https://fr.wikipedia.org/wiki/Hourya_Bentouhami
https://www.academia.edu/47312181/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie_politique_du_voile
"L’idée principale sous-jacente à une phénoménologie politique du racisme est qu’il n’y a pas de perception visible qui ne soit déjà une construction sociale et politique."
"Le voile fait office d’objet phobogène."
"Qu’est-ce que percevoir, et plus encore, percevoir un visage, un corps de femme voilée ? En quoi le voile opère-t-il comme un marqueur de répudiation sociale au sein d’une société qui a érigé la laïcité comme sa forme d’enrégimentement de l’ordre social des apparitions ? Qui peut apparaître ? À quelles conditions et sous quelles modalités ?"
"Cette visibilité demanderait une réglementation en termes de degré, une sorte de mesure de l’intensité de la visibilité : qui irait de la discrétion à l’ostentation qui correspondrait à autant de degrés moraux de gage ou de désaveu républicain, allant de la foi secrète, quiétiste, à la foi prosélyte qui inviterait à la conversion. Est notamment prégnante cette idée que, à la vue ordinaire d’un voile, certains se sentiraient menacés par ce fichu qui les « agresse ». C’est pourquoi Électricité de France par exemple suggère à ses employées voilées d’adopter un « petit foulard de couleur » plutôt qu’un « grand foulard gris »."
"Pour saisir cette volonté de gouverner la visibilité de l’Islam, il faut partir des questions suivantes : qu’est-ce que cela fait de voir un voile pour celles et ceux qui sont étrangers au champ de significations et d’adhésion de ce fichu vestimentaire que l’on a tendance à surinvestir religieusement ? Les émotions relatées sont souvent la peur, le dégoût, l’incompréhension, la réprobation morale, les autres symptômes physiologiques affectant les capacités organiques sont : l’incapacité même de respirer, les troubles de l’appétit. Certains enseignants ont pu dire qu’ils se sentaient agressés par la vue d’un voile en cours. Il y a cette idée aussi que l’islam est une culture étrangère, que c’est une religion immigrée (et pas simplement d’immigrés), et que le voile est à ce titre un marqueur allogène, non national qui ne peut donc qu’être exclu de la visibilité publique, et de la possibilité de représenter les valeurs de la France. La raison est que le voile serait un stigmate par lequel on se dénonce comme soumise, arriérée, inculte, inapte à la pensée, et aux soins des autres."
"L’image que l’on a de vous et les contenus fantasmatiques autour du voile vous précèdent et saturent le champ de votre perception au point que vous n’êtes plus capable de venir au monde sous la forme de l’oblique, de la non-correspondance aux attentes sociales." => contredit le sociologisme initial de l'auteur
"Ce que fournit la laïcité comme discours politique, c’est un script des sentiments, c’est-à-dire un langage et une prescription de ce que l’on doit ressentir à la vue d’un voile, et qui nourrit, ou du moins légitime en retour, des formes de violence ordinaire envers les femmes voilées, comme cette femme qui s’est vu arracher son voile par une femme blanche hilare en plein coeur d’un centre commercial très fréquenté."
"On doit à Joan Scott cette idée que la laïcité à la française est supportée par une théorie des apparences qui relève amplement du fantasme des signes sociaux et de l’érotisation liée à la différence des sexes, comme parangon d’un esprit à la française, si bien que toute personne dérogeant à cette séduction possible montrerait ainsi son hostilité à toute appartenance à ce qui fait la nature française, son côté licencieux qui irait de la galanterie aristocratique jusqu’à la révolution sexuelle de Mai 1968.
