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    Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891)

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891) Empty Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891)

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 24 Mai - 7:18



    "Pourquoi et comment un général séduisant et courageux, mais n’ayant que des états de service ordinaires, a-t-il pu acquérir une popularité exceptionnelle dans la France de 1886 et s’en servir pour tenter de prendre le pouvoir en refusant obstinément de dire ce qu’il en ferait ? Officiellement républicaine, sa campagne a coalisé une bonne partie de l’extrême gauche, presque toute la droite et le grand parti des mécontents ; les uns attendaient du général la République conventionnelle de leurs rêves, les autres la restauration de la monarchie et bien des Français n’espéraient que la fin de leurs difficultés. Boulanger a longtemps réussi à faire marcher derrière lui tous ces groupes pourtant violemment hostiles les uns aux autres ; il l’a fait en leur mentant à tous, en pratiquant une démagogie sans scrupules et en dilapidant les sommes folles que les royalistes lui versaient en secret, tandis que grouillait à ses côtés une faune avide d’ambitieux, de naïfs et d’escrocs qui contribuèrent au discrédit final de l’entreprise."

    "Si l’on compare sa fortune historiographique à celle de l’affaire Dreyfus, on reste étonné de sa pauvreté en recherches sérieuses, c’est-à-dire fondées sur une enquête approfondie étayant une réflexion novatrice."

    "Le boulangisme pose crûment le problème du populisme et de la rupture entre le peuple et les élites. Au fil des pages suivantes, le lecteur découvrira de nombreuses citations qui pourraient aisément se trouver dans la presse de ce matin ; il verra également que la trajectoire de Boulanger et des siens, l’incompréhension de ses adversaires et les réactions de l’opinion appellent bien des comparaisons avec notre époque et ses incertitudes."

    "La médiocrité de l’offre protestataire est en décalage avec la demande et cela explique l’échec final de ce qui a tourné rapidement à une aventure peu recommandable, mais on constate la même faiblesse du côté des républicains au pouvoir : prisonniers de leur culture politique, ils comprennent mal les attentes du pays, ne savent pas comment y répondre et multiplient les maladresses avant d’être sauvés principalement par celles de leurs adversaires.

    Une autre considération peut contribuer à expliquer l’infortune bibliographique du boulangisme. Comment Paris, le peuple de Paris auréolé de toute sa vieille gloire révolutionnaire encore prouvée en 1871, a-t-il pu plébisciter l’ancien général versaillais en 1889 ? Car il y a bel et bien eu une gauche boulangiste, authentiquement de gauche et farouchement boulangiste, et les historiens semblent répugner à y voir autre chose qu’une aberration passagère ou le goût bien connu des Parisiens pour la fronde, ce qui ne suffit guère."

    "Jacques Bainville [...] connaît mal la question et se borne à surestimer totalement le danger couru par le régime (La Troisième République, 1870-1935, 1935)."

    "Ouvrage d’Adrien Dansette, Le Boulangisme, publié à la fin de 1938 puis remanié en 1946. Il s’agit d’un grand livre qui mérite pleinement tous les éloges qu’il a reçus. Pour la première fois, un auteur remonte aux sources et devient lui-même une source, puisque certains des documents cités sont aujourd’hui inaccessibles ou perdus (Mémoires de Jules Auffray, lettres de Déroulède à son frère, etc.) ; en outre, Dansette a pu interroger les derniers survivants de l’aventure, comme Marguerite Durand, Millerand, Verly et aussi, on ignore pourquoi mais c’est à noter, le « lieutenant-colonel de Gaulle ». L’enquête menée est sérieuse, correctement diversifiée, et les matériaux recueillis sont intelligemment mis en œuvre par un homme cultivé qui sait écrire. Juriste de formation, Dansette a travaillé en historien et cela fait tout le prix de ce livre fondateur. Il distingue correctement les causes politiques, économiques et sociales du boulangisme, en soulignant l’importance du blocage parlementaire, le rôle de la crise économique et les frustrations de la sentimentalité nationale, et il admet volontiers la coexistence de plusieurs boulangismes parallèles mais distincts.

