"Le premier présupposé est de caractère ontologique, dans le sens où il pose, comme allant de soi que l'individu est la réalité essentielle à expliquer. Cette conviction vient du primal accorde par Aristote a l’individuel [...] à l’égard de la question de l’Être en tant qu’Être. Pourquoi, demande Simondon, l’Être, dans sa totalité devrait-il se solder intégralement en une multiplicité d’individualités à connaitre ? Pourquoi, en tant que tel, l'être ne relèverait-il pas d'une dimension préindividuelle ? Corrélativement, pourquoi l'individu, tel qu'il apparait, ne conserverait-il pas, en sa dimension d’être, une préindividualité, en quelque sorte associée, irréductible à ce qui peut se penser en terme d' "individu" ? Dimension qui ne cesserait d'intervenir dans la formation et l'évolution de l'individu, qui, dès lors, prend une double valeur relative. Par rapport l'être préindividuel, dont il procède, sans l'éliminer. Par rapport à lui-même, en tant que conservant une dimension préindividuelle associée, qui ne cesse de modeler ses individualisations ultérieures. S'il en était ainsi, c'est toute la quête du principe d’individuation et l'idée même de ce principe qui devraient être réformées." (p.11)
"Le deuxième présupposé non questionné est que l'individuation a un principe, qui lui serait antérieur et qui permettrait d'expliquer la formation de l'individu singulier. Le fait que cette structure hiérarchique à trois étages, individu, individuation, principe d'individuation, est polarisée par le privilège ontologique non questionné, accordé à l'individu, qui constitue la finalité ultime de la recherche, s'aggrave du fait que la quête du principe d'individuation, en tant que tel, relève d'un paralogisme qui cristallise dans la double nature accordée au principe. A cet égard, deux attitudes historiques accomplissent ce faux parcours. L'une, substantialiste, atomiste, moniste, découvre dans l'atome de Leucippe et de Démocrite, le principe élémentaire absolu permettant d'expliquer la formation de l'individu et de l'univers individué. La théorie du clinamen, chez Epicure, explique la formation fortuite des structures individuées plus complexes, à partir de l'atome unitaire. Le matérialisme atomiste moderne qui, a l'encontre des mises en garde de Heisenberg et de Bohr, continue a concevoir les particules quantiques comme des substances infinitésimales premières, ayant une réalité autonome, en tant que formation de la matière, poursuivent le cours de cette même illusion. Le paralogisme consiste à conférer à l'atome déjà individué le statut de principe qui est censé expliquer la formation même de l'individu en tant que tel. En d'autres termes et de manière contradictoire, l'individu est érigé en objet de la recherche en même temps que tenu pour principe de sa propre explication. Mais l'attitude dualiste hylémorphique de style aristotélicien n'échappe guère à la même contradiction, puisque la forme el la matière, en tant que conditions et principes de formation du [terme grec], sont en fait traités comme des termes unitaires, des causes déjà individuées. Or, il ne suffit pas d'expliquer que c'est exclusivement par abstraction et a posteriori que ces principes peuvent être dégagés de la seule réalité concrète qu'est le [terme grec], car, d'une part, elles sont érigées en causes métaphysiques suprêmes, donc, principielles et premières. Mais d'autre part, la nouveauté de Gilbert Simondon est de démontrer sur des exemples concrets empruntés à la formation des individualités naturelles, telles que les îles dans un fleuve, les dunes de sable sous la pression du vent, les ravines d'un chemin creusées par les eaux de ruissellement, la formation des cristaux, mais aussi sur des exemples technologiques, tels que la fabrication d'une brique ou la coupe d'un tronc d'arbre, que jarnais la formation d'un individu naturel ou technique ne se solde dans l'application d'une forme à une matière. Le schéma hylémorphique laisse immanquablement échapper les conditions énergétiques de la prise de forme, qui résident dans les potentiels énergétiques déjà déposés dans la structure de la matière, que les conditions naturelles dues au hasard ou le travail de l'homme peuvent libérer, orienter, canaliser dans la formation d'un individu." (p.12)
-Jacques Garelli, introduction à Gilbert Simondon, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Éditions Jérôme Millon, collection Krisis, 2005, 571 pages.
