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    Dominique Lejeune, Les causes de la Première Guerre mondiale

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Dominique Lejeune, Les causes de la Première Guerre mondiale Empty Dominique Lejeune, Les causes de la Première Guerre mondiale

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 16 Aoû - 14:23

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Lejeune

    "La très grande raréfaction des territoires considérés con par les Européens comme res nullius, “vacants"-(voir carte p. 27), a provoqué une aggravation des rivalités onde la phase ultime de la « course au clocher ». Elle est aussi à l’origine de la conquête de zones d’influence économique dans les grands États qui apparaissent, comme l’Empire turc ou la Chine, impossibles à coloniser de manière classique.

    En l'occurrence, au départ est l’individu ou la société ; mais l’État s’est mis à accorder son appui aux groupements d’intérêts économiques, protégeant des ressortissants ou des biens, obtenant des traités de commerce ou des contrats de concession, autorisant des emprunts et contrôlant des remboursements, ce qui, bien sûr, facilite les placements de capitaux. Cet appui est spontané parfois, sollicité où même imposé dans d’autres cas. Les investissements hors des frontières nationales sont très importants, les Britanniques possèdent des valeurs minières en Chine (charbon), en Bolivie (étain), le nom de Royal Dutch Shell signifie que Britanniques et Néerlandais contrôlent ensemble le pétrole des Indes néerlandaises (Indonésie). Si la colonisation classique se stabilise parce que les territoires vacants se font rares, le monde s’installe dans une forme d’impérialisme économique. Celle-ci, qui se soucie peu des limites usuelles entre colonisation et politique étrangère, a désormais une grande importance et est mue par des groupes de pression. Les conséquences globales sont capitales : les rivalités avec les pays étrangers peuvent en être directement issues, car on passe facilement du heurt entre intérêts privés au conflit entre États.

    Les contemporains voyaient-ils ces facteurs économiques et coloniaux comme causes de guerre possible ? IIs sentaient bien entendu que la prospérité économique était hypothéquée par le risque de guerre générale ; ils voyaient des rivalités, et notamment la rivalité anglo-allemande, sensible pour tous les peuples européens ainsi que pour le peuple américain, mais nombreux étaient ceux affirmant que la solidarité économique et financière impliquait la paix ou, pour être plus précis, que la « modernité » de la situation économique était gage de disparition de la guerre. D'ailleurs, la réalité historique depuis 1870, c’est-à-dire l’absence de grand conflit sur le sol européen, pouvait passer pour une véritable preuve, d’autant plus que la conjoncture économique s’était retournée en 1896, repassant à l’expansion (phase « A »). Enfin, des publicistes condamnaient pour des raisons économiques le principe même de la guerre, par essence gaspillage et par voie de modernisme absurdité : tous commerçant avec tous, si deux pays rivaux se font la guerre, le vainqueur élimine du même coup un client de son propre commerce extérieur et il se condamne à le relever s’il ne veut pas obérer sa propre économie ! Un tel raisonnement s'appliquait avant tout à la Grande-Bretagne et à l’ Allemagne." (pp.28-29)

    "La Grande-Bretagne souffre, dans son commerce extérieur, de l'adoption quasi généralisée de tarifs protecteurs à l'importation. La plupart des pays élèvent leurs droits de douane à la fin du xix* siècle et le Royaume-Uni demeure la seule grande puissance industrielle libre-échangiste, ce qui l’empêche de lutter efficacement, en particulier contre la concurrence allemande. En effet, grâce à la capacité d’initiative de ses voyageurs de commerce (abondamment représentés dans les caricatures des journaux satiriques britanniques, mais réellement efficaces), qui cherchent à connaître les besoins nouveaux de la clientèle et à satisfaire ses goûts, et grâce aux facilités de paiement que les exportateurs accordent aux acheteurs, en raison de la pratique du dumping (vendre moins cher à l’extérieur que sur le marché intérieur), le commerce allemand est en train de prendre le pas sur le concurrent britannique aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, en Russie. L’Allemagne progresse aussi en France, en Espagne, en Turquie et en Amérique latine.

