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    Alain Testart, Le communisme primitif, Tome I. Économie et idéologie

    Johnathan R. Razorback
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    Alain Testart, Le communisme primitif, Tome I. Économie et idéologie Empty Alain Testart, Le communisme primitif, Tome I. Économie et idéologie

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 25 Oct - 16:47



    "L’objet premier de mon interrogation portait sur ce qui avait toujours été tenu pour le plus important dans ces sociétés dites « primitives », c’est-à-dire sur la parenté, les systèmes de parenté et les hypothèses concernant leur évolution. J’ai donc commencé en lisant Morgan et Lévi-Strauss. C’est même précisément en lisant Les structures élémentaires de la parenté que j’eus l’intuition qui est à l’origine de cet ouvrage, à savoir que l’exogamie ne renvoie aucunement à une quelconque structure universelle de la société, mais qu’elle résulte au contraire de conditions historiques déterminées et qu’elle ne fait qu’exprimer la réciprocité d’un certain type de société dont je concevais seulement, à l’époque, de façon vague qu’il pouvait s’apparenter à ce qu’on avait appelé le « communisme primitif » dans la tradition marxiste. Plus tard, étudiant les travaux relatifs à l’anthropologie de l’Australie, j’ai commencé à entrevoir que le totémisme, avec les rites et les interdits qu’il implique, les classifications totémiques, le dualisme et l’exogamie s’organisaient autour d’un seul principe : que ce qui est à soi n’est pas pour soi, que ce qui vient de soi n’est pas destiné à être consommé par soi, et donc que toutes ces institutions procédaient de la même idée qui veut qu’on doive toujours céder ce que l’on a, le passer à un autre, le donner à la moitié d’en face (j’emploie à dessein ces termes, en évitant celui d’échange, pour indiquer que le « fait de l’échange » n’est nullement premier, contrairement à ce qui est posé par le structuralisme, mais représente au contraire la conséquence de quelque chose de beaucoup plus fondamental dans la société)."

    "Je gardais en tête l’idée que tout ceci devait « correspondre » (pour reprendre provisoirement un mot galvaudé de la tradition marxiste) à une structure économique précise. Je me suis donc tourné vers l’économie et j’ai longtemps achoppé sur ce problème — qui est pour toute l’anthropologie des chasseurs-cueilleurs telle qu’elle s’est développée ces vingt dernières années le problème clef, ce que l’on peut voir du seul fait qu’il n’y a jamais été posé : les Aborigènes australiens ont apparemment la même économie que les autres chasseurs-cueilleurs nomades, mais ils sont les seuls à avoir le totémisme, l’exogamie et le dualisme. Comment penser cette différence dans une perspective matérialiste, alors que ce qui passait pour la base de la société dans cette même perspective paraissait identique ? La question était d’autant plus grave que les institutions qui faisaient problème pour n’être présentes que chez les seuls chasseurs-cueilleurs australiens se retrouvaient chez des peuples non chasseurs-cueilleurs, agriculteurs ou pasteurs. A ce problème, posé en ces termes, il ne semblait guère y avoir que deux solutions possibles. Soit déclarer la faillite du matérialisme, position prédominante dans l’anthropologie française ; soit tenir les différences entre les chasseurs-cueilleurs pour inessentielles, concernant des institutions sans signification, en quelque sorte des épiphénomènes, ce qui est, en gros, la solution adoptée par l’anthropologie américaine. Aucune de ces solutions ne me paraissait acceptable. En vérité, il y avait bien une troisième solution qui était de reconnaître que le problème n’était guère posé dans des termes corrects et qu’il convenait de rejeter un matérialisme qui procédait d’une vision excessivement sommaire de la société. Telle ne fut pas, toutefois, la voie dans laquelle je m’engageai d’abord.