"
(p.101)
"La vie n’est pas une substance distincte de la matière ; elle suppose des processus d’intégration et de différenciation qui ne peuvent en aucune manière être donnés par autre chose que des structures physiques." (p.162)
"L'homme, disposant de possibilités psychiques plus étendues, en particulier grâce aux ressources du symbolisme, fait plus souvent appel au psychisme ; c'est la situation purement vitale qui est chez lui exceptionnelle, et pour laquelle il se sent plus démuni. Mais il n'y a pas là une nature, une essence permettant de fonder une anthropologie ; simplement, un seuil est franchi ; l'animal est mieux équipé pour vivre que pour penser, et l'homme pour penser que pour vivre. Mais l'un et l'autre vivent et pensent, de façon courante ou exceptionnelle." (note 6 p.165)
"
(p.196)
"Les états affectifs positifs indiquent la synergie de l'individualité constituée et du mouvement d'individuation actuelle du pré-individuel ; les états affectifs négatifs sont des états de conflit entre ces deux domaines du sujet." (p.252)
"L'émotion implique présence du sujet à d'autres sujets ou a un monde qui le met en question comme sujet." (p.253)
"Le désir, la fatigue grandissante, l'envahissement par le froid sont des aspects de l'affectivité ; l'affectivité est bien loin d'être seulement plaisir et douleur ; elle est une manière pour l'être instantané de se situer selon un devenir plus vaste ; l'affection est l'indice de devenir, comme la sensation est l'indice de gradient : chaque mode, chaque instant, chaque geste et chaque état du vivant sont entre le monde et l'être vivant : cet être est polarisé d'une part selon le monde et d'autre part selon le devenir. Et de même que les différentes dimensions selon lesquelles l'orientation dans le monde s'effectue ne coïncident pas nécessairement entre elles, de même, les différents aspects affectifs réalisent des insertions à des sous-ensembles du devenir du vivant, non à un devenir unique. Il reste un problème affectif comme il reste un problème perceptif : la pluralité des orientations tropistiques appelle l'unification perceptive et la connaissance de l'objet comme la pluralité des sous-ensembles affectifs appelle la naissance de l'émotion. L'émotion naît lorsque l'intégration de l'état actuel à une seule dimension affective est impossible, comme la perception naît lorsque les sensations appellent des tropismes incompatibles. L'émotion est contradiction affective surmontée comme la perception est contradiction sensorielle. Ce n'est d'ailleurs pas contradiction affective et contradiction sensorielle qu'il faut dire, car ce ne sont pas les sensations et les affections en elles-mêmes qui sont contradictoires par rapport à d'autres sensations ou affections : ce sont les sous-ensembles tropistiques et les sous-ensembles de devenir qui comprennent ces sensations et ces affections qui sont contradictoires par rapport à d'autres sous-ensembles sensoriels et tropistiques. La contradiction n'existe pas au niveau des sensations proprement dites ou des affections proprement dites ; elles ne peuvent être aperçues si cette rencontre des sous-ensembles ne s'effectue pas ; sensations et affections sont des réalités incomplètes prises en dehors des sous-ensembles dont elles font partie et dans lesquels elles opèrent. La non-coïncidence des affections pousse à l'émotion comme la non-coïncidence des sensations pousse à la perception. L'émotion est une découverte de l'unité du vivant comme la perception est une découverte de l'unité du monde ; ce sont deux individuations psychiques prolongeant l'individuation du vivant, la complétant, la perpétuant. L'univers intérieur est émotif comme l'univers extérieur est perceptif. Il ne faut pas dire que l'affection découle de l'émotion éprouvée en présence de l'objet, car l'émotion est intégrative et plus riche que l'affection ; l'affection est comme de l'émotion au ralenti, de l'émotion non encore constituée dans son unité et dans la puissance de son devenir maître de son propre cours ; l'émotion se caractérise par le fait qu'elle est comme une unité temporelle insulaire, ayant sa structure : elle conduit le vivant, lui donne un sens, le polarise, assume son affectivité et l'unifie: l'émotion se déroule, alors que l'affectivité est seulement éprouvée comme appartenance de l'état actuel à une des modalités du devenir du vivant ; l'émotion répond à une mise en question de l'être plus complète et plus radicale que l'affection ; elle tend à prendre le temps pour elle, elle se présente comme une totalité et possède une certaine résonance interne qui lui permet de se perpétuer, de se nourrir d'elle-même et de se prolonger: elle s'impose comme un état auto-entretenu, alors que l'affection n'a pas tant de consistance active et se laisse pénétrer et chasser par une autre affection ; il y a une certaine fermeture de