialement de l’action du peuple. Mais remettre à l’État le pouvoir de réprimer et de tuer de manière discrétionnaire afin de sauver la révolution, permet surtout à la révolution de dévorer ses propres enfants, en même temps que les réels ennemis de la Révolution, eux aussi réprimés avec cruauté.
La Terreur permet aussi de reporter sine die la mise en application de la nouvelle constitution, la plus démocratique qui ait été rédigée en France. Cette constitution prévoit notamment la citoyenneté pour tout étranger résidant un an en France, l’introduction de droits économiques et sociaux (association, réunion, travail, assistance et instruction) ou encore l’organisation des citoyens en assemblées primaires, par canton chargées d’accepter ou refuser les lois préparées par les députés.
Le Comités de salut public et le Comité de sûreté générale qui mettent en œuvre la Terreur, sont dirigés par Robespierre et ses alliés, tous figures éminentes du club des Jacobins. Le 17 septembre, la loi des suspects est votée. Elle met en place les bases de la Terreur : doivent être emprisonnés tous ceux et celles qui sont suspects de mener des activités contre-révolutionnaires, mais aussi ceux soupçonnés de répandre des opinions opposées aux idéaux révolutionnaires. De fait, certaines libertés sont suspendues « jusqu’à la paix ».
Il faut distinguer deux types de Terreur. Dans les départements en guerre, les opposants aristocrates ou girondins sont souvent sommairement exécutés et l’armée révolutionnaire, chargée de la répression, frappe fort. À Paris, c’est le Tribunal révolutionnaire, dont les effectifs ont été renforcés, qui mène les arrestations et exécutions (plus de 4000 entre le vote de la loi des suspects et la fin de la Terreur en juillet 1794).
Les Jacobins aux commandes
La Terreur s’abat sur les réels ou supposés contre-révolutionnaires, qui pour beaucoup ont déjà fui la capitale, mais pas seulement. Les Girondins et le reste des monarchistes constitutionnels sont guillotinés à l’automne 1793, de même que Marie-Antoinette. La Terreur touche rapidement l’ensemble du personnel politique de la Révolution. Les luttes de factions se règlent par la guillotine. Les premiers touchés, dès septembre 1793, sont la faction la plus radicale, celle des Enragés. Leur associations sont dissoutes, et les militants et militantes les plus en vue chassés de Paris ou emprisonnés. Le 30 octobre 1793, la Convention fait fermer les clubs de femmes révolutionnaires.
A partir du printemps 1794, les courants radicaux sont tous méthodiquement réprimés. Les hébertistes, qui reprennent le flambeau des Enragés, sont exécutés en mars 1794 pour avoir comploté contre les comités et tenté de mener une journée insurrectionnelle. C’est ensuite le groupe des Indulgents, dont la figure de proue est Danton, et des membres de la Montagne qui sont la cible de la Terreur. Ils sont accusés de corruption et de collusion avec l’étranger. Huit jours après les hébertistes, la lutte parlementaire entre ce courant et Robespierre se conclut par leur conduite à l’échafaud.
Une fois toutes les factions politiques éliminées, la Terreur connaît encore un coup d’accélérateur. A partir du 22 prairial (10 juin), les Jacobins désormais sans opposition sérieuse, entament une « grande Terreur ». Une nouvelle loi facilite encore l’action du Tribunal révolutionnaire, en supprimant les interrogatoires, les avocats ou les témoins des suspects. A Paris, le rythme des exécutions augmente encore. La Grande Terreur prend fin au mois de thermidor. Suite à des dissensions entre les comités de salut public et de sûreté générale, ce sont les robespierristes qui sont à leur tour mis en cause, alors qu’ils tentent une énième purge du parlement. Le 8 et 9 thermidor (26-27 juillet), ils sont la cible d’un coup d’État, arrêtés et exécutés, malgré une tentative d’insurrection de ce qu’il reste du mouvement des sans-culottes.
La révolution vaincue par ses défenseurs
Après Thermidor, c’est la fin de la Révolution en tant que telle. Les organes des sans-culotte sont décapités, et les fractions radicales des révolutionnaires sont décimées. Le temps est à la réaction thermidorienne : à la Terreur dite « rouge » succède la Terreur « blanche », que les historiens de droite oublient naturellement de dénoncer. Les sans-culottes, les Jacobins, les révolutionnaires convaincus, les montagnards sont impitoyablement traqués et battus, voire assassinés.
