https://fr.wikipedia.org/wiki/Genevi%C3%A8ve_Fraisse
"Comment surgit cette fatale contradiction entre une pensée du contrat social, anticipant sur les républiques modernes à venir, et la propriété du corps des femmes circulant comme une marchandise malgré la volonté de celles-ci d’être reconnues comme êtres de raison ?"
"Les célébrations de mai 68 de l’année 2018 ont montré, plus que les précédentes, un langage commun — du moins pour un grand nombre de témoins, notamment des femmes —, celui d’avoir eu la chance d’avoir 20 ans lors de ce bref moment politique. L’intéressant, ici, est de souligner la contradiction historique dans laquelle les féministes se sont trouvées prises. Mai 68 change la vie, mais pourtant, rien de l’oppression des femmes n’est visible dans les slogans, les affiches, les assemblées générales. Dans un deuxième temps, au lendemain de ce moment de dépassements multiples, commence un mouvement de libération des femmes qui envahit l’espace public, et qui dure encore. L’hymne du féminisme, qui se chante toujours aujourd’hui, affirme que les femmes sont « sans passé » et « sans histoire ». L’absence du féminisme en 1968 se redouble ainsi de l’affirmation d’une inexistence historique. Et pourtant, ce qui est alors en train d’avoir lieu, la cristallisation d’un mouvement de libération des femmes, dit exactement le contraire. La contradiction ne m’a pas échappé dès le début des années 1970. Elle permet d’élargir la compréhension de la rupture en en montrant la temporalité qui se fabrique aussi avec des contretemps. La rupture est faite d’éclats : le féminisme ne croise pas mai 68 ; le féminisme survient en son lendemain."
"Stature de femme publique."
"La hiérarchie des luttes est intrinsèque à la réalité politique. « Les femmes » étaient, en langage marxiste notamment, une contradiction « secondaire ». Parenthèse très contemporaine : le terme « intersectionnalité » relève désormais d’une double exigence, scientifique et politique, épistémologique et militante. Il y a sûrement l’idée d’un dépassement de la contradiction. On n’esquivera pas pour autant la difficulté, car les tensions stratégiques ne manquent pas d’avoir des conséquences théoriques. Pour ma part, j’ai proposé de parler de « contiguïté »."
"Il faut prendre acte des contradictions politiques, évoquées plus haut, contradictions stratégiques en fonction du rôle primaire ou secondaire attribué aux groupes dominés. Puis aller au-delà, et rentrer dans la matière du féminisme, par exemple en formulant des problèmes. Car formuler des problèmes, c’est s’éloigner de l’opinion, de cette opinion à quoi on voudrait réduire l’engagement, pour aller vers une expression philosophique d’une question politique : l’égalité des sexes.
Quelques exemples, rapidement, de l’épreuve, épreuve de l’histoire en train de s’écrire :
1) Le service domestique : non pas le travail domestique, non pas les travailleuses domestiques, mais l’équation service / égalité. Cas concret de la hiérarchie des femmes à l’intérieur de la classe des femmes : les féministes des années 1900 avaient déjà identifié la difficulté. Pour ma part, il s’agit, à la fin des années 1970, de faire le lien entre le travail domestique gratuit effectué par toutes les femmes, l’injonction au féminisme « lutte des classes » (les travailleuses d’abord) et le fait intangible du million de femmes payées pour ce travail domestique. La notion, le concept de « service », permet alors de nommer une question, celle de la place du service en démocratie."