l'émotion, alors qu'il n'y a pas de fermeture de l'affection ; l'affection revient, se représente, mais ne résiste pas ; l'émotion est totalitaire, comme la perception qui, ayant découvert des formes, les perpétue et les impose sous forme d'un système qui prend appui sur lui-même ; il existe une tendance de l'être à persévérer dans son être au niveau de la perception et au niveau de l'émotion, non au niveau de la sensation ou au niveau de l'affection ; sensation et affection sont des réalités qui adviennent à l'être vivant individué sans assumer une nouvelle individuation ; ce ne sont pas des états auto-entretenus ; ils ne se fixent pas en eux-mêmes par un auto-conditionnement ; au contraire, la perception et l'émotion sont d'ordre métastable: une perception s'accroche au présent, résiste à d'autres perceptions possibles, et est exclusive ; une émotion s'accroche également au présent, résiste à d'autres émotions possibles ; c'est par rupture de cet équilibre métastable qu'une perception en remplace une autre ; une émotion ne succède à une autre émotion qu'à la suite d'une sorte de cassure interne. Il y a relaxation d'une émotion à une autre. Ce qui désorganise le vivant, dans l'émotion, ce n'est pas l'émotion elle-même, car l'émotion est organisation d'affections ; c'est le passage d'une émotion à une autre. Toutefois, on pourrait dire que la perception opère aussi une désorganisation ; mais cette désorganisation est moins sensible parce qu'elle est seulement une rupture entre deux organisations perceptives successives, portant sur le monde ; comme la désorganisation qui existe entre deux émotions porte sur l'être vivant, elle est plus sensible que celle qui sépare deux perceptions. Cependant, perception et émotion sont encore des activités correspondant à un mode transitoire d'activité ; perception et émotion appellent par leur pluralité une intégration plus élevée, intégration que l'être ne peut faire advenir avec sa pure individualité constituée ; dans la contradiction perceptive et dans les ruptures émotionnelles, l'être éprouve son caractère limité, en face du monde par la perception, en face du devenir par l'émotion ; la perception l'enferme dans un point de vue comme l'émotion l'enferme dans une attitude. Points de vue et attitudes s'excluent mutuellement. Pour qu'un réseau de points-clés, intégrant tous les points de vue possibles, puissent se former, il faut que la nouvelle individuation incluant le rapport au monde et le rapport du vivant aux autres vivants puisse advenir ; il faut que les émotions aillent vers les points de vue perceptifs, et les points de vue perceptifs vers les émotions ; une médiation entre les perceptions et émotions est conditionnée par le domaine du collectif, ou transindividuel ; le collectif, pour un être individué, c'est le foyer mixte et stable en lequel les émotions sont des points de vue perceptifs et les points de vue des émotions possibles. L'unité de la modification du vivant et de la modification du monde se trouve dans le collectif, réalisant une convertibilité de l'orientation au monde en intégration au temps vital. Le collectif est le spatio-temporel stable ; il est milieu d'échange, principe de conversion entre ces deux versants de l'activité de l'être que sont la perception et l'émotion ; seul, le vivant ne pourrait aller au-delà de la perception et de l'émotion, c'est-à-dire de la pluralité perceptive et de la pluralité émotive."
(pp.260-261)
" [Chapitre II: Le collectif comme condition de signification]
(p.307)
"
(pp.333-334)
"L'éthique est ce par quoi le sujet reste sujet, refusant de devenir individu absolu, domaine fermé de réalité, singularité détachée ; elle est ce par quoi le sujet reste dans une problématique interne et externe toujours tendue, c'est-à-dire dans un présent réel, vivant sur la zone centrale de l'être, ne voulant devenir ni forme ni matière. L'éthique exprime le sens de l'individuation perpétuée, la stabilité du devenir qui est celui de l'être comme préindividué, s'individuant, et tendant vers le continu qui reconstruit sous une forme de communication organisée une réalité aussi vaste que le système préindividuel. A travers l'individu, transfert amplificateur issu de la Nature, les sociétés deviennent un Monde." (p.335)
-Gilbert Simondon, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Éditions Jérôme Millon, collection Krisis, 2005, 571 pages.
"
(pp.339-340)
"Le romantique cherche des lieux et des temps d'exception, qui soient à la fois des termes et des limites, des êtres et des origines, des éléments et la source qui produit autour d'elle un champ qui n'est pas elle mais vient d'elle et unifie les êtres.
(pp.501-502)
-Gilbert Simondon, "Histoire de la notion d'individu", in L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Éditions Jérôme Millon, collection Krisis, 2005, 571 pages, pp.339-502.