Les dernières tentatives d’intervention du mouvement sans-culotte sont militairement liquidées : le 20 mai 1795, les sections du faubourg Saint-Antoine et Saint-Marceau envahissent la Convention pour réclamer le retour du maximum et l’application de la constitution de 1793, mais l’insurrection est réprimée en 2 jours par le Général Menou. La Garde nationale est épurée pour ne conserver que des bourgeois aisés. En 1796, la conjuration des Égaux, qui tentait de réorganiser dans le secret les survivants de toutes les factions radicales, est démantelée et condamnée [4]. La Révolution française est alors finie. Ne reste plus qu’une république bourgeoise de boutiquiers, liquidée sans grand prestige par Napoléon lors du coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799).
Réclamer, plus de répression et plus de violence d’État pour faire avancer la révolution conduit paradoxalement à créer une machine à réprimer les opposants politiques devenue assez vite l’ennemie des éléments les plus révolutionnaires. La faction détenant ce pouvoir arbitraire a naturellement fait le choix de le conserver afin de conserver sa position dominante. S’il est parfois nécessaire dans des situations de conflit de prendre des mesures exceptionnelles, déléguer à l’État un pouvoir discrétionnaire de répression, est toujours extrêmement dangereux.
Matthijs (AL Montpellier)
LES MOTS DE LA RÉVOLUTION
La commune insurrectionnelle et les sections de Paris : La commune insurrectionnelle de Paris est l’une des formes de l’auto-organisation des sans-culottes. Elle est divisée en sections, qui sont des assemblées de base. Elles sont à l’origine de la plupart des journées insurrectionnelles.
Convention : Assemblée qui succède à la législative avec la proclamation de la République le 10 août 1792. Cette période se caractérise par sa radicalité et le rôle important joué par les masses populaires (sans-culottes, paysannerie). Ses figures les plus connues sont Robespierre, Marat et Danton.
Girondins : Faction politique parlementaire qui représente la grande bourgeoisie. Elle est contre les mesures de maximum et toutes les mesures égalitaires. Elle est pour une décentralisation sous forme de fédération. Elle est expulsée du Parlement à l’issue de la journée insurrectionnelle du 2 juin 1793.
Montagnards : Ce terme désigne l’ensemble des révolutionnaires les plus radicaux présents à la Convention. Ils doivent leur nom au fait qu’ils se regroupent en haut des gradins de l’Assemblée.
Jacobins : Club politique dont les membres les plus éminents sont Robespierre et Saint-Just. Il jouera un rôle dirigeant lors de la période de la Convention. Bien qu’en faveur de la propriété privée, les Jacobins, farouches centralisateurs, s’allieront avec les sans-culottes.
Hébertistes : Les hébertistes sont une faction regroupée autour de la personnalité de Jacques-René Hebert et de son journal Le père Duchesne. Ce courant compte parmi les plus radicaux, et ils se positionnent fréquemment en faveur de la remise en cause de la propriété privée. Leur réputation est néanmoins assez rapidement ternie par des accusations de corruption qui sont, semblerait-il fondées.
Enragés : Faction politique extra-parlementaire qui mène son agitation dans les sections des communes. Les Enragés tiennent des positions expropriatrices et en faveur de la souveraineté populaire. Ils sont éliminés par les Jacobins durant l’été 1793.
Maximum : Revendication contre la famine. Elle consiste à imposer aux marchands un prix maximum aux produits de première nécessité, par la terreur s’il le faut. C’est une des principales revendications des sans-culottes.
"Au printemps 1794, alors que la jeune république française est menacée par la contre-révolution, le Comité de salut public qui détient l’essentiel du pouvoir depuis septembre 1793, accentue la répression des mouvements populaires pour se débarrasser méthodiquement de tous les courants politiques radicaux qui l’avait soutenu. Ce régime de Terreur, initialement souhaité par les classes populaires pour abattre les contre-révolutionnaires, se retourne contre elles.
Depuis, le 10 août 1792, ce qui avait commencé comme une révolution bourgeoise limitée, avec pour objectif d’établir une monarchie constitutionnelle, s’était emballé. Une journée insurrectionnelle abat la monarchie et met en place la République. Une nouvelle Assemblée constituante, la Convention est élue dès le mois de septembre 1792. Dans un contexte économique et politique difficile, alors qu’une bonne partie du territoire français se soulève contre la République après l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, et que la plupart des pays européens attaquent la France, le peuple parisien décide d’imposer ses revendications, et d’influer sur le pouvoir en place, voire de le prendre.