Le voile nierait la possibilité de la rencontre sexuelle, de la séduction et donc de l’égalité : il serait en soi non seulement le marqueur d’une inégalité des sexes mais encore d’une inégalité du désir sexuel. Porter le voile ce serait se soustraire au jeu du chat et de la souris, de la chasse fantasmée, ce serait se retrancher dans un espace qui serait inaccessible à la chasse érotique. Vouloir délibérément s’en soustraire, ce serait ainsi refuser l’adhésion à l’idéal égalitaire de la nation française qui repose sur la différence des sexes, elle-même lisible paradoxalement dans ce registre de la chasse. Joan Scott a bien montré comment cette mythification de la séduction comme résolution de la différence sexuelle et réponse à l’inégalité dés-historicise et justifie les inégalités de genre par le recours à une supposée tradition historique qui précède les temps démocratiques et remonterait aux temps aristocratiques. Comme elle le dit, cette idée place les agréments visibles de la sexualité, de la corporéité offerte, dans un cadre qui ne serait pas celui de la loi, dit-elle, mais du rituel : cela ferait partie d’un « style de vie » amoureuse à la française, et plus généralement d’un arrangement des sexes à la française, qui déborde le cadre du scénario strictement sexuel. Le plus étonnant est que ce discours de la libération sexuelle, le discours de l’hétéronormativité des conduites sexuelles et celui de l’érotisation de la domination, entrent en collusion — alors même qu’ils sont contradictoires — dans le cadre d’une rhétorique empruntée au féminisme qui réinsère le port du voile dans le cadre de sa propre histoire d’émancipation du corps des femmes par la libération vestimentaire."
"À travers ce discours de l’incompatibilité sexuelle de l’islam et de la République se trouve ainsi réactivé le fantasme orientaliste, colonial et viriliste d’arracher le voile. À quoi correspond ce fantasme ? Ce n’est plus une femme stricto sensu, mais la figure de l’Ailleurs insaisissable, qui se dérobe."
"Le voile serait incapable selon ses détracteurs de prendre soin des femmes, contrairement à ce que les femmes voilées soutiendraient (le foulard les protégerait des agressions sexuelles, des regards insistants, du harcèlement de rue à caractère sexuel). Mais, plus encore, le voile les empêcherait par là même de prendre soin des autres correctement : non seulement il est sous-entendu dans le discours politique ordinaire que les femmes voilées ne savent pas se défendre mais elles constitueraient les autres femmes — non voilées — comme des femmes disponibles sexuellement."
"L’approche phénoménologique permet de voir comment le déploiement du corps des femmes voilées est entravé au travail : la prohibition du voile dans le travail du care, ou plus généralement, dans le travail d’attention à la clientèle, produit en effet des corps empêchés, réduits souvent à leur seule voix lorsque ces femmes sont confinées à des tâches d’attention à la clientèle, où leur visibilité ne heurte pas la clientèle. Le voile au sein du travail du care est vécu comme une menace dans le cadre de ces rapports de production spécifiques que sont les rapports de production de soi, c’est-à-dire les rapports de reproduction où l’enjeu est la possibilité même de se maintenir en vie dans la dignité, et de pouvoir se présenter aux autres sous la forme d’une décence, d’une civilité qui laisse à voir que l’on est seul maître de son apparence."
"Le voile comme marqueur d’appartenance religieuse, comme marqueur confessionnel avait pu jouer — jusque dans des temps relativement récents — comme une forme de certificat visible de compétence dans le domaine des services, notamment de nettoyage : dans le cadre des services où le recrutement peut s’effectuer à partir de l’ethnicisation de compétences professionnelles, la supposée docilité des femmes musulmanes « avouées », c’est-à-dire voilées, pouvait oeuvrer en leur faveur dans le cadre d’un dispositif de travail qui demande précisément une forme d’effacement et d’invisibilité. En ce sens, une conversion opportune de la sémantique — même hasardeuse — du voile en compétence professionnelle subalterne pouvait œuvrer à une forme d’intégration du voile dans l’espace du travail. Il y avait dans le voile quelque chose qui renvoyait à l’enfermement domestique et à l’assignement à la charge maternelle dans le cadre d’une essentialisation d’une supposée culture musulmane prônant la ségrégation sociale et domestique des sexes, et qui était compatible professionnellement avec ce que l’on attendait à la fois d’une femme dédiée au travail affectif et d’une femme voilée. Cet ensemble de perceptions imaginaires [?!] de la femme voilée a pu fonctionner comme une forme de réconfort ou de confirmation de la compétence de ces femmes à s’occuper du ménage, de la cuisine, des enfants, des personnes âgées, autrement dit de tout ce qui avait un rapport avec une dimension de don de soi sacrificiel de la féminité ainsi caractérisée à partir de la naturalisation d’attributs moraux et physiques sexués."
