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    Jean-Paul Bled, Les hommes d'Hitler

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean-Paul Bled, Les hommes d'Hitler Empty Jean-Paul Bled, Les hommes d'Hitler

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 20 Sep - 17:12



    "L’Etat nazi se définit comme un Führerstaat (« Etat du Führer »). Dans son Droit constitutionnel du Reich allemand, publié en 1937, le juriste Ernst Rudolf Huber fait de la volonté du Führer la « loi suprême ». En 1942, le Reichstag acclame dans Hitler « le Führer de la Nation, le Commandant suprême de la Wehrmacht, le Chef du gouvernement, le dépositaire suprême du pouvoir exécutif, le Juge suprême et le Chef du Parti »."

    "Après la liquidation des chefs SA lors de la « Nuit des longs couteaux », le 30 juin 1934, il n’a plus à redouter de contre-pouvoir à l’intérieur de l’appareil du parti. L’armée est alors la seule institution à échapper encore à son contrôle. L’affaire Blomberg-Fritsch lui permet en février 1938 de réparer cette anomalie. La solution trouvée le place à la tête des forces armées. La boucle est bouclée  : il tient maintenant entre ses mains tous les leviers du pouvoir."

    "Dès les lendemains de la Première Guerre mondiale, Hitler découvre ses dons d’orateur. Mais il ne lui suffit bientôt plus de captiver les assemblées de petites brasseries munichoises. Il veut, après cette première étape, subjuguer des auditoires plus vastes. A cette fin, il faut à ce virtuose du verbe posséder toutes les techniques de son art. Il apprend à ménager ses effets. Rien n’est laissé au hasard : gestuelle, mimiques, jeu des yeux, tempo du discours. Nombre de ses plus anciens compagnons témoignent du choc qu’ils ont reçu, l’écoutant pour la première fois." (p.Cool

    "On a souvent comparé Hitler et Staline. L’un et l’autre furent l’objet d’un culte de la personnalité. Une différence majeure les sépare pourtant. Le phénomène concerne des millions d’Allemands avant même l’accession d’Hitler, alors que la machine ne se met en marche en Union soviétique qu’après que Staline se fut assuré le contrôle du parti et donc du pays.

    Certes, avec 43,9 % des suffrages aux élections du 5  mars 1933, le NSDAP n’obtient qu’une majorité relative et ce n’est qu’avec l’appoint de son allié national-conservateur qu’il franchit la barre des 50 %. Les conditions sont cependant réunies pour que le mythe d’Hitler s’épanouisse et touche maintenant la grande majorité des Allemands. Après la disparition des autres partis politiques et le musellement de la presse, ceux-ci n’entendent plus qu’une parole, celle du pouvoir, notamment à travers l’entreprise de propagande savamment conduite par Goebbels. Mais, plus encore, le culte du Führer se nourrit des victoires remportées sur différents fronts par le régime dans les premières années. Il y a d’abord le recul massif du chômage, quels qu’aient été les moyens employés. La « Nuit des longs couteaux » renforce encore sa popularité. Loin d’être horrifiée par la brutalité des méthodes utilisées, l’opinion accueille avec soulagement et gratitude la liquidation de Röhm et des principaux chefs SA. La fermeté montrée par Hitler reçoit une approbation presque unanime. Joue sans doute un rôle encore plus important l’accumulation de succès qui achèvent de détricoter l’odieux traité de Versailles  : rétablissement du service militaire, retour de la Sarre dans le Reich, réoccupation de la rive gauche du Rhin, annexion de l’Autriche, incorporation des Sudètes." (p.9)

    "La dimension charismatique du pouvoir hitlérien est illustrée par les consultations électorales organisées entre 1933 et 1938, autant de plébiscites destinés à souligner l’accord parfait entre le Führer et son peuple." (p.10)

    "Il n’est pas sans importance que le pillage systématique de l’Europe occupée ait évité à la population allemande les rationnements Les hommes d’Hitler sévères de la Première Guerre mondiale. Mieux, des retours de flamme sont possibles. Largement condamné par l’opinion, l’attentat du 20 juillet 1944 rassemble une nouvelle fois les Allemands autour d’Hitler." (pp.10-11)

    "Hitler reste longtemps dans le rôle d’un apprenti dictateur. C’est au bout de treize introduction années  de lutte, la période du Kampfzeit (« le temps du combat »), qu’il décroche enfin le Graal. La plupart des hommes d’Hitler entrent dans son entourage dès cette période. Les militaires mis à part, Albert Speer et Leni Riefenstahl font seuls exception. Certes, le premier entend Hitler en 1932 lors d’une réunion publique alors que la seconde le rencontre brièvement durant l’automne de la même année. Mais l’un et l’autre ne commencent à travailler pour lui qu’après la prise du pouvoir. Tout sauf homogène, ce groupe se compose de plusieurs strates.