    Aussi, dans cette vision sommaire qui est celle du matérialisme mécaniste et dans laquelle je me suis fourvoyé si longtemps, la parenté et l’idéologie semblaient ne pas « correspondre » du tout à ce qu’on savait ou croyait savoir de l’économie. Je voyais bien des différences entre les Australiens et les autres chasseurs-cueilleurs, mais c’étaient des différences techniques, et je ne pouvais penser cette opposition comme radicale qu’en maintenant l’hypothèse implicite du primat des forces productives. Il fallait donc poursuivre l’étude des économies de chasse-cueillette. J’ai isolé des structures spécifiques d’économie de chasse-cueillette, en particulier celles des chasseurs-cueilleurs que j’ai appelé « stockeurs ». Mais cela laissait dans la même catégorie des sociétés aussi différentes, du point de vue des institutions, que celles des Bushmen et des Australiens. J’ai finalement trouvé d’autres différences écologiques et économiques dont j’ai rendu compte dans un article proposant une « typologie des chasseurs-cueilleurs », ce qui représentait ce que je pouvais faire de mieux dans la perspective qui était alors la mienne. Je voyais bien qu’il existait des corrélations entre les types économiques que j’étais désormais à même de distinguer et les différents systèmes de parenté. Mais je ne pouvais expliquer ces corrélations ; tout au plus, je pouvais repenser les schémas évolutifs classiques en concevant, d’après la typologie précédente, que le type économique australien était nécessairement le plus ancien, au même titre que les systèmes de parenté propres à l’Australie.

    Tous ces travaux sur l’économie ne concernaient en fait que les forces productives. Des rapports sociaux de production, je ne voyais rien d’autre à dire que cette banalité : il s’agissait de rapports de non-exploitation. Or cela était valable tant pour les Bushmen que pour les Australiens, ce qui laissait entier le problème énoncé plus haut. J’avais bien dans l’idée que les institutions sociales devaient être déterminées en dernière analyse par le mode de production — les rapports de production — mais ceci restait une hypothèse indémontrable. C’est seulement lorsque j’eus dépassé l’idée simpliste qui voudrait qu’il y ait appropriation de la production par l’ensemble de la communauté chez les chasseurs-cueilleurs du seul fait qu’ils partagent les produits de la chasse et de la cueillette que je pus faire la critique de la notion de partage, voir que ce qu’on désignait par ce terme ne concernait pas la seule distribution mais recelait une forme d’appropriation du produit et donc un rapport de production. Je pus alors concevoir l’existence de deux types de rapports de production différents, l’un réalisé par exemple chez les Bushmen, l’autre chez les Australiens. A vrai dire, cette découverte faite au bout de plusieurs années de recherches consacrées aux économies de chasse-cueillette me paraît à présent d’une simplicité dérisoire. Mais c’est probablement parce que seule l’accumulation des données permet de découvrir ce que Marx appelle « le secret le plus profond de tout l’édifice social ». Une fois ce « secret » découvert, toutes les données s’expliquent avec une facilité déconcertante. Après avoir compris la nature des rapports de production dans les sociétés australiennes et dans les autres sociétés de chasseurs-cueilleurs, je pus, en quelques semaines, mettre en place tous les éléments du puzzle : systèmes de partage, techniques de chasse, systèmes de parenté, totémisme... Tout s’ordonnait au sein d’un même schéma global d’explication. Dès lors, je pouvais présenter les grandes lignes d’un exposé d’ensemble de l’histoire sociale primitive, reprenant ainsi le projet des évolutionnistes du XIXe siècle et, en tout premier lieu, celui de Morgan. Tel me semblait encore être l’objectif majeur de cet ouvrage lorsque j’en ai commencé la rédaction, parce que c’était pour atteindre pareil objectif que je m’étais tout d’abord intéressé à l’anthropologie. Toutefois, il nous arrive souvent de réaliser une chose toute différente de celle que nous voulions faire, et il m’apparaît à présent, une fois l’ouvrage terminé, que son intérêt principal déborde largement le cadre de son projet initial. Il est de proposer, à propos de l’exemple des sociétés primitives, une conception générale de la société en tant qu’ensemble de structures articulées entre elles, conception qui s’appuie sur une réorganisation conceptuelle touchant aux deux questions fondamentales que sont : 1° la question du découpage entre économie et idéologie et le problème de leur articulation, 2° la conceptualisation du mode de production par opposition à ce qui est entendu par ce terme dans la tradition marxiste."
    -Alain Testart, Le communisme primitif, Tome I. Économie et idéologie, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1985,




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