"Les centres d’appel constituent un véritable refuge pour les femmes voilées, quitte pour certaines à se voir ainsi déclassées au travail. Ce cas est intéressant, car il montre comment ce qui a pour objet l’attention à la clientèle peut, ne passant plus par la visibilité, se soustraire à l’injonction de dévoilement, précisément parce que l’invisibilité technique expulse du champ de l’imaginable que les femmes dédiées à l’attention puissent être françaises et voilées."
"On peut certainement comprendre, avec Sara Farris, que l’injonction au dévoilement s’insère dans une logique capitaliste globale qui « demande d’en finir avec l’incongruité du corps féminin caché en tant qu’exception à la règle générale selon laquelle <les femmes> devraient circuler comme des “valeurs franches” ». L’idée sous-jacente d’une telle analyse est la suivante : « pour que la féminité opère sous le capitalisme, le corps féminin doit être exposé pour pouvoir circuler sous un “paradigme marchand” »."
"On peut se demander ce qu’il y a de si dangereux dans l’apparition de l’islam, dans son identification visible aux yeux de tous. Hannah Arendt émet une hypothèse à ce propos pour rendre raison de ce qu’il y a de menaçant à apparaître dans l’espace public, aux yeux d’une politique soucieuse du maintien de l’ordre, au sens large. Elle rappelle un épisode de la Rome impériale où le Sénat avait proposé de décréter le port d’un uniforme pour les esclaves afin qu’on les pût distinguer des hommes libres, mais le Sénat se rétracta et considéra la visibilité comme dangereuse, car les esclaves auraient ainsi pu se reconnaître les uns les autres, et ainsi mesurer leur force en vue d’une possible rébellion : la force des esclaves ne leur venant pas alors de leur nombre — au demeurant proportionnellement peu élevé — que de l’apparition publique sous la forme d’une possible communauté. Elle conclut ainsi que « ce que le sûr instinct politique des Romains jugeait dangereux, c’était l’apparence en tant que telle, indépendamment du nombre de gens »."
-Hourya Bentouhami, "Phénoménologie politique du voile", Philosophiques, Volume 44, numéro 2, automne 2017, URI : https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2017-v44-n2-philoso03291/1042334ar/
Altérité du voile (il n'est associé à rien de positif dans l'histoire collective nationale).
Indisponibilité à la séduction comme non-assimilation aux mœurs françaises. Comme une sorte de jeu d'où on ne veut pas jouer.
Elle ne s'interroge pas sur la signification sociale des couleurs, et le noir en tant qu'outil parfois consciemment utilisé pour inquiéter.
Manque des considérations sur l'opacité du voile (réduction des signes visibles, plus grande difficulté à distinguer les personnes). Fatigue, agacement et anxiété sociale.
La qualification de l'athéisme comme "ethnique" n'a aucun sens.
Manque des remarques sur le voile intégral comme antagonique de la culture moderne (il homogénéise, il désindividualise, il rend indistinguable).
Manque l'exigence de rationalité abstraite (opposé à l'affirmation particulariste).
Manque le caractère égalitaire de l'exigence d'assimilation (alors que les anglo-saxons sont plus tolérants parce que plus inégalitaires).
Manque la contradiction entre l'uniformisation tendancielle des normes de genre vestimentaires dans la modernité post-fordiste et la séparation sexuée tranchée que ré-introduit le voile.
Critique foucaldienne des normes dominantes (c'est du contrôle), sans noter que le port du voile est souvent une contre-norme, une norme dominée, si on veut ; une normalisation à échelle spatiale plus micro, plus informelle, mais une norme aussi.