    Comme on s’en doute, l’ouvrage présente forcément quelques faiblesses et la première tient à l’horizon intellectuel de l’auteur, inconscient des lacunes institutionnelles du régime. Par ailleurs, son enquête dans les archives policières et la presse est méritoire mais reste très succincte ; il connaît par conséquent très mal les boulangistes de base et ignore les blanquistes, tout juste évoqués dans la crise présidentielle de 1887. Il admet donc fort bien l’existence d’un boulangisme populaire et néo-césarien, mais ignore complètement le boulangisme de gauche, réduit selon lui à quelques marginaux, et oppose sommairement le boulangisme sain des masses électorales au boulangisme dévoyé des états-majors. De plus, certains épisodes importants voire essentiels comme les législatives de 1889 n’ont droit qu’à quelques remarques hâtives confirmant le peu de goût de l’auteur pour tout ce qui est quantitatif. En revanche, son penchant prononcé pour le pittoresque ne distingue pas toujours les faits avérés des hypothèses et présente assez souvent comme établi ce qui n’est que probable voire douteux (sur Mme de Bonnemains, par exemple). Sa revue de l’état-major boulangiste, simple galerie de portraits plus piquants que pénétrants, néglige le dévoiement général et le rôle dévastateur joué par l’argent royaliste. Au total, toutefois, et malgré ses lacunes, le livre de Dansette demeure la référence première, celle par laquelle il faut toujours commencer. Le problème est que beaucoup vont en rester là.

    Peu après, le brillant essai de René Rémond sur La Droite en France (1954) fixe le dogme pour un quart de siècle : le boulangisme appartient à la famille bonapartiste, totalement et uniquement. Au même moment, la monumentale et en son temps très méritante Histoire de la Troisième République par Jacques Chastenet (premier tome en 1952) se contente de résumer Dansette assez platement. Jean-Jacques Chevallier va un peu plus loin dans son Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958 (1952) en soulignant avec perspicacité l’apport de la gauche au boulangisme.

    En 1959, Jacques Néré soutient sa thèse de doctorat sur La Crise économique de 1882 et le mouvement boulangiste, et sa thèse complémentaire sur Les Élections Boulanger dans le département du Nord. Dansette n’avait pas ignoré la crise économique mais ne lui avait consacré qu’une page rapide. Néré campe fortement le contexte économique et social déprimé du boulangisme et met en évidence l’apport républicain aux deux victoires du général dans le Nord, non sans tomber dans le piège de la causalité unique qui est ici l’économie."

    "On ne lui disputera pas [à Sternhell] le grand et à vrai dire le seul mérite d’avoir donné un grand coup de pied dans la fourmilière."

    "Brillant politologue, admirable conférencier, R. Rémond n’est pas connu comme un adepte des immersions prolongées dans les archives qu’il connaît peu voire pas (il dira des sottises sur le fichier juif) et Z. Sternhell fait à peine mieux que lui en ce domaine, sauf pour les écrits de théoriciens sans lecteurs."

    "L’ouvrage du Canadien William D. Irvine, The Boulanger Affair Reconsidered : Royalism, Boulangism and the Origins of the Radical Right in France (1989), représente le second grand livre sur le boulangisme, malheureusement non traduit en français, ce qui a beaucoup nui à sa diffusion. Se fondant notamment sur les archives laissées par les conservateurs (Orléans, Mackau, etc.) et en rappelant quelques évidences oubliées (sans les voix monarchistes, Boulanger n’aurait pas gagné une seule élection en province), cet auteur démolit méthodiquement l’idée que le boulangisme est un phénomène essentiellement de gauche, montre l’ampleur de la mainmise royaliste sur lui et révèle preuves en main tous les reniements de la gauche boulangiste. Pour les législatives de l’automne 1889, Barrès, Gabriel, Jourde et consorts ont vendu leur honneur à la droite pour obtenir ses subsides et ses voix sans lesquels ils n’avaient aucune chance de l’emporter. La démonstration, rigoureuse et impitoyable, prouve que le comportement peu digne des boulangistes n’a jamais eu la cohérence et l’intellectualité inventées plus tard."

    "On attend encore une étude non sulpicienne sur Séverine, c’est-à-dire affrontant aussi ses grandes parts d’ombre (Labruyère, Boulanger, Drumont)."
    -Bertrand Joly, Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), Paris, CNRS éditions, 2022.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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