"Le 11 mars 1939, six mois après avoir absorbé le pays sudète, Hitler s’arrangea pour que le parti séparatiste de la moitié slovaque qui restait du territoire annonce sa sécession. Lorsque le nouveau président tchèque, Hacha, se rendit à Berlin pour protester, il fut physiquement contraint de demander l’établissement d’un protectorat allemand pour l’ensemble de la Tchécoslovaquie. Le lendemain, 16 mars, les troupes allemandes envahirent le pays juste à temps pour former une garde d’honneur destinée à protéger Hitler qui entrait à Prague sur leurs talons.
Le viol de la Tchécoslovaquie poussa les démocraties à l’action. Le gouvernement français décida qu’il fallait mettre un terme à toute nouvelle entreprise du Führer. Le 17 mars, Chamberlain déclara publiquement que l’Angleterre s’opposerait « de toutes ses forces » à toute attaque contre les petits Etats. C’était une mise en garde : Hitler ne la prit pas au sérieux. Depuis janvier, il menaçait la Pologne qui possédait une large bande de territoire ayant appartenu à l’Allemagne avant 1918, en particulier le « couloir » qui séparait la Prusse orientale, et la ville germanophone de Dantzig, du cœur de l’Allemagne. Les Polonais résistèrent farouchement à ses avertissements et ils s’obstinèrent, même après qu’il eut occupé le port de Memel – territoire de la Société des Nations, et ancienne possession allemande avant 1918 situé sur la frontière polonaise. Ils étaient soutenus par la pensée que l’Angleterre et la France se préparaient à étendre leur protection à la Pologne. C’est ce que celles-ci confirmèrent le 31 mars, huit jours après avoir annoncé publiquement qu’elles défendraient la Belgique, la Hollande ou la Suisse contre toute agression. Deux semaines plus tard, le 13 avril, pour témoigner du durcissement de leur attitude, elles donnèrent des garanties semblables à la Roumanie et à la Grèce, après l’annexion de l’Albanie par Mussolini, digne émule de Hitler.
La Pologne constituait alors le foyer de la crise grandissante que la France et l’Angleterre espéraient résoudre au mieux en engageant l’Union soviétique dans une alliance de protection malgré la méfiance qu’elle et son système leur inspiraient. Ce projet aurait pu aboutir, mais les Polonais refusèrent énergiquement d’envisager l’entrée de l’Armée rouge sur leur territoire. Ils soupçonnaient les Russes de vouloir annexer une partie de leur pays et d’envisager le maintien de leur occupation en récompense de leur intervention. La France et l’Angleterre ne pouvaient offrir à Staline aucune compensation suffisante pour l’inciter à leur prêter main-forte dans l’hypothèse d’une crise. Les négociations entre l’URSS et les démocraties traînèrent en longueur pendant tout l’été de 1939.
Hitler, en revanche, avait de quoi l’appâter. Au cours du printemps et de l’hiver, il avait également négocié avec Staline. Il savait que celui-ci ne tenait pas à se risquer dans une guerre, même pour un enjeu aussi important que la Pologne. Les discussions semblaient devoir s’éterniser indéfiniment étant donné qu’aucun des deux pays ne voulait dévoiler ses batteries. Puis, à la fin de juillet, Hitler laissa entendre que Staline pourrait occuper une partie de la Pologne orientale s’il s’abstenait d’intervenir en cas d’invasion allemande du pays par l’ouest. Les Russes se montrèrent intéressés et, le 23 août, les deux ministres des Affaires étrangères, Molotov et Ribbentrop, se rencontrèrent à Moscou où ils signèrent un pacte de non-agression. Les clauses secrètes de ce traité stipulaient que, en cas de guerre germano-polonaise, l’URSS pourrait annexer la Pologne orientale jusqu’à la Vistule et les Etats baltes : la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie.