    Dans l’Empire ottoman, les Allemands ont, comme les Autrichiens dans le Sud-Est européen, tenté le Drang nach Osten, et la construction par eux du chemin de fer de Badgad (BBB : Berlin-Byzance-Bagdad) menace les intérêts anglais traditionnels. L’invasion du marché britannique lui-même a été dénoncée par Joseph Chamberlain, qui se battit en vain pour imposer des tarifs protecteurs (Fair Trade, contre la tradition de Free Trade), Chamberlain étant soutenu par l’économiste W. A. Williams, dans un livre à succès intitulé Made in Germany.
    Le made in Germany tend à évincer le made in England, résultat du plus grand dynamisme d’une industrie allemande plus récente, à l’appareil de production plus concentré et plus compétitif. D’où l’appréhension des industriels britanniques, surtout les métallurgistes, les plus menacés. Mais d’autres auraient pu davantage s’inquiéter : chimie, constructions mécaniques et électriques progressent très vite en Allemagne, la Première Guerre mondiale le démontrera.

    D'autre part, la Grande-Bretagne craint les armements navals allemands, qui, suite au mot d'ordre impérial « l'avenir de l’Allemagne est sur l’eau » (ou « sur les mers », 1896) et au programme de von Tirpitz en 1897-1898, lancent les deux pays dans une grave course aux armements [...] Les Anglais ont depuis longtemps pour priorité l’opposition au principal pays continental du moment. Ils veulent aussi la puissance de la Home Fleet, qui doit équilibrer les autres flottes européennes : two power standard (la flotte britannique doit égaler les deux flottes européennes qui suivent, additionnées). Ils revendiquent enfin le contrôle des points de passage obligés entre Londres et Bombay. La question navale avait repris de l’acuité avec la lecture assidue et approbative des conférences, articles et livres de l’amiral américain Alfred Mahan [...] D’une manière générale, la marine de guerre connaît un regain d’intérêt chez nombre de puissances qui, attentives à la notion de Sea Power, créent des postes d’attachés navals à l’étranger et renforcent leurs flottes. Mais les Britanniques auraient pu continuer à hésiter entre les deux rapprochements possibles : avec la France ou avec l’Allemagne [...] L’échec d’une alliance anglo-allemande est d’autant plus inquiétant que la flotte constitue pour la Grande-Bretagne son unique force militaire véritable, dont la grandeur est célébrée avec faste en 1905 pour le centenaire de Trafalgar. L’opinion publique est abreuvée d’articles et d’images qui présentent l’ Allemagne construisant sa flotte de guerre dans l’optique d’une attaque de l’Angleterre. On cherche à la faire vibrer pour une rivalité qui concerne aussi les paquebots, de plus en plus gigantesques et aux noms de baptême significatifs : le Titanic a son pendant, le Vaterland. C’est d’ailleurs le risque d’une hégémonie continentale allemande qui incitera la Grande-Bretagne à entrer en 1914 dans le conflit qui s’enclenche. Il est probable qu’elle s’y est décidée vingt-quatre heures avant la violation de la neutralité belge [...] Mais il est sûr que l’opinion publique resta pondérée dans ses réactions, à la mesure du caractère longtemps relatif de la course aux armements navals, tout au moins jusqu’en 1905." (pp.29-30)

    "La question du rôle du capitalisme financier comme facteur de guerre avant 1914 est très discutée et les deux thèses antagonistes persistent." (pp.36-37)

    "L’occasion de « régler les comptes » avec la Serbie, « le grief permettant de procéder à une exécution militaire », comme l'écrit avec sagacité, dès le 28 juin, l’ambassadeur de France dans une lettre à Viviani, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères. C’était repousser les deux solutions fédéraliste et « trialiste » pour en choisir une troisième, celle de l’élimination du danger serbe. Pour le chef d’état-major général Conrad von Hôtzendorff et le ministre des Affaires étrangères Berchtold, en outre président du Conseil d'Autriche, c’était un bon moyen de mater la Serbie, en la rendant responsable de l’attentat. L’idée d’entrée en guerre contre celle-ci était d’ailleurs un leitmotiv chez Conrad von Hôtzendorff, et l’on parla dans les milieux militaires d'expédition punitive (Strafexpedition). À vrai dire, l’Autriche ne possédait ni preuve ni présomption d’une « complicité active » des milieux officiels serbes dans la préparation de l’attentat. Ce fut seulement après 1919 que fut révélé le rôle d’une société secrète serbe, la « Main noire ». En 1914, l’Autriche était seulement en mesure de faire état de la propagande de la Serbie et des réactions favorables à l’attentat enregistrées dans sa presse.