Fond individualiste (argument de la diversité des options / maîtrise de son apparence).
https://www.academia.edu/47312181/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie_politique_du_voile
"L’idée principale sous-jacente à une phénoménologie politique du racisme est qu’il n’y a pas de perception visible qui ne soit déjà une construction sociale et politique."
"Le voile fait office d’objet phobogène."
"Qu’est-ce que percevoir, et plus encore, percevoir un visage, un corps de femme voilée ? En quoi le voile opère-t-il comme un marqueur de répudiation sociale au sein d’une société qui a érigé la laïcité comme sa forme d’enrégimentement de l’ordre social des apparitions ? Qui peut apparaître ? À quelles conditions et sous quelles modalités ?"
"Cette visibilité demanderait une réglementation en termes de degré, une sorte de mesure de l’intensité de la visibilité : qui irait de la discrétion à l’ostentation qui correspondrait à autant de degrés moraux de gage ou de désaveu républicain, allant de la foi secrète, quiétiste, à la foi prosélyte qui inviterait à la conversion. Est notamment prégnante cette idée que, à la vue ordinaire d’un voile, certains se sentiraient menacés par ce fichu qui les « agresse ». C’est pourquoi Électricité de France par exemple suggère à ses employées voilées d’adopter un « petit foulard de couleur » plutôt qu’un « grand foulard gris »."
"Pour saisir cette volonté de gouverner la visibilité de l’Islam, il faut partir des questions suivantes : qu’est-ce que cela fait de voir un voile pour celles et ceux qui sont étrangers au champ de significations et d’adhésion de ce fichu vestimentaire que l’on a tendance à surinvestir religieusement ? Les émotions relatées sont souvent la peur, le dégoût, l’incompréhension, la réprobation morale, les autres symptômes physiologiques affectant les capacités organiques sont : l’incapacité même de respirer, les troubles de l’appétit. Certains enseignants ont pu dire qu’ils se sentaient agressés par la vue d’un voile en cours. Il y a cette idée aussi que l’islam est une culture étrangère, que c’est une religion immigrée (et pas simplement d’immigrés), et que le voile est à ce titre un marqueur allogène, non national qui ne peut donc qu’être exclu de la visibilité publique, et de la possibilité de représenter les valeurs de la France. La raison est que le voile serait un stigmate par lequel on se dénonce comme soumise, arriérée, inculte, inapte à la pensée, et aux soins des autres."
"L’image que l’on a de vous et les contenus fantasmatiques autour du voile vous précèdent et saturent le champ de votre perception au point que vous n’êtes plus capable de venir au monde sous la forme de l’oblique, de la non-correspondance aux attentes sociales." => contredit le sociologisme initial de l'auteur
"Ce que fournit la laïcité comme discours politique, c’est un script des sentiments, c’est-à-dire un langage et une prescription de ce que l’on doit ressentir à la vue d’un voile, et qui nourrit, ou du moins légitime en retour, des formes de violence ordinaire envers les femmes voilées, comme cette femme qui s’est vu arracher son voile par une femme blanche hilare en plein coeur d’un centre commercial très fréquenté."
"On doit à Joan Scott cette idée que la laïcité à la française est supportée par une théorie des apparences qui relève amplement du fantasme des signes sociaux et de l’érotisation liée à la différence des sexes, comme parangon d’un esprit à la française, si bien que toute personne dérogeant à cette séduction possible montrerait ainsi son hostilité à toute appartenance à ce qui fait la nature française, son côté licencieux qui irait de la galanterie aristocratique jusqu’à la révolution sexuelle de Mai 1968.