"Par l’opérateur égalité, on lit les auteurs autrement, et surtout on élargit la perspective. Exemples rapides, autour du droit au divorce, indispensable, on le sait, à l’émancipation des femmes : on comprend aisément que le vicomte de Bonald écrit un livre contre le divorce au début du XIXe siècle, puis obtient son interdiction en 1816 (il avait été autorisé par une loi de 1792). On comprend que la liberté des femmes est le ferment de leur autonomie à venir, et induit en conséquence une pensée de l’égalité des sexes. Une femme divorcée est une citoyenne en puissance. Plus intéressant est de considérer la profondeur que de Bonald accorde à cette polémique postrévolutionnaire : le divorce menace l’État, écrit-il, le divorce remanie en profondeur la société. D’une particularité de vie privée, il fait une question axiale de l’organisation sociale. Aussi, on suivra avec intérêt la polémique sur le consentement mutuel que la loi rétablissant le divorce (pour faute) en 1884 suscite, notamment chez Émile Durkheim. Lui aussi s’inquiète et argumente pour écarter une mutualité des consentements entre les sexes (pourtant déjà présente dans la loi révolutionnaire). La menace ne pèse pas sur l’État, comme le pensait son prédécesseur, mais sur la structure des rapports sociaux qu’il ne faut pas fragiliser, voire mettre en péril.
Il n’est pas sans intérêt de noter que ce sont les adversaires de l’égalité des sexes qui expriment le mieux ce que cette égalité a comme signification globale, et non catégorielle. Je tiens juste à souligner ce passage à l’universel, si souvent négligé. Car, si on devient attentif à ce passage, alors on gagne en pertinence. Quand la formule « démocratie exclusive » s’exporte, par sa capacité formelle, vers d’autres lectures que celle de l’exclusion des femmes, cela doit être apprécié.
Mais le passage à l’universel concerne aussi la pensée de l’émancipation. Soit le bouleversement qu’entraîne l’appropriation par les femmes de leur nudité, de la nudité en général. Après avoir été, pendant tant de siècles, placées dans une nudité offerte au regard, notamment si on pense à l’histoire de l’art, les femmes de la fin du XIXe siècle récupèrent cette nudité, aussi bien en revendiquant le pouvoir de copier le nu qu’en se représentant nues elles-mêmes. Plus encore, un siècle plus tard, la nudité se fait politique, activisme qu’il faut savoir plus répandu dans le monde que simplement celui des Femen."
"L’intersection se soutient d’une épistémologie politique qui tient à fabriquer une totalité, quand la « contiguïté » laisse place au point de vue du sujet autant qu’à la surprise de la construction des luttes."
"Plus de 90 % des études de genre privilégient l’analyse de la domination.
Car le travail de déconstruction et d’analyse de la domination, opéré notamment par Pierre Bourdieu, désigne toujours l’émancipation comme un à-côté, comme un après, une conséquence. En analysant la domination, on n’aurait pas besoin de réfléchir à l’émancipation, qui serait produite, ou donnée par la simple mécanique de la déconstruction. Déconstruisez les stéréotypes qui font les hommes / les femmes, le masculin / le féminin, etc., et une fois que tout est déconstruit, l’émancipation sera là. Non, cela ne fonctionne pas comme ça, ce n’est pas une mécanique, on ne trouve pas l’émancipation à la fin de la déconstruction de la domination. Par ailleurs, le féminisme comme mouvement politique m’est apparu, d’entrée de jeu, comme un point de départ de la réflexion. Je peux en référer au premier numéro des Révoltes logiques où je publie un article sur les féministes de 1848. Lors de cette Révolution de quelques mois en France, se publie un journal quasi quotidien de femmes, tout à fait féministes. Oubliez ceux qui parlent de vagues féministes qui commenceraient après la Commune et au début de la IIIe République. La continuité féministe commence bien avant, dès les années 1830. Je sous-titre alors : « Féminisme et moralisme ». Moralisme ne veut pas dire qu’elles sont morales pour être morales, puritaines, comme on aime raconter le XIXe siècle, mais morales parce qu’elles en font un argument politique. Les saint-simoniennes, quinze ans plus tôt, ont été critiquées par leurs amis saint-simoniens, pour vouloir être « la » femme libre, prôner l’amour libre, etc. Quinze ans plus tard, quand les femmes de 1848 se demandent comment convaincre, elles se disent que la morale peut servir de stratégie. J’ai donc essayé de comprendre leur stratégie."
"Pratiquer l’histoire et travailler sur ce que Michel Foucault a appelé « la provenance ». Qu’est-ce que la provenance ? Il faut lire son très beau texte, dans les Dits et écrits, datant de 1971, intitulé « Nietzsche, la généalogie, l’histoire » (Nietzsche est toujours une aide précieuse !)."