    La fin ultime — se débarrasser à la fois des virtualités d’évolution interne dans un sens libéral, du danger des minorités nationales, des dangers révolutionnaires viennois et de l’adversaire méridional susceptible de rassembler derrière lui les Slaves du Sud, dont une bonne partie étaient sujets de l’Empire — justifia de passer outre et de se déterminer à une action énergique et immédiate. Mais la double monarchie est le principal cas, avec la Grande-Bretagne, de grande puissance où les « décideurs » sont divisés, car les préoccupations internes sont suffisamment intenses pour inciter à la modération extérieure. Le gouvernement de Vienne a été partagé, il a pesé les risques, d’où d’ailleurs le long délai entre l’attentat et l’ultimatum. La guerre localisée était certaine, la guerre sur le continent européen était du domaine du très possible, mais l’enjeu « yougoslave » était capital : la double monarchie pouvait-elle demeurer un « spectateur passif » ? Dès les premiers jours de juillet, le gouvernement autrichien était, dans sa majorité, décidé à écraser la Serbie. Le raisonnement final a été vraisemblablement que, de toute façon, le danger « yougoslave » menait à l’éclatement révolutionnaire de l'Empire. Entre la révolution et la guerre, Vienne avait choisi cette dernière, la question posée lors de la crise de 1914 étant absolument vitale pour elle, et elle est d’ailleurs le seul pays européen dans ce cas. Pour l’Autriche, le problème immédiat était l’impossibilité de s’aventurer sans le soutien du gouvernement allemand." (pp.90-91)

    "Guillaume II ne s’était vraisemblabiement pas pardonné de ne pas avoir soutenu à fond l’Autriche lors de la deuxième guerre des Balkans. Lorsque éclate la crise de l’été 1914, il paraît plus résolu à un soutien. L’Allemagne ne souhaitait pas transformer l'incident local de Sarajevo en conflit généralisé, mais elle en prit le su + ma. encourageant son alliée, ne formulant ni réserves ni conditions et s’irritant, semble-t-il, des lenteurs autrichiennes.

    Cette garantie essentielle fut donnée, secrètement, les 2 et 5 juillet. Le 2 juillet, l'ambassadeur d’Allemagne à Vienne déclara à l’empereur François-Joseph que « l’empereur d’Allemagne se [tiendrait] derrière toute résolution ferme de l’Autriche ». Le 5 juillet, au cours d’une entrevue à Berlin entre Alexandre Hoyos, chef de cabinet de Berchtold, et Guillaume II, ce dernier jugea le moment « favorable » à une action de guerre contre la Serbie. Jouait une autre raison, avancée par les militaires : à court terme, les effectifs et le matériel de l’armée de terre allemande disposent d’une supériorité ; pourquoi ne pas en profiter, d’autant qu’elle n’est sans doute que provisoire, à cause de la loi française des trois ans ? Certes, mais pour l’heure (5 et 6 juillet) l’ Allemagne pensait encore pouvoir localiser le conflit. C’est pour cette raison que Pierre Renouvin, représentatif du courant pour lequel la responsabilité allemande n’est pas totale, mais majeure, écrit : « La ferme décision prise par l’Allemagne de renflouer, même au prix d’un conflit européen, l'Autriche-Hongrie, menacée de dislocation par le mouvement des nationalités, voilà sans doute l'explication essentielle de la guerre de 1914-1918."
    Et d'autres historiens parleront de « chèque en blanc », « pouvoir en blanc », de « carte blanche ».

    Dans l’entre-deux-guerres, la thèse allemande s’établira que l’Allemagne avait le devoir d’écarter de son alliée le danger que représentait pour elle la Serbie. Des historiens de grande envergure y ont donné leur appui, distinguant soigneusement entre gouvernement et pangermanistes, présentés comme très minoritaires. Il n’est pas douteux que la propagande faite autour de ces problèmes n’a pas peu contribué au réveil du nationalisme allemand à l’époque de la république de Weimar et finalement à l’avènement du nazisme.