Le voile nierait la possibilité de la rencontre sexuelle, de la séduction et donc de l’égalité : il serait en soi non seulement le marqueur d’une inégalité des sexes mais encore d’une inégalité du désir sexuel. Porter le voile ce serait se soustraire au jeu du chat et de la souris, de la chasse fantasmée, ce serait se retrancher dans un espace qui serait inaccessible à la chasse érotique. Vouloir délibérément s’en soustraire, ce serait ainsi refuser l’adhésion à l’idéal égalitaire de la nation française qui repose sur la différence des sexes, elle-même lisible paradoxalement dans ce registre de la chasse. Joan Scott a bien montré comment cette mythification de la séduction comme résolution de la différence sexuelle et réponse à l’inégalité dés-historicise et justifie les inégalités de genre par le recours à une supposée tradition historique qui précède les temps démocratiques et remonterait aux temps aristocratiques. Comme elle le dit, cette idée place les agréments visibles de la sexualité, de la corporéité offerte, dans un cadre qui ne serait pas celui de la loi, dit-elle, mais du rituel : cela ferait partie d’un « style de vie » amoureuse à la française, et plus généralement d’un arrangement des sexes à la française, qui déborde le cadre du scénario strictement sexuel. Le plus étonnant est que ce discours de la libération sexuelle, le discours de l’hétéronormativité des conduites sexuelles et celui de l’érotisation de la domination, entrent en collusion — alors même qu’ils sont contradictoires — dans le cadre d’une rhétorique empruntée au féminisme qui réinsère le port du voile dans le cadre de sa propre histoire d’émancipation du corps des femmes par la libération vestimentaire."
"À travers ce discours de l’incompatibilité sexuelle de l’islam et de la République se trouve ainsi réactivé le fantasme orientaliste, colonial et viriliste d’arracher le voile. À quoi correspond ce fantasme ? Ce n’est plus une femme stricto sensu, mais la figure de l’Ailleurs insaisissable, qui se dérobe."
"Le voile serait incapable selon ses détracteurs de prendre soin des femmes, contrairement à ce que les femmes voilées soutiendraient (le foulard les protégerait des agressions sexuelles, des regards insistants, du harcèlement de rue à caractère sexuel). Mais, plus encore, le voile les empêcherait par là même de prendre soin des autres correctement : non seulement il est sous-entendu dans le discours politique ordinaire que les femmes voilées ne savent pas se défendre mais elles constitueraient les autres femmes — non voilées — comme des femmes disponibles sexuellement."
"L’approche phénoménologique permet de voir comment le déploiement du corps des femmes voilées est entravé au travail : la prohibition du voile dans le travail du care, ou plus généralement, dans le travail d’attention à la clientèle, produit en effet des corps empêchés, réduits souvent à leur seule voix lorsque ces femmes sont confinées à des tâches d’attention à la clientèle, où leur visibilité ne heurte pas la clientèle. Le voile au sein du travail du care est vécu comme une menace dans le cadre de ces rapports de production spécifiques que sont les rapports de production de soi, c’est-à-dire les rapports de reproduction où l’enjeu est la possibilité même de se maintenir en vie dans la dignité, et de pouvoir se présenter aux autres sous la forme d’une décence, d’une civilité qui laisse à voir que l’on est seul maître de son apparence."
"Le voile comme marqueur d’appartenance religieuse, comme marqueur confessionnel avait pu jouer — jusque dans des temps relativement récents — comme une forme de certificat visible de compétence dans le domaine des services, notamment de nettoyage : dans le cadre des services où le recrutement peut s’effectuer à partir de l’ethnicisation de compétences professionnelles, la supposée docilité des femmes musulmanes « avouées », c’est-à-dire voilées, pouvait oeuvrer en leur faveur dans le cadre d’un dispositif de travail qui demande précisément une forme d’effacement et d’invisibilité. En ce sens, une conversion opportune de la sémantique — même hasardeuse — du voile en compétence professionnelle subalterne pouvait œuvrer à une forme d’intégration du voile dans l’espace du travail. Il y avait dans le voile quelque chose qui renvoyait à l’enfermement domestique et à l’assignement à la charge maternelle dans le cadre d’une essentialisation d’une supposée culture musulmane prônant la ségrégation sociale et domestique des sexes, et qui était compatible professionnellement avec ce que l’on attendait à la fois d’une femme dédiée au travail affectif et d’une femme voilée. Cet ensemble de perceptions imaginaires [?!] de la femme voilée a pu fonctionner comme une forme de réconfort ou de confirmation de la compétence de ces femmes à s’occuper du ménage, de la cuisine, des enfants, des personnes âgées, autrement dit de tout ce qui avait un rapport avec une dimension de don de soi sacrificiel de la féminité ainsi caractérisée à partir de la naturalisation d’attributs moraux et physiques sexués."