"Quand le concept « égalité » réapparaît sous la plume de Poulain de la Barre, on retient la formule « l’esprit n’a point de sexe », ce qui signifie, implicitement, que les femmes peuvent tout faire. Pendant trois siècles, les commentateurs en seront quelque peu effrayés.
Pourquoi une telle radicalité ? Sans doute parce qu’il est cartésien, que la dualité du corps et de l’esprit permet, contrairement aux matérialistes du siècle suivant qui remixent ensemble le corps, la matière et la substance pensante, de libérer les femmes… L’idéalisme cartésien est finalement très positif pour l’égalité des sexes. Le XVIIIe se situe, paradoxalement, à l’opposé, mais dans ce temps court du XVIIe siècle où l’on sépare l’esprit du corps, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes y gagnent… momentanément."
"Il s’agit de dérégler la machinerie, de la dérégler pour rendre d’autres histoires possibles."
"Comment ne voit-on pas ce qui est visible, la domination masculine ? Comment l’évidence de la construction de la domination échappe-t-elle à la sagacité de celui qui regarde ? En choisissant de mettre à nu le mécanisme de la convention et du contrat, Carole Pateman cherche à ouvrir les yeux, à nous ouvrir les yeux."
"Être un être de raison fut contesté au sexe féminin. Face à cette exclusion de la pensée, je me suis construite en résistance à cette ritournelle négative. La philosophie est le bastion le plus solide, parce que le plus symbolique, d’une suprématie masculine. Dans cette discipline où je fus ipésienne, certifiée, bi-admissible à l’agrégation puis chercheuse au CNRS, le titre de philosophe me fut et m’est encore contesté. Je le vis au quotidien de mes interventions ici ou là. On glisse toujours en premier « historienne », l’air de dire que je raconte des faits plutôt que je ne manipule des concepts. Même Wikipédia a refusé de valider ce statut professionnel jusqu’à ce que je prouve, par la page de l’annuaire du CNRS, que j’appartenais à la section philosophie."
-Geneviève Fraisse, Féminisme et philosophie, Gallimard, 2020.
"Comment surgit cette fatale contradiction entre une pensée du contrat social, anticipant sur les républiques modernes à venir, et la propriété du corps des femmes circulant comme une marchandise malgré la volonté de celles-ci d’être reconnues comme êtres de raison ?"
"Les célébrations de mai 68 de l’année 2018 ont montré, plus que les précédentes, un langage commun — du moins pour un grand nombre de témoins, notamment des femmes —, celui d’avoir eu la chance d’avoir 20 ans lors de ce bref moment politique. L’intéressant, ici, est de souligner la contradiction historique dans laquelle les féministes se sont trouvées prises. Mai 68 change la vie, mais pourtant, rien de l’oppression des femmes n’est visible dans les slogans, les affiches, les assemblées générales. Dans un deuxième temps, au lendemain de ce moment de dépassements multiples, commence un mouvement de libération des femmes qui envahit l’espace public, et qui dure encore. L’hymne du féminisme, qui se chante toujours aujourd’hui, affirme que les femmes sont « sans passé » et « sans histoire ». L’absence du féminisme en 1968 se redouble ainsi de l’affirmation d’une inexistence historique. Et pourtant, ce qui est alors en train d’avoir lieu, la cristallisation d’un mouvement de libération des femmes, dit exactement le contraire. La contradiction ne m’a pas échappé dès le début des années 1970. Elle permet d’élargir la compréhension de la rupture en en montrant la temporalité qui se fabrique aussi avec des contretemps. La rupture est faite d’éclats : le féminisme ne croise pas mai 68 ; le féminisme survient en son lendemain."
"Stature de femme publique."
"La hiérarchie des luttes est intrinsèque à la réalité politique. « Les femmes » étaient, en langage marxiste notamment, une contradiction « secondaire ». Parenthèse très contemporaine : le terme « intersectionnalité » relève désormais d’une double exigence, scientifique et politique, épistémologique et militante. Il y a sûrement l’idée d’un dépassement de la contradiction. On n’esquivera pas pour autant la difficulté, car les tensions stratégiques ne manquent pas d’avoir des conséquences théoriques. Pour ma part, j’ai proposé de parler de « contiguïté »."