    La Seconde Guerre mondiale n’a pas sensiblement modifié les interprétations des historiens allemands, du moins à l’Ouest, jusqu’à F. Fischer, qui montrera que le gouvernement allemand n’a rien fait pour empêcher la guerre quand la menace en est apparue, que le « chèque en blanc » donné à l'Autriche signifiait son acceptation du risque de guerre européenne : L’Allemagne, confiante dans sa supériorité militaire, ayant voulu, souhaité et appuyé la guerre austro-serbe, prit sciemment le risque d’un conflit miliaire avec la Russie et la France. Le gouvernement portait ainsi la responsabilité historique de la guerre mondiale. »

    Les résultats des travaux des historiens d’Allemagne de l’Est viennent renforcer les thèses de Fischer. Mais toute interprétation imputant à Bethmann-Hollweg « une volonté délibérée d’agression demeure privée de preuves tangibles » (J. Droz). On ne peut pas sérieusement s’appuyer, comme le fit pour l’essentiel F. Fischer, sur le mémorandum annexionniste du 9 septembre 1914, écrit par le chancelier dans l’euphorie du grand succès (encore incomplet) de l’offensive contre la Belgique et la France, pour l’interpréter de manière rétroactive. Au total, le chancelier apparaît sans réelle volonté de puissance et de destruction, et la politique allemande montre pendant l’été 1914 une notable surestimation des bénéfices possibles et une dangereuse sous-estimation des risques encourus." (pp.91-92)
    -Dominique Lejeune, Les causes de la Première Guerre mondiale, Armand Colin Éditeur, Paris, 1992, 126 pages.

    "DISCOURS DE JOUHAUX AUX OBSÈQUES DE JAURÈS (4 AOÛT 1914, EXTRAITS) OU LE RALLIEMENT À LA GUERRE DU DROIT  « Que dire à l’heure où s’ouvre cette tombe avant des milliers d’autres tombes ? [...] Ami Jaurès, tu pars, toi l’apôtre de la paix, de l’entente internationale, à l’heure où commence, devant le monde atterré, la plus terrible des épopées guerrières qui ait jamais ensanglanté l’Europe. Victimes de ton ardent amour de l’humanité, tes yeux ne verront pas la rouge lueur des incendies, le hideux amas de cadavres que des balles coucheront sur le sol. [...]

    Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller vers le grand massacre, au nom des travailleurs qui sont partis, au nom de ceux qui vont partir et dont je suis, je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme sauvage qui déchaînent l’horrible crime.

    Cette guerre, nous ne l’avons pas voulue. Ceux qui l’ont déchaînée, despotes aux visées sanguinaires, aux rêves d’hégémonie criminelle, devront en payer le châtiment [...] Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire. Nous ne voulons pas que sombrent les quelques libertés si péniblement arrachées aux forces mauvaises. Notre volonté fut toujours d’agrandir les droits populaires, d’élargir le champ des libertés. C’est en harmonie de cette volonté que nous répondons “présent” à l’ordre de mobilisation. Jamais nous ne ferons de guerre de conquête.

    La classe ouvrière, le cœur meurtri, se soulève d’horreur devant le lâche attentat qui frappe le pays. Elle se souvient, cette classe ouvrière, qui s’est toujours nourrie des traditions révolutionnaires des soldats de l’An II allant porter au monde la liberté, que ce n’est pas la haine d’un peuple qui doit armer son bras, que son courroux, elle ne doit pas le diriger contre la nation victime de ses despotes et de ses mauvais bergers.

    Empereurs d'Allemagne et d’Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui, par haine de la démocratie, avez voulu la guerre, nous prenons l’engagement de sonner le glas de votre règne.

    Nous serons les soldats de la liberté pour conquérir aux opprimés un régime de liberté, pour créer l’harmonie entre les peuples par la libre entente entre les nations, par l’alliance entre les peuples. Cet idéal nous donnera la possibilité de vaincre. [...]

    Non, camarades, notre idéal de réconciliation humaine et de recherche du bonheur social ne sombre pas. Arrêté un moment dans sa marche, il prépare quand même, pour demain, de meilleures conditions de son développement à travers le monde.

    C’est l’ombre du grand Jaurès qui nous l’atteste. »

    (Source : « À Jean Jaurès. Discours prononcé aux obsèques de Jean Jaurès. », texte publié dans la presse dès 1914 et en une plaquette de 16 p.)




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


      La date/heure actuelle est Sam 23 Nov - 2:44