La Pologne était condamnée. Le 15 juin 1939, l’état-major allemand (OKH1) avait établi son plan d’attaque. Deux groupes d’armée, Nord et Sud, devaient déployer ensemble quelque soixante-deux divisions dont six blindées et dix motorisées appuyées par mille trois cents avions de combat pour attaquer simultanément leur objectif : Varsovie. Comme la Pologne septentrionale était dominée par la province allemande de Prusse orientale tandis que sa frontière sud jouxtait la Tchécoslovaquie devenue depuis l’année précédente une extension de l’Allemagne (en tant que protectorat de Bohême-Moravie) et l’Etat fantoche de Slovaquie, elle se trouvait débordée sur toute la longueur de ses deux frontières les plus vulnérables. Sa zone fortifiée, située à l’ouest, couvrait le secteur industriel de basse Silésie et elle n’avait pas eu le temps de construire de nouvelles fortifications après l’annexion de la Tchécoslovaquie. Le gouvernement polonais tenait naturellement à protéger la région la plus riche et la plus peuplée du pays. Il ignorait l’existence du pacte Molotov-Ribbentrop et, par conséquent, la menace russe qui pesait sur son armée de l’Est. Il comptait sur les Français assistés des Anglais pour attaquer la frontière occidentale de l’Allemagne afin de dissuader les divisions allemandes de pousser vers l’Est au moment où la Wehrmacht se mettrait en marche.
Hitler raisonnait autrement. Il croyait que les Français n’interviendraient pas sur la frontière ouest où il ne laissa que quarante-quatre divisions – contre cent pour l’armée française – et que les Anglais n’auraient pas le temps de gêner l’Allemagne pendant la campagne éclair qu’il comptait mener contre la Pologne. Son pays avait l’avantage d’être mobilisé alors que la France et l’Angleterre ne l’étaient pas. Il possédait en outre une armée infiniment supérieure à celle des Polonais tant en nombre qu’en matériel. Bien qu’elle eût commencé à mobiliser en juillet en voyant l’horizon s’assombrir, la Pologne n’avait pas encore déployé tous ses hommes le 1er septembre. Elle possédait en tout quarante divisions dont aucune n’était blindée et un nombre de vieux chars légers tout juste suffisant pour équiper une seule brigade. Sa flotte aérienne se composait de 935 appareils dont la moitié était à peu près hors d’usage.
La campagne de Pologne.
Cependant, Hitler avait besoin d’un prétexte pour attaquer. Le 25 août, en apprenant que l’Angleterre avait formellement ratifié ses engagements vis-à-vis de la Pologne, il hésita un moment et une série de pourparlers diplomatiques s’ensuivit. Néanmoins, le 28 août, il abrogea officiellement le pacte de non-agression signé en 1934 avec la Pologne (qui possédait alors une armée beaucoup plus nombreuse que la Wehrmacht). Dans la soirée du 31 août, il apprit que les Polonais avaient lancé une attaque – soigneusement mise en scène par les SS2 – près de la ville frontière de Gleiwitz. Le lendemain matin, à 4 h 45, ses blindés commençaient à passer la frontière.