"Il faut prendre acte des contradictions politiques, évoquées plus haut, contradictions stratégiques en fonction du rôle primaire ou secondaire attribué aux groupes dominés. Puis aller au-delà, et rentrer dans la matière du féminisme, par exemple en formulant des problèmes. Car formuler des problèmes, c’est s’éloigner de l’opinion, de cette opinion à quoi on voudrait réduire l’engagement, pour aller vers une expression philosophique d’une question politique : l’égalité des sexes.
Quelques exemples, rapidement, de l’épreuve, épreuve de l’histoire en train de s’écrire :
1) Le service domestique : non pas le travail domestique, non pas les travailleuses domestiques, mais l’équation service / égalité. Cas concret de la hiérarchie des femmes à l’intérieur de la classe des femmes : les féministes des années 1900 avaient déjà identifié la difficulté. Pour ma part, il s’agit, à la fin des années 1970, de faire le lien entre le travail domestique gratuit effectué par toutes les femmes, l’injonction au féminisme « lutte des classes » (les travailleuses d’abord) et le fait intangible du million de femmes payées pour ce travail domestique. La notion, le concept de « service », permet alors de nommer une question, celle de la place du service en démocratie."
"Par l’opérateur égalité, on lit les auteurs autrement, et surtout on élargit la perspective. Exemples rapides, autour du droit au divorce, indispensable, on le sait, à l’émancipation des femmes : on comprend aisément que le vicomte de Bonald écrit un livre contre le divorce au début du XIXe siècle, puis obtient son interdiction en 1816 (il avait été autorisé par une loi de 1792). On comprend que la liberté des femmes est le ferment de leur autonomie à venir, et induit en conséquence une pensée de l’égalité des sexes. Une femme divorcée est une citoyenne en puissance. Plus intéressant est de considérer la profondeur que de Bonald accorde à cette polémique postrévolutionnaire : le divorce menace l’État, écrit-il, le divorce remanie en profondeur la société. D’une particularité de vie privée, il fait une question axiale de l’organisation sociale. Aussi, on suivra avec intérêt la polémique sur le consentement mutuel que la loi rétablissant le divorce (pour faute) en 1884 suscite, notamment chez Émile Durkheim. Lui aussi s’inquiète et argumente pour écarter une mutualité des consentements entre les sexes (pourtant déjà présente dans la loi révolutionnaire). La menace ne pèse pas sur l’État, comme le pensait son prédécesseur, mais sur la structure des rapports sociaux qu’il ne faut pas fragiliser, voire mettre en péril.
Il n’est pas sans intérêt de noter que ce sont les adversaires de l’égalité des sexes qui expriment le mieux ce que cette égalité a comme signification globale, et non catégorielle. Je tiens juste à souligner ce passage à l’universel, si souvent négligé. Car, si on devient attentif à ce passage, alors on gagne en pertinence. Quand la formule « démocratie exclusive » s’exporte, par sa capacité formelle, vers d’autres lectures que celle de l’exclusion des femmes, cela doit être apprécié.
Mais le passage à l’universel concerne aussi la pensée de l’émancipation. Soit le bouleversement qu’entraîne l’appropriation par les femmes de leur nudité, de la nudité en général. Après avoir été, pendant tant de siècles, placées dans une nudité offerte au regard, notamment si on pense à l’histoire de l’art, les femmes de la fin du XIXe siècle récupèrent cette nudité, aussi bien en revendiquant le pouvoir de copier le nu qu’en se représentant nues elles-mêmes. Plus encore, un siècle plus tard, la nudité se fait politique, activisme qu’il faut savoir plus répandu dans le monde que simplement celui des Femen."
"L’intersection se soutient d’une épistémologie politique qui tient à fabriquer une totalité, quand la « contiguïté » laisse place au point de vue du sujet autant qu’à la surprise de la construction des luttes."
"Plus de 90 % des études de genre privilégient l’analyse de la domination.
