"Les Anciens faisaient la distinction entre le mensonge proféré dans l’intention de nuire et le mensonge utile. Les philosophes de l’Académie, ceux du Portique ainsi que les auteurs latins ont estimé que le mensonge était licite s’il n’était pas accompagné de mauvaise intention et pouvait rendre service à autrui. En cela, ils ont été suivis par certains Pères de l’Église tous antérieurs à saint Augustin. En revanche, l’attitude de ce dernier par rapport au mensonge est sans équivoque : il rejette toute forme de mensonge, que ce soit en matière religieuse, qu’il soit proféré par méchanceté, pour rendre service, s’amuser ou divertir. Si cette intransigeance sied à l’intellectuel et au théologien qu’il est, elle est difficilement conciliable avec le rôle du pasteur qui doit tenir compte des faiblesses et des imperfections de ses fidèles pour les mener à Dieu. Ce combat pour le salut des âmes aurait pu conduire Augustin à avoir une attitude moins rigide par rapport au mensonge, d’autant qu’il est écrit que l’homme, de son propre fonds, est menteur (Ps. 115, 11). Pourtant, cette condamnation sans ambages du mensonge se justifie chez Augustin. Si l’Écriture déclare que tout homme est menteur, c’est pour lui permettre de sortir de soi-même et de recourir à Dieu qui est le principe de toute vérité. Ce qui conduit Augustin à affirmer que l’homme de bien ne ment pas, (Numquam mentiuntur boni), prenant ainsi le contre-pied de tous ses devanciers, païens comme chrétiens. La perception qu’Augustin se fait du mensonge repose également sur la confiance absolue qu’il porte à l’autorité des Écritures qui reflètent l’intention divine de donner des instructions saines pour le salut des hommes à travers les préceptes qu’elles contiennent. Mais avant tout, Augustin condamne le mensonge parce qu’il s’oppose à la vérité : « Il y a de nombreuses catégories de mensonge, mais toutes indistinctement doivent exciter notre haine. Car il n’y a aucun mensonge qui ne soit contraire à la vérité. » . La vérité doit donc être recherchée inlassablement puisqu’elle est au-dessus de tout : elle est supérieure à tous les biens corporels, même les plus précieux ; elle dépasse l’âme qui aspire à l’éternité ; elle surpasse l’homme lui-même qui doit la préférer à sa propre personne ou à son propre plaisir en vue du bonheur éternel que seule la vérité peut lui procurer."
-Pierre Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à saint Augustin : continuité ou rupture », Dialogues d'histoire ancienne, 2010/2 (36/2), p. 9-29. DOI : 10.3917/dha.362.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2010-2-page-9.htm
-Pierre Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à saint Augustin : continuité ou rupture », Dialogues d'histoire ancienne, 2010/2 (36/2), p. 9-29. DOI : 10.3917/dha.362.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2010-2-page-9.htm