Sans-culotte et bourgeois
Les travailleurs des villes, alliés à la bourgeoisie radicale, sont nommés sans-culottes, en référence au fait que ceux-ci portaient des pantalons, symbole de leur pauvreté. Ils sont surtout présents à Paris, mais sont aussi actifs dans d’autres grandes villes. La plupart sont ouvriers ou travailleurs indépendants et ont été très impliqués dans la révolution depuis ses débuts. A Paris, ils sont organisés au travers de la Commune insurrectionnelle de Paris et de ses sections, qui sont des assemblées populaires de base [1]. Leurs revendications principales sont le gouvernement direct, c’est-à-dire une forme de démocratie directe, et l’égalité des jouissances, c’est-à-dire capacité pour tous d’avoir accès aux mêmes biens.
Mais le mouvement des sans-culottes est traversé par divers courants politiques plus ou moins organisés (Enragés, hébertistes pour les plus radicaux). Pour faire entendre leur voix dans les institutions, les sans-culottes comptent sur leurs alliés jacobins, qui dominent la Convention à partir de juin 1793. Cette tendance, grâce à divers clubs jacobins, possède un très fort maillage territorial. La plupart des Jacobins sont issus de la petite bourgeoisie (négociants, magistrats, artisans…). Sans être en faveur de mesures de redistribution, ils représentent l’aile radicale de la bourgeoisie.
Cette alliance de l’aile radicale se fait dans le contexte d’une importante crise alimentaire. Des mauvaises récoltes, la guerre et des problèmes d’approvisionnement font que la famine n’est pas très loin, et les prix atteints par le pain en ville peuvent être très élevés. Face à cette situation, une des revendications des sans-culotte est le maximum, c’est-à-dire le fait de fixer un prix maximum aux biens de première nécessité. Marchands de grains, et commerçants ne l’entendent pas de cette oreille.
Entre cette crise de subsistance, les soulèvements contre la République, notamment en Vendée, et l’avancée des armées ennemies, la révolution paraît bien menacée. A l’intérieur du camp révolutionnaire, une lutte sans pitié oppose les Girondins, qui représentent la bourgeoisie libérale, aux radicaux.
Sauver la révolution
Les Girondins ouvrent les hostilités en tentant de purger les radicaux. Le 15 avril 1793, ils mettent en cause Marat, l’accusant de complicités avec l’étranger. Suite à une pétition menaçante de 35 sections parisiennes et d’une forte pression populaire, celui-ci est relaxé. La pétition des sans-culottes, soutenue par les Jacobins, en plus de défendre Marat, accuse 22 députés girondins qui sont les dirigeants de ce courant. Le 24 mai, une commission de répression politique de la Convention (la commission des 12) veut ficher intégralement les militants de la commune de Paris en leur demandant d’apporter leurs registres. De plus, Hébert et Varlet, militants radicaux, sont emprisonnés. A Lyon, les Girondins répriment le mouvement sans-culotte et font guillotiner Chalier, du courant des Enragés le 10 juillet 1793.
Face à ce début de répression étatique, les révolutionnaires radicaux s’organisent. Le 31 mai a lieu une première journée d’insurrection. Les sections parisiennes, en armes, entourent la Convention et demandent l’arrestation des 22, ainsi que de la commission des 12. Suite à des manœuvres bureaucratiques, la mesure promise n’est pas appliquée. Le 2 juin, une nouvelle insurrection parvient à faire arrêter ou mettre en fuite les députés mis en cause. Le danger girondin semble écarté à Paris, mais les défaites s’accumulent aux frontières, alors que les insurrections royalistes et girondines concernent de larges parties du territoire. A cela s’ajoute le problème de la crise des subsistances. Bien que le maximum ait été voté le 4 mai, la spéculation sur le pain continue et la famine ne s’atténue pas. La livre de pain (500g) coûte toujours aussi cher : son prix est souvent plus élevé que le salaire journalier d’un ouvrier [2]. A cela s’ajoute l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, partisane des Girondins, le 13 juillet 1793, qui a un énorme retentissement.
Pendant tout l’été 1793, l’agitation des sans-culotte est à son comble : assemblées, pétitions, réquisitions, émeutes, pillages. En effet, pour la plupart des révolutionnaires radicaux, jacobins, comme sans-culottes, la solution est de frapper avec énergie les ennemis de la Révolution, qu’ils soient royalistes, agioteurs ou girondins.