    La première est formée du noyau munichois. Ses membres apparaissent pour la plupart avant le putsch de novembre  1923, ce qui les fait appartenir à la crème de la crème du parti, à la génération très enviée des Alte Kämpfer (anciens combattants). S’y côtoient pêle-mêle Alfred Rosenberg, Rudolf Hess, Hermann Göring, Ernst Röhm, Gregor Strasser, Heinrich Himmler, Wilhelm Frick. Avant d’adhérer au parti nazi, beaucoup (Hess, Röhm, Frank, Himmler) ont connu l’aventure des corps francs.

    Viennent ensuite ceux qui, convertis plus tard au nazisme, ont souvent des origines extérieures à la Bavière. Le Rhénan Joseph Goebbels en est le représentant le plus en vue. Mal acceptés des Munichois, ils le leur rendent bien. Goebbels ne mâche pas ses mots contre ces provinciaux bornés. Bavarois de naissance, mais Prussien de cœur, Göring n’est pas en reste. La troisième catégorie se distingue clairement des deux précédentes. Il s’agit ici de nationaux-conservateurs qui, sur la fin de la période, estiment souhaitable une entente avec Hitler, soit, comme Hjalmar Schacht et le général von Blomberg, pour le canaliser, soit, comme Franz von Papen, en vue de le manipuler pour mieux le rejeter ensuite. La garde rapprochée d’Hitler, avec ses figures de proue, Göring, Goebbels, Hess, Himmler, Röhm, Strasser, est déjà rassemblée autour de son Führer." (pp.11-12)

    "Voici d’abord un homme qui émerge rarement du sommeil avant le milieu de la journée. Autant dire qu’il ne faut pas lui prendre de rendez-vous dans la matinée. L’ambiance du reste de la journée n’est pas vraiment au travail. Hitler s’entoure d’une sorte de cour composée de familiers qui ont directement accès à lui. L’amateur d’art Ernst Hanfstaengl y voisine avec le photographe Heinrich Hoffmann. Tous se retrouvent régulièrement l’après-midi dans un café de Munich où Hitler anime la conversation autour de délicieuses pâtisseries. Bref, ayant transplanté à Munich des habitudes de dilettantisme prises à Vienne, il goûte aux plaisirs de la vie de bohème. Faut-il ajouter qu’il se désintéresse de l’organisation interne du parti ? Il la confie à Strasser, qui prend cette mission à cœur. Avec la conséquence qu’il se met sérieusement en danger quand les deux hommes entrent en conflit après les élections de novembre 1932. Appuyé sur cette position stratégique, Strasser pourrait le défier. S’il n’en fait rien, Hitler n’en a pas moins entendu, durant quelques jours, souffler le vent du boulet." (p.13)

    "Si les pleins pouvoirs ont été accordés au gouvernement du Reich, celui-ci est rapidement ravalé au rang d’instrument de la volonté du Führer. Franz von Papen est mis sur la touche bien avant d’en être exclu après la « Nuit des longs couteaux ». Quant aux autres ministres conservateurs, ils ont compris dans quelle direction le vent souffle désormais. Au reste, les réunions du Conseil des ministres sont de plus en plus espacées. En 1937, on n’en compte plus que six. Le dernier se tient le 5 février 1938. Hitler n’a plus désormais avec ses ministres que des relations bilatérales. C’est aussi une manière de mieux les contrôler.