"La valeur reprCsente Je symbole de l'intCgration Itt plus pttrfaite possible, c' est-U-dire
de Ia comp ~mentaritC illimitCe entre J'Ctre individuel C[ lcs autre.') Ctrcs individucls.
Elle suppose qu"il existe un moyen de rendre LOutes lcs realitcs complementaires, et le
moyeo le plus simple est evi.demme.m de supposer que tout ce qui est s'intCgre dans
une volonte universelle ; Ia finalite divioe. universatisation du principe de raison suf.
fisante, suppose et arrete ccuc requC-tc de valeur~ clle cherche a compe;nser r inadequation entre tousles etres existants par une dissymCiric acccptCe unc fois pour toutcs
entre I'Stre crenteur et les etres crees." (p.503)
"Ia valeur est l'action griice ~ laquelle il peut y avoir co.mpl6meotarit~. Ce principe a pour consequence que trois types de valeurs sont possibles : deux
valcurs relatives et unc valeur absolue. Nous pouvons oommer va.leurs relative.'; celles
qui expriment rarrivCe d'une condition compiCmcntairc; ccnc valeur est liCe a Ia
chose mi!me qui c.onstjtue cene condition, mais elle ne riside pourtant pas dans cette
chose ; on (X}Ut id~rer q u'elle est mt.ach~e a ce1te chose saos pounant lui tre ioJl6-
rente; c'cs:t Ia valeur du rcmCdc qui gu~ri , ou de l'aJiment qui pem1et de vivre. U peut
y avoir ici Ia valeur comme condition organique ou Ia valeur comme condjtioo technique, scion que Ia condition d~jit reaUsee est technique oo organique. Le troisiCme
type de valeur est Ia valeur qui pennet Ia relation : debut ou amorc.e de Ia reaction qui
permet ceue nctivitC, ct qui s' ntretit nt d'elle-meme une fois qu' elle a commeuce. Au
oombre de ces valeurs, on pcut mcurc Ia culture. qui est cornme un ensemble de
dt:buts d'action, pourvus d'un schCmatisme riche, et qui aueodeot d' erre actualises
dans unc action ; Ia culture pennet de resoudre des problemes. mais elle ne pennct pas
de construire ou de vi vre organj quement : eUe suppose que Ia possibilitC de vie orga·
nique et de vie technique est dejA donncc, mais que les possibilites complementaires
ne sona p:.ts en regard et, pour cette mison, re.stent steriles: elle erie alors Je sys t~ me de
symboles qui leur pennet. d' eotrer eo r6action mutoelle."
(pp.503-504)
"Le marxisme er lc frcudismc liduisent Ia culture au rOle de rnoyen
d'e:<pression : mais e.n rt!aUte une culture est rCtlcxivc, ou bien elle n'est pas: elle
reste une mycholog.ie ou une superstructure. ConsidCrons au contraire uoe culture de
type rCflexif, qui veul rCsoudrc des problemes: nous tJouvoos en elle une utilisation
du pouvoir de symbo1iser qui ne s'tpuise ni dans uoe promotion de )'organique ni
dans une expression du te.choique: Ia Clllture retlexive e.')t sensible a )'aspect proble.-
matique de !'existence: elle recherchece qu i est humain. c' esr .. ft.direce qui, au lieu de
s'accomplir de -m~mc et automatiquemcnt, necessite une mise en question de
l"homme par lui-mCme dans' le retour de causatite de Ia retlexioo et de Ia conscience
de soi; c'cs1 dans Ia rcncontre de I' obstacle que Ia oecessir.e de Ia culture se mani·
fcste" (p.504)
"Seule Ia peolS<!e philosophjque peut
dCcou,•rir une corop!•Jjbilitt!: dynarnique entre ces deux forces nveugles qui sacritient
l' homme :, Ia citC [civisme antique] ou la vie (:ollecrive l\ Ia reche rche individucUc du saJut [christianisme] . Sans la pensee. reflexive, Ia culture se dCgrade en effortS incompaLiblcs e1 non construcLifs, qui
consument dans un affnmtcmcnt st6riJe Ia preoccupation civique C( Ia recherche d' une
dcstinCe individuellc. Lc sens des vaJcurs est lc rcfus d'une incompaLibilitC dans le
domaine de Ia culture, le rcfus d ' une absurditC fondamentale en l' homme." (p.506)
"Cet amagonisme la.isse Ia pi;:ICC a une compalibilil..'! possible si /"individu. ,au lieu
<J"etre con.nu conune une substance ou un etre pr6ca.ire aspirant a Ia subsaamiulitt . est
