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    Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités Empty Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 1 Juin - 17:24

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Testart

    "On a longtemps tenu, en effet, l’invention de l’agriculture et de l’élevage comme une rupture du processus historique, semblable pour ainsi dire à la révolution industrielle. Depuis l’institution du terme « néolithique » par John Lubbock en 1865, et plus encore avec la « révolution néolithique », telle qu’elle fut conçue par Vere Gordon Childe en 1925 à partir des données du Proche-Orient, on en est venu à couper l’histoire de l’humanité en deux, opposant les chasseurs-cueilleurs, qui recourent à des ressources sauvages à des fins alimentaires (qu’il s’agisse de chasse, de pêche, de collecte ou de ramassage), et les agriculteurs-éleveurs, qui domestiquent les espèces naturelles végétales ou animales. De cette opposition s’ensuivrait un scénario : à l’inverse de l’état égalitaire des chasseurs-cueilleurs organisés en bandes nomades, l’adoption de l’agriculture aurait permis la sédentarisation en village, l’invention de la poterie, l’augmentation de la densité démographique et le développement des inégalités. Rien ne justifie, selon Alain Testart, un tel processus évolutif. Il est illusoire de penser que les chasseurs-cueilleurs constituent un type homogène uniformément nomade et égalitaire. La fabrication de la poterie n’est pas, non plus, entièrement liée à l’agriculture : bien des chasseurs-cueilleurs ont pu, en effet, en être à l’initiative, comme l’archéologie n’a cessé de le confirmer depuis. La sédentarisation ne présuppose pas davantage le caractère domestique des ressources. Par ailleurs, les aspects sociaux attribués au mode de vie néolithique s’observent chez certains chasseurs-cueilleurs, considérés jusqu’alors, par les ethnologues, comme « exceptionnels » et qualifiés de « chasseurs-cueilleurs complexes ». Or, le mérite d’Alain Testart est d’avoir décelé que ces chasseurs-cueilleurs n’ont pu être envisagés comme tels que parce que l’anthropologie avait négligé l’étude d’une bonne partie d’entre eux. En alliant les données d’archéologie préhistorique et les sources ethnologiques, il a montré comment ces peuples de chasseurs-cueilleurs, sédentaires et dotés d’une démographie élevée, ont pu édifier des sociétés stratifiées grâce à une économie fondée sur le stockage à grande échelle d’aliments d’origine sauvage disponibles en abondance et de façon saisonnière. C’est l’existence de tels chasseurs-cueilleurs, nommés par Alain Testart « chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs », qui lui fait dire que les origines des inégalités comme les autres pratiques attachées au néolithique (sédentarité, démographie, poterie, etc.) sont à chercher « en dehors de tout contexte agricole » et indépendamment des formes de domestication."

    "C’est donc le stockage intensif permettant la sédentarité qui constitue, selon lui, une mutation économique au moins aussi décisive que l’agriculture. La technique du stockage ne demande pas uniquement de connaître les pratiques de la conservation, telles que le séchage et le fumage employés aussi occasionnellement par les chasseurs-cueilleurs nomades, mais nécessite l’instauration de réserves alimentaires à grande échelle. Or, en dehors des sociétés agraires, cette pratique se rencontre parmi un tiers des chasseurs-cueilleurs. Les plus célèbres d’entre eux sont les peuples de la côte nord-ouest d’Amérique du Nord qui, outre la chasse de gibiers et la cueillette, capturaient massivement les saumons lors de leurs migrations saisonnières. Ailleurs, leur subsistance a pu être fondée sur la collecte massive de glands de chêne (Indiens de Californie) ou la pratique d’une pêche intensive (dans l’est sibérien). Dans une telle économie de chasse-cueillette, ce sont principalement les réserves alimentaires stockées (greniers, coffres à l’intérieur de l’habitat, etc.) qui assurent la nourriture durant l’année et aident à faire face aux périodes de soudures, généralement en fin d’hiver. Ces chasseurs-cueilleurs peuvent se rencontrer ailleurs dans d’autres sociétés de l’hémisphère Nord mais demeurent généralement absents des régions tropicales4 car la saisonnalité y est beaucoup moins marquée. Alain Testart authentifie également des cas probables parmi certaines cultures préhistoriques qui auraient constitué un stade intermédiaire entre chasseurs-cueilleurs nomades et agriculteurs : par exemple, les Natoufiens, chasseurs-cueilleurs du Proche-Orient, sédentaires, qui vivaient de chasse, de pêche et de graminées sauvages (12500 – 9600 av. J.-C.) ; les Jomons, chasseurs-cueilleurs au Japon, sédentaires dotés de poteries, dont l’alimentation consistait en récolte de glands et châtaignes (14000 – 300 av. J.-C.) ; plus tardivement, certains chasseurs-cueilleurs du mésolithique d’Europe occidentale.