La Terreur contre la révolution
Le 5 septembre 1793, une nouvelle journée insurrectionnelle menée par les éléments les plus radicaux, vise à imposer la Terreur d’État. Cette solution miracle pour les insurgés permettrait d’abattre ou de terroriser les ennemis de la révolution, au premier rang desquels figurent les spéculateurs. La Terreur décrétée ce jour-là par la Convention est mise en place progressivement par diverses mesures qui renforcent le pouvoir du comité de salut public, initialement chargé de contrôler le travail des ministres. Cette Terreur a longtemps été interprétée par certains historiens [3] comme le paroxysme de la révolution, démontrant le caractère nécessairement sanguinaire et cruel de tout processus révolutionnaire, et spécialement de l’action du peuple. Mais remettre à l’État le pouvoir de réprimer et de tuer de manière discrétionnaire afin de sauver la révolution, permet surtout à la révolution de dévorer ses propres enfants, en même temps que les réels ennemis de la Révolution, eux aussi réprimés avec cruauté.
La Terreur permet aussi de reporter sine die la mise en application de la nouvelle constitution, la plus démocratique qui ait été rédigée en France. Cette constitution prévoit notamment la citoyenneté pour tout étranger résidant un an en France, l’introduction de droits économiques et sociaux (association, réunion, travail, assistance et instruction) ou encore l’organisation des citoyens en assemblées primaires, par canton chargées d’accepter ou refuser les lois préparées par les députés.
Le Comités de salut public et le Comité de sûreté générale qui mettent en œuvre la Terreur, sont dirigés par Robespierre et ses alliés, tous figures éminentes du club des Jacobins. Le 17 septembre, la loi des suspects est votée. Elle met en place les bases de la Terreur : doivent être emprisonnés tous ceux et celles qui sont suspects de mener des activités contre-révolutionnaires, mais aussi ceux soupçonnés de répandre des opinions opposées aux idéaux révolutionnaires. De fait, certaines libertés sont suspendues « jusqu’à la paix ».
Il faut distinguer deux types de Terreur. Dans les départements en guerre, les opposants aristocrates ou girondins sont souvent sommairement exécutés et l’armée révolutionnaire, chargée de la répression, frappe fort. À Paris, c’est le Tribunal révolutionnaire, dont les effectifs ont été renforcés, qui mène les arrestations et exécutions (plus de 4000 entre le vote de la loi des suspects et la fin de la Terreur en juillet 1794).
Les Jacobins aux commandes
La Terreur s’abat sur les réels ou supposés contre-révolutionnaires, qui pour beaucoup ont déjà fui la capitale, mais pas seulement. Les Girondins et le reste des monarchistes constitutionnels sont guillotinés à l’automne 1793, de même que Marie-Antoinette. La Terreur touche rapidement l’ensemble du personnel politique de la Révolution. Les luttes de factions se règlent par la guillotine. Les premiers touchés, dès septembre 1793, sont la faction la plus radicale, celle des Enragés. Leur associations sont dissoutes, et les militants et militantes les plus en vue chassés de Paris ou emprisonnés. Le 30 octobre 1793, la Convention fait fermer les clubs de femmes révolutionnaires.
A partir du printemps 1794, les courants radicaux sont tous méthodiquement réprimés. Les hébertistes, qui reprennent le flambeau des Enragés, sont exécutés en mars 1794 pour avoir comploté contre les comités et tenté de mener une journée insurrectionnelle. C’est ensuite le groupe des Indulgents, dont la figure de proue est Danton, et des membres de la Montagne qui sont la cible de la Terreur. Ils sont accusés de corruption et de collusion avec l’étranger. Huit jours après les hébertistes, la lutte parlementaire entre ce courant et Robespierre se conclut par leur conduite à l’échafaud.
Une fois toutes les factions politiques éliminées, la Terreur connaît encore un coup d’accélérateur. A partir du 22 prairial (10 juin), les Jacobins désormais sans opposition sérieuse, entament une « grande Terreur ». Une nouvelle loi facilite encore l’action du Tribunal révolutionnaire, en supprimant les interrogatoires, les avocats ou les témoins des suspects. A Paris, le rythme des exécutions augmente encore. La Grande Terreur prend fin au mois de thermidor. Suite à des dissensions entre les comités de salut public et de sûreté générale, ce sont les robespierristes qui sont à leur tour mis en cause, alors qu’ils tentent une énième purge du parlement. Le 8 et 9 thermidor (26-27 juillet), ils sont la cible d’un coup d’État, arrêtés et exécutés, malgré une tentative d’insurrection de ce qu’il reste du mouvement des sans-culottes.
