"Sextus expose d’abord la distinction qu’établissaient les stoïciens entre hè alètheia [la vérité] et to alèthes [le vrai] ; la vérité et le vrai diffèrent et même s’opposent à trois points de vue, ousiai te kai sustasei kai dunamei [par la substance, par la structure et par la fonction].
1° Ousiai [par la substance]. La vérité est un sôma [un corps], le vrai est asômaton [incorporel]. Le vrai est asômaton, car le vrai est un axiôma [un énoncé], qui est lui-même un lekton [un exprimable], donc un asômaton. La vérité au contraire est un sôma, car elle est « la science qui fait apparaître les choses vraies comme vraies », epistèmè pantôn alèthôn apophantikè ; or toute epistèmè [science] est une forme de l’hègemonikon [partie directrice de l'âme], et l’hègemonikon est un sôma.
2° Sustasei [par la structure]. Le vrai est une proposition simple et isolée ; la vérité au contraire, puisqu’elle est epistèmè, est sustèmatikè [systématique] ; elle est athroisma pleionôn [multiplicité de beaucoup de choses (vraies)] ; il y a le même rapport entre le vrai et la vérité qu’entre un citoyen et le peuple tout entier." (p.17)
"3° Dunamei [par la fonction]. Le vrai ne suppose pas nécessairement la science ; par exemple un fou peut très bien dire to alèthes [le vrai], par exemple dire : il fait jour, alors qu’il fait jour, sans avoir pour cela la science du vrai (epistèmè alèthous). La vérité au contraire est une science, et le sage qui possède cette science oupote pseudetai kan pseudos legèi [ne se trompe jamais même s’il dit le faux] ; car même, alors qu’il dit le faux, sa disposition (diathesis) est bonne. Un médecin qui trompe son malade pour le sauver, un général qui imagine de bonnes nouvelles pour encourager ses soldats, pseudos men ti legousin, ou pseudontai de, dia to mè apo ponèras gnômès touto poiein [disent, certes, quelque chose de faux, mais ils ne se trompent pas, car ce n’est pas par un mauvais état de leur pouvoir de connaître qu’ils le font]. [...] Le sage, c’est-à-dire celui qui possède la science des choses vraies, oudepote pseusetai, dia to mè ekhein tèn gnômèn pseudei sugkatatithemenèn [ne se trompe jamais, car il n’a pas un pouvoir de connaître donnant son assentiment au faux]. Il faut donc juger le vrai et le faux non d’après leur simple énonciation, mais d’après la diathesis [disposition] de celui qui parle." (p.18)
-Alain (Émile Chartier), La Théorie de la connaissance des stoïciens, édition électronique réalisée à partir de Alain, Paris, PUF, 1964, 73 pages. Avec annotations et traductions de Bertrand Gibier, février 2003.
"Je n’ai jamais cru pour ma part qu’il fût possible de trouver une philosophie nouvelle ; et j’avais assez de retrouver ce que les meilleurs avaient voulu dire ; cela même c’est inventer dans le sens le plus profond, puisque c’est continuer l’homme. Mais avant que j’eusse bien compris cette immense idée de Hegel, que tout est vrai dans les doctrines, et qu’il faut en prendre le train et l’élan quoi qu’on veuille penser ou chercher, il me suffisait de formules émouvantes comme des proverbes pour me faire creuser sur le lieu même d’après cette idée fulgurante que tout est vrai et que tout semble faux."
-Alain, Histoire de mes pensées, citée dans l'Introduction à Alain (Émile Chartier), La Théorie de la connaissance des stoïciens, édition électronique réalisée à partir de Alain, Paris, PUF, 1964, 73 pages. Avec annotations et traductions de Bertrand Gibier, février 2003, p.7.