saisi co01me le poinr singuJier d'tme infinite (mverte tie n:lmious. Si Ia reJation a
valeur d'8tre, il o'y a plus opposition eotre le desi.r ·~ rn t.e et Ia oecessite de Ia vie
coUec.rive. Le civisme contraig.nant - sous quelque forme que ce soil -est le symc!-
trique et parfois I' antidOte d•une couce.ptio n de Ia dest.in6e indi vidueUe sol&~: il
repood i'l un substantialis•oe de l'i11djvidu. e1 s'y oppose en J'a c.ce pl~rnl. Le tragiquc du
c.hoix n·cst plus fondamc.null si lc cho ix n'cst plus cc qui fai( communique r une citC et
un individu indCpendanlS comme des subsl:l.nces. La valeur ne s'oppose pas a.u.x dCter·
minations ; c llc le.o; comp..'l.tibilisc. Le sens de Ia va leur e."t inhCrcnt a Ia re lation pa r
laquelle l' homme vcut rCsoudre le con flit en instituant unc compaL il t~ entre les
aspc·cts normatifs de son ex istence." (p.506)
"Le .sens de Ia valeur res-ide dans le sentiment qui nous
emp&be de chercher mte solulion deja donnee dans le rnonde ou dans le moi, comme
scbCmc intcUcctucl ou animde vit:LIC; Ia valeur est le scns de l'opt:uif: on ne pcut en
aucun cas rCduire !'action au choix, car Je choix est un recours a des schemes d'actions
dC.jll prCfo rmCes et qui, A l'instanl oU nous les 61iminons toutcs sa:uf unc, sonl comme
du reel dej~ exishtnt dans l'avenir. et qu'il nous faut condamner a n'erre pas. Le seos
de Ia valeur est ce qui doit nous Cvitcr de nous rrouver dcvaot des probl~rues de choix ;
le probleme du choix appamlt. quaod il ne rcste plus que Ia fonue vide de I' action,
quand les forces techniques er lcs fOrces orga que..~ sont disqualitiCcs en nous ct nous
appara.issent comme des indifferents. S'il n' y a pas perte initiaJe des qualites biologiques et techniques. le rob ~me de choix ne peut se poser com me probleme moral,
car il n'y a pas d'actions prCdC.rcrminecs, compar.tblcs A ccs corps que c..~ ames platonjciennes dojveot choisir pour s!incarner. fJ n'y a nj choix transcendant. ni choix
immanent, car le sens de Ia valeur est celui de. I' auto-constitution du sujet par sa
propre action. Le probleme mo ral que le sujet peut sc poser esr done au niveau de c.eue
pennaneme mediation constructrice gidce h laquelle le sujet prend progressivement
conscience du fait qu' il a rCsolu des probiCmes, lorsque ces probiCmes o nt CtC rCsolus
dans ractjon." (p.507)
" il est impossible de dissocier Ia veritable
conscience morale de !'action ; Ia conscience est Ia rCactivite du sujer par rappon a lui ~
mCmc, qui lui permet d' exister comme individu, en Ctant a lui-meme Ia norme de son
action ~ le sujet agit en se conlrOiant, c!est-3-dire en se mettant darts Ia communication
Ia plus parfaite possible avec lui-rneme; In conscience est ce re.tour de caus.alirC d u
sujet sur lui .. mCme, quand unc action oplative est sur le point de resoudre un pr<r
bl~me. La conscience mornle diffet·e de Ia conscience psychologique en ce que Ia
conscience psycholog:ique expri me Je rclentissemcnt dans le sujet de sc.s actes ou des
evenements en fonction de l'etat presem du sujet. Elle est jugemenr selon une deter·
mination actuelle ; au conlraire. la conscience psychologiquc rapp<>rte Jes actes o u lcs
debutS d' actes a c.e que le sujet tend ll Ctre au terme de cet ac1e ; elle ne lc peul que-de
fa~oo extrSnJement plicaire, en « ex1rapola.nt » en quelque manjere pour tenir compte
de l'actueUe transforrnulion du su.jet: elle t~st l' ~l umnt plus ti ne qu 'cllc arrive mieux ~
juger en fonclion de cc que lc sujcl sera c'est pOur cette mison qu'il y a une relative
indetemlination dans le doma.ine de Ia conscience morale. car Ia conscience mor.s.le
iJ1staure d!ubord un premier type de reactivite comme Ia conscience simplement psychologique, et ensuilc un dcuxieme type de rCactivitC qui vicnt de cc que c.~ modalitCs