Dans la soirée du 1er septembre, l’aviation polonaise était pratiquement anéantie. La plupart de ses appareils avaient été détruits au sol par la Luftwaffe. Toutes les forces terrestres de la Wehrmacht progressèrent rapidement. Le 3 septembre, jour où expirait l’ultimatum franco-anglais exigeant le retrait des troupes allemandes faute de quoi les Alliés se considéreraient en état de guerre avec l’Allemagne, la IVe armée, en provenance de Poméranie, fit sa jonction avec la IIIe qui venait de Prusse orientale et coupait le couloir qui donnait accès à Dantzig et Gdynia, débouchés de la Pologne vers la mer. Le 7 septembre, après l’échec d’une tentative des Polonais pour se maintenir sur la Warta, à l’ouest de Varsovie, la Xe armée, partie du sud, prenait position à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. En même temps, la IIIe armée descendant du nord, s’installait sur la Narew, à quarante kilomètres de là. Les Allemands avaient dû modifier leurs plans. Ils avaient prévu que la majeure partie de l’armée polonaise serait encerclée à l’ouest de la Vistule où se situe Varsovie. Cependant, de nombreux soldats réussirent à traverser le fleuve et à se regrouper pour se diriger vers la capitale et livrer bataille. En conséquence, l’état-major allemand ordonna un second mouvement d’enveloppement plus large concentré sur la rive du Bug à cent cinquante kilomètres à l’est de Varsovie. Pendant que l’opération était en cours, l’unique crise de la guerre se produisit. L’armée polonaise de Poznan, l’une de celles qui se trouvaient prises au piège à l’ouest de la Vistule, fit demi-tour et attaqua les VIIIe et Xe armées allemandes par l’arrière, infligeant de lourdes pertes à la 30e division au premier assaut. Les Allemands ripostèrent par une terrible bataille d’encerclement qui se termina le 19 septembre par la capture de 100 000 soldats. Varsovie était assiégée depuis le 17 septembre. Pour réduire par la terreur la résistance de sa garnison, les Allemands bombardèrent la ville sans relâche jusqu’au 27, date de sa capitulation.
Tout espoir d’évasion vers l’est avait été anéanti par l’intervention de l’Armée rouge qui, à la suite des appels à l’aide lancés par les Allemands les 3 et 10 septembre, se décida, le 17 septembre, à déplacer ses fronts de Russie Blanche et de Lituanie au-delà de la frontière. Environ 217 000 Polonais sur les 910 000 faits prisonniers au cours de la campagne tombèrent entre les mains des Russes.
Le 6 octobre, toute résistance polonaise avait cessé. Environ 100 000 Polonais s’enfuirent en Lituanie, en Hongrie ou en Roumanie d’où ils prirent le chemin de la France et, plus tard, de l’Angleterre, pour former les forces armées polonaises en exil et poursuivre la lutte – dans l’infanterie pendant la bataille de France, dans l’aviation pendant la bataille d’Angleterre et, par la suite, sur d’autres fronts jusqu’au dernier jour de la guerre.
Après la campagne, la Wehrmacht dirigea ses divisions victorieuses – qui avaient perdu 13 981 hommes – vers la ligne Siegfried pour qu’elles se préparent à entrer en campagne contre les Franco-Britanniques. En réalité, à part un léger déploiement d’activité sur la Sarre, entre le 8 septembre et le 1er octobre, les troupes alliées n’avaient tenté aucune diversion. L’invasion de la Pologne n’avait produit d’effet qu’à l’est où la Russie se hâta d’invoquer les clauses du pacte germano-soviétique pour installer ses troupes en Lituanie, en Lettonie et en Estonie. Cette manœuvre s’achèvera avec l’annexion de ces trois pays par l’Union soviétique en juin 1940."
"En décembre, après une série d’opérations soviétiques qui, selon les termes de Mannerheim, « ressemblaient à un concert dirigé par un mauvais chef d’orchestre », les Finlandais contre-attaquèrent à partir de l’isthme de Carélie. Malheureusement pour eux, les Russes commençaient à comprendre qu’ils les avaient sous-estimés et, en janvier 1940, ils lancèrent dans la bataille des forces assez nombreuses pour les dominer. En février, ils percèrent la ligne Mannerheim, infligeant au petit peuple finlandais des pertes insupportables. Le 6 mars, le gouvernement finlandais entama des pourparlers de paix et, le 12, il signa un traité aux termes duquel il cédait à toutes les exigences que l’URSS avait formulées en octobre. La Finlande avait perdu 25 000 hommes depuis le début de la guerre et l’Armée rouge 200 000 qui, pour la plupart, étaient sans doute morts de froid pendant qu’ils étaient coupés de leurs bases. L’expérience de la guerre d’hiver, qui devait reprendre après juin 1941, conditionna la politique soigneusement modulée de l’Union soviétique à l’égard de la Finlande.