    Autre moyen de les soumettre à sa volonté, il s’emploie à rogner les compétences de plusieurs de ses ministres. C’est pour partie à cette fin que répond la création d’organisations non gouvernementales relevant directement de son autorité par-dessus la tête du ministre en principe responsable du secteur correspondant. Hitler affiche très tôt la couleur. Dès le 30 juin 1933, le Dr  Fritz Todt est nommé « inspecteur général des routes allemandes ». A ce poste, il aura en charge la construction du réseau autoroutier dont Hitler veut faire un fleuron du régime. Non seulement le baron Paul von Eltz-­Rübenach, le Reichsminister pour les Transports, n’a même pas été informé de cette initiative, mais le voici dépossédé d’un coup de par la volonté du Führer d’un pan entier de ses compétences.

    Le développement des pouvoirs d’Heinrich Himmler comme chef de la SS et chef de la police montre un scénario identique. Sa mainmise progressive sur l’outil policier s’opère au détriment des ministres de l’Intérieur du Reich et de Prusse, pourtant deux personnalités en pointe du régime, Wilhelm Frick et Hermann Göring, le dauphin d’Hitler." (p.14)

    "L’intronisation de Baldur von Schirach dans le poste de Jugendführer (« Führer de la Jeunesse ») crée les conditions d’un conflit avec Bernhard Rust, le ministre de l’Instruction jusqu’alors en charge de la Jeunesse. Le conflit éclate au grand jour quand Schirach tire avantage de sa position pour prétendre intervenir dans la définition et le contenu de la politique d’éducation. Indigné, Rust peut protester avec la dernière énergie, rien n’y fait. Plus spectaculaire encore est la création en 1936 du Plan quadriennal dont la direction est confiée à Göring, son instigateur. L’affaire oppose deux poids lourds du régime, Göring et Schacht, le ministre de l’Economie, réduit au rôle d’auxiliaire, de plus au service d’une politique avec laquelle il est en désaccord. Refusant de jouer ce rôle, il démissionne quelques mois après le lancement du Plan.

    Ce tableau serait incomplet s’il oubliait les rivalités opposant de nombreux ministres. Se livrant de véritables foires d’empoigne, ceux-ci se disputent sur le périmètre de leur pré carré, toujours sur le qui-vive face à des menaces d’empiètements qui ne sont bien souvent que trop réelles. La jalousie est un autre ressort de ces relations marquées par le soupçon. Les ministres d’Hitler connaissent la règle du système. Ils savent que leur position dépend de la faveur du Führer. C’est donc à celui qui sera le plus près de l’astre de leurs jours. De ces affrontements, celui qui oppose Goebbels à Ribbentrop est sans doute le plus mémorable. Si Goebbels s’est fait une spécialité d’avoir la dent dure contre ses collègues, son différend avec Ribbentrop n’en représente pas moins un cas particulier. Il juge que la fatuité du ministre des Affaires étrangères n’a d’égale que sa médiocrité et ne craint pas de le faire savoir. A cela s’ajoutent naturellement des querelles de compétences. Qui aura autorité sur la propagande en direction de l’étranger ?" (p.15)

    "Hitler pourrait taper du poing sur la table pour mettre un terme à ces conflits à répétition. Non seulement il n’en fait rien, mais il s’en garde bien, d’autant plus, comme on vient de le voir, qu’il en est souvent à l’origine. Sollicité de trancher, il rend le plus souvent un jugement de Salomon ne laissant ni vrai vainqueur ni vrai vaincu, une manière de rappeler à chacun qu’il le tient dans son pouvoir et qu’il lui suffirait d’un geste pour le faire plonger dans des profondeurs obscures. En d’autres occasions, il laisse les choses suivre leur cours. En disciple de Darwin, il compte que le plus fort finira par s’imposer. Quel que soit son choix, on voit ainsi se dessiner peu à peu un trait majeur du régime hitlérien, celui d’un désordre organisé.