    La thèse centrale de l’ouvrage est que l’économie des chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs évoque à bien des égards celle des sociétés agraires : ces chasseurs-cueilleurs gèrent des ressources sauvages (les saumons, les glands, les mammifères marins, etc.) exactement comme les cultivateurs traitent leurs ressources domestiquées (les céréales). Ils subsistent grâce à leurs stocks alimentaires, tout comme les cultivateurs grâce à leurs grains conservés dans leurs greniers. Chez ces chasseurs-cueilleurs, comme parmi les peuples agraires, on constate une même « structure techno-économique » fondée sur deux techniques : une « récolte » saisonnière massive et le stockage intensif. Dans ces deux types de sociétés, la maîtrise du stockage a des implications similaires. Chez les chasseurs-cueilleurs, une fois les stocks constitués, la nécessité des déplacements saisonniers dans d’autres régions se fait moins sentir et devient superflue. La sédentarisation permet la construction d’habitat et de bâtiments plus ou moins prestigieux. Le goulet d’étranglement constitué par la saison de pénurie, lui aussi supprimé, permet des concentrations démographiques. La nourriture, lorsqu’elle est abordée aux fins du stockage, peut devenir elle-même une richesse conservable, accumulable au-delà des besoins. Le fondement de cette économie à stockage permet alors le développement des inégalités socio-économiques du fait que les biens de subsistance deviennent des biens durables, susceptibles d’être appropriés, contrôlés et échangés. Dès lors des inégalités et des hiérarchies, beaucoup plus conséquentes que les simples hiérarchies honorifiques et rituelles, vont s’établir en lien avec la richesse. Il ne s’agit plus uniquement d’inégalités dues à l’âge, au genre ou encore au statut, qui sont déjà à l’œuvre chez les chasseurs-cueilleurs nomades, mais bien d’inégalités économiques. De telles inégalités ne sont pas cependant la conséquence de hiérarchies politiques. Dans le cas des sociétés de la côte nord-ouest d’Amérique du Nord privilégié par Alain Testart, par exemple, la hiérarchie relève uniquement de l’ordre de la préséance. Les membres de l’élite n’ont aucune fonction de chef. Leur ascendance vient d’abord de leur richesse et du contrôle des circuits de distribution de nourriture en lien avec l’idéologie du don (potlatch). Nul déterminisme, en outre, ne saurait découler du stockage s’agissant des rapports sociaux. Le stockage ne conduit pas mécaniquement à l’émergence d’inégalités, mais celles-ci demeurent « seulement une possibilité ». En 1988, Alain Testart a insisté à nouveau sur ce point qui n’a pas toujours été bien compris à l’époque et le reste encore parfois de nos jours."

    "Les recherches actuelles en archéologie, notamment celles effectuées en Chine, tendent à suggérer que les premiers céramistes, encore chasseurs-cueilleurs, apparurent avant la déglaciation de la fin du pléistocène. On suppose qu’ils furent peu à peu enclins à adopter la sédentarité et à construire des maisons et des fosses servant à stocker des fruits à coque, des céréales sauvages et des plantes aquatiques (châtaigne d’eau)14. En tout état de cause, tout semble indiquer aujourd’hui que la sédentarité a précédé de plusieurs siècles l’agriculture."