La révolution vaincue par ses défenseurs
Après Thermidor, c’est la fin de la Révolution en tant que telle. Les organes des sans-culotte sont décapités, et les fractions radicales des révolutionnaires sont décimées. Le temps est à la réaction thermidorienne : à la Terreur dite « rouge » succède la Terreur « blanche », que les historiens de droite oublient naturellement de dénoncer. Les sans-culottes, les Jacobins, les révolutionnaires convaincus, les montagnards sont impitoyablement traqués et battus, voire assassinés.
Les dernières tentatives d’intervention du mouvement sans-culotte sont militairement liquidées : le 20 mai 1795, les sections du faubourg Saint-Antoine et Saint-Marceau envahissent la Convention pour réclamer le retour du maximum et l’application de la constitution de 1793, mais l’insurrection est réprimée en 2 jours par le Général Menou. La Garde nationale est épurée pour ne conserver que des bourgeois aisés. En 1796, la conjuration des Égaux, qui tentait de réorganiser dans le secret les survivants de toutes les factions radicales, est démantelée et condamnée [4]. La Révolution française est alors finie. Ne reste plus qu’une république bourgeoise de boutiquiers, liquidée sans grand prestige par Napoléon lors du coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799).
Réclamer, plus de répression et plus de violence d’État pour faire avancer la révolution conduit paradoxalement à créer une machine à réprimer les opposants politiques devenue assez vite l’ennemie des éléments les plus révolutionnaires. La faction détenant ce pouvoir arbitraire a naturellement fait le choix de le conserver afin de conserver sa position dominante. S’il est parfois nécessaire dans des situations de conflit de prendre des mesures exceptionnelles, déléguer à l’État un pouvoir discrétionnaire de répression, est toujours extrêmement dangereux.
Matthijs (AL Montpellier)
LES MOTS DE LA RÉVOLUTION
La commune insurrectionnelle et les sections de Paris : La commune insurrectionnelle de Paris est l’une des formes de l’auto-organisation des sans-culottes. Elle est divisée en sections, qui sont des assemblées de base. Elles sont à l’origine de la plupart des journées insurrectionnelles.
Convention : Assemblée qui succède à la législative avec la proclamation de la République le 10 août 1792. Cette période se caractérise par sa radicalité et le rôle important joué par les masses populaires (sans-culottes, paysannerie). Ses figures les plus connues sont Robespierre, Marat et Danton.
Girondins : Faction politique parlementaire qui représente la grande bourgeoisie. Elle est contre les mesures de maximum et toutes les mesures égalitaires. Elle est pour une décentralisation sous forme de fédération. Elle est expulsée du Parlement à l’issue de la journée insurrectionnelle du 2 juin 1793.
Montagnards : Ce terme désigne l’ensemble des révolutionnaires les plus radicaux présents à la Convention. Ils doivent leur nom au fait qu’ils se regroupent en haut des gradins de l’Assemblée.
Jacobins : Club politique dont les membres les plus éminents sont Robespierre et Saint-Just. Il jouera un rôle dirigeant lors de la période de la Convention. Bien qu’en faveur de la propriété privée, les Jacobins, farouches centralisateurs, s’allieront avec les sans-culottes.
Hébertistes : Les hébertistes sont une faction regroupée autour de la personnalité de Jacques-René Hebert et de son journal Le père Duchesne. Ce courant compte parmi les plus radicaux, et ils se positionnent fréquemment en faveur de la remise en cause de la propriété privée. Leur réputation est néanmoins assez rapidement ternie par des accusations de corruption qui sont, semblerait-il fondées.
Enragés : Faction politique extra-parlementaire qui mène son agitation dans les sections des communes. Les Enragés tiennent des positions expropriatrices et en faveur de la souveraineté populaire. Ils sont éliminés par les Jacobins durant l’été 1793.
Maximum : Revendication contre la famine. Elle consiste à imposer aux marchands un prix maximum aux produits de première nécessité, par la terreur s’il le faut. C’est une des principales revendications des sans-culottes.