    L’analyse permet d’aller encore plus loin et de parler d’un totalitarisme anarchique, quand bien même les deux termes paraissent de prime abord contradictoires. A son arrivée à la Chancellerie, l’option s’offre à Hitler de renforcer l’appareil d’Etat. C’est celle que lui propose Wilhelm Frick, son ministre de l’Intérieur. Il s’agirait en somme de s’inscrire dans la tradition prussienne et de faire d’une administration aux pouvoirs accrus un des piliers majeurs de la dictature. Hitler paraît s’engager d’abord dans cette voie alors qu’il se prépare à la rupture avec Röhm et la SA. Mais, passé le cap de la « Nuit des longs couteaux », il opère un retournement en accord, à bien y regarder, avec sa nature profonde. Il nourrit en fait une vraie phobie contre l’administration dans laquelle il est porté à voir bien plus une force hostile qu’une auxiliaire de sa puissance. Dès le congrès suivant du parti, il lance, le 7  septembre 1934  : « Ce n’est pas l’Etat qui nous commande, mais au contraire c’est nous qui lui commandons ! Ce n’est pas l’Etat qui nous a créés, c’est nous qui créons notre Etat. » Le 1er novembre, il enfonce le clou en dénonçant parmi les fonctionnaires « des dizaines de milliers d’ennemis camouflés ou passifs8 », donnant par là à comprendre qu’il voit dans la haute administration un repaire de conservateurs – les nazis parleraient de réactionnaires – attachés aux pratiques et aux références du passé. Après ce tournant, Frick subit une succession de revers." (p.16)

    "La volonté du Führer est la seule règle que le régime nazi se reconnaisse. Il ne s’agit pas d’une simple formule. Ce principe induit des pratiques et des comportements. Dans de nombreux cas, Hitler se borne à donner un ordre oral. L’Aktion T4 programmant l’euthanasie de dizaines de milliers d’handicapés physiques et mentaux en offre un exemple, Hitler se refusant à ce qu’elle prenne appui sur une loi. Il en va probablement de même pour la Solution finale. On chercherait en vain un ordre écrit de sa main, qui, selon toute vraisemblance, n’a jamais existé." (p.18)

    "Lui écrire un mémoire ou un rapport, c’est s’exposer au risque au mieux qu’il laisse passer beaucoup de temps avant d’en prendre connaissance, au pis qu’il ne le lise jamais. [...] Une fois le régime consolidé, Hitler ne s’implique vraiment que dans les domaines majeurs et même vitaux à ses yeux (actions internationales, politique militaire, questions raciales), supervisant le reste, et encore de loin. Il leur réserve ses prises de décision, lorsqu’il ne s’agit pas de signaux, voire de simples suggestions livrées à ses collaborateurs. Il n’est pas rare que celles-ci soient le fruit d’un long mûrissement, à tel point que Goebbels se lamente régulièrement sur l’indécision à laquelle Hitler serait
    fréquemment sujet et qui serait une autre face de sa personnalité. Quoi qu’il en soit, ce système de « gouvernement » laisse aux collaborateurs du dictateur une marge de manœuvre tout sauf négligeable."

    "Le régime hitlérien est déjà une polycratie de par la volonté du Führer, qui voit dans cette pluralité des pôles un instrument de la consolidation de son pouvoir. Cette polycratie répond encore à la logique même du fonctionnement d’un système de pouvoir centré sur un dictateur assurément omnipotent, mais certainement pas omniprésent. Pour finir, le terme de polycratie est plus que jamais approprié au regard du combat acharné que se livrent les différents centres de pouvoir. Dans cette lutte impitoyable de tous contre tous, chacun de ces satrapes avance ses pions, toujours prêt à écraser l’autre. Dans une atmosphère lourde d’intrigues et de mauvais coups, les alliances se nouent et se dénouent dans l’attente du round final après la victoire." (p.20)

    " [Première partie: "Les idiots utiles"]

    Bien qu’il prenne inlassablement la révolution bolchevique pour cible, Hitler y trouve une source d’inspiration, notamment pour ce qu’elle lui apprend sur les méthodes en vue de l’établissement de la dictature.

    A la fin de 1932, le parti nazi paraît en mauvaise posture. Certes, il vient de surmonter la crise provoquée par les velléités d’autonomie de Gregor Strasser tenté de défier Hitler pour s’allier avec le général von Schleicher au sein d’un gouvernement de coalition. Mais il reste sur un recul inquiétant aux élections de novembre 1932, tendance amplifiée lors de scrutins locaux. A l’approche du passage à l’année nouvelle, Goebbels se montre pessimiste sur l’avenir.