de ce retour de c.ausalitC d€pcndent du rCg_ime d" acrion qu · elles contrOient : dans cene
recurrence de l'ittformation. le sujet n'est pas seulement uo erre doue d'une teleologie
interue simple, nulis d'une tC:I<!ologie elle-m8rne sournise a unc au -r~gu ation : Ia
conscience ps ychologique est dCjll regulatricc ; Ia conscience morale est une
conscience re.gularrice soumise a une auto-regulation inte.me; ceue conscieoce doublement regulatrice peut 8trc noulmCe conscience normative. Elle e.st librc parcc
qu'elle abore elle-mCmc son proprc rCgime de regulatio n. Ccue libertC nc peut se
il est impossible de dissocier Ia veritable
conscience morale de !'action ; Ia conscience est Ia rCactivite du sujer par rappon a lui ~
mCmc, qui lui permet d' exister comme individu, en Ctant a lui-meme Ia norme de son
action ~ le sujet agit en se conlrOiant, c!est-3-dire en se mettant darts Ia communication
Ia plus parfaite possible avec lui-rneme; In conscience est ce re.tour de caus.alirC d u
sujet sur lui .. mCme, quand unc action oplative est sur le point de resoudre un pr<r
bl~me. La conscience mornle diffet·e de Ia conscience psychologique en ce que Ia
conscience psycholog:ique expri me Je rclentissemcnt dans le sujet de sc.s actes ou des
evenements en fonction de l'etat presem du sujet. Elle est jugemenr selon une deter·
mination actuelle ; au conlraire. la conscience psychologiquc rapp<>rte Jes actes o u lcs
debutS d' actes a c.e que le sujet tend ll Ctre au terme de cet ac1e ; elle ne lc peul que-de
fa~oo extrSnJement plicaire, en « ex1rapola.nt » en quelque manjere pour tenir compte
de l'actueUe transforrnulion du su.jet: elle t~st l' ~l umnt plus ti ne qu 'cllc arrive mieux ~
juger en fonclion de cc que lc sujcl sera c'est pOur cette mison qu'il y a une relative
indetemlination dans le doma.ine de Ia conscience morale. car Ia conscience mor.s.le
iJ1staure d!ubord un premier type de reactivite comme Ia conscience simplement psychologique, et ensuilc un dcuxieme type de rCactivitC qui vicnt de cc que c.~ modalitCs
de ce retour de c.ausalitC d€pcndent du rCg_ime d" acrion qu · elles contrOient : dans cene
recurrence de l'ittformation. le sujet n'est pas seulement uo erre doue d'une teleologie
interue simple, nulis d'une tC:I<!ologie elle-m8rne sournise a unc au -r~gu ation : Ia
conscience ps ychologique est dCjll regulatricc ; Ia conscience morale est une
conscience re.gularrice soumise a une auto-regulation inte.me; ceue conscieoce doublement regulatrice peut 8trc noulmCe conscience normative. Elle e.st librc parcc
qu'elle abore elle-mCmc son proprc rCgime de regulatio n. Ccue libertC nc peut se e ne peul se trouver que dans l'uuto-creatjou d"un
regime de compatibilite entre des conditions asymetriques comme celles que nous
trouvons a Ia base de I' actio n. Un mecanisme tCICologique peut imiter le fonction·
nement de Ia conscience psycbologique, qui peut erre instantanee ; mais le mecanisme te teologique ne peu1 imiter Ia conscience morale, car il n'a jamuis un
conditionnement double et simultane il faut que I' organique et le technique soient
dej~ presents, prets ~ erre mis en reJation. pour que Ia conscieoce morale puisse
existcr. La conscience valorisarne d6finit done lUI niveau d 'a<:tivite tCICologique qui
ne peut e.tre: ramenC a aucun automatisme. La solution au probiCmc moral ne peut
! tre cherchee par ordinateur." (pp.507-508)