    "On sait aujourd’hui que, à l’inverse de ce que l’on aurait pu présumer, certaines sociétés de cultivateurs à travers le monde ignoraient les inégalités socio-économiques."
    -Valérie Lécrivain et Geoffroy de Saulieu, préface à "Une révolution avec ou sans agriculture ?", préface à Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités, Gallimard, 2022 (1982 pour la première édition).

    "Par le terme de « chasseurs-cueilleurs », on entend en général des peuples qui vivent exclusivement ou principalement de chasse, de cueillette des végétaux, de pêche, de ramassage de mollusques ou d’insectes, etc. Tous ces peuples assurent leur alimentation en exploitant des ressources dites sauvages ou spontanées, c’est-à-dire non domestiquées.

    Une telle définition ne va pas sans difficultés. En premier lieu, elle fait appel à un critère d’ordre technico-biologique, celui de domestication, qui est loin d’être aussi clair et aussi facile à appliquer qu’on pourrait le croire à première vue. Il y a en effet toute une gradation du sauvage au domestique, et on parle de « proto-élevage » ou de « proto-agriculture » à propos de peuples qui exercent un certain contrôle sur la reproduction de leurs ressources alimentaires, contrôle qui, sans être une véritable domestication, n’en diffère que par le degré, et non par la nature. D’autre part, l’exploitation des ressources sauvages ne disparaît pas avec l’agriculture et l’élevage, tant s’en faut : c’est seulement lorsque la proportion des ressources domestiquées devient prépondérante dans l’économie qu’on peut parler de sociétés agro-pastorales. La transition, là encore, est tout à fait graduelle. Enfin, il faut noter que presque toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs connaissent au moins une forme de domestication, à des fins non exclusivement alimentaires, il est vrai : celle du chien. D’autres animaux, comme le cheval ou le renne, ont également été domestiqués dans certaines sociétés de chasseurs-cueilleurs."

    "Pour les évolutionnistes du XIXe siècle, le stade dit de la « sauvagerie » coïncide avec un mode de vie de chasse-cueillette. Ainsi Tylor situe le passage de la sauvagerie à la barbarie au moment de l’invention de l’agriculture. Pour Morgan la fin de la sauvagerie est marquée par l’invention de la poterie liée à « la vie en village » : on sait que céramique et sédentarité ont été longtemps considérées par les préhistoriens comme les corrélats de l’agriculture. Le thème des chasseurs-cueilleurs, identique à celui de la sauvagerie, est donc au centre d’une pensée dont le cadre de référence fondamental est celui des trois stades. À l’inverse, ce thème est absent, sauf de façon purement accessoire, des travaux des fonctionnalistes et des structuralistes."

    "À l’opposition entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs-pasteurs correspond en préhistoire celle entre paléolithique et néolithique. On sait que ces deux termes, introduits par Lubbock en 1865, désignaient à l’origine des stades techniques : paléo-lithique, vieil âge de la pierre ou âge de la pierre taillée, néo-lithique, nouvel âge de la pierre ou âge de la pierre polie. Dans les études préhistoriques modernes, ces termes sont employés dans un sens économique qui répond à l’opposition chasse-cueillette / agriculture-élevage. Ainsi le néolithique connote-t-il essentiellement un mode de vie sédentaire en village, fondé sur la culture et l’élevage, avec utilisation de la poterie et — comme critère plus secondaire — l’usage de la pierre polie.

    Parler de l’importance de la notion de chasseur-cueilleur en anthropologie, c’est avant tout décrire les traits caractéristiques de ces sociétés qui les distinguent des autres : nomadisme, faible densité démographique, absence d’inégalités socio-économiques, etc. Parler de l’importance de la notion de chasseur-cueilleur en préhistoire, c’est avant tout montrer l’importance de la mutation que subit la société en passant du paléolithique au néolithique. C’est Childe qui le premier a souligné le caractère fondamental de cette mutation en indiquant ses aspects économiques, démographiques, sociaux et idéologiques, et en la baptisant « révolution néolithique »."