Car le travail de déconstruction et d’analyse de la domination, opéré notamment par Pierre Bourdieu, désigne toujours l’émancipation comme un à-côté, comme un après, une conséquence. En analysant la domination, on n’aurait pas besoin de réfléchir à l’émancipation, qui serait produite, ou donnée par la simple mécanique de la déconstruction. Déconstruisez les stéréotypes qui font les hommes / les femmes, le masculin / le féminin, etc., et une fois que tout est déconstruit, l’émancipation sera là. Non, cela ne fonctionne pas comme ça, ce n’est pas une mécanique, on ne trouve pas l’émancipation à la fin de la déconstruction de la domination. Par ailleurs, le féminisme comme mouvement politique m’est apparu, d’entrée de jeu, comme un point de départ de la réflexion. Je peux en référer au premier numéro des Révoltes logiques où je publie un article sur les féministes de 1848. Lors de cette Révolution de quelques mois en France, se publie un journal quasi quotidien de femmes, tout à fait féministes. Oubliez ceux qui parlent de vagues féministes qui commenceraient après la Commune et au début de la IIIe République. La continuité féministe commence bien avant, dès les années 1830. Je sous-titre alors : « Féminisme et moralisme ». Moralisme ne veut pas dire qu’elles sont morales pour être morales, puritaines, comme on aime raconter le XIXe siècle, mais morales parce qu’elles en font un argument politique. Les saint-simoniennes, quinze ans plus tôt, ont été critiquées par leurs amis saint-simoniens, pour vouloir être « la » femme libre, prôner l’amour libre, etc. Quinze ans plus tard, quand les femmes de 1848 se demandent comment convaincre, elles se disent que la morale peut servir de stratégie. J’ai donc essayé de comprendre leur stratégie."
"Pratiquer l’histoire et travailler sur ce que Michel Foucault a appelé « la provenance ». Qu’est-ce que la provenance ? Il faut lire son très beau texte, dans les Dits et écrits, datant de 1971, intitulé « Nietzsche, la généalogie, l’histoire » (Nietzsche est toujours une aide précieuse !)."
"Quand le concept « égalité » réapparaît sous la plume de Poulain de la Barre, on retient la formule « l’esprit n’a point de sexe », ce qui signifie, implicitement, que les femmes peuvent tout faire. Pendant trois siècles, les commentateurs en seront quelque peu effrayés.
Pourquoi une telle radicalité ? Sans doute parce qu’il est cartésien, que la dualité du corps et de l’esprit permet, contrairement aux matérialistes du siècle suivant qui remixent ensemble le corps, la matière et la substance pensante, de libérer les femmes… L’idéalisme cartésien est finalement très positif pour l’égalité des sexes. Le XVIIIe se situe, paradoxalement, à l’opposé, mais dans ce temps court du XVIIe siècle où l’on sépare l’esprit du corps, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes y gagnent… momentanément."
"Il s’agit de dérégler la machinerie, de la dérégler pour rendre d’autres histoires possibles."
"Comment ne voit-on pas ce qui est visible, la domination masculine ? Comment l’évidence de la construction de la domination échappe-t-elle à la sagacité de celui qui regarde ? En choisissant de mettre à nu le mécanisme de la convention et du contrat, Carole Pateman cherche à ouvrir les yeux, à nous ouvrir les yeux."
"Être un être de raison fut contesté au sexe féminin. Face à cette exclusion de la pensée, je me suis construite en résistance à cette ritournelle négative. La philosophie est le bastion le plus solide, parce que le plus symbolique, d’une suprématie masculine. Dans cette discipline où je fus ipésienne, certifiée, bi-admissible à l’agrégation puis chercheuse au CNRS, le titre de philosophe me fut et m’est encore contesté. Je le vis au quotidien de mes interventions ici ou là. On glisse toujours en premier « historienne », l’air de dire que je raconte des faits plutôt que je ne manipule des concepts. Même Wikipédia a refusé de valider ce statut professionnel jusqu’à ce que je prouve, par la page de l’annuaire du CNRS, que j’appartenais à la section philosophie."
-Geneviève Fraisse, Féminisme et philosophie, Gallimard, 2020.