"Les centres d’appel constituent un véritable refuge pour les femmes voilées, quitte pour certaines à se voir ainsi déclassées au travail. Ce cas est intéressant, car il montre comment ce qui a pour objet l’attention à la clientèle peut, ne passant plus par la visibilité, se soustraire à l’injonction de dévoilement, précisément parce que l’invisibilité technique expulse du champ de l’imaginable que les femmes dédiées à l’attention puissent être françaises et voilées."
"On peut certainement comprendre, avec Sara Farris, que l’injonction au dévoilement s’insère dans une logique capitaliste globale qui « demande d’en finir avec l’incongruité du corps féminin caché en tant qu’exception à la règle générale selon laquelle <les femmes> devraient circuler comme des “valeurs franches” ». L’idée sous-jacente d’une telle analyse est la suivante : « pour que la féminité opère sous le capitalisme, le corps féminin doit être exposé pour pouvoir circuler sous un “paradigme marchand” »."
"On peut se demander ce qu’il y a de si dangereux dans l’apparition de l’islam, dans son identification visible aux yeux de tous. Hannah Arendt émet une hypothèse à ce propos pour rendre raison de ce qu’il y a de menaçant à apparaître dans l’espace public, aux yeux d’une politique soucieuse du maintien de l’ordre, au sens large. Elle rappelle un épisode de la Rome impériale où le Sénat avait proposé de décréter le port d’un uniforme pour les esclaves afin qu’on les pût distinguer des hommes libres, mais le Sénat se rétracta et considéra la visibilité comme dangereuse, car les esclaves auraient ainsi pu se reconnaître les uns les autres, et ainsi mesurer leur force en vue d’une possible rébellion : la force des esclaves ne leur venant pas alors de leur nombre — au demeurant proportionnellement peu élevé — que de l’apparition publique sous la forme d’une possible communauté. Elle conclut ainsi que « ce que le sûr instinct politique des Romains jugeait dangereux, c’était l’apparence en tant que telle, indépendamment du nombre de gens »."
-Hourya Bentouhami, "Phénoménologie politique du voile", Philosophiques, Volume 44, numéro 2, automne 2017, URI : https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2017-v44-n2-philoso03291/1042334ar/
Altérité du voile (il n'est associé à rien de positif dans l'histoire collective nationale).
Indisponibilité à la séduction comme non-assimilation aux mœurs françaises. Comme une sorte de jeu d'où on ne veut pas jouer.
Elle ne s'interroge pas sur la signification sociale des couleurs, et le noir en tant qu'outil parfois consciemment utilisé pour inquiéter.
Manque des considérations sur l'opacité du voile (réduction des signes visibles, plus grande difficulté à distinguer les personnes). Fatigue, agacement et anxiété sociale.
La qualification de l'athéisme comme "ethnique" n'a aucun sens.
Manque des remarques sur le voile intégral comme antagonique de la culture moderne (il homogénéise, il désindividualise, il rend indistinguable).
Manque l'exigence de rationalité abstraite (opposé à l'affirmation particulariste).
Manque le caractère égalitaire de l'exigence d'assimilation (alors que les anglo-saxons sont plus tolérants parce que plus inégalitaires).
Manque la contradiction entre l'uniformisation tendancielle des normes de genre vestimentaires dans la modernité post-fordiste et la séparation sexuée tranchée que ré-introduit le voile.
Critique foucaldienne des normes dominantes (c'est du contrôle), sans noter que le port du voile est souvent une contre-norme, une norme dominée, si on veut ; une normalisation à échelle spatiale plus micro, plus informelle, mais une norme aussi.
Fond individualiste (argument de la diversité des options / maîtrise de son apparence).