    "Les peuples de la côte nord-ouest américaine constituent l’exception la plus flagrante et la plus souvent remarquée. L’existence de village permanents, d’une très forte densité démographique, d’inégalités sociales systématisées en termes de rangs, de l’esclavage, de sociétés secrètes et d’une certaine division du travail autre que sexuelle suffit à les distinguer des autres chasseurs-cueilleurs. Pourtant, mise à part la présence d’une certaine manipulation du milieu, ils vivent de ressources spontanées, esssentiellement du saumon, ainsi que des produits de la chasse terrestre et maritime, de la cueillette, etc. Ils ne peuvent être considérés que comme des chasseurs-cueilleurs."

    "Comment rendre compte de cette exception ? [...]
    Sahlins les intègre dans le sien sur les tribus, bien qu’il note que l’association entre la chasse-cueillette et l’organisation en tribu — différente de l’organisation en bande — soit « exceptionnelle » ; c’est encore l’abondance qui vient expliquer cette exception, parce qu’elle permet quelque chose comme une récolte agricole, et Sahlins parle d’« agriculture naturelle ». Murdock s’abstient également de classer des pêcheurs sédentaires comme les Indiens de la côte nord-ouest parmi les chasseurs-cueilleurs. C’est que « leurs ressources alimentaires provenant de la mer sont tellement abondantes qu’ils ont été à même d’adopter un mode de vie sédentaire ou presque » et que « de telles conditions offrent la possibilité d’atteindre un degré considérable de complexité culturelle normalement réalisable seulement dans le cas d’une agriculture intensive ». L’exception dans la classification est justifiée par l’écologie.

    Même embarras chez les préhistoriens. Childe pense que la constitution d’un surplus est impossible dans une économie de chasse-cueillette, sauf chez certains peuples « placés dans un environnement exceptionnellement favorable », comme c’est le cas pour la côte nord-ouest. Il est vrai que Childe ne perd pas de vue l’aspect technique (la nécessité de connaître quelque moyen de conservation), mais l’écologie occupe néanmoins le rôle central pour expliquer l’exception dans la théorie du surplus."

    "Toutefois, il est clair que cette richesse écologique demande pour être exploitée une technologie complexe : chasse aux mammifères marins, pêche en haute mer supposant la fabrication d’embarcations appropriées, confection de barrages sur les rivières pour capturer les saumons, techniques de conservation du poisson, etc. Il suffit de prendre un seul exemple. Lors de la migration saisonnière des saumons, ceux-ci étaient en telle quantité qu’on pouvait, paraît-il, traverser la rivière en marchant sur leur dos. Toutefois cette abondance n’est que saisonnière. Pour qu’une culture sédentaire puisse s’élever sur la base d’une telle richesse saisonnière, il a fallu inventer des techniques appropriées de conservation alimentaire. [...]
    En même temps que l’interprétation écologique masque le rôle de la technologie, elle élimine toute dimension historique. En effet, si seule l’écologie est responsable d’une culture comme celle de la côte nord-ouest, ce type de culture a pu exister de tout temps, à chaque fois que de semblables conditions écologiques se présentaient. Au contraire, si cette culture n’est rendue possible que par des techniques appropriées, il convient de se demander à quel moment de l’histoire cette technologie apparaît."

    "Autres exclus de la communauté des chasseurs-cueilleurs, ceux du sud-est de la Sibérie, de Hokkaïdo, de Sakhaline, du bas Amour et du Kamtchatka : les Aïnou, les Ghilyak, les Goldes, les Itelmen, etc. Comme les Indiens de la côte nord-ouest, il s’agit essentiellement de pêcheurs sédentaires. C’est à ce titre que Murdock les laisse de côté dans sa revue des chasseurs-cueilleurs.