"Certes, les conduites automatiques et stéréotypées surgissent dès que la conscience morale démissionne ; alors, la pensée par espèces et genre remplace le sens des valeurs ; la classification morale caractérise la simple téléologie sociale ou organique, et est d'ordre automatique. C'est ce que l'on peut découvrir en utilisant les stéréotypes nationaux comme moyen pour penser moralement : on arrive au bout de peu de temps à un blocage de la conscience, même psychologique, et on reste au niveau des instincts sociaux positifs ou négatifs, comme la xénophobie, l'assimilation des étrangers à des êtres sales. La même épreuve peut être tentée avec des sentiments de groupe comme ceux des classes sociales. Ce qui peut faire illusion ici est la facile convergence que possèdent les instincts ou les sentiments de groupe, et qui semble leur donner le pouvoir de résoudre des problèmes par un consentement collectif aisément obtenu. Mais en fait, les sentiments purement régulateurs sont beaucoup moins stables que les valeurs élaborés par les individus ; il suffit d'un changement dans les circonstances sociales pour que les stéréotypes se renversent et donnent lieu à une convergence différente ; on pourrait comparer les sentiments sociaux à cette aimantation qu'il est facile de produire dans un métal magnétique au-dessous du point de Curie : il suffit d'un champ un peu intense pour changer l'aimantation rémanente ; au contraire, si les molécules ont été aimantées au-dessus du point de Curie et ont pu s'orienter dans le champ puis se sont refroidies en conservant cette aimantation, il faut un champ démagnétisant bien plus intense pour désaimanter le métal ; c'est qu'il ne s'agit plus seulement d'un phénomène de groupe, mais d'une aimantation et orientation de chaque molécule prise individuellement. Des hommes unis par le sens d'une même valeur ne peuvent être désunis par une simple circonstance organique ou technique ; l'amitié contient un sens des valeurs qui fonde une société sur autre chose que les nécessités vitales d'une communauté. L'amitié nécessite un exercice de la conscience morale, et un sens de la communauté d'une action. La communauté est biologique, tandis que la société est éthique.
Par la même, nous pouvons comprendre que les sociétés ne peuvent exister sans communautés, mais que la réciproque de cette affirmation n'est pas vraie, et qu'il peut exister des communautés sans sociétés ; la distinction que fait Bergson entre société close et société ouverte est sans doute valable, mais la société ouverte correspond à une emprise des individus sur leurs relations mutuelles, tandis que la communauté, forme statutaire de relation, ne nécessite pas la conscience morale pour exister : toute société est ouverte dans la mesure où le seul critère valable y est constitué par l'action, sans qu'il y ait un [terme grec] de nature biologique ou technique pour recruter ou exclure les membres de cette société. Une société dont le sens se perd parce que son action est impossible devient communauté, et par conséquent se ferme, élabore des stéréotypes ; une société est une communauté en expansion, tandis qu'une communauté est une société devenue statique ; les communautés utilisent une pensée qui procède par inclusions et exclusions, genres et espèces ; une société utilise une pensée analogique, au sens véritable du terne, et ne connait pas seulement deux valeurs, mais une infinité continue de degrés de valeur, depuis le néant jusqu'au parfait, sans qu'il y ail opposition des catégories du bien et du mal, et des êtres bons et mauvais ; pour une société, seules les valeurs morales positives existent ; le mal est un pur néant, une absence, et non la marque d'une activité volontaire. Le raisonnement de Socrate [suite de termes grecs], selon lequel nul ne fait le mal volontairement, est remarquablement révélateur de ce qu'est la véritable conscience morale de l'individu et d'une société d'individus ; en effet, comme la conscience morale est auto-normative et auto-constitutive, elle est par essence placée dans l'alternative ou bien de ne pas exister, ou bien de ne pas faire le mal volontairement ; la conscience morale suppose que la relation à autrui est une relation d'individu à individu dans une société.