    Pour sortir de cette mauvaise passe, Hitler reçoit le soutien de personnalités extérieures au NSDAP qui l’aident à se relancer et même lui ouvrent les portes du pouvoir. Franz von Papen est l’archétype de l’« idiot utile ». La sympathie n’entre pour rien dans son alliance avec Hitler. Son choix est avant tout dicté par son irrépressible appétit de revanche contre le général von Schleicher qu’il accuse d’être responsable de son départ de la Chancellerie deux mois plus tôt. Pour l’abattre, il est prêt à conclure un pacte avec Hitler, quitte à se contenter du poste de vice-chancelier. C’est ici qu’il se leurre totalement en croyant n’en faire qu’une bouchée. Comment ce pauvre novice pourrait-il résister à un homme d’expérience comme lui ? Le réveil n’en sera que plus cruel, mais le mal sera fait. Celui qui pensait prendre aura été pris. Celui qui croyait manipuler aura
    trouvé face à lui un plus grand manipulateur. Devant ce qui ressemble fort à une humiliation, Papen n’a pas de réaction d’orgueil. Il continue à servir le régime dans une position abaissée à Vienne, puis à Ankara, et sans doute serait-il resté à son poste d’ambassadeur jusqu’à la chute du Reich si la Turquie n’avait décidé en octobre 1944 de rompre ses relations diplomatiques avec l’Allemagne nazie.

    Les cas du général von Blomberg et de Hjalmar Schacht sont certes moins tranchés que celui de Papen. Tous deux aussi mus par l’esprit de revanche, le premier toujours sur Schleicher, le second envers les gouvernements de la république de Weimar qui n’ont pas écouté ses avis. Mais l’un et l’autre admirent Hitler et, bien que ne se réclamant pas du national-socialisme, sont acquis dès avant janvier 1933 à son accession au pouvoir, ce qui fait déjà la différence avec Papen. La promotion de Blomberg à la tête du ministère de la Reichswehr dans l’équipe gouvernementale formée le 30 janvier 1933 aide Hitler à lever l’hypothèque de l’armée. Blomberg agit dans le sens des intérêts d’Hitler dès lors que celui-ci défend ceux des forces armées. Ce pacte non écrit fonctionne à la satisfaction des deux hommes durant plusieurs années. Alors qu’Hitler est encore en quête du pouvoir, Schacht, en sa qualité d’ancien président de la ­Reichsbank, a tout d’une bonne prise. Il commence par se faire son propagandiste auprès des banquiers et des industriels. Après le 30 janvier 1933, il recueille les fruits de son soutien puisqu’il cumule bientôt deux postes majeurs dans la hiérarchie du régime. Retrouvant le fauteuil de président de la Reichsbank, il y ajoute le portefeuille de l’Economie. Schacht se voit alors en grand ordonnateur de l’économie du Reich.

    L’un et l’autre vont cependant découvrir les limites de leur influence. Après qu’il se fut inquiété, en novembre 1937, des projets expansionnistes d’Hitler, Blomberg est amené, trois mois plus tard, à démissionner. Le premier Feldmarschall du régime sombre alors dans l’oubli.
    Schacht s’était cru le mentor d’Hitler. Il lui faut revenir de ses illusions quand celui-ci n’a cure en 1936 de son avis d’expert hostile au lancement d’une politique d’armement massif. Le temps de Schacht est maintenant passé. Conséquence de ce désaccord de fond, il perd ses fonctions l’une après l’autre.

    Quoique distincts l’un de l’autre, ces départs sont liés. Ils illustrent le tournant du régime, amorcé dès 1936, clairement pris au début de 1938. Sa radicalisation sur les rails, il n’y a plus de place pour des modérés aux postes sensibles. Le temps des compagnons de route est passé. Nomination contemporaine de ces retraits, Joachim von Ribbentrop, un nazi pur jus, sinon de vieille roche, remplace en février 1938 le baron Konstantin von Neurath à la tête du ministère des Affaires étrangères. L’objectif de l’Anschluss atteint, Papen quitte Vienne pour Ankara, un poste qu’on ne dira pas de second ordre, mais néanmoins périphérique. Une autre logique prévaut désormais qui, libérée
    de tout frein, risque d’entraîner l’Allemagne dans une course folle vers l’abîme.

    Reste que ces trois hommes ont joué un rôle essentiel dans l’avènement d’Hitler. Papen lui a livré les clés du pouvoir politique, Blomberg l’a secondé pour s’assurer le contrôle de l’armée, Schacht l’a aidé à établir sa mainmise sur l’économie." (pp.25-27)
    -Jean-Paul Bled, Les hommes d'Hitler, Perrin, 2015.



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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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