    Comment ces peuples sont-ils envisagés dans l’ethnologie soviétique ? Le fait qu’il s’agisse de chasseurs-cueilleurs sédentaires ne fait pas problème car, d’une part, la notion de chasseur-cueilleur est peu pertinente pour la théorie soviétique et, d’autre part, le fait que la quasi-totalité des chasseurs-cueilleurs d’Union Soviétique soit sédentaire ne peut conduire, comme dans les théories américaines, à les considérer comme exceptionnels. En revanche, que ces sociétés présentent toutes des signes évidents d’inégalités économico-sociales — esclavage, différenciation en riches et pauvres, etc. — est en contradiction immédiate avec une théorie qui veut faire correspondre à des forces productives « primitives » (chasse, pêche, cueillette) une « communauté primitive » fondée sur la solidarité du clan où toute exploitation du travail d’autrui est absente. Pour limiter la portée des faits, on parlera d’« esclavage patriarcal » et on insistera sur les survivances de la communauté primitive, tout en indiquant que la différenciation sociale est à ses débuts. Mais l’argument suprême consiste à invoquer l’influence étrangère, en particulier celle du commerce avec les Mandchous et les Chinois, dont on trouve mention avant même la conquête tsariste. C’est la présence proche de sociétés de classes qui expliquerait la décomposition de la communauté primitive.

    Il est certain qu’on ne saurait négliger le rôle qu’a pu jouer la Chine pour les peuples de l’Amour, pas plus que celui du Japon pour les Aïnous de Hokkaïdo : des sociétés étatiques aussi puissantes cherchent à assujettir les peuples voisins et à les exploiter économiquement, elles introduisent l’idée du commerce et une idéologie de la course à la richesse, provoquent des déséquilibres dans leurs économies, suscitent des dissensions internes afin de mieux les dominer. Toutefois, deux faits montrent que cette explication reste insuffisante et que ces sociétés de pêcheurs ont une tendance intrinsèque à développer des inégalités sociales. D’une part, le cas analogue, de l’autre côté du Pacifique, des sociétés de la côte nord-ouest américaine : là, nul État dans le voisinage, mais seulement des chasseurs-cueilleurs dont on cherche au contraire à expliquer les quelques signes d’inégalité par l’influence de la culture de la côte nord-ouest. D’autre part, le fait que ces inégalités ne datent pas seulement d’un Moyen Âge oriental mais remontent à la préhistoire : au deuxième millénaire av. J.-C., sur les rives du lac Baïkal, les tombes des cultures de Kitoï et surtout de Glazkovo révèlent une différenciation marquée entre riches et pauvres."

    "L’existence de sociétés inégalitaires de chasseurs-cueilleurs constitue un problème de fond pour une périodisation de l’histoire qui fait du communisme primitif le stade premier. Comment ce problème est-il posé par la préhistoire soviétique ? En réalité, il n’est guère posé mais est plutôt annulé par un tour qui ne manque pas de saveur. On sait que c’est surtout à la suite de Childe que le néolithique n’a plus été envisagé dans un sens purement technologique mais dans le sens économique d’un mode de vie agro-pastoral. Un tel changement ne peut que satisfaire à des préoccupations marxistes, lesquelles dominent très clairement la problématique de Childe bien qu’il ne fasse verbalement référence à Marx que très rarement ; Childe, par ailleurs, a séjourné quelque temps en U.R.S.S. Par un curieux retournement des choses, tandis que les vues de Childe furent largement acceptées en Europe et en Amérique, le néolithique fut toujours entendu en Union Soviétique comme un stade technique, connotant principalement la céramique et la pierre polie. Il s’ensuit que des cultures préhistoriques sibériennes, telles celles précitées du lac Baïkal, sont classées comme néolithiques, en dépit de l’absence de toute domestication. Ainsi les inégalités des chasseurs-cueilleurs qui fabriquent de la céramique et utilisent des haches polies ne paraissent pas plus étranges que celles des premières sociétés agricoles. Okladnikov rapproche les sociétés du Glazkovo de celles de la côte nord-ouest américaine : à un même « niveau de développement technologique », caractérisé par l’importance de la pêche et l’utilisation du cuivre, est censée correspondre une même structure sociale inégalitaire. Toutefois, il est clair qu’une théorie qui prétendrait rendre compte de l’origine des inégalités sociales par simple référence aux caractéristiques somme toute mineures de l’outillage que sont le polissage de la pierre et l’utilisation du cuivre relèverait plus d’un matérialisme mécaniste que du marxisme."
    -Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou L’origine des inégalités, Gallimard, 2022 (1982 pour la première édition).



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