Au contraire, dans une communauté, les communautés extérieures sont, par par le fait qu'elles sont extérieures, pensées comme mauvaises ; les catégories d'inclusion et d'exclusion sont continues dans leur type implicite, qui est l'intériorité ou l'extériorité par rapport à la communauté ; sur ces catégories primitives d'inclusion et d'exclusion, correspondant à des actions d'assimilation ou de désassimilation, se développent des catégories annexes de pureté et d'impureté, de bonté et de nocivité, racines sociales des notions de bien et de mal. Il y a ici des notions symétriques comme celles que l'individu vivant manifeste dans l'opposition bipolaire de l'assimilable et du dangereux. La bipolarité des valeurs manifeste une communauté ; l'unipolarité des valeurs manifeste une société. Nous devons remarquer ici que l'activité technique n'introduit pas une bipolarité des valeurs au même titre que l'activité biologique ; en effet, pour l'être qui construit, il n'y a pas le bon et le mauvais, mais l'indifférent et le constructif, le neutre et le positif ; la positivité de la valeur se détache sur un fond de neutralité, et de neutralité toute provisoire, toute relative, puisque ce qui n'est pas encore utile peut le devenir selon le geste de l'individu constructeur qui saura l'utiliser ; au contraire, ce qui a reçu un rôle fonctionnel dans le travail ne peut le reperdre, et se trouve par la même pour toujours investi d'un caractère de valeur ; la valeur est irréversible et tout entière positive ; il n'y a pas symétrie entre la valeur et l'absence de valeur." (pp.508-509)
-Gilbert Simondon, "Notes complémentaires sur les conséquences de la notion d'individuation. Chapitre premier: Valeurs et recherche d'objectivité", in L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Éditions Jérôme Millon, collection Krisis, 2005, 571 pages, pp.503-509.
", malgre le.~ apparences. une civilisalion du rendement. en ctepit des apparentes
libertCs civiqucs qu'elle laisse aux individus, est extrCmcment contraignante pour eux
et emp&he leltt' developpement, puree qu'elle asservit simulmnement l'homme et <~
machine; e lle rCalis:e ~ travers: Ia machine une intCgmtion communaulaire cont:rai ..
guame. Ce n'est pas contre Ia machine que l'homme. sou.s I' empire d'une-preoccupation humaniste, doit se rCvoller : l'homme n'cst asservi ~ Ia machine q ue quand Ia
machine elle .. mCme est dCja asserv ie par Ia communaut:C. Et com me il existe une co he.
sion interne d u monde d es objets tec.h niques, l'humanisme do il vise r a li b€rer ce
monde des o bjets techn.iques qui som nppeles i'1 devenir rnediateurs de lu 1-elation de
l'homme au mondc. L'humanismc n'a guhc pu incorporer '~t ce j our Ia relation
de l' humanite au mondc; cette volonh! qui le de finit, de ramener a I'Ctre humain lo ut
ce que les d iverses voics d'a ~nation lui ont an·ache en le dCcentrant, restera impuissantc ta.nt qu'e11e n'aura pas compri.s que Ia relation de J' homme au monde c t de l'in·
di vidu a Ia communaute passe par Ia machine. L'humanisrne ancien est restC abstrait
parcc qu'il ne dCfinissaiLla poss io n de soi que pour lc citoycn. ct non pour l'csclave: l'humanisme mode.rne reste u ne doctrine abstraite quand e.llc croir sauver
l'homme de toute ali6nation en luuanl con1re Ia machine« q ui deshuman.ise ». Elle
luue contre Ia conununautC en croyant lurter comrc Ia machine. mais d ie nc pcut arrive r a am:un rCsulta t valable parce quclle accuse Ia machine de ce dont e llc n' cst pas
responsable. Se deployant en pleine mythologie, cette doctrine se prive de l'auxiliaire
le p lus fort et le plus stable, qui donne ra il a l' humanismc une dimension, unc significatio n e1 une o uverture qu'aucuoe critique negative ne lui offrirajoml.ais. Seton Ia voie
de recherche qui est presentee ici. il devient possible de rechet'Cher un sens des valettrs
autremcnt que dans rint6rioritC limi1Ce de l'&trc ind ivid uel rcpliC sur lui-mCmc e t
niant les dCsirs. teodaoces ou inslincls qui J' invilent a s'exprimer ou a agir hors de ses
li nti tes~ sans se condarnner pour ccla tt anC.anlir l' individu dcvant Ia communautC.
comme le fait Ia d iscipli ne sodologiquc. Enrre Ia communaute c t l'individu iso JC sur
lu i-meme, il y a Ia machine. e t cette machine est ouve rte sur le monde. Elle va au-dena
de Ia r6alit6 communauraire pour iustituer Ia relntioo uvec Ia Nan.~re." (p.527)
-Gilbert Simondon, "Notes complémentaires sur les conséquences de la notion d'individuation. Chapitre ll : Individuation et invention", in L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Éditions Jérôme Millon, collection Krisis, 2005, 571 pages, pp.511-527..
"Matérialisme", "vitalisme" et "eudémonisme", n'apparaisse jamais dans la thèse ; 'bonheur" et "politique" une seule fois et sans grand intérêt. Éthique 28 fois, valeur 179 fois.