L’attitude de la Finlande avait inspiré tous les ennemis de l’Axe. L’Angleterre et la France avaient même envisagé de venir en aide à la petite armée finlandaise. Certaines unités des deux pays étaient déjà désignées pour lui prêter main-forte. Heureusement pour l’avenir des relations entre l’URSS et les puissances occidentales, la Finlande avait demandé la paix avant l’arrivée des renforts prévus."
"Pendant l’automne et l’hiver 1939, l’amiral Raeder qui voulait absolument acquérir des bases norvégiennes d’où il pourrait opérer contre la Royal Navy, pressa Hitler de devancer les Alliés en autorisant une intervention en Norvège. Occupé par les préparatifs de l’attaque imminente à l’Ouest, Hitler refusa de se laisser distraire par d’autres intérêts. [...]
Le 7 avril, les navires transporteurs se mettaient en route.
Le Danemark, qui ne s’était pas douté des intentions hostiles de l’Allemagne à son égard, capitula le 9 avril, jour même du débarquement, sous la menace d’un bombardement aérien de Copenhague. Les Norvégiens furent eux aussi pris par surprise, mais ils décidèrent de se battre. Les vieux canons de la forteresse d’Oslo coulèrent le croiseur Blücher et tinrent les envahisseurs en respect assez longtemps pour protéger la fuite du gouvernement et de la famille royale qui purent gagner l’Angleterre. Les survivants de la petite armée norvégienne se regroupèrent le mieux possible pour s’opposer à l’avance des Allemands vers les villes centrales d’Andalsnes, Trondheim et Namsos et empêcher leur débarquement à Narvik. Ils reçurent les renforts de contingents britanniques et français qui s’étaient préparés à intervenir en Finlande. Entre le 18 et le 23 avril, 12 000 soldats alliés débarquèrent au nord et au sud de Trondheim en vue d’arrêter les Allemands qui avançaient le long des grandes vallées du Gudbrandsdal et de l’Osterdal. Le 23 avril, ils furent forcés de se retirer d’Andalsnes et rejetés sur la mer. Les troupes allemandes firent alors leur jonction avec leurs unités débarquées à Trondheim et, le 3 mai, elles contraignaient à l’évacuation tous les soldats franco-britanniques.
Au nord, le sort leur fut contraire. La flotte allemande subit deux graves défaites à Narvik les 10 et 13 avril. Dix des destroyers qui transportaient les troupes de montagne de Dietl furent coulés dans les fjords et, en même temps, une grande partie de celles-ci furent détruites."
"Pendant toute la deuxième année de sa campagne de Russie, Hitler est absorbé par un problème stratégique séparé : la guerre contre les Etats-Unis. Le 11 décembre 1941, à 2 heures de l’après-midi, quatre jours après l’attaque japonaise de la flotte américaine du Pacifique à Pearl Harbor, Ribbentrop lut au chargé d’affaires américain le texte d’une déclaration de guerre aux Etats-Unis. C’était un événement que Ribbentrop s’était efforcé d’éviter. D’ailleurs, pendant la période de neutralité américaine, Hitler lui-même avait reculé devant tout incident qui risquerait de provoquer l’entrée en guerre des Etats-Unis. Or, le Japon ayant jeté les dés, il se hâta de suivre le mouvement. Ribbentrop lui fit valoir, en vain, que les termes du pacte tripartite n’engageaient l’Allemagne à prêter assistance au Japon qu’en cas d’agression contre lui. En apprenant les événements de Pearl Harbor Hitler se dépêcha de communiquer la nouvelle à Keitel et à Jodl. « A présent, nous né pouvons pas perdre la guerre, exulta-t-il : nous avons un allié qui n’a jamais été vaincu en trois mille ans d’existence. » (Pendant ce temps, Churchill formulait la même conclusion mais en sens inverse : « Ainsi, nous avons fini par gagner. »)."
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-John Keegan, La deuxième guerre mondiale,